dimanche 3 mars 2013

Max Picard — Le Monde du silence (Chapitre XIX-XXIV)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

 Max PICARD. Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954.


CHAPITRE XIX
L'enfant, le vieillard et le silence

«Dans la parole de l'enfant, il sort plus de silence que de son; dans la parole de l'enfant, il va vers les hommes plus de silence que de parole véritable.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 89.

«... ce qui existe pour le première fois, ce qui est neuf, veut demeurer et refuse de se laisser remplacer.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 90.

«Le langage de l'enfant est poétique, car c'est le langage du commencement et, pour ce motif, il jaillit spontané comme la poésie.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 90.

«L'adulte nous ravit, qui a gardé en soi quelque peu non seulement de la parole de l'enfant, mais aussi du silence de l'enfant et dont la parole sort du silence de l'enfant. § La parole de l'enfant est silence devenu son. La parole de l'adulte est son qui cherche le silence.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 90.

«Les enfants, ces petites collines de silence, sont disséminés partout dans le monde des paroles, rappelant aux hommes l'origine de la parole. Ils sont comme une conjuration contre le monde trop dynamique des paroles d'aujourd'hui et, parfois, il semble qu'ils soient là non seulement pour faire souvenir d'où elle est venue la parole, mais aussi pour rappeler le lieu où elle pourrait retourner, le silence.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 90-91.

«Le vieillard: la parole chez l'enfant monta, lente, du silence; lente est aussi la parole du vieillard; elle s'approche à nouveau du silence.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 91.

«... il semble que le vieillard veuille rendre maintenant au silence, avant de quitter la terre, les paroles qu'enfant, il avait reçues, sans qu'on le remarque, du silence.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 91.

«Le vieillard a déjà du silence en soi, avant même qu'il ne pénètre dans le silence de la mort; ses mouvements sont lents comme s'ils ne voulaient pas troubler le silence vers lequel il se dirige.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 91-92.

«Avec son silence, le vieillard va au-devant du silence de la mort et la dernière parole du vieillard est comme un bateau qui, du silence de la vie, porte le vieillard dans le silence de la mort.»  — Max PICARD. «L'enfant, le vieillard et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 92.

CHAPITRE XX
Le paysan et le silence

«Les hommes [qui sont les habitants du village] sont lents comme s'ils se déplaçaient à la cadence du silence.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 93.

«Deux vaches s'avancent sur un champ, un homme à côté d'elles: on dirait une procession du silence; L'homme semble faire tomber du dos des bêtes le silence sur les champs, labourer avec du silence. § Mais le meuglement de la vache est une déchirure dans le silence; on dirait que le silence se déchire soi-même. § Amples mouvements des hommes sur les champs: ils sèment à nouveau le silence détruit à la ville.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 94-95.

«La vie des paysans est une vie dans le silence; les paroles 'en sont retournée dans les gestes muets des hommes; une parole qui s'allonge, qui, sur sa longue route, a perdu la voix, ainsi sont les mouvements des paysans, ils remplacent la parole.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 95.

«... les mouvements du paysan sont devenus comme la trajectoire d'une  étoile et la trajectoire a absorbé la parole  § Le s mouvement du paysan sont si lents que l'on dirait que les étoiles, les lentes étoiles, se déplacent avec lui et que le chemin du paysan et le chemin des étoiles se confondent.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 95-96.

«La vie du paysan est comme une constellation du silence à la voûte du ciel humain.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 96.

«Ce silence des paysans ne signifie pas que la parole ait été perdue, au contraire: en cet état de silence, l'homme se trouve à nouveau au commencement des temps où il attendait de recevoir la parole du silence; il semble qu'il n'ait encore jamais possédé la parole, qu'elle lui soit maintenant donnée pour la première fois. Ce n'est point de l'homme, c'est du silence que la première parole apparaît à nouveau.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 97.

«Le paysan qui émerge, droit, de la plaine du champ, voilà qui correspond à la plaine du silence d'où jaillit la parole de l'homme.»  — Max PICARD. «Le paysan et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 97.

CHAPITRE XXI
Hommes et choses dans le silence

«Ce qui donne ce sentiment de bonheur, c'est la commune entente non seulement sur le sens des choses, mais encore sur le sens du silence.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 98.

«Cette vie dans le silence primaire ajoute à l'homme, qui, cependant, n'est homme que par la parole, une autre vie, la vie dans le silence; elle le renvoie, par delà la vie qui est dans la parole, à une vie au delà de la parole; elle le renvoie au delà de lui-même.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 98.

«Cet homme peut parler, cependant le silence est là; il peut se taire, cependant la parole est là; le silence devient perceptible par la parole et la béatitude, simple sentiment généralement, devient visible comme un objet, visible dans la transparence.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 99.

«Les rues sont comme des ponts au-dessus du silence et les hommes y passent lentement, comme s'ils n'avaient pas confiance en leur solidité. § Seule la cathédrale est assurée; elle est comme la solide entrée d'un puits par où le silence descend vers un silence encore plus profond.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 100.

«Décentraliser la grande ville, c'est décentraliser le tapage, le distribuer partout.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 100.

«Le fait que la lumière adhère au mur est comme un signe que le mur appartient au silence.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 101.

«Ce n'est pas le silence qui naît de l'écrasement de la parole; le silence, ici, n'est pas broyé par la pierre; il est ici, depuis le premier commencement, dans la pierre; il est dans la pierre comme les dieux grecs sont dans le marbre dont il semble non pas que l'homme les a dégagés du marbre en les sculptant, mais qu'ils sont apparus eux-mêmes dans le marbre, tels quels, après avoir longuement cheminé à travers les blocs de marbre jusqu'au bout de la carrière: les dieux sortent du marbre comme d'une porte, de la dernière porte de la carrière.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 102.

«La terre entière pourrait ici être approvisionnée en silence, semble-t-il, on pourrait même ériger d'ici un monde entier de silence [...]. Mais les branches des arbres portent, dans l'intervalle des feuilles, un éclat lumineux et cet éclat lumineux entre les feuilles forme comme les fruits du silence.»  — Max PICARD. «Hommes et choses dans le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 103.

CHAPITRE XXII
Nature et silence

«Le silence de la nature est discordant pour l'homme. Il rend heureux, car il fait pressentir le grand silence qui était avant la parole et de qui tout naît. Mais il est en même temps accablent, car il replace l'homme en présence de l'état où il n'avait pas encore la parole, où il n'était pas encore homme: il est comme une menace que la parole ne lui soit à nouveau enlevée et ne retourne dans le silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 104.

«C'est un signe de l'origine divine de la parole que, de la parole, puisse naître son contraire, ce qui est entièrement autre, ce qui n'est pas contenu dans la donnée extérieure de la parole, ce que l'on n'attend pas: le silence. § La relation établie par le silence existe de façon durable, la relation établie par la parole est liées à l'instant, mais c'est l'instant de la vérité qui apparaît dans la parole et, par là, c'est l'instant de l'éternité.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 104.

«... les choses de la nature sont des images du silence, elles représentent le silence plus qu'elles ne se représentent elles-même; elle ne sont plus que des signes indiquant où est le silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 105.

«Le silence exista le premier, avant les choses.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 105.

«Ce n'est pas l'obscurité qui appartient au silence, mais la lumière.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 108.

«Le silence est comme à découvert et la lumière apparaît comme l'intérieur du silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 108.

«La lumière apparaît tellement ici comme l'essence du silence que la parole ne paraît pas du tout nécessaire. La lumière est tout d'un coup comme l'accomplissement du silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 108.

«Le silence de la nuit dissout les paroles du jour, elles s'y engloutissent.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 108.

«... de même qu'Odysseus fut amené à Ithaque et déposé sur le rivage, des trésors à côté de lui, de même les choses sont amenées en secret, pendant la nuit, par le silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 109.

«Quand le silence dans la nature est si dense que les choses n'y paraissent que des condensations plus fortes encore du silence, alors il semble que l'homme cesse de posséder la parole; la parole n'est plus que comme une déchirure dans le silence.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 110.

«L'esprit fait du silence de la nature une partie du monde humain; il rédime le silence qui n'est que nature et le relie à ce silence dont est venue la parole et en qui il y a une trace du silence divin.»  — Max PICARD. «Nature et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 111.

CHAPITRE XXIII
Poésie et silence

«La poésie vient du silence et a la nostalgie du silence.»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 112.


«La grande poésie est mosaïque insertie dans le silence.»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 112.

«Le monologue n'est possible que là où la poésie est en rapport avec le silence; l'individu qui parle n'est pas solitaire, il est face à face avec le silence; le monologue est un dialogue avec le silence.»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 113.

«La parole du poète n'est pas seulement naturellement en rapport avec le silence dont elle vient; elle est aussi en état d'engendrer d'elle-même du silence par l'esprit qui est en elle.»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 113. 

«La poésie d'aujourd'hui n'est plus en relation avec le silence [...]. De la poésie, on exige même aujourd'hui qu'elle représente le monde du bruit; dans la poésie aussi, on veut sentir le bruit; on s'imagine qu'il est légitimé par là; on pense aussi  qu'il est maîtrisé si on l'a contrait à entrer dans une rime. Mais il n'est pas possible d'équilibrer le bruit du monde extérieur par le bruit de la poésie [...].»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 114-115.

«Une parole qui participe au monde du silence exprime quelque chose de tout autre que la même parole quand elle est loin du silence.»  — Max PICARD. «Poésie et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 115. 

CHAPITRE XXIV
Poésie et silence — Exemples


«Il y a une grande mélancolie dans ces chants des peuples à l'état de nature; c'est la mélancolie de l'homme qui connaît une double angoisse: angoisse d'avoir été expulsé du silence par la parole et angoisse d'être jeté à nouveau dans le silence, de perdre à nouveau la parole. Entre ces deux angoisses infinies comme le silence et infinies comme la parole, s'étend, infinie, la mélodie du chant.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 116-117.

«... les paroles du chant sont la sentinelle dans la nuit qui plane au-dessus du silence. Le feu effraie les animaux hostiles; ainsi les paroles du chant effraient et détournent le silence hostile qui veut les engloutir.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 117.

«...le fait que, seul, ce monde, le monde de l'homme qui, seul, possède la parole, s'est constitué demeure un mystère. Le conte nous conduit jusqu'à la vénération de ce mystère. Le monde du silence devient plus clair, plus brillant pendant que le monde coloré du conte le domine. § Tout dans le conte s'est, au fond, déjà produit avant de se produire.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 118. 

«Autrefois les proverbes étaient comme le commencement d'un monde, des écriteaux au commencement du monde; aujourd'hui, ils sont fin d'un monde, les dernières phrases qui en restent, les dernières paroles qui purent encore se réunir pour former une phrase dans un monde qui tombe en morceaux.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 119. 

«Ce temps, ce temps qui s'écoule lentement, ce temps silencieux habite le drame antique. Parfois, il semble même que les choses aillent leur propre chemin, silencieuses et menaçantes, appartenant encore entièrement au monde du silence, suivies des paroles qui veulent les arrêter. § Ce monde héroïque du drame antique, [...] ce monde sans utilité a besoin de l'arrière-plan du silence qui est lui-même la plus grande existence sans utilité.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 119-120. 

«Il n'y a plus aujourd'hui d'homme silencieux; il n'y a même plus de différence entre  celui qui parle et celui qui fait silence; il n'y a plus que la différence entre qui parle et qui ne parle pas. Et parce qu'il n'y a plus d'homme qui fasse silence, il n'y en a plus, non plus, qui écoute; l'homme ne peut plus écouter aujourd'hui et, parce qu'il ne peut plus écouter, il ne peut plus également raconter, car écouter et raconter vont de pair, font un.»  — Max PICARD. «Poésie et silence — Exemples». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 122.