mardi 8 décembre 2015

Simone Weil — Œuvres diverses

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


«La grâce seule peut donner du courage en laissant la tendresse intacte ou de la tendresse en laissant le courage intact.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 171.

«L'illimité est l'épreuve de l'un. Le temps, de l'éternel. Le possible, du nécessaire. La variation de l'invariant. § La valeur d'une science, d'une œuvre d'art, d'une morale ou d'une âme se mesure à son degré de résistance à cette épreuve.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 179.

«La pureté est le pouvoir de contempler la souillure. § L'extrême pureté peut contempler et le pur et l'impur; l'impureté ne peut ni l'un ni l'autre: le premier lui fait peur, le second l'absorbe. Il lui faut un mélange.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 200.

«Quel espoir a l'innocence si elle n'est pas reconnue ?» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 216.

«La justice consiste à établir dans les choses analogues des rapports identiques entre termes homothétiques, même lorsque certaines de ces choses nous concernent personnellement et sont pour nous l'objet d'un attachement.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 220.

«Aimer le prochain comme soi-même ne signifie pas aimer tous les êtres également, car je n'aime pas également tous les modes d'existence de moi-même. Ni jamais les faire souffrir, car je ne refuse pas de me faire souffrir moi-même. Mais avoir avec chacun le rapport d'une manière de penser l'univers à une autre manière de penser l'univers, et non à une partie de l'univers.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 224.

«Tout ce que je désire existe, ou a existé, ou existera quelque part. Car je ne peux pas inventer complètement. Dès lors, comment ne pas être comblé ?» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 225.

«La beauté, c'est l'harmonie du hasard et du bien.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 232.

«Le beau enferme, entre autres unités des contraires, celle de l'instantané et du réel.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 233.

«Le beau est la preuve expérimentale que l'incarnation est possible. § Dès lors tout art de premier ordre est par essence religieux. (C'est ce que l'on ne sait plus aujourd'hui).» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 236.

«Il faut retrouver le pacte originel entre l'esprit et le monde dans la civilisation même où nous vivons. C'est une tâche au reste impossible à accomplir à cause de la brièveté de la vie et de l'impossibilité de la collaboration et de la succession. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'entreprendre.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 240.

«La vie moderne est livrée à la démesure. La démesure envahit tout: action et pensée, vie publique et privée. De là la décadence de l'art. Il n'y a plus d'équilibre nulle part.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 240.

«Il n'y a que par l'entrée dans le transcendant, le surnaturel, le spirituel authentique que l'homme devient supérieur au social. Jusque-là, en fait et quoiqu'il fasse, le social est transcendant par rapport à l'homme.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 250.

«La métaphore de la pédagogie divine dissout la destinée individuelle, qui seule compte pour le salut, dans celle des peuples.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 260.

«Il me semble qu'il y a peu d'idées plus complètement fausses. Chercher l'harmonie dans le devenir, dans ce qui est le contraire de l'éternité. Mauvaise union des contraires.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 260.

«L'éternel seul est invulnérable au temps. Pour qu'une œuvre d'art puisse être admirée toujours, pour qu'un amour, une amitié puissent durer toute une vie (même durer purs toute une journée peut-être), pour qu'une conception de la condition humaine puisse demeurer la même à travers les multiples expériences et les vicissitudes de la fortune — il faut une inspiration qui descende de l'autre côté du ciel.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 267.

«Ce qui est et ce qui ne peut pas être sont l'un et l'autre en dehors du devenir. Le passé, quand l'imagination ne s'y complaît pas — au moment où quelque rencontre le fait surgir dans sa pureté — est du temps à couleur d'éternité. Le sentiment de la réalité y est pur. C'est là la joie pure.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 268.

«L'illusion constante de la Révolution consiste à croie que les victimes de la force étant innocentes des violences qui se produisent, si on leur met en main la force, elles la manieront justement. Mais sauf les âmes qui sont assez proches de la sainteté, les victimes sont souillées par la force comme les bourreaux. Le mal qui est à la poignée du glaive est transmis à la pointe. Et les victimes, ainsi mises au faîte et enivrées par le changement, font autant de mal ou plus, puis bientôt retombent.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 269.

«Le secret de la condition humaine, c'est qu'il n'y a pas d'équilibre entre l'homme et les forces de la nature environnantes qui le dépassent infiniment dans l'inaction; il n'y a d'équilibre que dans l'Action par laquelle l'homme recrée sa propre vie dans le travail.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 271.

«Les Grecs connaissaient l'art, le sport, mais non pas le travail. Le maître est esclave de l'esclave en ce sens que l'esclave fabrique le maître.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 272.

«Le dégoût sous toutes ses formes est une des misères les plus précieuses qui soient donnée à l'homme comme échelle pour monter.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 272.

«Le monotonie est ce qu'il y a de plus beau ou de plus affreux. De plus beau si c'est un reflet de l'éternité. De plus affreux si c'est l'indice d'une perpétuité sans changement. Temps dépassé ou temps stérilisé.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 273.

«Nulle finalité terrestre ne sépare les travailleurs de Dieu. Ils sont seuls dans cette situation. Toutes les autres conditions impliquent des fins particulières qui font écran entre l'homme et le bien pur. Pour eux, un tel écran n'existe pas. Ils n'ont pas quelque chose en trop dont ils doivent se dépouiller.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 274.

«L'esclavage, c'est le travail sans lumière d'éternité, sans poésie, sans religion. § Que la lumière éternelle donne, non pas une raison de vivre et de travailler, mais une plénitude qui dispense de chercher cette raison. § À défaut de cela, les seuls stimulants sont la contrainte et le gain. La contrainte, ce qui implique l'oppression du peuple. Le gain, ce qui implique la corruption du peuple.» — Simone WEIL. La pesanteur et la grâce. Plon. Paris, 1991. p. 274-275.

«Le mot de païen, quand il est appliqué à Rome, a vraiment à titre légitime la signification chargée d'horreur que lui donnaient les premiers polémistes chrétiens. C'était vraiment un peuple athée et idolâtre; non pas idolâtre de statues faites en pierre ou en bronze, mais idolâgtre de lui-même. C'est cette idolâtrie de soi qu'il nous a léguée sous le nom de patriotisme.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 181.

«Si le patriotisme agit invisiblement comme un dissolvant pour la vertu soit chrétienne, soit laïque, en temps de paix, le contraire se produit en temps de guerre; et c'est tout à fait naturel. Quand il y a dualité morale, c'est toujours la vertu exigée par les circonstances qui en subit le préjudice. La pente à la facilité donne naturellement l'avantage à l'espèce de vertu qu'en fait il n'y a pas lieu d'exercer; à la moralité de guerre en temps de paix, à la moralité de paix en temps de guerre. § En temps de paix, la justice et la vérité, à cause de la cloison étanche qui les sépare du patriotisme, sont dégradées au rang de vertus purement privées, telles que par exemple la politesse; mais quand la patrie demande le sacrifice suprême, cette même séparation prive le patriotisme de la légitimité totale qui peut seule provoquer l'effort total.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 183-184.

«À toutes les causes particulières de désaffection s'en est ajoutée une très générale qui est comme le rebours de l'idolâtrie. L'État avait cesse d'être, sous le nom de nation ou de patrie, un bien infini, dans le sens d'un bien a servir par le dévouement. En revanche il était devenu aux yeux de tous un bien illimité à consommer. L'absolu lié à l'idolâtrie lui est resté attaché, une fois l'idolâtrie effacée, et a pris cette forme nouvelle. L'État a paru être une corne d'abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu'il subissait. Ainsi on lui en voulait toujours de ne pas accorder davantage. Il semblait qu'il refusât tout ce qu'il ne fournissait pas. Quand il demandait, c'était une exigence qui paraissait paradoxale. Quand il imposait, c'était une contrainte intolérable. L'attitude des gens envers l'État était celle des enfants non pas envers leurs parents, mais envers des adultes qu'ils n'aiment ni ne craignent; ils demandent sans cesse et ne veulent pas obéir.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 198-199.

«Le centre de la contradiction inhérente au patriotisme, c'est que la patrie est une chose limitée dont l'exigence est illimitée. Au moment du péril extrême, elle demande tout. Pourquoi accorderait-on tout à une chose limitée ? d'un autre côté, ne pas être résolu à lui donner tout en cas de besoin, c'est l'abandonner tout à fait, car sa conservation ne peut être assurée à un moindre prix. Ainsi on semble toujours être ou en deçà ou au-delà de ce qu'on lui doit, et si l'on va au-delà, par réaction on revient plus tard d'autant plus en deçà.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 200.

«L'obligation est un infini, l'objet ne l'est pas. Cette contradiction pèse sur la vie quotidienne de tous les hommes, sans exception, y compris ceux qui seraient tout à fait incapables de la formuler même confusément. Tous les procédés que les hommes ont cru trouver pour en sortir sont des mensonges. § L'un d'eux consiste à ne se reconnaître d'obligation qu'envers ce qui n'est pas de ce monde. Une variété de ce procédé constitue la fausse mystique, la fausse contemplation. [...] § Un autre procédé consiste à admettre qu'il y a ici-bas un ou plusieurs objets enfermant cet absolu, cet infini, cette perfection qui sont essentiellement liés à l'obligation comme telle. C'est le mensonge de l'idolâtrie. § Le troisième procédé consiste à nier toute obligation. On ne peut pas prouver par une démonstration de l'espèce géométrique que c'est une erreur, car l'obligation est d'un ordre de certitude bien supérieur à celui où habitent les preuves. En fait, cette négation est impossible. Elle constitue un suicide spirituel.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 201-202.

«La pensée de la faiblesse peut enflammer l'amour comme celle de la force, mais c'est d'une flamme bien autrement pure. La compassion pour la fragilité est toujours liée à l'amour pour la véritable beauté, parce que nous sentons vivement que les choses vraiment belles devraient être assurées d'une existence éternelle et ne le sont pas.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 218-219.

«Ainsi la compassion a les yeux ouverts sur le bien et le mal et trouve dans l'un et l'autre des raisons d'aimer. C'est le seul amour ici-bas qui soit vrai et juste.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 220.

«Il arrive qu'une pensée, parfois intérieurement formulée, parfois non formulée, travaille sourdement l'âme et pourtant n'agit sur elle que faiblement. § Si l'on entend formuler cette pensée hors de soi-même, par autrui et par quelqu'un aux paroles de qui on attache de l'attention, elle en reçoit une force centuplée et peut parfois produire une transformation intérieure.§ Il arrive aussi qu'on ait besoin, soit qu'on s'en rende compte ou non, d'entendre certaines paroles, qui, si elles sont effectivement prononcées et viennent d'un lieu d'où l'on attende naturellement du bien, injectent du réconfort, de l'énergie et quelque chose comme une nourriture. § Ces deux fonctions de la parole, ce sont, dans la vie privée, des amis ou des guides naturels qui les remplissent; d'ailleurs, en fait, très rarement.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 242.

«Les chefs de la France combattante constituent quelque chose d'analogue à un gouvernement dans la mesure exacte qui est indipensable pour que leurs paroles aient un caractère officiel. § Le mouvement garde assez sa nature originelle, celle d'une révolte jaillie du fond de quelques âmes fidèles et complètement isolées, pour que les paroles qui en émanent puissent avoir à l'oreille de chaque Français l'accent proche, intime, chaleureux, tendre d'une voix d'ami. § Et par-dessus le reste le général de Gaulle, entouré de ceux qui l'ont suivi, est un symbole. Le symbole de la fidélité de la France à elle-même, concentrée un moment en lui presque seul; et surtout le symbole de tout ce qui dans l'homme refuse la basse adoration de la force.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 244.

«Le bien absolu n'est pas seulement le meilleur de tous les biens — ce serait alors un bien relatif — mais le bien unique, total, qui enferme en lui à un degré éminent tous les biens, y compris ceux que recherchent les hommes qui se détournent de lui.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 254.

«Faute de soin, on peut par erreur provoquer ce dont on ne veut pas au lieu de ce qu'on veut.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 255.

«La responsabilité clairement reconnue, imposant des obligations précises et tout à fait strictes, pousse vers le danger de la même manière qu'un ordre. Elle ne se présente qu'une fois engagée dans l'action et par l'effet de telles ou telles circonstances particulières de l'action. L'aptitude à la reconnaître est d'autant plus grande que l'intelligence est plus claire; elle dépend plus encore de la probité intellectuelle, vertu infiniment précieuse qui empêche de se mentir pour éviter l'inconfort.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 257-258.

«Les techniciens tendent toujours à se rendre souverains, parce qu'ils sentent qu'ils connaissent leur affaire; et c'est tout à fait légitime de leur part. La responsabilité du mal qui, lorsqu'ils y parviennent, en est l'effet inévitable incombe exclusivement à ceux qui les ont laissé faire. Quand on les laisse faire, c'est toujours uniquement faute d'avoir toujours présente dans l'esprit la conception claire et tout à fait précise des fins particulières auxquelles telle, telle et telle technique doit être subordonnée.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 259.

«Un homme qui a quelque chose de nouveau à dire — car pour les lieux communs nulle attention n'est nécessaire — ne peut être d'abord écouté que de ceux qui l'aiment. § Ainsi la circulation des vérités parmi les hommes dépend entièrement de l'état des sentiments; et il en est ainsi pour toutes les espèces de vérités.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 262.

«L'action confère la plénitude de la réalité aux mobiles qui la produisent. L'expression de ces mobiles, entendue du dehors, ne leur confère encore qu'une demi-réalité. L'action a une tout autre vertu.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 263.

«Le mal est beaucoup plus facilement que le bien un mobile agissant, mais une fois que du bien pur est devenu un mobile agissant dans une âme, il y est la source d'une impulsion inépuisable et invariable, ce qui n'est jamais le cas du mal.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 269.

«La foi est plus réaliste que la politique réaliste. Qui n'en a pas la certitude n'a pas la foi.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 269.

«Mais pourquoi la politique, qui décide du destin des peuples et a pour objet la justice, exigerait-elle une attention moindre que l'art et la science, qui ont pour objet le beau et le vrai ? La politique a une affinité très étroite avec l'art; avec des arts tels que la poésie, la musique, l'architecture. La composition simultanée sur plusieurs plan est la loi de la création artistique et en fait la difficulté.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 273.

«Or le pouvoir n'est pas une fin. Par nature, par essence, par définition, il constitue exclusivement un moyen. Il est à la politique ce qu'est un piano à la composition musicale. Un compositeur qui a besoin d'un piano pour l'invention des mélodies se trouvera embarrassé s'il est dans un village où il n'y en a pas. Mais si on lui en procure un, il s'agit alors qu'il compose.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 276.

«Quatre obstacles surtout nous séparent d'une forme de civilisation susceptible de valoir quelque chose. Notre conception fausse de la grandeur; la dégradation du sentiment de la justice; notre idolâtrie de l'argent; et l'absence en nous d'inspiration religieuse. On peut s'exprimer à la première personne du pluriel sans aucune hésitation, car il est douteux qu'à l'instant présent un seul être humain sur la surface du globe terrestre échappe à cette quadruple tare, et plus douteux encore qu'il y en ait un seul dans la race blanche. Mais s'il y en a quelques-unes, comme il faut malgré tout l'espérer, ils sont cachés.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 277.

«D'une manière générale, les erreurs les plus graves, celles qui faussent toute la pensée, qui perdent l'âme, qui la mettent hors du vrai et du bien, sont indiscernables. Car elles ont pour cause le fait que certaines choses échappent à l'attention. Si elles échappent à l'attention, comment y ferait-on attention, quelque effort que l'on fasse ? C'est pourquoi, par essence, la vérité est un bien surnaturel.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 280.

«L'esprit dit historique ne perce pas le papier pour trouver de la chair et du sang; il consiste en une subordination de la pensée au document. § Or par la nature des choses, les documents émanent des puissants, des vainqueurs. Ainsi l'histoire n'est-elle pas autre chose qu'une compilation des dispositions faites par les assassins relativement à leurs victimes et à eux-mêmes.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 284.

«Peut-on admirer sans aimer ? Et si l'admiration est un amour, comment ose-t-on aimer autre chose que le bien ? § Il serait simple de faire avec soi-même le pacte de n'admirer dans l'histoire que les actions et les vies au travers desquelles rayonne l'esprit de vérité, de justice et d'amour; et loin au-dessous, celles à l'intérieur desquelles on peut discerner à l'œuvre un pressentiment réel de cet esprit.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 288.

«Pour discerner une cruauté, il faut tenir compte des circonstances, des significations variables attachées aux actes et aux paroles, du langage symbolique propre à chaque milieu; mais une fois qu'une action a été indubitablement reconnue comme une cruauté, quels qu'en soient le lieu et la date, elle est horrible. § On le sentirait irrésistiblement si l'on aimait comme soi-même tous les malheureux qui, il y a deux ou trois mille ans, ont souffert de la cruauté de leurs semblables.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 289.

«Qui interdit d'imaginer une succession cyclique au lieu d'une ligne continue ? Le dogme du progrès déshonore le bien en en faisant une affaire de mode. § C'est d'ailleurs seulement parce que l'esprit historique consiste à croire les meurtriers sur parole que ce dogme semble si bien répondre aux faits.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 290.

«Il est absolument faux qu'un mécanisme providentiel transmette à la mémoire de la postérité ce qu'une époque possède de meilleur. Par la nature des choses, c'est la fausse grandeur qui est transmise. Il y a bien un mécanisme providentiel, mais il opère seulement de manière à mêler un peu de grandeur authentique à beaucoup de fausse grandeur; à nous de les discerner. Sans lui nous serions perdus.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 293.

«La transmission de la fausse grandeur à travers les siècles n'est pas particulière à l'histoire. C'est une loi générale. Elle gouverne aussi par exemples les lettres et les arts. Il y a une certaine domination du talent littéraire sur les siècles qui répond à la domination du talent politique dans l'espace; ce sont des dominations de même nature, également temporelles, appartenant également au domaine de la matière et de la force, également basses. Aussi peuvent-elles être un objet de marché et d'échange.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 293-294.

«Il est évident, c'est une vérité passée à l'état de lieu commun parmi les enfants et les hommes, que le talent n'a rien à voir avec la moralité. Or on ne propose à l'admiration des enfants et des hommes que le talent dans tous les domaines. Dans toutes les manifestations du talent, quelles qu'elles soient, ils voient s'étaler avec impudence l'absence des vertus qu'on leur recommande de pratiquer. Que peut-on conclure, sinon que la vertu est le propre de la médiocrité ?» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 294-295.

«Il est vrai que le talent n'a pas de lien avec la moralité; mais c'est qu'il n'y a pas de grandeur dans le talent. Il est faux qu'il n'y ait pas de liens entre la parfaite beauté, la parfaite vérité, la parfaite justice; il y a plus que des liens, il y a une uniyé mystérieuse, car le bien est un.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 295.

«Le génie de la France ne réside que dans ce qui est pur.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 298.

«Jamais l'amour du bien ne s'allumera dans les cœurs à travers toute la population, comme il est nécessaire au salut du pays, tant qu'on croira que dans n'importe quel domaine la grandeur peut être l'effet d'autre chose que du bien.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 298.

«On doute de tout en France, on ne respecte rien; il y a des gens qui méprisent la religion, la patrie, l'État, les tribunaux, la propriété, l'art, enfin toutes choses; mais leur mépris s'arrête devant la science. Le scientisme le plus grossier n'a pas d'adeptes plus fervents que les anarchistes.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 301.

«Si la force est absolument souveraine, la justice est absolument irréelle. Mais elle ne l'est pas. Nous le savons expérimentalement. Elle est réelle au fond du cœur des hommes. La structure d'un cœur humain est une réalité parmi les réalités de cet univers, au même titre que la trajectoire d'un astre. § Il n'est pas au pouvoir d'un homme d'exclure absolument toute espèce de justice des fins qu'il assigne à ses actions. Les nazis eux-mêmes ne l'on pas pu. Si c'était possible à des hommes, eux sans doute l'auraient pu.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 306.

«Si la justice est ineffaçable au cœur de l'homme, elle a une réalité en ce monde. C'est la science alors qui a tort. § Non pas la science, s'il faut parler exactement, mais la science moderne. Les Grecs possédaient une science qui est le fondement de la nôtre. Elle comprenait l'arithmétique, la géométrie, l'algèbre sous une forme qui leur était propre, l'astronomie, la mécanique, la physique, la biologie. La quantité des connaissances accumulées était naturellement beaucoup moindre. Mais par le caractère scientifique, dans la signification que ce mot a pour nous, d'après les critères valables à nos yeux, cette science égalait et dépassait la nôtre. Elle était plus exacte, plus précise, plus rigoureuse. L'usage de la démonstration et celui de la méthode expérimentale étaient conçus l'un et l'autre dans une clarté parfaite. § Si cela n'est pas généralement reconnu, c'est uniquement parce que le sujet lui-même est peu connu.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 307-308.

«Chez les chrétiens, l'incompatibilité absolue entre l'esprit de la religion et l'esprit de la science, qui ont l'une et l'autre leur adhésion, loge dans l'âme en permanence un malaise sourd et inavoué. Il peut être presque insensible; il est selon les cas plus ou moins sensible; il est, bien entendu, à peu près toujours inavoué. Il s'oppose à ce que la lumière chrétienne imprègne toutes les pensées. Par un effet indirect de sa présente continuelle, les chrétiens les plus fervents portent à chaque heure de leur vie des jugements, des opinions où se trouvent appliqués à leur insu des critères contraires à l'esprit du christianisme. Mais la conséquence la plus funeste de ce malaise est de rendre impossible que s'exerce dans sa plénitude la vertu de probité intellectuelle. § Le phénomène moderne de l'irréliogisité du peuple s'explique presque entièrement par l'incompatibilité entre la science et la religion.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 310-311.


«Les savants exigent du public qu'il accorde à la science ce respect religieux qui est dû à la vérité, et le public les croit. Mais on le trompe. La science n'est pas un fruit de l'Esprit de vérité, et cela est évident, dès qu'on fait attention. § Car l'effort de la recherche scientifique, telle qu'elle a été comprise depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, ne peut pas avoir pour mobile l'amour de la vérité. § Il y a là un critère dont l'application est universelle et sûre; il consiste, pour apprécier une chose quelconque, à tenter de discerner la proportion de bien contenue, non dans la chose elle-même, mais dans les mobiles de l'effort qui l'a produite. Car autant il y a de bien dans le mobile, autant il y en a dans la chose elle-même, et non davantage. » — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 316-317.

«La foi est avant tout la certitude que le bien est un. Croire qu'il y a plusieurs biens distincts et mutuellement indépendants, comme vérité, beauté, moralité, c'est cela qui constitue le péché du polythéisme, et non pas laisser l'imagination jouer avec Apollon et Diane.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 318.

«Amour de la vérité est une expression impropre. La vérité n'est pas un objet d'amour. Elle n'est pas un objet. Ce qu'on aime, c'est quelque chose qui existe, que l'on pense, et qui par là peut être occasion de vérité ou d'erreur. Une vérité est toujours la vérité de quelque chose. La vérité est l'éclat de la réalité. L'objet de l'amour n'est pas la vérité, mais la réalité. Désirer la vérité, c'est désirer un contact direct avec de la réalité. Désirer un contact avec une réalité, c'est l'aimer. On ne désire la vérité que pour aimer dans la vérité. On désire connaître la vérité de ce qu'on aime. Au lieu de parler d'amour de la vérité, il vaut mieux parler d'un esprit de vérité dans l'amour.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 319. 

«La technique est pour une si grande part dans le prestige de la science qu'on inclinerait à supposer que la pensée des applications est un stimulant puissant pour les savants. En fait, ce qui est un stimulant, ce n'est pas la pensée des applications, c'est le prestige même que les applications donnent à la science. Comme les hommes politiques qui sont enivrés de faire de l'histoire, les savants sont enivrés de se sentir dans une grande chose. Grande dans le sens de fausse grandeur; une grandeur indépendante de toute considération du bien.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 321. 

«Le premier mobile social des savants, c'est purement et simplement le devoir professionnel. Les savants sont des gens qu'on paie pour fabriquer de la science; on attend d'eux qu'ils en fabriquent; ils se sentent obligés d'en fabriquer. Mais c'est insuffisant comme excitant. L'avancement, les chaires, les récompenses de toute espèce, honneurs et argent, les réceptions à l'étranger, l'estime ou l'admiration des collègues, la réputation, la célébrité, les titres, tout cela compte pour beaucoup.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 323. 

«Le grand public même ne peut pas ignorer, et n'ignore pas, que la science, comme tout produit d'une opinion collective, est soumise à la mode. Les savants lui parlent assez souvent de théories démodées. Ce serait un scandale, si nous n'étions pas trop abrutis pour être sensibles à aucun scandale. Comment peut-on porter un respect religieux à une chose soumise à la mode ? Les nègres fétichistes nous sont bien supérieurs; ils sont infiniment moins idolâtres que nous. Ils portent un respect religieux à un morceau de bois sculpté qui est beau, et auquel la beauté confère un caractère d'éternité.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 326. 

«Aucun dialogue de sourds ne peut approcher en force comique le débat de l'esprit moderne et de l'Église. Les incroyants choisissent pour en faire des arguments contre la foi chrétienne, au nom de l'esprit scientifique, des vérités qui constituent indirectement ou même directement des preuves manifestes de la foi. Les chrétiens ne s'en aperçoivent jamais, et ils s'efforcent faiblement, avec une mauvaise conscience, avec un manque affligeant de probité intellectuelle, de nier ces vérités. Leur aveuglement est le châtiment du crime d'idolâtrie.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 326. 

«L'esprit de vérité, étant absent des mobiles de la science, ne peut pas être présent dans la science. Si l'on comptait le trouver en revanche à un degré élevé dans la philosophie et les lettres, on serait déçu.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 327. 

«L'esprit de vérité est aujourd'hui presque absent et de la religion et de la science et de toute la pensée. Les maux atroces au milieu desquels nous nous débattons, sans parvenir même à en éprouver tout le tragique, viennent entièrement de là. [...]. § Le remède est de faire redescendre l'esprit de vérité parmi nous; et d'abord dans la religion et la science; ce qui implique qu'elles se réconcilient. § L'esprit de vérité peut résider dans la science à la condition que le mobile du savant soit l'amour de l'objet qui est la matière de sont étude. Cet objet, c'est l'univers dans lequel nous vivons. Que peut-on aimer en lui, sinon sa beauté ? La vraie définition de la science, c'est qu'elle est l'étude de la beauté du monde.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 328-329. 

«Le christianisme originel, tel qu'il se trouve encore présent pour nous dans le Nouveau Testament, et surtout dans les Évangiles, était, comme les religions antiques des Mystères, parfaitement apte à être l'inspiration centrale d'une science parfaitement rigoureuses. Mais le christianisme a subi une transformation, probablement liée à son passage au rang de religion romaine officielle. § Après cette transformation, la pensée chrétienne, excepté quelques rares mystiques toujours exposés au danger d'être condamnés, n'admit plus d'autre notion de la Providence divine que celle d'une Providence personnelle.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 330. 

«Les mécanisme surnaturels sont au moins aussi rigoureux que la loi de la chute des corps; mais les mécanismes naturels sont les conditions de la production des événements comme tels, sans égard à aucune considération de valeur; et les mécanismes surnaturels sont les conditions de la production du bien pur comme tel. § C'est ce qui est confirmé par l'expérience pratique des saints.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 332. 

«Le problème des miracles ne fait difficulté entre la religion et la science que parce qu'il est mal posé. Il faudrait pour bien le poser définir le miracle. en disant que c'est un fait contraire aux lois de la nature on dit une chose absolument dénuée de signification. Nous ne connaissons pas les lois de la nature. Nous ne pouvons faire à leur sujet que des suppositions. Si celles que nous supposons sont contredites par des faits, c'est que notre supposition était au moins partiellement erronée. Dire qu'un miracle est l'effet d'un vouloir particulier de Dieu n'est pas moins absurde. Parmi les événements qui se produisent, nous n'avons aucune raison d'affirmer que certains plus que d'autres procèdent du vouloir de Dieu. Nous savons seulement, d'une manière générale, que tout ce qui se produit, sans aucune exception, est conforme à la volonté de Dieu en tant que Créateur; et que tout ce qui enferme au moins une parcelle de bien pur procède de l'inspiration surnaturelle de Dieu en tant que bien absolu. Mais quant un saint fait un miracle, ce qui est bien, c'est la sainteté, non le miracle. § Un miracle est un phénomène physique parmi les conditions préalables duquel se trouve un abandon total de l'âme soit au bien, soit au mal. § Il faut dire soit au bien, soit au mal, car il y a des miracles diaboliques.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 334-335. 

«Chez eux [les Romains], l'esclavage avait pénétré et dégradé toutes les relations humaines. Ils ont avili les plus belles choses. Ils ont déshonoré les suppliants en les forçant à mentir. Ils ont déshonoré la gratitude en la regardant comme un esclavage atténué; dans leur conception, en recevant un bienfait, on aliénait en échange une partie de sa liberté. Si le bienfait était important, les mœurs courantes contraignaient à dire au bienfaiteur qu'on était son esclave. Ils ont déshonoré l'amour; être amoureux pour eux, c'était ou bien acquérir la personne aimée comme propriété, ou bien, si on ne le pouvait pas, se soumettre servilement à elle pour le partage avec dix autres. Ils ont déshonoré la patrie en concevant le patriotisme comme la volonté de réduire en esclavage tous les hommes qui ne sont pas des compatriotes. Mais il serait plus court d'énumérer ce qu'ils n'ont pas déshonoré. On ne trouverait probablement rien.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 342. 

«Les hommes n'imaginent pas qu'on puisse leur infliger les malheurs qu'ils trouvent tout naturel d'infliger à autrui. Mais quand cela se produit en fait, à leur propre horreur, ils trouvent cela naturel; ils ne trouvent au fond de leur cœur aucune ressource pour l'indignation et la résistance contre un traitement que leur cœur n'a jamais répugné à infliger. C'est ainsi du moins quand les circonstances sont telles que, même pour l'imagination, rien ne puisse servir de soutien extérieur, quand il ne peut y avoir aucune ressource que dans le secret du cœur. Si les crimes passés ont détruit ces ressources, la faiblesse est totale et on accepte n'importe quel degré de honte. C'est sur ce mécanisme du cœur humain que repose la loi de réciprocité exprimée dans l'Apocalypse par la formule: «Si quelqu'un traîne dans l'esclavage, il sera traîné dans l'esclavage.».» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 345. 

«Le bien qu'il est donné à l'homme d'observer dans l'univers est fini, limité. Essayer d'y trouver une marque de l'action divine, c'est faire de Dieu lui-même un bien fini, limité. C'est un blasphème.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 353. 

«On ne peut pas découper dans la continuité de l'espace et du temps un événement qui serait comme un atome; mais l'infirmité du langage humain oblige à parler comme si on le pouvait.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 356. 

«La somme des intentions particulières de Dieu, c'est l'univers lui-même. Seul ce qui est mal est excepté, et cela même doit être excepté non pas tout entier, sous tous les rapports, mais uniquement pour autant que cela est mal. Sous tous les autres rapports, cela est conforme au vouloir de Dieu.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 356-357. 

«La Providence divine n'est pas un trouble, une anomalie dans l'ordre du monde. C'est l'ordre du monde lui-même. Ou plutôt c'est le principe ordonnateur de l'univers. C'est la Sagesse éternelle, unique, étendue à travers tout l'univers en un réseau souverain de relations.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 358. 

«La force brute n'est pas souveraine ici-bas. Elle est par nature aveugle et indéterminée. Ce qui est le souverain ici-bas, c'est la détermination, la limite. La Sagesse éternelle emprisonne cet univers dans un réseau, un filet de déterminations. L'univers ne s'y débat pas. La force brute de la matière, qui nous paraît souveraineté, n'est pas autre chose en réalité que parfaite obéissance.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 358-359.  

«Bien entendu, quand les Romaine crurent devoir déshonorer le stoïcisme en l'adoptant, ils remplacèrent l'amour par une insensibilité à base d'orgueil. De là le préjugé, commun encore aujourd'hui, d'une opposition entre le stoïcisme et le christianisme, alors que ce sont deux pensées jumelles. Les noms mêmes des personnes de la Trinité, Logos, Pneuma, sont empruntés au vocabulaire stoïcien. La connaissance de certaines théories stoïciennes jette une vive lumière sur plusieurs passages énigmatiques du Nouveau Testament. Il y avait échange entre les deux pensées à cause de leurs affinités. Au centre de l'une et de l'autre se trouvent l'humilité, l'obéissance et l'amour.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 364-365. 

«Tant que l'homme tolère d'avoir l'âme emplie de ses propres pensées, de ses pensées personnelles, il est entièrement soumis jusqu'au plus intime de ses pensées à la contrainte des besoins et au jeu mécanique de la force. S'il croit qu'il en est autrement, il est dans l'erreur. Mais tout change quand, par la vertu d'une véritable attention, il vide son âme pour y laisser pénétrer les pensées de la sagesse éternelle. Il porte alors en lui les pensées mêmes auxquelles la force est soumise.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 366.

«La science de l'âme et la science sociale sont l'une et l'autre tout à fait impossibles si la notion de surnaturel n'est pas rigoureusement définie et introduite dans la science, à titre de notion scientifique, pour y être maniée avec une extrême précision. § Si les théories de l'homme étaient ainsi fondées par les méthodes d'une rigueur mathématique, et maintenues en même temps en liaison avec la foi, si dans les sciences de la nature et la mathématique l'interprétation symbolique reprenait la place qu'elle avait jadis; l'unité de l'ordre établi dans cet univers apparaîtrait dans sa souveraine clarté. § L'ordre du monde, c'est la beauté du monde. Seul diffère le régime de l'attention, selon qu'on essaie de concevoir les relations nécessaires qui le composent ou d'en contempler l'éclat. § C'est une seule et même chose qui relativement à Dieu est Sagesse éternelle, relativement à l'univers parfaite obéissance, relativement à notre amour beauté, relativement à notre intelligence équilibre de relations nécessaires, relativement à notre chaire force brutale. § Aujourd'hui, la science, l'histoire, la politique, l'organisation du travail, la religion, même pour autant qu'elle est marquée de la souillure romaine, n'offrent à la pensée des hommes que la force brutale. Telle est notre civilisation. Cet arbre porte les fruits qu'il mérite. § Le retour à la vérité ferait apparaître entre autres choses la vérité du travail physique.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 370-371. 

«En tout cas toutes les traditions religieuses de l'Antiquité, y compris l'Ancien Testament, font remonter les métiers à un enseignement direct de Dieu. La plupart affirment que Dieu s'est incarné pour cette mission pédagogique. Les Égyptiens, par exemple, pensaient que l'incarnation d'Osiris avait eu pour objet à la fois cet enseignement pratique et la Rédemption par la Passion. § Quelle que soit la vérité enfermée dans ces récits extrêmement mystérieux, la croyance en un enseignement direct des métiers par Dieu implique le souvenir d'un temps où l'exercice des métiers était par excellence une activité sacrée.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 373. 

«Les Romains, nation athée et matérialiste, anéantirent les restes de vie spirituelle sur les territoires occupés par eux au moyen de l'extermination; ils n'adoptèrent le christianisme qu'en le vidant de son contenu spirituel. Sous leur domination toute activité humaine sans distinction fut chose servile; et ils finirent par ôter toute réalité à l'institution de l'esclavage, ce qui en prépara la disparition, en abaissant à l'état d'esclavage tous les êtres humains.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 374. 

«La notion d'orthodoxie, en séparant rigoureusement le domaine relatif au bien des âmes, qui est celui d'une soumission inconditionnée de la pensée à une autorité extérieure, et le domaine relatif aux choses dites profanes, dans lequel l'intelligence est libre, rend impossible cette pénétration mutuelle du religieux et du profane qui serait l'essence d'une civilisation chrétienne. C'est vainement que tous les jours, à la messe, un peu d'eau est mélangée au vin.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 376. 

«Quelle que soit dans le ciel la signification mystérieuse de la mort, elle est ici-bas la transformation d'un être fait de chair frémissante et de pensée, d'un être qui désire et hait, espère et craint, veut et ne veut pas, en un petit tas de matière inerte. § Le consentement à cette transformation est pour l'homme l'acte suprême de totale obéissance.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 377-378. 

«Il est facile de définir la place que doit occuper le travail physique dans une vie sociale bien ordonnée. Il doit en être le centre spirituel.» — Simone WEIL. L'enracinement. Gallimard. Paris, 2015. p. 380.