mardi 27 juillet 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre VI)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[DES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU POLYTHÉISME SACERDOTAL]


«Toute classe dont l'autorité dépend d'une suprématie intellectuelle qu'elle ne peut conserver que par le monopole, est dans une position hostile: chaque progrès qui s'opère hors de son sein est un danger pour elle, et ce danger, d'une nature toujours identique, imprime à cette classe une action uniforme. Elle semble alors s'être tracé un plan, tandis qu'elle ne suit que la marche dictée chaque jour par le péril du jour; mais la marche qu'elle n'avait pas conçu d'abord résulte bientôt de cette marche même. L'expérience éclaire: elle voit que l'immobilité, l'ignorance, la dégradation de tout ce qui n'est pas elle, sont les conditions de son existence; et renfermant dans l'enceinte impénétrable où elle a pris son poste ce qu'elle a requis de lumière et de science, elle déclare une guerre à mort à toute science, à toute lumière qui brille au-dehors.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 249-250.

«Dans les climats qui forcent les hommes à l'observation des astres, le premier culte est l'astrolâtrie. Dans les pays où l'astrolâtrie n'est pas naturelle, mais où les phénomènes physiques favorisent le pouvoir des prêtres, ce premier culte est l'adoration des éléments. Toutefois, les astres, qui suivent au haut des cieux leur course éternelle, les éléments, divinités en quelque manière abstraites, puisque leur ensemble échappe à nos sens, ne sont pas des êtres assez disponibles pour que l'homme, encore enfant, s'en contente. § Le sentiment pourrait s'en contenter. Plus ses dieux sont vagues, mystérieux, au-dessus de lui, plus ils lui plaisent. § Il en est autrement de l'intérêt. L'intérêt demande que ses dieux descendent sur la terre pour protéger la race mortelle.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 251.

«Partout où il y a calcul, ruse, intention intéressée, projet de faire de la religion un instrument, de la plier à un but hors d'elle-même, le sentiment religieux se flétrit d'abord et disparaît ensuite. [...]. La fraude avilit le culte, elle exclut la croyance.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 255.

«Nous concevons que de tous les systèmes, le scepticisme était celui que les prêtres devaient cacher le plus soigneusement. L'affirmation a toujours quelque chose d'imposant: elle annonce la science, ou elle implique l'autorité. Elle peut se présenter comme une découverte, réunir autour d'un centre ceux qui la professent, et les pénétrer d'un intérêt commun. Mais le scepticisme, qui ne permet pas l'affirmation, qui ne rassemble ses partisans que pour les disperser de nouveau comme des troupes légères, tombant au hasard sur quiconque elles rencontrent: le scepticisme, dont la tendance est de désunir et de dissoudre, et qui révoque en doute toute juridiction, la sienne comprise, est ce qu'il y a de plus répugnant à l'esprit sacerdotal.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 260-261.

«... la doctrine secrète des prêtres de l'Antiquité. Cette doctrine ne se bornait point à un système unique: les hypothèses qu'amenait chaque série de méditations étaient reçues et enregistrées. Comme aucun sentiment religieux n'avait de prise sur la corporation, considérée comme corps collectif que dominait exclusivement son intérêt, l'irréligion n'était point repoussée, mais admise à l'égal de toute autre théorie, et sous la condition du mystère. La corporation profitait de la diversité de systèmes pour adapter ses confidence au caractère de chaque auditeur, en apportant une attention sévère à conserver au-dehors les apparences de l'unité. Ainsi ceux qui ont vu dans les philosophies sacerdotales le théisme, le dualisme, le panthéisme, et même l'athéisme, ont tous eu raison et on tous eu tort. Ils ont eu raison, toutes ces choses y étaient; ils ont eu tort, aucune n'y était seule.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 264.

«Un peuple peut choisir pour étendard la représentation de ce qu'il adore; mais il n'adore pas tel ou tel objet, parce qu'il l'a choisi pour étendard.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 267.

«Quand une croyance est ébranlée, il est difficile d'imaginer sur quoi reposait son crédit ancien.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 267.

«... ce qui constitue une religion, c'est la manière dont la comprennent ses adorateurs.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 268.

«Ainsi les théogonies et les cosmogonies créent une mythologie d'espèce nouvelle, qui se combine tout à la fois par son sens mystique avec la philosophie, par son sens littéral avec la superstition.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 273.

«Dieux animaux ou anthropomorphiques, c'est en cette qualité que ces êtres étaient adorés, qu'ils écoutaient les prières et se mêlaient des intérêts des mortels. Notions métaphysique ou dieux planétaires, ils n'avait de rapports qu'avec les prêtres, et si les progrès de la science amenèrent quelque fois dans les rites et dans les légendes des modifications dont on aperçoit la trace, l'esprit de la religion publique ne se ressentit jamais de ces modifications.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 273.

«La conformité des circonstances produit nécessairement celle du langage.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 285.


«On ne peut se rendre compte de tant d'inventions étranges (les fables hindoues sur la création et l'origine du monde] qui sembleraient l'œuvre confuse et informe d'une imagination en délire qu'en les attribuant au besoin qu'éprouvent les prêtres de remonter, pour la satisfaction de leur propre intelligence, aux causes premières des phénomènes qu'ils ont observés, et de montrer, suivant qu'ils penchent pour le théisme ou le panthéisme, tantôt le grand tout se divisant, tantôt l'être créateur faisant émaner de son sein le type du monde céleste, auquel correspond le monde matériel. Sous le rapport de l'empire des prêtres sur la multitude, ces cosmogonies étaient superflues. Cet empire reposait sur le fétichisme et l'anthropomorphisme. Mais, voulant enregistre leurs hypothèses et leurs systèmes, et ne pouvant les exprimer qu'en images empruntées à une langue imparfaite, ils accumulent les figures les plus bizarres et les plus obscènes, expliquant la bizarrerie par le symbole, et couvrant l'obscénité par l'allégorie.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 298-299.

«Ainsi, dans les religions sacerdotales, il y a similitude parfaite, non seulement quant aux matériaux, mais quant à l'ordonnance de ces matériaux. La science se rattache au fétichisme par des personnifications, à la philosophie par des symboles; la philosophie emprunte, pour raconter les faits observés par la science et assigner leurs causes, des images et des fables fétichistes; et le fétichisme, associé, sans que la multitude s'en doute, à la science et à la philosophie, demeure la religion populaire, en devenant une portion de l'idiome sacerdotal.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 300-301.

«... la Maya indienne, cette déesse de l'illusion, fille trompeuse de l'Éternel, créatrice fantastique d'êtres qui n'existent pas plus qu'elle, se reproduit en Scandinavie dans le monde imaginaire que les scaldes nomment Vanaheim. Là règnent l'erreur, les chimères, les songes. De mensongères apparences se succèdent, étonnent les regards, fascinent l'imagination, livrent l'intelligence au vertige, et la forcent de se demander sans cesse, et toujours sans obtenir de réponse, si quelque chose existe, et si elle peut distinguer ce qui existe de ce qui n'existe pas. Ainsi partout la philosophie a senti son impuissance; et les prêtres les plus affirmatifs des mortels, ont, à côté de nombreux systèmes au milieu desquels ils s'agitaient comme nous, placé, dans le lieu le plus secret du sanctuaire, l'aveu de cette impuissance irrémédiable, en l'entourant des voiles les plus propres à la déguiser.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 322.

«La coexistence de croyances et de doctrines qui se perpétuent simultanément, à l'aide du mystère et en dépit des contradictions, telle est la première vérité qu'il faut reconnaître, si l'on veut trouver le fil du labyrinthe.» — Benjamin CONSTANT. Livre VI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 323. 

vendredi 16 juillet 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre V)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[DU PEU DE POUVOIR DU SACERDOCE CHEZ LES PEUPLES QUI N'ONT ADORÉ NI LES ASTRES NI LES ÉLÉMENTS]


«... partout le pouvoir militaire ou politique tenta de briser le joug de l'autorité sacerdotale.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 210.

«En toutes choses, la pauvreté vaut mieux que le monopole.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 212.

«Partout où le sacerdoce rencontre des privilèges, des dogmes ou des usages sacerdotaux, il se reconnaît dans ses œuvres. Il existe une confraternité naturelle entre tous les sacerdoces.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 216.

«Le polythéisme croit toujours se reconnaître dans toutes les religions. Il voit des alliés où le théisme voit des adversaires.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 219.

«Les peuples ignorants pensent sur leurs dieux comme sur eux-mêmes. Ils croient que les étrangers savent et peuvent beaucoup de choses qu'eux-mêmes ne savent et ne peuvent pas. Ils croient également que les dieux étrangers qui ont le mérite d'être inconnus, et l'avantage de n'avoir succombé dans aucune épreuve, peuvent et savent plus de choses que les divinités indigènes.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 220.

«L'absence des prêtres et le changement des lieux durent rendre au polythéisme des colonies l'esprit naturel du polythéisme. Cet esprit n'est pas la tolérance, dans le sens que les modernes attachent à ce mot, c'est-à-dire les respect des gouvernements pour toutes les opinions religieuses des individus; mais c'est une espèce de tolérance nationale, de peuple à peuple, de tribu à tribu.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 220.

«Les institutions même qu'un peuple repousse influent sur ses institutions: les combattants se modifient par le combat, les vainqueurs par la victoire.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 224.

«Les Grecs voisins des temps homériques devaient être disposés à recevoir avec empressement des récits merveilleux et des rites solennels, qu'ils ne connaissaient pas assez pour pressentir combien ils étaient incompatibles avec leurs idées et leur caractère national. Leur ignorance, qualité commune à tous les peuples enfants; leur imagination poétique, qui aimait tout ce qui lui offrait sur les phénomènes naturels des explications au-dessus de la nature, et tout ce qui substituait au mécanisme de l'univers, triste découverte qu'ils n'avaient pas faite encore, une organisation vivante et spontanée, leur respect pour ce qui leur arrivait des contrées lointaines, respect qui contrastait singulièrement avec leur mépris pour les Barbares; enfin la lutte que soutenait toujours, [...], leur sentiment intime contre la forme de leur croyance, toutes ces choses préparaient aux doctrines du dehors un accès facile. Une tradition que beaucoup d'hommes répètent devient elle-même, dit Hésiode, une divinité; mot bien expressif de cette curiosité avide et crédule qui est, dans les sociétés naissantes, le besoin de tout connaître, et dont l'inexpérience impatiente recueille sans examen tout ce qu'on lui raconte et confond tout ce qu'elle a recueilli.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 226.

«Il n'y a presque aucune divinité grecque dans les actions ou dans les attributs de laquelle on ne trouve un mélange de fictions et de doctrines sacerdotales; mais l'esprit grec en modifia toujours, refondit les fables, nationalisa les importations, modifia les doctrines, et les dépouilla de ce qui constituait dans les mains du sacerdoce leur caractère essentiel.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 226.

«La force physique et le caractère moral des dieux, les relations de ces dieux avec les hommes, leur action habituelle sur la destinée de leurs adorateurs, tels étaient, tels devaient être pour le sentiment religieux qui s'agitait dans son ignorance inquiète, les objets constants d'une attention suivie et d'une active curiosité.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 227-228.

«Les siècles écoulés pèsent sur nous: l'expérience nous saisit dès le berceau, et notre jeunesse porte l'empreinte de la caducité des temps. Mais nous possédons au moins en échange, et pour dédommagement, la science et les lumières. Chez les peuples naissants, l'homme était enivré de la plénitude de ses forces et des jouissances de sa vie nouvelle. Toute la nature semblait lui parler tandis qu'envers nous elle est muette. La religion avait ses joies enfantines qu'elle a perdues. Elle n'avait pas revêtu la robe virile. Tuteurs impitoyables des nations qu'ils dominaient, les prêtres les ont privées de ces joies sans leur donner les lumières. Ils les ont voulues dociles à la fois comme des enfants, et tristes comme des hommes.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 244.

«Le sentiment religieux peut seul nous sauver. Seul, en rehaussant le prix de la vie, en l'entourant d'une atmosphère d'immortalité, il fait que cette vie elle-même peut être un objet de sacrifice. Elle est plus précieuse, parce qu'elle est notre moyen d'amélioration; et cependant elle n'est pas tout. Nos pensées ne sont plus circonscrites dans sa sphère étroite; et la persécution, l'injustice et la mort ne sont que des échelons qui nous rapprochent de la source de tout bien.» — Benjamin CONSTANT. Livre V, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 246.