[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
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faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse
en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont
présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière
importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que
par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en
découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à
l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en
retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de
Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer,
en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut
bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à
l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Max PICARD. Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954.
CHAPITRE XXV
Arts plastiques et silence
«Se promener entre les colonnes égyptiennes, c'est comme s'avancer dans les ténèbres, dans un passé reculé. [...] Mais se promener entre les colonnes grecques, c'est se promener dans un silence lumineux. Silence et lumière sont un ici. C'est un silence qui marque l'instant de repos avant la nouvelle création. Silence et création alternaient; c'était comme un escalier menant à l'Olympe où, auprès des dieux, silence et création devinrent un et n'alternèrent plus.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 125.
«Le calme actuel autour des temples n'est pas le calme du silence, c'est le calme du tombeau; le silence a ici son tombeau et les colonnes et les blocs de marbre sont les pierres funéraires au-dessus du silence englouti.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 126.
«Leur silence [celui des statues grecques] est plein de mystère; il semble qu'elles ne se taisent qu'aussi longtemps que l'homme est devant elles et qu'elles se mettent à parler dès qu'elles sont seules; leurs paroles vont aux dieux, aux hommes leur silence.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 126.
«Les personnages égyptiens sont tournés vers l'intérieur. Il semble qu'il y ait au dedans d'eux encore un personnage autre, plus important; c'est à ce personnage intérieur qu'ils adressent leurs discours, non: leur silence. § Le visage grec, au contraire, se tourne vers l'extérieur; en lui, point d'angoisse devant ce monde où la parole n'est pas encore; il se dirige vers un monde d'où vient la parole, il y a en lui la certitude qu'à chaque instant, le silence peut être maîtrisé par la parole, la matière par l'esprit.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 127.
«La cathédrale est comme du silence incrusté de pierre.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 131.
«La cathédrale se dresse comme un énorme réservoir de silence; il n'y a plus de parole à l'intérieur, dans l'espace de la cathédrale; la profondeur d'un silence encore plus grand fait que la parole devient chant.» — Max PICARD. «Arts plastiques et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 131.
CHAPITRE XXVI
Parole et rumeur
«Il naît toujours dans la rumeur quelque chose qui rappelle la parle et il se dissipe toujours dans la rumeur quelque chose qui rappelle la parole.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 134.
«La parole ne naît plus aujourd'hui du silence, [...], mais d'une autre parole, de la rumeur de cette autre parole. La parole qui, par contre, naît du silence, pénètre, à partir du silence, dans la parole, retourne dans le silence, en repart vers une autre parole, revient dans le silence et ainsi de suite, si bien que la parole arrive toujours du centre du silence ....» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 135.
«La rumeur, par contre, se déplace sans cesse horizontalement; il importe apparemment seulement que la rumeur se déroule continuement et non pas qu'elle signifie quelque chose.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 135.
«L'anéantissement de la parole, c'est qu'elle a été transformée en ennemi, mais en un ennemi qui n'est pas en face de vous, en un ennemi qui vous pénètre, vous imprègne, vous imprègne comme fantôme, comme rumeur.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 136.
«La rumeur qui remplace aujourd'hui la parole ne prend pas naissance, comme la parole, par un acte décidé; elle ne naît pas d'un engendrement actif, mais, comme les êtres vivants unicellulaires, par prolifération; une rumeur détache de soi une autre rumeur. La naissance de la parole se passe dans la sphère de la qualité, la naissance de la rumeur dans celle de la quantité.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 137-138.
«La rumeur n'est ni silence, ni bruit; elle imprègne également silence et bruit; et fait que l'homme oublie silence et parole. § Il n'y a plus de différence entre qui parle et qui se tait, car une seule rumeur imprègne qui parle et qui se tait. Celui qui se tait est ici seulement quelqu'un qui ne parle pas.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 138.
«On dirait que la rumeur craigne de disparaître et ne bouge ainsi sans cesse que parce qu'elle doit toujours se démontrer à soi-même qu'elle existe; elle ne croit pas elle-même à son existence. § La parole, au contraire, ne craint pas de ne pas exister même si elle n'est pas présente sous forme sonore; c'est dans le silence seulement qu'on la sent bien.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 139.
«Par son origine dans le logos qui est ordre, la parole est ainsi faite qu'elle ne laisse pas pénétrer dans le monde de l'homme quantité de choses qui sont en dehors de l'ordre humain. La protection est une protection pour l'homme. Beaucoup de choses démoniques attendent de pénétrer en l'homme et de le détruire, mais l'homme est gardé de leur atteinte; il ne peut même pas les apercevoir, car elle ne pénètrent pas dans la parole; déjà la parole détourne le démonique de l'homme.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 139-140.
«Tout dans la rumeur est charrié ensemble et out peut se développer à partir d'elle. Rien ne prend plus naissance par un acte particulier, par une décision, par l'élément créateur; tout apparaît spontanément d'elle; une sorte de mimétisme fait sortir de la rumeur ce que les circonstances exigent et l'amène à l'homme.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 141.
«Dans la rumeur universelle d'aujourd'hui, les actions n'ont pas d'arrêt; elle deviennent illimitées, rien ne les contrôle parce qu'elles ne sont pas tenues par la parole; elles sont recouvertes par la rumeur, elles disparaissent en elle; on est sans cesse en quête d'actions nouvelles parce qu'il n'y en a point de réellement existante.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 142.
«Dans le monde de la rumeur, les événements ne sont plus différents les uns des autres, la rumeur les rend tous semblables; c'est pour cela que les événements prennent aujourd'hui de si grandes dimensions; c'est pour cela qu'ils deviennent si bruyants; on les dirait des cris; un événement semble cherche à se distancer de l'autre par du bruit puisque lui manque l'essence par quoi il peut se distinguer.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 143.
«Un événement veut exister dans le temps, recevoir lui-même quelque durée dans la durée du temps. Si un événement n'a plus de durée dans le temps, s'il en émerge et y redisparaît seulement, il devient un fantôme.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 144.
«La rumeur nivelle tout, égalise tout, c'est une machine à niveler. Il n'y a plus d'individu, chacun n'est qu'une partie de la rumeur; l'individu n'y possède plus rien, tout est comme versé dans la rumeur générale; tout va à chacun et chacun a droit à tout. La masse est légitimée; elle est le pendant de la rumeur; elle est, comme la rumeur, présente et cependant absente, émergeant et disparaissant à nouveau, remplissant tout et n'étant cependant saisissable nulle part.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 145.
«Le cri du dictateur, son mot d'ordre, voilà ce qu'attend la rumeur. Le cri du dictateur, sa netteté et la rumeur, son défaut de netteté se correspondent; l'un appelle l'autre, l'un n'est pas possible sans l'autre.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 145.
«Le mot d'ordre du dictateur n'est que cri sans contenu; lorsque le dictateur envahit son pays, il semble qu'il s'agisse non pas d'une expansion des frontières, mais d'une expansion du cri. Le silence du pays étranger, sa réalité silencieuse doivent être abattus à coup de gueule; le cri est jeté là où il y avait autrefois le silence.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 146.
«De même qu'au commencement des temps, les paroles précèdent presque imperceptiblement les actions — l'homme met une sourdine aux paroles par timidité, car il voit qu'une parole suscite une action comme par magie — de même, à la fin des temps, les actions sont là de nouveau presque sans paroles; mais c'est maintenant parce que la parole n'a plus de force créatrice, détruite qu'elle est.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 146.
«De même que la parole ne prend plus naissance par un acte particulier, mais est là comme rumeur continuelle, de même l'action de l'homme ne se produit plus par un acte particulier; il y a un seul agir continu, un seul processus continu de travail qui est primaire et dont les hommes sont seulement les appendices.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 147.
«Plus encore que ce processus de travail, c'est la machine qui incarne, dans son mouvement continu d'une stériel régularité, la continuité, la stérile régularité de la rumeur.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 147.
«L'homme d'aujourd'hui ne croit plus à sa survie après la mort, mais, en échange, il revendique pour soi une vague durée qui lui paraît garantie par la durée de la rumeur et, plus encore, par la durée du processus de travail et par la durée du mouvement de la machine.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 148.
«Le calme qui existe quand les machines cessent leur mouvement, n'est point silence, mais vide. Aussi, après le travail, l'ouvrier est-il dans le vide; le vide de la machine le poursuit. C'est là sa grande souffrance, la véritable oppression. Le paysan, par contre, continue, après le travail, de vivre dans le silence où il a travaillé. L'ouvrier est muet, le paysan garde le silence.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 148-149.
«Jamais la machine ne peut être un secours pour l'homme, car elle enlève l'homme à ce temps qui est un moment de l'éternité; la machine et sa marche continue font du temps une durée mécanisée où il n'y a plus d'instant subsistant par soi et pouvant s'opposer à l'éternité. Cette durée mécanique est sans rapport aucun avec le temps; elle ne remplit pas le temps, mais l'espace. Le temps paraît figé, solidifié et transformé en espace.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 149.
«Dans ce monde de la machine qui est rumeur figée en fer, la parole du poète ne peut jamais prendre corps, car la parole du poète vient du silence, non de la rumeur. Toute poésie actuelle de la machine est comme estampée par la machine même: elle est rumeur d'acier.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 149.
«Dans ce monde de la rumeur, ce n'est pas la réalité, mais la possibilité qui compte pour l'homme. Les possibilités ne sont point établies solidement comme quelque chose de précis; elles vont d'une imprécision à l'autre; elles n'ont ni commencement ni fin; elles n'ont pas une signification unique; elles sont comme un vague bourdonnement. De même que parole et réalité font un, de même font un rumeur et possibilité.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 150.
«La loi de causalité est nécessaire; elle fait partie de l'être de l'homme et, dans les choses aussi, il y a une disposition à se laisser relier par la causalité. Mais cette liaison ne doit pas devenir autonome; elle ne doit pas exister pour soi, mais pour les choses et pour les hommes. Quand on établit une liaison de cause à effet, on doit sentir que les choses appartiennent maintenant les unes aux autres plus qu'avant cette liaison et que, maintenant, leur essence est plus manifeste qu'avant.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 150-151.
«Il y a aujourd'hui une machinerie d'explication qui travaille comme de soi-même et entraîne tous les phénomènes dans son fonctionnement. Les phénomènes ne sont plus que matériel pour cette machinerie. Il semble que tout soit déjà expliqué d'avance, avant même que le phénomène lui-même ait apparu; on ne cherche pas une explication pour les phénomènes, mais on cherche des objets et des phénomènes pour les explications que l'on a prêtes d'avance.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 151.
«Dans cette rumeur générale où ne compte plus le contenu de la parole, mais seulement son mouvement acoustique, où tout est recouvert par elle, tout est nivelé; la parole du poète et le bavardage de n'importe qui, tout est englouti dans ce seul brouhaha. [...]. § La vérité n'a plus besoin d'être transformée en mensonge si quelqu'un veut mentir; vérité et mensonge ne sont point distincts dans la fumeur. § La vie est ici émersion hors de la rumeur, la mort disparition en elle.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 153.
«La rumeur n'est pas le mal même, mais elle prépare le mal; l'esprit fait facilement naufrage dans la rumeur. § Le mal, qui prend naissance dans la rumeur, [...] est en l'homme sans qu'il se soit décidé pour lui; il est en lui sans qu'il le remarque. § Ce mal est à la rumeur ce que la plante de marais est au marais; de prime abord, ils font un; où paraît l'un, est aussi l'autre. Plante de marais et marais, mensonge et rumeur, l'un est expression de l'autre.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 154.
«Les phénomènes de l'amour, de la mort ou de l'enfant dégagent un éclat dans cette mécanique de la rumeur. [...]. Quand a sombré la parole, c'est cet éclat qui est devenu le langage des choses originelles.» — Max PICARD. «Parole et rumeur». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 154.
CHAPITRE XXVII
La radio
«La radio est un ensemble de machines pour la production de la pure rumeur; il n'importe presque plus du tout qu'il y ait ou non quelque chose en elle, il importe seulement que naisse du bruit. Les paroles sont broyées dans la radio; elles sont transformées comme en une masse informe.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 155.
«La radio a occupé tout l'espace du silence; il n'y a plus du tout de silence; même quand la radio est arrêtée, sa rumeur est encore là, semble-t-il, et continue de marcher sans qu'on l'entende. Cette rumeur est si informe qu'elle paraît n'avoir ni commencement, ni fin; elle est sans limite. Et ainsi est également l'homme de cette rumeur; il est informe, indécis, intérieur et extérieur, sans frontières, sans mesure.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 155.
«La radio n'est pas quelque chose qui ait été fait par l'homme, c'est elle qui fait l'homme; ce n'est pas quelque chose qui vienne de l'homme, c'est quelque chose qui marche sur lui, l'enveloppe et le recouvre. L'homme n'est plus qu'un appendice de la radio et de sa rumeur; la radio lui donne un exemple vivant de la rumeur et l'homme imite le mouvement de cette rumeur; c'est là sa vie.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 157.
«L'essence d'un phénomène ne se manifeste jamais dans la causalité matérielle, car celle-ci peut seulement indiquer d'où vient une chose et non ce qu'elle est. La spécificité d'un phénomène ne peut être connue que dans son aspect phénoménologico-physiognomonique.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. Note, p. 157.
«Il semble que l'homme ne puisse plus entrer en rapport avec le monde que par la radio. De la radio donc, l'homme reçoit tout. Veut-on imposer à l'homme une chose, une opinion, il suffit de les mêler à la rumeur de la radio, l'homme alors les absorbe; par la radio et sa rumeur, on peut tout glisser en l'homme.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 157-158.
«La radio détruit la manière exacte de connaître.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 158.
«La vérité qu'apporte la lecture ou la rencontre immédiate d'un homme cherche à atteindre à nouveau immédiatement l'homme; l'homme est invité à répéter, en écoutant ou en lisant, l'acte de l'esprit que vient d'accomplir celui qui parle ou écrit. C'est ainsi qu'en écoutant ou enlisant, se conserve le rapport direct à l'objet. Ce rapport naturel n'existe plus dans la radio.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 159.
«Peut-être la guerre devient-elle aujourd'hui plus violente et plus effroyable parce qu'elle veut être vue telle qu'elle est réellement, comme la guerre précise et effroyable et non pas comme une partie de la rumeur de la radio.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 160.
«Quand la machine à rumeur ateint un maximum comme aujourd'hui, alors le silence apparaît comme un maximum de mort.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 160.
«Le monde entier est devenu rumeur de radio. Seul vaut ce qui y apparaît; tout le reste qui n'est pas utilisable pour la radio, est rejeté, réprouvé.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 161.
«La rumeur de la radio paraît être indépendante du temps et de l'espace, aller de soi comme l'air. § Cette rumeur pénètre partout; elle est présente partout et, toujours, elle a l'apparence de la continuité et donne à l'homme cette apparence. L'homme discontinu n'arrive pas à reconnaître qu'il est discontinu; il y a quelque chose qui est continûment présent et sa propre discontinuité intérieur disparaît derrière l'incessante durée de la radio qui n'est rien d'autre que la continuité de la discontinuité. La différence entre continuité et discontinuité est suspendue de même que, d'une façon générale, toutes les différences disparaissent dans la radio et sa rumeur.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 161-162.
«Beaucoup pensent que la radio peut éduquer l'homme en vue du vrai, du beau et du bien; mais l'homme y rencontre non la parole qui lui apporte le vrai, le beau et le bien, mais seulement une rumeur de parole d'où le vrai, le beau et le bien n'émergent que pour y redisparaître; la teneur n'en sert qu'à remplir cette rumeur de paroles; mais cette rumeur enlève d'avance au vrai, au beau et au bien leur essence extraordinaire; le vrai, le beau et le bien sont nivelés dans cette universelle rumeur où il n'y a pas de véritable différence.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 163.
«Or, le mépris le plus profond de la parole, c'est de la laisser parler et de ne pas la prendre pour parole. § La radio enseigne à l'homme à ne plus écouter la parole, c'est-à-dire à ne plus écouter l'homme, ce qui signifie soustraire l'homme au toi, à l'inclination vers le toi, donc à l'amour.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 164.
«Les appareils de radio sont comme des mitraillettes dirigeant un feu continu contre le silence. § Mais derrière tout ce bruit se cache l'ennemi, le silence. Et il attend.» — Max PICARD. «La radio». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 165.
CHAPITRE XXVIII
Les restes du silence
«La grande ville est une forteresse contre le silence, mais des orages l'enveloppent de leur souffle destructeur. Cette violence est comme une aspiration à l'anéantissement; la ville cherche la mort; la ville, qui n'a plus le silence vivant, cherche le silence de la destruction.» — Max PICARD. «Les restes du silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 166.
«Le silence n'est plus quelque chose allant de soi; quand il habite encore dans un être humain, on se dirait dans un musée ou en face d'un fantôme.» — Max PICARD. «Les restes du silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 167.
«Sans doute le silence est-il, en tant que monde, anéanti; le bruit a tout occupé, la terre sensible semble lui appartenir; il n'y a pas d'unité de la terre par l'esprit, la religion, l'humanité ou la politique, mais il y a unité de la terre dans le bruit; en lui, toutes les choses et tous les hommes sont reliés les uns aux autres.» — Max PICARD. «Les restes du silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 169.
CHAPITRE XXIX
Maladie, mort et silence
«L'homme aujourd'hui est sans sommeil parce qu'il est sans silence; dans le sommeil, l'homme retourne, avec le silence qui est en lui, dans le grand silence universel. Mais il manque aujourd'hui à l'homme le silence qui le conduirait au grand silence universel du sommeil. Le sommeil n'est plus aujourd'hui que lassitude provoquée par le bruit, réaction au bruit; il n'est plus un monde pour soi.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 170.
«Le silence fut toujours au chevet des malades. Cependant le silence qui est aujourd'hui au chevet des malades n'est pas le même qu'autrefois. Ce silence est aujourd'hui sinistre, car lui qui doit être une partie de la vie en pleine santé et agir en elle, en est maintenant expulsé et ne se trouve plus qu'auprès des malades.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 171.
«Le bruit a passé aujourd'hui également dans cette bonne de la vie qui appartenait autrefois au silence, mais le silence s'est réfugié dans la partie mauvaise de la vie, dans les maladies et, par les voies souterraines de la maladie, le silence s'approche de l'homme, non plus avec douceur, mais avec méchanceté. Le silence, autrefois salut, est devenu aujourd'hui menace et malheur.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 171.
«Si le silence fait défaut en l'homme, il y a en lui une objectivité qui occupe tout, qui détient déjà en soi tout le passé et tout l'avenir et qui les proclame ses biens; la mort n'est plus alors qu'un trou dans ces biens, elle est donc complètement inexistence.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 173.
«L'homme n'est en relation avec ce monde des morts que si, vivant, il est relation avec le monde du silence. Ce n'est que dans le silence qui est dans sa vie qu'il entend à nouveau les paroles des morts. Alors les morts aussi amènent du silence au monde des hommes, au monde de la parole; ils lui apportent de la force qui est dans le silence et ils rendent les hommes et les choses accessibles à la force qui vient du silence.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 173.
«Le silence, expulsé de la vie et de la mort, arrive par la rigidité que la terreur fait tomber sur l'homme.» — Max PICARD. «Maladie, mort et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 174.
CHAPITRE XXX
Le monde sans silence
«Rien n'a modifié l'essence de l'homme autant que la perte du silence. L'invention de l'imprimerie, la technique, l'instruction obligatoire pour tous, rien n'a transformé l'homme autant que le fait de n'être plus en rapport avec le silence, que le fait que le silence n'est plus là comme quelque chose allant de soi, allant de soi comme la voûte céleste ou l'air. § L'homme qui a perdu le silence n'a pas perdu avec le silence un attribut seulement, il en a été modifié dans toute sa structure.» — Max PICARD. «Le monde sans silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 175.
«Aujourd'hui, l'homme ne s'approche plus de manière active des idées ou des choses; elles sont aspirées vers lui; elles se précipitent sur lui, l'entourent de leur tourbillon; ce n'est plus l'homme qui pense, il y a seulement quelqu'un d'indéfini qui est pensé; ce n'est plus cogito ergo sum qui est valable, mais cogitor ergo non sum.» — Max PICARD. «Le monde sans silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 176.
«Dans ce monde aujourd'hui qui évalue tout d'après la rentabilité immédiate, il n'y a plus de place pour le silence. Le silence a été expulsé parce qu'il n'avait pas de rendement, parce qu'il était seulement existence présente; il ne paraissait n'avoir aucun but, rien ne sortait de lui, il était improductif. § Aujourd'hui, il n'y a plus guère de silence que sous forme d'incapacité de parler, de réduction, de négation; c'est seulement ainsi qu'il apparaît encore. Il n'est plus qu'un défaut de construction dans le déroulement continuel du bruit.» — Max PICARD. «Le monde sans silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 177.
CHAPITRE XXXI
Espoir
«Les maisons des grandes villes semblent des blockhaus contre le silence. Il semble que, de leurs fenêtres, on tire, comme de meurtrières, sur le silence.» — Max PICARD. «Espoir». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 178.
«Peut-être le silence n'est-il pas encore anéanti, peut-être est-il encore cependant en l'homme mais endormi. Car il arrive parfois qu'une qualité chez un homme ou dans un peuple soit comme morte pendant un long temps, recouverte par une autre. [...] § Peut-être en est-il de même ainsi pour le silence, peut-être n'est il pas mort; il sommeille peut-être seulement, il se repose seulement. Alors le bruit ne serait que le mur derrière lequel le silence sommeille; le bruit ne serait pas alors le vainqueur du silence, il ne serait pas son maître, mais son serviteur qui veille avec bruit tandis que le maître, le silence, sommeille.» — Max PICARD. «Espoir». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 179.
«Parfois il semble que le silence et le bruit en viennent à se battre et que le silence se prépare en cachette à une attaque. § Le bruit est puissant, mais le silence paraît parfois encore plus puissant, si puissant qu'il ne semble point considérer si le bruit est là.» — Max PICARD. «Espoir». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 180.
CHAPITRE XXXI
Silence et foi
«Il y a un rapport entre le silence et la foi. La sphère de la foi et la sphère du silence font un. Le silence est la base naturelle sur qui s'accomplit la surnature de la foi.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 181.
«C'est dans le silence que se rencontrent d'abord l'homme et le mystère; mais la parole qui vient de ce silence est originelle comme la première parole qui n'avait encore rien dit: c'est pourquoi elle est en état de parler du mystère.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 181.
«Aujourd'hui, où, en l'homme et tout autour de l'homme, il n'y a que bruit, il est difficile d'accéder au mystère; quand fait défaut cette couche de silence, l'extraordinaire entre facilement en rapport avec l'ordinaire, avec le déroulement ordinaire des choses, l'homme réduite alors l'extraordinaire à être une partie de l'ordinaire, de son commerce.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 181.
«... mais, dans le silence, ne s'accomplit pas seulement la première rencontre de l'homme et du mystère, le silence donner encore à la parole la force de devenir extraordinaire comme l'extraordinaire du mystère; elle s'élève alors au-dessus de l'ordre des paroles accoutumées comme s'élève le mystère au-dessus du déroulement accoutumé des choses; la parole semble n'avoir été créée pour rien d'autre que pour représenter l'extraordinaire; ainsi elle s'identifie à l'extraordinaire au mystère et elle possède la puissance comme le mystère.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 181-182.
«C'est la foi qui est l'extraordinaire et non la condition extérieure de la foi, non l'effort pour l'avour; quand fait défaut la base naturelle du silence, déjà cette condition extérieure devient quelque chose d'extraordinaire.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 182.
«Le silence de Dieu est autre que le silence de l'homme. Il ne s'oppose pas à la parole; parole et silence sont un en Dieu. De même que la parole constitue l'essence de l'homme, de même le silence est l'essence de Dieu, mais en lui, tout est net, tout est silence et parole à la fois.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 182-183.
«L'amour métamorphose le silence de Dieu en la parole; la parole de Dieu est silence qui se donne, qui se donne à l'homme.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 183.
«Dans la prière, la parole retourne de soi-même dans le silence; elle y est de prime abord en plein dans la sphère du silence; elle est recueillie par Dieu, enlevée à l'homme; elle est absorbée dans le silence, elle disparaît en lui. La prière peut ne pas cesser; la parole de la prière disparaît toujours dans le silence; prier, c'est verser la parole dans le silence.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 183-184.
«... dans la prière, la parole de la prière est la servante du silence en l'homme; la parole conduit le silence humain vers le silence divin.» — Max PICARD. «Silence et foi». Le Monde du silence. Presses universitaires de
France. Paris, 1954. p. 184.
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