[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Gaston BACHELARD. La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989.
INTRODUCTION
«Il faut être présent, présent à l'image dans la minute de l'image: s'il y a une philosophie de la poésie, cette philosophie doit naître et renaître à l'occasion d'un vers dominant, dans l'adhésion totale à une image isolée, très précisément dans l'extase même de la nouveauté d'image. L'image poétique est un soudain relief du psychisme, relief mal étudié dans des causalités psychologiques subalternes.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 1.
«Alors que la réflexion philosophique s'exerçant sur une pensée scientifique longuement travaillée doit demander que la nouvelle idée s'intègre à un corps d'idées éprouvées, même si ce corps d'idées est astreint, par la nouvelle idée, à un remaniement profond, comme c'est le cas dans toutes les révolutions de la science contemporaine, la philosophie de la poésie doit reconnaître que l'acte poétique n'a pas de passé, du moins pas de passé proche le long duquel on pourrait suivre sa préparation et son avènement.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 1.
«L'image poétique n'est pas soumise à une poussée. Elle n'est pas l'écho d'un passé. C'est plutôt l'inverse: par l'éclat d'une image, le passé lointain résonne d'échos et l'on ne voit guère à quelle profondeur ces échos vont se répercuter et s'éteindre. Dans sa nouveauté, dans son activité, l'image poétique a un être propre, un dynamisme propre. Elle relève d'une ontologie directe. C'est à cette ontologie que nous voulons travailler.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 1-2.
«Le poète ne confère pas le passé de son image et cependant son image prend tout de suite racine en moi. La communicabilité d'une image singulière est un fait de grande signification ontologique.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 2.
«Il faut en venir, pour éclairer philosophiquement le problème de l'image poétique, à une phénoménologie de l'imagination. Entendons par là une étude du phénomène de l'image poétique quand l'image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l'âme, de l'être de l'homme saisi dans son actualité.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 2.
«Comment aussi cet événement singulier et éphémère qu'est l'apparition d'une image poétique singulière, peut-il réagir — sans aucune préparation — sur d,autres âmes, dans d'autres cœurs, et cela, malgré tous les barrages du sens commun, toutes les sages pensées, heureuses de leur immobilité ?» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 3.
«L'image poétique est en effet essentiellement variationnelle. Elle n'est pas, comme le concept, constitutive.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 3.
«Pour un lecteur de poèmes, l'appel à une doctrine qui porte le nom, si souvent mal compris, de phénoménologie, risque donc de ne pas être entendu. Pourtant, en dehors de toute doctrine, cet appel est clair: on demande au lecteur de poèmes de ne pas prendre une image comme un objet, encore moins comme un substitut d'objet, mais d'en saisir la réalité spécifique. Il faut pour cela associer systématiquement l'acte de la conscience donatrice au produit le plus fugace de la conscience: l'image poétique. Au niveau de l'image poétique, la dualité du sujet de l'objet est irisée, miroitante, sans cesse active dans ses inversions.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 3-4.
«L'image, dans sa simplicité, n'a pas besoin d'un savoir. Elle est le bien d'une conscience naïve. en son expression, elle est jeune langage. Le poète, en la nouveauté de ses images, est toujours origine de langage. Pour bien spécifier ce que peut être une phénoménologie de l'image, pour spécifier que l'image est avant la pensée, il faudrait dire que la poésie est, plutôt qu'une phénoménologie de l'esprit, une phénoménologie de l'âme. On devrait alors accumuler les documents sur la conscience rêveuse.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 4.
«Le mot âme est un mot immortel. Dans certains poèmes, il est ineffaçable. C'est un mot du souffle. A elle seule l'importance vocale d'un mot doit retenir l'attention d'une phénoménologie de la poésie. Le mot âme peut être dit poétiquement avec une telle conviction qu'il engage tout un poème. Le registre poétique qui correspond à l'âme doit donc rester ouvert à nos enquêtes phénoménologiques.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 4.
«... il y a un sens à parler d'une phénoménologie de l'âme. en bien de circonstances, on doit reconnaître que la poésie est un engagement de l'âme. La conscience associée à l'âme est plus reposée, moins intentionnalisée que la conscience associée aux phénomènes de l'esprit. Dans les poèmes se manifestent des forces qui ne passent pas par les circuits d'un savoir. Les dialectiques de l'inspiration et du talent s'éclairent si l'on en considère les deux pôles: l'âme et l'esprit.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 5.
«A elle seule, la rêverie est une instance psychique qu'on confond trop souvent avec le rêve. Mais quand il s'agit d'une rêverie poétique, d'une rêverie qui jouit non seulement d'elle-même, mais qui prépare pour d'autres âmes des jouissances poétiques, on sait bien qu'on n'est plus sur la pente des somnolences. L'esprit peut connaître une détente, mais dans la rêverie poétique, l'âme veille, sans tension, reposée et active. Pour faire un poème complet, bien structuré, il faudra que l'esprit le préfigure en des projets. Mais pour une simple image poétique, il n'y a pas de projet, il n'y faut qu'un mouvement de l'âme. En une image poétique l'âme dit sa présence.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 5-6.
«L'âme inaugure. Elle est ici puissance première. Elle est dignité humaine. Même si la «forme» était connue, perçue, taillée dans les «lieux communs», elle était avant la lumière poétique intérieur un simple objet pour l'esprit. Mais l'âme vient inaugurer la forme, l'habiter, s'y complaire.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 6.
«C'est ici que doit être sensibilité le doublet phénoménologique des résonances et du retentissement. Les résonances se dispersent sur les différents plans de notre vie dans le monde, le retentissement nous appelle à un approfondissement de notre propre existence. Dans la résonance, nous entendons le poème, dans le retentissement nous le parlons, il est nôtre. Le retentissement opère un virement d'être. Il semble que l'être du poète soit notre être. La multiplicité des résonances sort alors de l'unité d'être du retentissement. Plus simplement dit, nous touchons là une impression bien connue de tout lecteur passionné de poèmes: le poème nous prend tout entier.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 6.
«Par sa nouveauté, une image poétique met en branle toute l'activité linguistique. L'image poétique nous met à l'origine de l'être parlant.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 7.
«En thèse générale, nous pensons que tout ce qui est spécifiquement humain dans l'homme est logos. Nous n'arrivons pas à méditer dans une région qui serait avant le langage. [...] § Ainsi l'image poétique, événement du logos, nous est personnellement novatrice. Nous ne la prenons plus comme un «objet». Nous sentons que l'attitude «objective» du critique étouffe le «retentissement», refuse, par principe, cette profondeur où doit prendre son départ le phénomène poétique primitif.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 7.
«En recevant une image poétique nouvelle, nous éprouvons sa valeur d'intersubjectivité. Nous savons que nous la redirons pour communiquer notre enthousiasme. Considérée dans la transmission d'une âme à une autre, on voit qu'une image poétique échappe aux recherches de causalité.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 8.
«... la nouveauté essentielle de l'image poétique pose le problème de la créativité de l'être parlant. par la créativité, la conscience imaginante se trouve être, très simplement mais très purement, une origine. C'est à dégager cette valeur d'origine de diverses images poétiques que doit s'attacher, dans une étude de l'imagination, une phénoménologie de l'imagination poétique.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 8.
«... le critique littéraire qui, comme on en a souvent fait la remarque, juge une œuvre qu'il ne pourrait pas faire, et même, au témoignage de faciles condamnations, une œuvre qu'il ne voudrait pas faire. Le critique littéraire est un lecteur nécessairement sévère. En retournant comme doigt de gant un complexe que l'usage excessif a démonétisé au point qu'il est entre dans le vocabulaire des hommes d'état, on pourrait dire que le critique littéraire, que le professeur de rhétorique, toujours sachant, toujours jugeant, font volontiers un simplexe de supériorité.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 9.
«Personne ne sait qu'en lisant nous revivons nos tentations d'être poète. Tout lecteur, un peu passionné de lecture, nourrit et refoule, par la lecture, un désir d'être écrivain. Quand la page lue est trop belle, la modestie refoule ce désir. Mais le désir renaît. De toute façon, tout lecteur qui relit une œuvre qu'il aime sait que les pages aimées le concernent.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 9.
«De toute manière, la sympathie de lecture est inséparable d'une admiration. On peut admirer plus ou moins, mais to7ujours un élan sincère, un petit élan d'admiration est nécessaire pour recevoir le gain phénoménologique d'une image poétique. La moindre réflexion critique arrête cet élan en posant l'esprit en position seconde, ce qui détruit la primitivité de l'imagination. En cette admiration qui dépasse la passivité des attitudes contemplatives, il semble que la joie de lire soit le reflet de la joie d'écrire, comme si le lecteur était le fantôme de l'écrivain.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 9-10.
«Le bien dire est un élément du bien vivre. L'image poétique est une émergence du langage, elle est toujours un peu au-dessus du langage signifiant. À vivre les poèmes on a donc l'expérience salutaire de l'émergence. C'est là sans doute de l'émergence à petite portée. Mais ces émergences se renouvellent; la poésie met le langage en état d'émergence. La vie s'y désigne par sa vivacité.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 10.
«Un grand vers peut avoir une grande influence sur l'âme d'une langue. Il réveille des images effacées. Et en même temps il sanctionne l'imprévisibilité de la parole. Rendre imprévisible la parole n'est-il pas un apprentissage de la liberté ?» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 10.
«Et cela ne nous paraît plus un paradoxe de dire que le sujet parlant est tout entier dans une image poétique, car s'il ne s'y donne sans réserve, il n'entre pas dans l'espace poétique de l'image. Très nettement, l'image poétique apporte une des expériences les plus simples de langage vécu. Et si on la considère, comme nous le proposons en tant qu'origine de la conscience, elle relève bien d'une phénoménologie.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 11.
«... le psychologue, le psychanalyste ne voient plus, dans l'image poétique, que simple jeu, jeu éphémère, jeu de totale vanité. Précisément, les images sont alors pour eux sans signification — sans signification passionnelle, sans signification psychologique, sans signification psychanalytique. Il ne leur vient pas à l'esprit que de telles images ont précisément une signification poétique. Mais la poésie est là, avec ses milliers d'images de jet, d'images par lesquelles l'imagination créatrice s'installe dans son propre domaine.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 12.
«... l'image poétique est sous le signe d'un être nouveau. § Cet être nouveau, c'est l'homme heureux.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 12.
«La sublimation, dans la poésie, surplombe la psychologie de l'âme terrestrement malheureuse. C'est un fait: la poésie a un bonheur qui lui est propre, quelque drame qu'elle soit amenée à illustrer.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 13.
«Sans la région de la sublimation absolue — quelque restreinte et élevée qu'elle soit, même si elle semble hors de portée à des psychologues ou à des psychanalystes — qui n'ont pas, après tout, à examiner la poésie pure — on ne peut révéler la polarité exacte de la poésie.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 14.
«En poésie, le non-savoir est une condition première; s'il y a métier chez le poète c'est dans la tâche subalterne d'associer des images. Mais la vie de l'image est toute dans sa fulgurance, dans ce fait qu'une image est un dépassement de toutes les données de la sensibilité.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 15.
«L'imagination dans ses vives actions, nous détache à la fois du passé et de la réalité. Elle ouvre sur l'avenir. À la fonction du réel, instruite par le passé, telle qu'elle est dégagée par la psychologie classique, il faut joindre une fonction de l'irréel tout aussi positive, comme nous nous sommes efforce de l'établir dans des ouvrages antérieurs. Une infirmité du côté de la fonction de l'irréel entrave le psychisme producteur. Comment prévoir sans imaginer ?» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 16.
«Le plus insidieux des automatismes, l'automatisme du langage ne fonctionne plus quand on est entré dans le domaine de la sublimation pure. Vu de ce sommet, de la sublimation pure, l'imagination reproductrice n'est plus grand-chose.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 17.
«L'espace saisi par l'imagination ne peut rester l'espace indifférent livré à la mesure et à la réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l'imagination. En particulier, presque toujours il attire. Il concentre de l'être à l'intérieur des limites qui protègent. Le jeu de l'extérieur et de l'intimité n'est pas, dans le règne des images, un jeu équilibré.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 17.
«Sans cesse l'imagination imagine et s'enrichit de nouvelles images. C'est cette richesse d'être imaginé que nous voudrions explorer.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 18.
«La distance est grande entre les par9oles qu'on confie librement à un auditoire sympathique et la discipline nécessaire pour écrire un livre. Dans l'enseignement oral, animé par la joie d'enseigner, parfois, la parole pense. En écrivant un livre, il faut tout de même réfléchir.» — Gaston BACHELARD. Introduction. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 21.
CHAPITRE PREMIER
La maison
De la cave au grenier
Le sens de la hutte
«Les vrais bien-êtres ont un passé.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 25.
«Ainsi, en abordant les images de la maison avec le souci de ne pas rompre la solidarité de la mémoire et de l'imagination, nous pouvons espérer faire sentir toute l'élasticité psychologique d'une image qui nous émeut à des degrés de profondeur insoupçonnés. Par les poèmes, plus peut-être que par les souvenirs, nous touchons le fond poétique de l'espace de la maison.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 25.
«Mais une métaphysique complète, englobant la conscience et l'inconscient doit laisser au dedans le privilège de ses valeurs. Au-dedans de l'être, dans l'être du dedans, une chaleur accueille l'être, enveloppe l'être. L'être règne dans une sorte de paradis terrestre de la matière, fondu dans la douceur d'une matière adéquate. Il semble que dans ce paradis matériel, l'être baigne dans la nourriture, qu'il soit comblé de tous les biens essentiels.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 26-27.
«On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu'on ne connaît qu'une suite de fixations dans des espaces de la stabilité de l'être, d'un être qui ne veut pas s'écouler, qui, dans le passé même quand il s'en va à la recherche du temps perdu, veut «suspendre» le vol du temps. Dans ses mille alvéoles, l'espace tient du temps comprimé. L'espace sert à ça.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 27.
«Localiser un souvenir dans le temps, n'est qu'un souci de biographe et ne correspond guère qu'à une sorte d'histoire externe, une histoire pour l'usage externe, à communiquer aux autres. Plus profonde que la biographie, l'herméneutique doit déterminer les centres de destin, en débarrassant l'histoire de son tissu temporel conjonctif sans action sur notre destin. Plus urgente que la détermination des dates est, pour la connaissance de l'intimité, la localisation dans les espaces de notre intimité.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 28.
«Nous faisions remarquer que l'inconscient est logé. Il faut ajouter que l'inconscient est bien logé, heureusement logé. Il est logé dans l'espace de son bonheur. L'inconscient normal sait partout se mettre à l'aise. La psychanalyse vient en aide à des inconscients délogés, à des inconscients brutalement ou insidieusement délogés. Mais la psychanalyse met plutôt l'être en mouvement qu'au repos. Elle appelle l'être à vivre à l'extérieur des gîtes de l'inconscient, à entrer dans les aventures de la vie, à sortir de soi. Et naturellement, son action est salutaire. Car il faut aussi donner un destin de dehors à l'être du dedans.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 29.
«L'espace appelle l'action, et avant l'action l'imagination travaille. Elle fauche et laboure. De toutes ces actions imaginaires, il faudrait dire le bienfait.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 30.
«On ne communique aux autres qu'une orientation vers le secret sans jamais pouvoir dire objectivement le secret. Le secret n'a jamais une totale objectivité. Dans cette voie, on oriente l'onirisme, on ne l'accomplit pas.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 31.
«La poésie, dans sa grande fonction, nous redonne les situations du songe.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 33.
«Nous sommes ici [avec la «maison onirique», une «maison du souvenir-songe», «le crypte de la maison natale»] à un pivot autour duquel tournent les interprétations réciproques du rêve par la pensée et de la pensée par le rêve. Le mot interprétation durcit trop cette volte-face. En fait, nous sommes ici dans l'unité de l'image et du souvenir, dans le mixte fonctionnel de l'imagination et de la mémoire. La positivité de l'histoire et de la géographie psychologiques ne peut servir de pierre de touche pour déterminer l'être vrai de notre enfance. L'enfance est certainement plus grande que la réalité.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 33.
«... ce sont ces valeurs de songe qui se communiquent poétiquement d'âme à âme. La lecture des poètes est essentiellement rêverie.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 34.
«La phénoménologie de la rêverie peut démêler le complexe de mémoire et d'imagination. Elle se rend nécessairement sensible aux différenciations du symbole. La rêverie poétique, créatrice de symboles, donne à notre intimité une activité polysymbolique. Et les souvenirs s'affinent.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 42.
«Te voilà donc, pauvre philosophe, à nouveau dans la tempête, dans les tempêtes de la vie ! Je fais de la rêverie abstraite-concrète. Mon divan est une barque perdue sur les flots; ce sifflement subit, c'est le vent dans les voiles. L'air en furie klaxonne de toute part. Et je me parle pour me réconforter: vois, ton esquif reste solide, tu est en sûreté dans ton bateau de pierre. Dors malgré la tempête. Dors dans la tempête. dors dans ton courage, heureux d'être un homme assailli par les flots.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 43.
«Mais la simplicité, parfois trop rationnellement prônée, n'est pas une source d'onirisme de grande puissance. Il faut toucher à la primitivité du refuge. Et par-delà des situations vécues, il faut découvrir des situations rêvées. Par-delà les souvenirs positifs qui sont des matériaux pour une psychologie positive, il faut rouvrir le champ des images primitives qui ont été peut-être les centres de fixation des souvenirs restés dans la mémoire.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 44.
«La poésie naturellement vient d'une rêverie qui insiste moins que le rêve nocturne. Il ne s'agit que du «gel d'un instant». Mais le document poétique n'en est pas moins indicatif. Un signe terrestre est posé sur un être du ciel. L'archéologie des images est donc éclairée par l'image rapide, par l'image instantanée du poète.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 49.
«La rêverie poétique, à l'inverse de la rêverie de somnolence, ne s'endort jamais. Il lui faut toujours, à partir de la plus simple image, faire rayonner des ondes d'imagination.» — Gaston BACHELARD. Chapitre premier. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 49.
CHAPITRE II
Maison et univers
«De toute façon, au delà de la maison habitée, le cosmos d'hiver est un cosmos simplifié. Il est une non-maison dans le style où le métaphysicien parle d'un non-moi. De la maison à la non-maison s'ordonnent facilement toutes les contradictions. Dans la maison, tout se différencie, se multiplie. De l'hiver, la maison reçoit des réserves d'intimité, des finesses d'intimité. Dans le monde hors de la maison, la neige efface les pas, brouille les chemins, étouffe les bruits, masque les couleurs. On sent en action une négation cosmique par l'universelle blancheur. Le rêveur de maison sait tout cela, sent tout cela, et par la diminution d'être du monde extérieur il connaît une augmentation d'intensité de toutes les valeurs d'intimité.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 53.
«De toutes les saisons, l'hiver est la plus vieille. Elle met de l'âge dans tous les souvenirs. Elle renvoie à un long passé. Sous la neige la maison est vieille. Il semble que la maison vive en arrière dans les siècles lointains.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 53.
«L'écrivain sait d'instinct que toutes les agressions, qu'elles viennent de l'homme ou du monde, sont animales. Si subtile que soit une agression venant de l'homme, si indirecte, si camouflée, si construite qu'elle soit, elle révèle des origines inexpiées. Un petit filament animal vit dans la plus petite des haines. Le poète psychologue — ou le psychologue poète, s'il en existe — ne peut se tromper en marquant d'un cri animal les différents types d'agression. Et c'est aussi une des marques terribles de l'homme que de ne comprendre intuitivement les forces de l'univers que par une psychologie du courroux.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 56.
«Dans cette communauté dynamique de l'homme et de la maison, dans cette rivalité dynamique de la maison et de l'univers, nous sommes loin de toute référence aux simples formes géométriques. La maison n'est pas une boîte inerte. L'espace habité transcende l'espace géométrique.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 58.
«... la phénoménologie de l'imagination demande qu'on vive directement les images, qu'on prenne les images comme des événements subits de la vie. Quand l'image est nouvelle, le monde est nouveau. § Et dans la lecture mise dans la vie, toute passivité disparaît si nous essayons de prendre conscience des actes créateurs du poète exprimant le monde, un monde qui s'ouvre à nos rêveries.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 58.
«Donner l'irréalité à l'image attachée à une forte réalité nous met dans le souffle de la poésie.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 61.
«Mais notre commentaire devient trop précis. Il accueille facilement des dialectiques partielles sur les différents caractères de la maison. À le poursuivre, nous briserions l'unité de l'archétype. Il en est toujours ainsi. Il vaut mieux laisser les ambivalences des archétypes enrobées dans leur valeur dominante. C'est pourquoi le poète sera toujours plus suggestif que le philosophe.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 63.
«Étrange situation, les espaces qu'on aime ne veulent pas toujours être enfermés ! Ils se déploient. On dirait qu'ils se transportent aisément ailleurs, en d'autres temps, dans des plans différents de rêves et de souvenirs.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 63.
«Si le Créateur écoutait le Poète, il créerait la tortue volante qui emporterait dans le ciel bleu les grandes sécurités de la terre.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 63.
«Pour l'homme positif, tout ce qui est irréel se ressemble, submergées et noyées que sont les formes dans l'irréalité.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 64.
«Ainsi, les songes descendent parfois si profondément dans un passé indéfini, dans un passé débarrassé de ses dates, que les souvenirs nets de la maison natale paraissent se détacher de nous. Ces songes étonnent notre rêverie. Nous en arrivons à douter d'avoir vécu où nous avons vécu. Notre passé est dans un ailleurs et une irréalité imprègne les lieux et les temps. Il semble qu'on séjourne dans les limbes de l'être. Et le poète et le songeur se trouvent écrire des pages qu'un métaphysicien de l'être gagnerait à méditer.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 66.
«... si, au delà des souvenirs, on va jusqu'au fond des songes, dans cette pré-mémoire, il semble que le néant caresse l'être, pénètre l'être, délie doucement les liens de l'être. On se demande: ce qui fut a-t-il été ? Les faits ont-ils eu la valeur que leur donne la mémoire ? La mémoire lointaine ne s'en souvient qu'en leur donnant une valeur, une auréole de bonheur. Effacée la valeur, les faits ne tiennent plus. Ont-ils été ? Une irréalité s'infiltre dans la réalité des souvenirs qui sont à la frontière de notre histoire personnelle et d'une préhistoire indéfinie ...» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 66.
«Quand deux images singulières, œuvres de deux poètes qui mènent séparément leur rêverie, viennent à se rencontrer, il semble qu'elles se renforcent l'une l'autre. Cette convergence de deux images exceptionnelles donne, en quelque manière, un recoupement pour l'enquête phénoménologique. L'image perd sa gratuité. Le libre jeu de l'imagination n'est plus une anarchie.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 67.
«En cette extrême ténuité des souvenirs, aux seuls poètes on peut demander des documents de psychologie raffinée.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 68.
«Logé partout, mais enfermé nulle part, telle est la devise du rêveur de demeures. Dans la maison finale, comme dans ma maison réelle, la rêverie d'habiter est brimée. Il faut toujours laisser ouverte une rêverie de l'ailleurs.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 69.
«Pour bien dormir, il ne faut pas dormir dans une grande pièce. Pour bien travailler, il ne faut pas travailler dans un réduit. Pour rêver le poème et pour l'écrire, il faut les deux logis. Car c'est pour les psychismes œuvrant que la rythmanalyse est utile.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 72.
«Ce qui garde activement la maison, ce qui lie dans la maison le passé le plus proche et l'avenir le plus proche, ce qui la maintient dans une sécurité d'être, c'est l'action ménagère § Mais comment donner au ménage une activité créatrice ?» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 73.
«Dans l'équilibre intime des murs et des meubles, on peut dire qu'on prend conscience d'une maison construite par les femmes. Les hommes ne savent construire les maisons que de l'extérieur. Ils ne connaissent guère que la civilisation de la cire.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 74.
«Nous sommes plutôt devant le phénomène poétique de la domination des choses, non plus que sous la poussée de l'inconscient. Elle flotte, elle vole, immense, dans l'atmosphère de liberté d'un grand poème. Par la fenêtre du poète, la maison engage avec le monde un commerce d'immensité. Elle aussi, comme aime à le dire la métaphysicien, la maison des hommes s'ouvre au monde.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 75.
«Quand un songeur reconstruit le monde à partir d'un objet qu'il enchante de ses soins, on se convainc que tout est germe dans la vie d'un poète.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 75.
«Toute grande image simple est révélatrice d'un état d'âme.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 77.
«Dans le règne des valeurs, la clef ferme plus qu'elle n'ouvre. La poignée ouvre plus qu'elle ne ferme. Et le geste qui ferme est toujours plus net, plus fort, plus bref que le geste qui ouvre.» — Gaston BACHELARD. Chapitre II. In La poétique de l'espace. Presses universitaires de France. Paris, 1989. p. 78.
vendredi 20 mai 2011
samedi 7 mai 2011
Ferdinand Alquié — Le désir d'éternité (Troisième partie)
[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Ferdinand ALQUIÉ. Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008.
TROISIÈME PARTIE
L'acceptation du temps et
le renoncement à l'éternité
CHAPITRE XI
Limites de l'éternité
«Choisir le parti du moi ou celui de l'universel serait à l'homme plus facile s'il apercevait toujours clairement auquel de ces deux partis appartiennent les décisions entre lesquelles il hésite. Mais on connaît les ruses de l'amour-propre, la dissimulation des sentiments.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 115.
«Le fond de toute conscience, c'est l'esprit lui-même: la conscience spontanée est seulement une conscience qui ignore sa source, la conscience réfléchie une conscience qui la découvre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 116.
«L'affectif, du fait qu'il est conscient, est donc spirituel: c'est une spiritualité qui s'ignore. Aussi nos affections se présentent-elles souvent comme des expressions et des symboles de l'esprit, et il est bien difficile de savoir où l'esprit s'arrête, où la passion commence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 117.
«Reconnaître l'éternité transcendante de l'esprit et croire à une éternité immanente à ce qui passe sont, [...], deux opérations différentes en nature et en valeur. Et l'acte par lequel l'esprit pose le moi n'est pas celui par lequel il connaît le moi comme posé, et se recueille en lui-même. Mais là réside la difficulté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 117-118.
«... l'affirmation religieuse la plus caractéristique est bien celle de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 120.
«Faisant appel à la foi, les religions semblent reconnaître elles-mêmes que l'extension qu'elles accordent au domaine de l'éternel en y comprenant le moi n'est pas du ressort de la pure rationalité. Encore cette extension n'est-elle pas, dans les religions même, aussi complète qu'on pourrait le croire d'abord, et il semble que l'on retrouve ici le double mouvement du moi et de l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 121-122.
«Le moi ne peut donc, comme il le voudrait, se sauver tout entier, c'est-à-dire s'éterniser avec ses péchés, ses passions et ses désirs. Ici commence un mouvement inverse, qui est de séparation d'avec le temporel, de renoncement à soi, et qui semble émaner de l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 122.
CHAPITRE XII
Confusion des deux éternités
«Toute pensée religieuse semblant traduire à la fois une exigence spirituelle et un besoin du cœur, il est difficile de déterminer en ce domaine les frontières de la passion et de la connaissance, de savoir avec certitude si notre désir religieux de l'éternité est individuel ou spirituel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 123.
«On invoquera, pour le faire, l'impossibilité où nous sommes de penser vraiment l'éternité: nous n'en avons nulle idée positive, la notion d'éternité est beaucoup plus pauvre que celle du temps, paraît obtenue seulement par la négation de l'expérience, semble se réduire pour nous à celle d'instant, ou d'un temps sans contenu. La pauvreté essentielle de cette notion n'est-elle pas la marque du néant de ce qu'elle désigne ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 124.
«... chez beaucoup de ceux qui s'adonnent à la métaphysique, le goût de l'éternel n'émane de quelque peu des tâches temporelles, n'indique une crainte d'agir, une fuite devant le risque, un refus affectif de la vie, et donc un attachement au passé personnel ramenant tout élan vers sa source. Par contre, la métaphysique a raison de déclarer que tout fait de conscience tire son sens de l'Esprit. On peut considérer à bon droit que notre désir d'éternité ne serait pas possible si l'Esprit n'était, à quelque degré, présent en nous: l'incapacité où nous sommes de concevoir au temps des limites, la nécessité que nous ressentons de la croire infini, sont les signes qu'une éternelle réelle cherche, par des images, à se traduire dans le langage du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 125-126.
«... à supposer que l'Esprit soit tout, il ne saurait atteindre en l'homme l'intégralité de sa conscience: nous ne pouvons nous placer au point de vue de la totalité, opérer la reconstruction de l'Univers et de son histoire à partir du premier principe, trouver à nos passions et à nos sentiments un sens métaphysique.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 126.
«Sans doute est-il vrai de dire que toute analyse appauvrit, puisqu'elle sépare et isole, alors que le réel est le domaine des interactions infinies. Mais notre pensée ne saurait effectuer pour son compte le vaste mouvement qui construit l'Univers: elle ne peut connaître vraiment quelque chose qu'en renonçant à connaitre le tout. L'analyse sera donc toujours pour nous la seule méthode de connaissance certaine: l'esprit humain ne peut tout comprendre, mais il peut mettre les choses à leur place, distinguer et hiérarchiser. Tel nous semble le but de la philosophie.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 127.
«Mettant fin à nos incertitudes, l'analyse nous fera comprendre que notre conscience est du monde en tant qu'elle est individuelle, et n'est pas du monde en tant qu'elle est esprit; la philosophie permettra d'accorder à l'éternité et au temps la juste part qui leur doit revenir dans la vie de celui qui se propose d'être un homme.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 128.
CHAPITRE XIII
Le renoncement à l'éternel
«Si passion et action sont semblables par l'attitude de conscience qui les engendre, et ne se distinguent qu'en ce que la première nous fait poursuivre la chimère de la permanence d'un état concret, alors que la seconde nous met en face d'un être véritable, ne risquerons-nous pas toujours de tomber dans l'erreur, et nous faudra-t-il chaque fois résoudre le problème théorique de la réalité de l'objet vers lequel nous tendons ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 129.
«Il faudrait donc trouver un moyen de se délivrer des passions sans résoudre, en chaque cas, la question de savoir si leur objet est authentique ou illusoire. Or, nous croyons que cela est possible pour peu que l'on considère la position de l'éternité spirituelle par rapport à nous. Cette position est telle que l'attitude que notre conscience doit prendre pour agir est la même en tous les cas: cette attitude est celle du renoncement à l'éternel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 130.
«La science va toujours de l'universel au concret, applique à la particularité de l'expérience les exigences et les critères éternels de la pensée. Et, plus profondément encore, on peut apercevoir à sa source la raison et l'Esprit lui-même, par rapport auxquels la découverte de toute loi apparaît comme la spécification, la particularisation d'un besoin universel d'unité, et d'une sorte d'éternité virtuelle.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 130-131.
«Tout mouvement qui se propose l'éternité comme but paraît suspect: il est peu conforme à notre nature et à notre situation d'homme, il contrarie le développement par lequel l'esprit pose l'objet, il est révolte du moi, et donc passion encore.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 131.
«... vouloir être Dieu est pour nous désir aussi vain que vouloir retrouver notre enfance perdue: ce que, dans les deux cas, nous ne savons pas accepter, c'est le caractère limité de l'individu que nous sommes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 132.
«... il n'est de vie possible que si, une fois pour toutes, nos avons accepté la mort: il suffit de consulter notre conscience pour comprendre que, dans les conditions où nous sommes, une vie infinie ne serait plus une vie: sans désespoir et sans espoir, sans impatience ni crainte, elle ne saurait engendrer une action. Nous aurions, comme on dit, l'éternité devant nous, et l'on ne peut agir qu'en laissant derrière soi l'éternel, en se tournant vers le temps, en comprenant qu'il passe, et qu'il faut se hâter.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 133.
«Agir est donc toujours se séparer de l'éternel, et de son inconscience. Que celle-ci dérive de l,aveugle permanence de nos souvenirs d'enfance refusant de mourir, ou du caractère transcendant de l'Esprit lui-même, elle nous empêche de prendre clairement connaissance de notre condition et du temps dans lequel notre moi doit accomplir son œuvre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 134.
«La source de l'action ne peut être pensée, mais seulement l'action elle-même. La source de l'action nous apparaît comme liberté, elle est esprit et transcendance: là se situe l'éternité. Mais l'éternité ne peut être la fin e l,action, car la fin de l'action doit être pensée, et la transcendance ne peut être pensée. La fin de l,action doit être voulue, et l'éternité n'a pas à être voulue, puisqu'elle est. Aussi la raison éternelle, qui manifeste en nous l'esprit, N'est-elle ni à penser ni à réaliser: elle est ce par quoi on pense et on réalise, et nous savons bien que toute entreprise qui n'y serait pas conforme serait vouée à l'échec. Mais nous savons aussi qu'une entreprise, pour être effective ne doit pas se borner à exprimer une évidence rationnelle: elle doit se dérouler dans le temps, et mettre en jeu la volonté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 135.
CHAPITRE XIV
Conscience active et
conscience passionnelle
«L'amour qui cause les passions est, de la part du moi, un amour d'assimilation, un désir de posséder l'éternité, d'être lui-même Dieu. Mais l'amour véritable est oubli et soi et amour de ce qu'il aime. Si donc nous aimons l'éternel pour lui-même, il nous suffira de savoir qu'il est ce qu'il est, et que nous sommes ce que nous sommes, pour retrouver la paix. Comment un tel amour pourrait-il produire une passion ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 137.
«Toute attitude prise en fait par nous est complexe, et l'on peut y reconnaître une part de passion et d'action. Il convient du reste de remarquer que toute passion n'est pas à rejeter, et que l'attitude passionnelle est nécessaire à notre équilibre. [...] De fait, l'homme ne peut agir sans cesse: le rêve et la méditation de l'éternel lui sont indispensables, et sans doute y trouve-t-il les plus évidentes de ses joies.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 137-138.
«C'est la beauté même de l'Esprit, transparaissant dans la forme, bien plus que l'objet qu'il décrit, que l'art propose à notre contemplation. On peut dire en ce sens que l'éternité vers laquelle il nous guide est réelle. Cette éternité, cependant, l,art ne saurait nous la révéler vraiment. Il ne nous livre pas l'Esprit en soi: son expérience n'est pas expérience mystique. L'Esprit est toujours en lui aperçu au sein du concret, et mêlé à l'image. Par là, l'art réalise une sorte de salut du sensible et du particulier par l'esprit, où le concret s'éternise par la beauté de sa forme: il opère une médiation entre les deux éternités, se présente comme une solution au déchirement de l'homme, à la séparation de l'illusoire éternité du concret et de la vérité de l'éternité spirituelle. La révélation esthétique procure, en se sens, un apaisement analogue à celui que fournit la révélation religieuse: elle nous montre la Nature soutenue par l'Esprit, et pénétrée d'esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 138-139.
«... l'art n'est pas dupe: aussi n'est-il pas, comme les passions, ennemi de la science et de la pensée claire; il coexiste avec elles. Le déchirement vrai subsiste pour l'homme près de la consolation esthétique.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 139.
«L'attitude esthétique apparaîtra pourtant comme nettement passionnelle si on la compare à l'attitude morale. Sans doute faut-il, pour être moral, croire à l'éternité des valeurs, et ne pas accepter tout ce que le changement concret du temps nous apporte. Mais les valeurs auxquelles nous croyons, il ne s'agit plus d'en contempler l'imaginaire réalisation dans la beauté d'un spectacle, d'attendre de quelque miracle ou de quelque mirage leur réalisation effective. Cette réalisation, c'est nous-mêmes qui devons l'opérer, dès ce monde et en ce monde. Nous devons imposer les valeurs au concret réel et futur. Le mouvement moral s'effectue de l'universel au particulier, de l'éternel au temporel: il est action pure.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 140.
«Beaucoup enseignent que Dieu ne saurait, dès ce monde, être aperçu en son essence, ce qui rend suspectes les prétendues expériences mystiques. Si l'on ajoute que l'amour de Dieu est analogue à l'amour du prochain et ne se réalise qu'en cet amour, on oriente le fidèle vers le concret des œuvres. Ainsi, l'agissante charité s'oppose, au sein de toute religion véritable, aux chimères de la vie intérieure, où l'égoïsme du moi de son orgueilleuse prétention à conquérir l'éternel sont souvent dévoilés.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 141.
«Comme l'amour de l'éternel,l'amour du total nous conduit donc à refuser le temps: il faut, pour accepter le temps, renoncer au total comme à l'éternité. Au reste, si la totalité pouvait être donnée, ce serait à l'Esprit universel, et non à l'homme. L'homme n'est ni l'Esprit éternel, ni la totalité de l'histoire se réfléchissant en soi-même: il est situé à un moment du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 142-143.
CHAPITRE XV
Sagesse de Descartes
«... toute éternité est inconscience: cela est clair de l'éternité passionnelle, mais aussi de celle de l'Esprit, qui est ce qui connaît, mais ne peut être connu.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 146.
«La pensée grecque parvenait vite à la sagesse. Tout était, en son temps, conçu selon l'objet: de ce point de vue, l'homme connaît aisément la place qu'il occupe en la Nature. Mais l'homme apprit du christianisme que Dieu lui est intérieur. Ici l'Être se découvre du côté du sujet, la pensée se saisit comme source du monde, et trouve en soi le poids de l'éternité que, jusque-là, elle croyait contempler dans les choses.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 148.
«Il est en effet bien difficile de conserver à la fois le sens de l'Esprit qui nous porte et la science du monde dans lequel notre action fera pénétrer l'Esprit. Valeurs et lois sont éternelles: mais la réalisation des valeurs, l'application des lois, s'opèrent dans le temps: il faut donc croire à l'éternité, et accueillir cependant le devenir des choses, aimer leur nouveauté, consentir à l'effort, ne plus songer à ce qui n'est plus, accepter le futur, admettre notre mort, dont l'image ne doit pas nous empêcher de vivre. Rien n'est plus malaisé que d'orienter notre conscience selon cette double exigence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 149.
«... on peut être tenté de choisir, de devenir l'homme du temporel, oublieux des valeurs, ou l'homme de l'éternel, oublieux de la vie. Mais il nous faut refuser ce choix, réaliser notre unité, joindre l'éternité au temps, si nous voulons, simplement mais totalement, être des hommes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 149.
«Vouloir me dé.livrer de la passion du temps serait donc me bercer du plus vain des rêves, croire que l'action totale est possible à l'homme, condamner ma vie à l'inefficacité. Car l'homme, étant fini, ne peut échapper à toute passion: en s'efforçant d'y parvenir, il tombe en une passion plus grande. Et l'action humaine ne commence qu'avec l'acceptation de la passion, première et inévitable, qui est celle du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
«... par l'action, la conscience transforme le monde selon les valeurs, permet à l'éternel de descendre dans le devenir, à l'esprit de modeler, de diriger le cours des choses. Voici le domaine de l'homme.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
«Le refus du temps, la nostalgie du passé, l'amour de l'éternel ne sont que fuites devant notre tâche: seules nos entreprises temporelles peuvent manifester notre fidélité à l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Ferdinand ALQUIÉ. Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008.
TROISIÈME PARTIE
L'acceptation du temps et
le renoncement à l'éternité
CHAPITRE XI
Limites de l'éternité
«Choisir le parti du moi ou celui de l'universel serait à l'homme plus facile s'il apercevait toujours clairement auquel de ces deux partis appartiennent les décisions entre lesquelles il hésite. Mais on connaît les ruses de l'amour-propre, la dissimulation des sentiments.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 115.
«Le fond de toute conscience, c'est l'esprit lui-même: la conscience spontanée est seulement une conscience qui ignore sa source, la conscience réfléchie une conscience qui la découvre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 116.
«L'affectif, du fait qu'il est conscient, est donc spirituel: c'est une spiritualité qui s'ignore. Aussi nos affections se présentent-elles souvent comme des expressions et des symboles de l'esprit, et il est bien difficile de savoir où l'esprit s'arrête, où la passion commence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 117.
«Reconnaître l'éternité transcendante de l'esprit et croire à une éternité immanente à ce qui passe sont, [...], deux opérations différentes en nature et en valeur. Et l'acte par lequel l'esprit pose le moi n'est pas celui par lequel il connaît le moi comme posé, et se recueille en lui-même. Mais là réside la difficulté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 117-118.
«... l'affirmation religieuse la plus caractéristique est bien celle de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 120.
«Faisant appel à la foi, les religions semblent reconnaître elles-mêmes que l'extension qu'elles accordent au domaine de l'éternel en y comprenant le moi n'est pas du ressort de la pure rationalité. Encore cette extension n'est-elle pas, dans les religions même, aussi complète qu'on pourrait le croire d'abord, et il semble que l'on retrouve ici le double mouvement du moi et de l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 121-122.
«Le moi ne peut donc, comme il le voudrait, se sauver tout entier, c'est-à-dire s'éterniser avec ses péchés, ses passions et ses désirs. Ici commence un mouvement inverse, qui est de séparation d'avec le temporel, de renoncement à soi, et qui semble émaner de l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 122.
CHAPITRE XII
Confusion des deux éternités
«Toute pensée religieuse semblant traduire à la fois une exigence spirituelle et un besoin du cœur, il est difficile de déterminer en ce domaine les frontières de la passion et de la connaissance, de savoir avec certitude si notre désir religieux de l'éternité est individuel ou spirituel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 123.
«On invoquera, pour le faire, l'impossibilité où nous sommes de penser vraiment l'éternité: nous n'en avons nulle idée positive, la notion d'éternité est beaucoup plus pauvre que celle du temps, paraît obtenue seulement par la négation de l'expérience, semble se réduire pour nous à celle d'instant, ou d'un temps sans contenu. La pauvreté essentielle de cette notion n'est-elle pas la marque du néant de ce qu'elle désigne ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 124.
«... chez beaucoup de ceux qui s'adonnent à la métaphysique, le goût de l'éternel n'émane de quelque peu des tâches temporelles, n'indique une crainte d'agir, une fuite devant le risque, un refus affectif de la vie, et donc un attachement au passé personnel ramenant tout élan vers sa source. Par contre, la métaphysique a raison de déclarer que tout fait de conscience tire son sens de l'Esprit. On peut considérer à bon droit que notre désir d'éternité ne serait pas possible si l'Esprit n'était, à quelque degré, présent en nous: l'incapacité où nous sommes de concevoir au temps des limites, la nécessité que nous ressentons de la croire infini, sont les signes qu'une éternelle réelle cherche, par des images, à se traduire dans le langage du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 125-126.
«... à supposer que l'Esprit soit tout, il ne saurait atteindre en l'homme l'intégralité de sa conscience: nous ne pouvons nous placer au point de vue de la totalité, opérer la reconstruction de l'Univers et de son histoire à partir du premier principe, trouver à nos passions et à nos sentiments un sens métaphysique.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 126.
«Sans doute est-il vrai de dire que toute analyse appauvrit, puisqu'elle sépare et isole, alors que le réel est le domaine des interactions infinies. Mais notre pensée ne saurait effectuer pour son compte le vaste mouvement qui construit l'Univers: elle ne peut connaître vraiment quelque chose qu'en renonçant à connaitre le tout. L'analyse sera donc toujours pour nous la seule méthode de connaissance certaine: l'esprit humain ne peut tout comprendre, mais il peut mettre les choses à leur place, distinguer et hiérarchiser. Tel nous semble le but de la philosophie.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 127.
«Mettant fin à nos incertitudes, l'analyse nous fera comprendre que notre conscience est du monde en tant qu'elle est individuelle, et n'est pas du monde en tant qu'elle est esprit; la philosophie permettra d'accorder à l'éternité et au temps la juste part qui leur doit revenir dans la vie de celui qui se propose d'être un homme.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 128.
CHAPITRE XIII
Le renoncement à l'éternel
«Si passion et action sont semblables par l'attitude de conscience qui les engendre, et ne se distinguent qu'en ce que la première nous fait poursuivre la chimère de la permanence d'un état concret, alors que la seconde nous met en face d'un être véritable, ne risquerons-nous pas toujours de tomber dans l'erreur, et nous faudra-t-il chaque fois résoudre le problème théorique de la réalité de l'objet vers lequel nous tendons ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 129.
«Il faudrait donc trouver un moyen de se délivrer des passions sans résoudre, en chaque cas, la question de savoir si leur objet est authentique ou illusoire. Or, nous croyons que cela est possible pour peu que l'on considère la position de l'éternité spirituelle par rapport à nous. Cette position est telle que l'attitude que notre conscience doit prendre pour agir est la même en tous les cas: cette attitude est celle du renoncement à l'éternel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 130.
«La science va toujours de l'universel au concret, applique à la particularité de l'expérience les exigences et les critères éternels de la pensée. Et, plus profondément encore, on peut apercevoir à sa source la raison et l'Esprit lui-même, par rapport auxquels la découverte de toute loi apparaît comme la spécification, la particularisation d'un besoin universel d'unité, et d'une sorte d'éternité virtuelle.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 130-131.
«Tout mouvement qui se propose l'éternité comme but paraît suspect: il est peu conforme à notre nature et à notre situation d'homme, il contrarie le développement par lequel l'esprit pose l'objet, il est révolte du moi, et donc passion encore.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 131.
«... vouloir être Dieu est pour nous désir aussi vain que vouloir retrouver notre enfance perdue: ce que, dans les deux cas, nous ne savons pas accepter, c'est le caractère limité de l'individu que nous sommes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 132.
«... il n'est de vie possible que si, une fois pour toutes, nos avons accepté la mort: il suffit de consulter notre conscience pour comprendre que, dans les conditions où nous sommes, une vie infinie ne serait plus une vie: sans désespoir et sans espoir, sans impatience ni crainte, elle ne saurait engendrer une action. Nous aurions, comme on dit, l'éternité devant nous, et l'on ne peut agir qu'en laissant derrière soi l'éternel, en se tournant vers le temps, en comprenant qu'il passe, et qu'il faut se hâter.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 133.
«Agir est donc toujours se séparer de l'éternel, et de son inconscience. Que celle-ci dérive de l,aveugle permanence de nos souvenirs d'enfance refusant de mourir, ou du caractère transcendant de l'Esprit lui-même, elle nous empêche de prendre clairement connaissance de notre condition et du temps dans lequel notre moi doit accomplir son œuvre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 134.
«La source de l'action ne peut être pensée, mais seulement l'action elle-même. La source de l'action nous apparaît comme liberté, elle est esprit et transcendance: là se situe l'éternité. Mais l'éternité ne peut être la fin e l,action, car la fin de l'action doit être pensée, et la transcendance ne peut être pensée. La fin de l,action doit être voulue, et l'éternité n'a pas à être voulue, puisqu'elle est. Aussi la raison éternelle, qui manifeste en nous l'esprit, N'est-elle ni à penser ni à réaliser: elle est ce par quoi on pense et on réalise, et nous savons bien que toute entreprise qui n'y serait pas conforme serait vouée à l'échec. Mais nous savons aussi qu'une entreprise, pour être effective ne doit pas se borner à exprimer une évidence rationnelle: elle doit se dérouler dans le temps, et mettre en jeu la volonté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 135.
CHAPITRE XIV
Conscience active et
conscience passionnelle
«L'amour qui cause les passions est, de la part du moi, un amour d'assimilation, un désir de posséder l'éternité, d'être lui-même Dieu. Mais l'amour véritable est oubli et soi et amour de ce qu'il aime. Si donc nous aimons l'éternel pour lui-même, il nous suffira de savoir qu'il est ce qu'il est, et que nous sommes ce que nous sommes, pour retrouver la paix. Comment un tel amour pourrait-il produire une passion ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 137.
«Toute attitude prise en fait par nous est complexe, et l'on peut y reconnaître une part de passion et d'action. Il convient du reste de remarquer que toute passion n'est pas à rejeter, et que l'attitude passionnelle est nécessaire à notre équilibre. [...] De fait, l'homme ne peut agir sans cesse: le rêve et la méditation de l'éternel lui sont indispensables, et sans doute y trouve-t-il les plus évidentes de ses joies.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 137-138.
«C'est la beauté même de l'Esprit, transparaissant dans la forme, bien plus que l'objet qu'il décrit, que l'art propose à notre contemplation. On peut dire en ce sens que l'éternité vers laquelle il nous guide est réelle. Cette éternité, cependant, l,art ne saurait nous la révéler vraiment. Il ne nous livre pas l'Esprit en soi: son expérience n'est pas expérience mystique. L'Esprit est toujours en lui aperçu au sein du concret, et mêlé à l'image. Par là, l'art réalise une sorte de salut du sensible et du particulier par l'esprit, où le concret s'éternise par la beauté de sa forme: il opère une médiation entre les deux éternités, se présente comme une solution au déchirement de l'homme, à la séparation de l'illusoire éternité du concret et de la vérité de l'éternité spirituelle. La révélation esthétique procure, en se sens, un apaisement analogue à celui que fournit la révélation religieuse: elle nous montre la Nature soutenue par l'Esprit, et pénétrée d'esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 138-139.
«... l'art n'est pas dupe: aussi n'est-il pas, comme les passions, ennemi de la science et de la pensée claire; il coexiste avec elles. Le déchirement vrai subsiste pour l'homme près de la consolation esthétique.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 139.
«L'attitude esthétique apparaîtra pourtant comme nettement passionnelle si on la compare à l'attitude morale. Sans doute faut-il, pour être moral, croire à l'éternité des valeurs, et ne pas accepter tout ce que le changement concret du temps nous apporte. Mais les valeurs auxquelles nous croyons, il ne s'agit plus d'en contempler l'imaginaire réalisation dans la beauté d'un spectacle, d'attendre de quelque miracle ou de quelque mirage leur réalisation effective. Cette réalisation, c'est nous-mêmes qui devons l'opérer, dès ce monde et en ce monde. Nous devons imposer les valeurs au concret réel et futur. Le mouvement moral s'effectue de l'universel au particulier, de l'éternel au temporel: il est action pure.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 140.
«Beaucoup enseignent que Dieu ne saurait, dès ce monde, être aperçu en son essence, ce qui rend suspectes les prétendues expériences mystiques. Si l'on ajoute que l'amour de Dieu est analogue à l'amour du prochain et ne se réalise qu'en cet amour, on oriente le fidèle vers le concret des œuvres. Ainsi, l'agissante charité s'oppose, au sein de toute religion véritable, aux chimères de la vie intérieure, où l'égoïsme du moi de son orgueilleuse prétention à conquérir l'éternel sont souvent dévoilés.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 141.
«Comme l'amour de l'éternel,l'amour du total nous conduit donc à refuser le temps: il faut, pour accepter le temps, renoncer au total comme à l'éternité. Au reste, si la totalité pouvait être donnée, ce serait à l'Esprit universel, et non à l'homme. L'homme n'est ni l'Esprit éternel, ni la totalité de l'histoire se réfléchissant en soi-même: il est situé à un moment du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XIV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 142-143.
CHAPITRE XV
Sagesse de Descartes
«... toute éternité est inconscience: cela est clair de l'éternité passionnelle, mais aussi de celle de l'Esprit, qui est ce qui connaît, mais ne peut être connu.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 146.
«La pensée grecque parvenait vite à la sagesse. Tout était, en son temps, conçu selon l'objet: de ce point de vue, l'homme connaît aisément la place qu'il occupe en la Nature. Mais l'homme apprit du christianisme que Dieu lui est intérieur. Ici l'Être se découvre du côté du sujet, la pensée se saisit comme source du monde, et trouve en soi le poids de l'éternité que, jusque-là, elle croyait contempler dans les choses.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 148.
«Il est en effet bien difficile de conserver à la fois le sens de l'Esprit qui nous porte et la science du monde dans lequel notre action fera pénétrer l'Esprit. Valeurs et lois sont éternelles: mais la réalisation des valeurs, l'application des lois, s'opèrent dans le temps: il faut donc croire à l'éternité, et accueillir cependant le devenir des choses, aimer leur nouveauté, consentir à l'effort, ne plus songer à ce qui n'est plus, accepter le futur, admettre notre mort, dont l'image ne doit pas nous empêcher de vivre. Rien n'est plus malaisé que d'orienter notre conscience selon cette double exigence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 149.
«... on peut être tenté de choisir, de devenir l'homme du temporel, oublieux des valeurs, ou l'homme de l'éternel, oublieux de la vie. Mais il nous faut refuser ce choix, réaliser notre unité, joindre l'éternité au temps, si nous voulons, simplement mais totalement, être des hommes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 149.
«Vouloir me dé.livrer de la passion du temps serait donc me bercer du plus vain des rêves, croire que l'action totale est possible à l'homme, condamner ma vie à l'inefficacité. Car l'homme, étant fini, ne peut échapper à toute passion: en s'efforçant d'y parvenir, il tombe en une passion plus grande. Et l'action humaine ne commence qu'avec l'acceptation de la passion, première et inévitable, qui est celle du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
«... par l'action, la conscience transforme le monde selon les valeurs, permet à l'éternel de descendre dans le devenir, à l'esprit de modeler, de diriger le cours des choses. Voici le domaine de l'homme.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
«Le refus du temps, la nostalgie du passé, l'amour de l'éternel ne sont que fuites devant notre tâche: seules nos entreprises temporelles peuvent manifester notre fidélité à l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre XV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 150.
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