[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ
NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site
n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles
sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière
importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que
par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en
découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à
l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en
retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de
Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer,
en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut
bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à
l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.
GÉNIE DU CHRISTIANISME
TOME I
«C'est une prodigieuse raison, sans doute, que celle qui nous a montré dans la foi la source des vertus. Il n'y a de puissance que dans la conviction. Un raisonnement n'est fort, un poème n'est divin, une peinture n'est belle, parce que l'esprit ou l'œil qui en juge, est convaincu d'une certaine vérité cachée dans ce raisonnement, ce poème, ce tableau. [...]. Et voilà pourquoi ces cœurs qui ne croient rien, qui traitent d'illusions les attachements de l'âme, et de folie les belles actions, qui regardent en pitié l'imagination et la tendresse du génie; voilà pourquoi ces cœurs n'achèveront jamais rien de grand, de généreux: ils n'ont de foi que dans la matière et dans la mort, et ils sont déjà insensibles comme l'une, et glacés comme l'autre.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Première Partie, Livre Second, Chapitre II) . Flammarion. Paris, 1966. p. 103.
«Dans les animaux, même loi: leurs idées, si on peut les appeler ainsi, sont toujours d'accord avec leurs sentiments, leur raison avec leurs passions. C'est pourquoi il n'y a chez eux ni accroissement, ni diminution d'intelligence. Il serait aisé de suivre cette règle des accords, dans les plantes et les animaux. § Par quelle incompréhensible destinée l'homme seul est-il excepté de cette loi, si nécessaire à l'ordre, à la conservation, à la paix, au bonheur des êtres ? Autant l'harmonie des qualités et des mouvements est visible dans le reste de la nature, autant leur désunion est frappante dans l'homme. Un choc perpétuel existe entre son entendement et son désir, entre sa raison et son cœur. Quant il atteint au plus haut degré de civilisation, il est au dernier échelon de la morale: s'il est libre, il est grossier; s'il polit ses mœurs, il se forge des chaînes. Brille-t-il par les sciences, son imagination s'éteint; devient-il poète, il perd la pensée: son cœur profite au dépens de sa tête, et sa tête au dépens de son cœur. Il s'appauvrit en idées, à mesure qu'il s'enrichit en sentiments; il se resserre en sentiments, à mesure qu'il s'étend en idées. La force le rend sec et dur; la faiblesse lui amène les grâces. Toujours une vertu lui conduit un vice, et toujours en se retirant, un vice lui dérobe une vertu. Les nations, considérées dans leur ensemble, présentent les mêmes vicissitudes; elles perdent et retrouvent tour à tour la lumière. On dirait que le génie de l'homme, un flambeau à la main, vole incessamment autour de ce globe, au milieu de la nuit qui nous couvre; il se montre aux quatre parties de la terre, comme cet astre nocturne. qui, croissant et décroissant sans cesse, diminue à chaque pas pour un peuple la clarté qu'il augmente pour un autre.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Première Partie, Livre Troisième, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 124-125.
«Je ne suis rien; je ne suis qu'un simple solitaire; j'ai souvent entendu les savants disputer sur le premier Être, et je ne les ai point compris: mais j'ai toujours remarqué que c'est à la vue des grandes scènes de la nature, que cet Être inconnu se manifeste au cœur de l'homme.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Première Partie, Livre Cinquième, Chapitre XII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 182.
«La religion ne parle que de la grandeur et la beauté de l'homme. § L'athéisme a toujours la lèpre et la peste à vous offrir. § La religion tire ses raisons de la sensibilité de l'âme, des plus doux attachements de la vie, de la piété filiale, de l'amour conjugal, de la tendresse maternelle. § L'athéisme réduit tout à l'instinct de la bête; et, pour premier argument de son système, un cœur que rien ne peut toucher. § Enfin, dans le culte du chrétien, on nous assure que nos maux auront un terme; on nous console, on essuie nos pleurs, on nous promet une autre vie. § Dans le culte de l'athée, les Douleurs humaines font fumer l'encens, la Mort est le sacrificateur, l'autel un cercueil, et le Néant la divinité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Première Partie, Livre Sixième, Chapitre V) . Flammarion. Paris, 1966. p. 214.
«Écoutez ce qu'il y a de plus simple et de plus sublime en quelques mots: — Le bonheur du juste consistera, dans l'autre vie, à posséder Dieu avec plénitude; — le malheur de l'impie sera de connaître les perfections de Dieu, et d'en être à jamais privé.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Première Partie, Livre Sixième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 216.
«... l'écrivain original n'est pas celui qui n'imite personne, mais celui que personne ne peut imiter.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Seconde Partie, Livre Premier, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 233.
«Tout homme dont la conduite est noble, les sentiments élevés et généreux, qui ne descend jamais à des bassesses, qui garde au fond du cœur une légitime indépendance, me semble respectable, quelles soient ses opinions. Mais les sophistes de tous les pays et de tous les temps sont dignes de mépris, parce qu'en abusant des meilleures choses ils font prendre en horreur ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 8.
«Hélas ! mon ami, telle est la vie: elle est pleine de courtes joies et de longues douleurs, de liaisons commencées et rompues. Par une étrange fatalité, ces liaisons ne sont jamais faites à l'heure où elles pourraient devenir durables: on rencontre l'ami avec qui l'on voudrait passer ses jours au moment où le sort va le fixer loin de nous; on découvre le cœur que l'on cherchait, la veille du jour où ce cœur va cesser de battre, Mille choses, mille accidents séparent les hommes qui s'aiment pendant la vie; puis vient cette séparation de la mort, qui renverse tous nos projets.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I.Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 125.
«... comme il fallait bien qu'un seul fût sacrifié pour tous, selon l'usage des cours.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 133.
«Un fantôme s'élance sur le seuil des portes inexorable: c'est la Mort. Elle se montre comme une tache obscure sur les flammes des cahots qui brûlent derrière elle; son squelette laisse passer les rayons livides de la lumière infernale entre les creux de ses ossements. Sa tête est ornée d'une couronne changeante, dont elle dérobe les joyaux aux peuples et aux rois de la terre. Quelquefois elle se pare des lambeaux de la pourpre ou de la bure, dont elle a dépouillé le riche et l'indigent. Tantôt elle vole, tantôt elle traîne; elle prend toutes les formes, même celles de la beauté. On la croirait sourde, et pourtant elle entend le plus petit bruit qui décèle la vie; elle paraît aveugle, et pourtant elle découvre le moindre insecte rampant sous l'herbe. D'une main elle tient une faux comme un moissonneur; de l'autre elle cache la seule blessure qu'elle ait jamais reçue, et que le Christ vainqueur lui porta dans le sein au sommet du Golgotha.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 189-190.
«Filles du ciel, les passions nous furent données avec la vie: tant qu'elles restent pures dans notre sein, elles sont sous la garde des anges; mais aussitôt qu'elles se corrompent, elles passent sous l'empire des démons. C'est ainsi qu'il y a un amour légitime et un amour coupable, une colère pernicieuse et une sainte colère, un orgueil criminel et une noble fierté, un courage brutal et une valeur éclairée. O grandeur de l'homme ! Nos vices et nos vertus font l'occupation et une partie de la puissance de l'enfer et du ciel.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 194.
«Un cœur couronné d'innocence vaut mieux pour le marinier qu'une poupe ornée de fleurs: et les sentiments que répand une âme pure sont plus agréables au souverain des mers que le vin qui coule d'une coupe d'or.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 246.
«Or, remarquez que les peuples de l'Orient, comme en punition de quelque grande rébellion tentée par leurs pères, ont presque toujours été soumis à des tyrans: ainsi (merveilleux contre-poids !) la morale est née auprès de l'esclavage, et la religion nous est venue de la contrée du malheur.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs I. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 262.
«Lorsque Dieu veut mettre dans le cœur de l'homme ces chastes ardeurs d'où sortent des miracles de vertu, c'est au plus beau des esprits du ciel que ce soin important est confié.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs II. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 8.
«[Réflexion sur le IVième siècle de notre ère] Le peuple romain, que ses propres privilèges avaient fait surnommer le peuple-roi, avait depuis longtemps perdu son indépendance: il n'était resté le maître absolu que dans la direction de ses plaisirs; et, comme on se servait de ces mêmes plaisirs pour l'enchaîner et le corrompre, il ne possédait en effet que la souveraineté de son esclavage.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Les Martyrs II. Roux-DeVresse. Paris, 1857. p. 276-277.
«Or, l'esprit des siècles héroïques se forme du mélange d'un état civil encore grossier, et d'un état religieux porté à son plus haut point d'influence. La barbarie et le polythéisme ont produit les héros d'Homère; la barbarie et le christianisme ont enfanté les chevaliers du Tasse.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Seconde Partie, Livre Second, Chapitre XI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 274.
«Les vertus purement morales sont froides par essence: ce n'est pas quelque chose d'ajouté à l'âme, c'est quelque chose retranché de la nature; c'est l'absence du vice, plutôt que la présence de la vertu. § Les vertus religieuses ont des ailes, elles sont passionnées. Non contentes de s'abstenir du mal, elles veulent faire le bien: elles ont l'activité de l'amour, et se tiennent dans une région supérieure, et un peu exagérée. Telles étaient les vertus des chevaliers.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Seconde Partie, Livre Second, Chapitre XII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 277.
«Voilà deux sortes d'antiquités bien différentes: l'une est en images, l'autre en sentiments; l'une réveille des idées riantes, l'autre des pensées tristes: l'une représentant le chef d'un peuple, ne montre le vieillard que relativement à une position de la vie; l'autre le considère individuellement et tout entier: en général, Homère fait plus réfléchir sur les hommes, et la Bible sur l'homme.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Seconde Partie, Livre Cinqième, Chapitre IV) . Flammarion. Paris, 1966. p. 379.
«On verra qu'en défendant la religion, nous n'attaquons point la sagesse; nous sommes loin de confondre la morgue sophistique avec les saines connaissances de l'esprit et du cœur. La vraie philosophie est l'innocence de la vieillesse des peuples, lorsqu'ils ont cessé d'avoir des vertus par instinct, et qu'ils n'en ont plus que par raison: cette seconde innocence est moins sûre que la première; mais, lorsqu'on peut y atteindre, elle est plus sublime.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 405.
«Les systèmes succéderont éternellement aux systèmes, et la vérité restera toujours inconnue.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 406.
«Ce qui perdra toujours la foule, c'est l'orgueil: c'est qu'on ne pourra jamais lui persuader qu'elle ne sait rien au moment où elle croit tout savoir. Les grands homme peuvent seuls comprendre ce dernier point des connaissances humaines, où l'on voit s'évanouir les trésors qu'on avait amassés, et où l'on se retrouve dans sa pauvreté originelle. C'est pourquoi la plupart des sages ont pensé que les études philosophiques avaient un extrême danger pour la multitude.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 408.
«Il est vrai que les esprits géométriques sont souvent faux dans le train ordinaire de la vie; mais cela vient même de leur extrême justesse. Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu'en morale et en politique les vérités sont relatives. Il est rigoureusement vrai que deux et deux font quatre; mais il n'est pas de la même évidence qu'une bonne loi à Athènes soit une bonne loi à Paris. Il est de fait que la liberté est une chose excellente: d'après cela, faut-il verser des torrents de sang pour l'établir chez un peuple, en tel degré que ce peuple ne la comporte pas ?» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 410.
«Dans l'œuvre du Créateur, au contraire, tout est muet, parce qu'il n'y a point d'effort; tout est silencieux, parce que tout est soumis: il a parlé, le chaos s'est tu, les globes se sont glissés sans bruit dans l'espace. Les puissances unies de la matière sont à une seule parole de Dieu comme rien est à tout, comme les choses créées sont à la nécessité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 416.
«Soit préjugé d'éducation, soit habitude d'errer dans les déserts, et de n'apporter que notre cœur à l'étude de la nature, nous avouons qu'il nous fait quelque peine de voir l'esprit d'analyse et de classification dominer dans les sciences aimables, où l'on ne devrait rechercher que la beauté et la bonté de la Divinité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 416-417.
«Une chose n'est bonne, une chose n'est positive qu'autant qu'elle renferme une intention morale; or, tout métaphysique, qui n'est pas théologie, comme celle des anciens et des chrétiens, toute métaphysique qui creuse un abîme entre l'homme et Dieu, qui prétend que le dernier n'étant que ténèbres, on ne doit pas s'en occuper: cette métaphysique st futile et dangereuse, parce qu'elle manque de but. § L'autre, au contraire, en m'associant à la Divinité, en me donnant une noble idée de ma grandeur, et de la perfection de mon être, me dispose à bien penser et à bien agir. Les fins morales viennent par cet anneau se rattacher à cette métaphysique, qui n'est alors qu'un chemin plus sublime pour arriver à la vertu.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 421.
«Remarquons que les publicistes modernes ont vanté le gouvernement républicain, tandis que les écrivains politiques de la Grèce ont généralement donné la préférence à la monarchie. Pourquoi cela ? parce que les uns et les autres haïssaient ce qu'ils avaient, et aimaient ce qu'ils n'avaient pas: c'est l'histoire de tous les hommes. § Au reste, les sages de la Grèce envisageaient la société sous les rapports moraux; nos derniers philosophes l'ont considéré sous les rapports politiques. Les premiers voulaient que le gouvernement découlât des mœurs; les seconds que les mœurs dérivassent du gouvernement. La philosophie des uns s'appuyait sur la religion; la philosophie des autres sur l'athéisme. Platon et Socrate criaient aux peuples: «Soyez vertueux, vous serez libres»; mais nous leur avons dit: «Soyez libres, vous serez vertueux.» La Grèce avec ce tels sentiments fut heureuse. Qu'obtiendrons-nous avec les principes opposés ?» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre IV) . Flammarion. Paris, 1966. p. 422-423.
«Un homme impartial, qui lira attentivement les écrivains du siècle de Louis XIV, s'apercevra bientôt que rien n'a échappé à leur vue; mais que, contemplant les objets de plus haut que nous, ils ont dédaigné les routes où nous sommes entrés, et au bout desquelles leur œil perçant avait découvert un abîme.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 427.
«La pensée est la même dans tous les siècles, mais elle est accompagnée plus particulièrement ou des arts ou des sciences: elle n'a toute sa grandeur poétique et toute sa beauté morale qu'avec les premiers.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Second, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 429.
«Ainsi la religion semble conduire à l'explication des faits les plus incompréhensibles de l'histoire. De plus, il y a dans le nom de Dieu quelque chose de superbe, qui sert à donner au style une certaine emphase merveilleuse, en sorte que l'écrivain le plus religieux est presque toujours le plus éloquent. Sans religion, on peut avoir de l'esprit; mais il est difficile d'avoir du génie.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Troisième, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 434-435.
«Donnons-nous garde de nous en plaindre; l'homme moral parmi nous est bien supérieur à l'homme moral des anciens. Notre raison n'est pas pervertie par un culte abominable; nous n'adorons pas des monstres; l'impudicité ne marche pas le front levé chez les chrétiens; nous n'avons ni gladiateurs, ni esclaves. Il n'y a pas encore bien longtemps que le sang nous faisait horreur. ah ! n'envions pas aux Romains leur Tacite, s'il faut l'acheter par leur Tibère !» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Troisième, Chapitre II) . Flammarion. Paris, 1966. p. 437.
«Il y a des vérités qui sont la source des plus grands désordres, parce qu'elles remuent les passions; et cependant, à moins qu'une juste autorité nous ferme la bouche, ce sont celles-là même que nous nous plaisons à révéler, parce qu'elles satisfont à la fois et la malignité de nos cœurs corrompus par la chute, et notre penchant primitif à la vérité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome I, Troisième Partie, Livre Troisième, Chapitre IV) . Flammarion. Paris, 1966. p. 442.
TOME II
«Le mauvais goût, quand il est incorrigible, est une fausseté de jugement, un biais naturel dans les idées; or, comme l'esprit agit sur le cœur, il est difficile que les voies du second soient droites, quand celles du premier ne le sont pas. Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d'œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n'est pas loin d'aimer le vice; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Troisième Partie, Livre Quatrième, Chapitre V) . Flammarion. Paris, 1966. p. 024-025.
«Il y a dans les choses humaines deux espèces de natures placées, l'une au commencement, l'autre à la fin de la société. S'il en était ainsi, l'homme, en s'éloignant toujours de son origine, serait devenu une sorte de monstre; mais, par une loi de la Providence, plus il se civilise, plus il se rapproche de son premier état: il advient que la science au plus haut degré est l'ignorance, et que les arts parfaits sont la nature. § Cette dernière nature, ou cette nature de la société, est la plus belle: le génie en est l'instinct, et la vertu l'innocence, car le génie et la vertu de l'homme civilisé ne sont que l'instinct et l'innocence perfectionnés du Sauvage.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Troisième Partie, Livre Cinquième, Chapitre II) . Flammarion. Paris, 1966. p. 033-034.
«Le peuple est bien plus sage que les philosophes. Chaque fontaine, chaque croix dans un chemin, chaque soupir du vent de la nuit porte avec lui un prodige. Pour l'homme de foi, la nature est une constante merveille.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Troisième Partie, Livre Cinquième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 046-047.
«Il faut du merveilleux, un avenir, des espérances à l'homme, parce qu'il se sent fait pour l'immortalité. Les conjurations, la nécromancie, ne sont chez le peuple que l'instinct de la religion, et une des preuves les plus frappantes de la nécessité d'un culte. On est bien près de tout croire quand on ne croit rien; on a des devins quand on n'a plus de prophètes, des sortilèges quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l'on ouvre les antres des sorciers quand on ferme les temples du Seigneur.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Troisième Partie, Livre Cinquième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 050.
«En effet, le christianisme est à la fois une sorte de secte philosophique, et une antique législation. De là lui viennent les abstinences, les jeûnes, les veilles, dont on retrouve les traces dans les anciennes républiques, et que pratiquaient les écoles savantes de l'Inde, de l'Égypte et de la Grèce: plus on examine le fond de la question, plus on est convaincu que la plupart des insultes prodiguées au culte chrétien retombent sur l'antiquité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Premier, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 062.
«Il ne suffit pas de dire aux hommes, Réjouissez-vous, pour qu'ils se réjouissent; on ne crée pas des jours de plaisir comme des jours de deuil, et l'on ne commande pas les ris aussi facilement qu'on peut faire couler les larmes.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Premier, Chapitre IX) . Flammarion. Paris, 1966. p. 076.
«Le paysan sans religion est une bête féroce; il n'a aucun frein d'éducation ni de respect humain: une vie pénible a aigri son caractère; la propriété lui a enlevé l'innocence du Sauvage; il est timide, grossier, défiant, avare, ingrat surtout. Mais par un miracle frappant, cet homme naturellement pervers, devient excellent dans les mains de la religion. Autant il était lâche, autant il est brave; son penchant à trahir se change en une fidélité à toute épreuve, son ingratitude en un dévouement sans bornes, sa défiance en une confiance absolue.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre II) . Flammarion. Paris, 1966. p. 116-117.
«C'est une philosophie bien barbare et une politique bien cruelle, que celles-là qui veulent obliger l'infortuné à vivre au milieu du monde. Des hommes ont été assez peu délicats pour mettre en commun leurs voluptés; mais l'adversité a un plus noble égoïsme; elle se cache toujours pour jouir de ses plaisirs, qui sont ses larmes. S'il est des lieux pour la santé du corps, ah! permettez à la religion d'en avoir aussi pour la santé de l'âme; elle qui est bien plus sujette aux maladies, et dont les infirmités sont bien plus douloureuses, bien plus longues, et bien plus difficiles à guérir.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 120-121.
«L'homme est surtout malheureux par son inconstance et par l'usage de ce libre arbitre, qui fait à la fois sa gloire et ses maux, et qui fera sa condamnation. Il flotte de sentiment en sentiment, de pensée en pensée; ses amours ont le mobilité de ses opinions, et ses opinions lui échappent comme ses amours. Cette inquiétude le plonge dans une misère dont il ne peut sortir, que quand une force supérieure l'attache à un seul objet. On le voit alors porter avec joie sa chaîne; car l'homme infidèle hait pourtant l'infidélité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre IV). Flammarion. Paris, 1966. p. 123.
«Il n'y a rien que de grand dans cette alliance d'une âme immortelle avec le principe éternel; ce sont deux natures qui se conviennent et qui s'unissent. Il est sublime de voir l'homme né libre, chercher en vain son bonheur dans sa volonté, puis fatigué de ne rien trouver ici-bas qui soit digne de lui, se jurer d'aimer à jamais l'Être-Suprême, et se créer, comme Dieu, dans son propre serment, une Nécessité.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre IV) . Flammarion. Paris, 1966. p. 125.
«On parle de la philanthropie ! c'est la religion chrétienne qui est seule philanthrope par excellence. Immense et sublime idée qui fait du chrétien de la Chine un ami du chrétien de la France, du sauvage néophyte un frère du moine Égyptien ! Nous ne sommes plus étrangers sur la terre, nous ne pouvons plus nous y égarer. Jésus-Christ nous a rendu l'héritage que le péché d'Adam nous avait ravi. Chrétien ! il n'est plus d'océan ou de déserts inconnus pour toi; tu trouveras partout la langue de tes aïeux et la cabane de ton père !» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre V) . Flammarion. Paris, 1966. p. 127.
«C'est par la mort que la morale est entrée dans la vie; si l'homme, tel qu'il est aujourd'hui après la chute, fût demeuré immortel, peut-être n'eût-il jamais connu la vertu.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Troisième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 128-129.
«En effet, un missionnaire doit être un excellent voyageur. Obligé de parler la langue des peuples auxquels il prêche l'Évangile, de se conformer à leurs usages, de vivre longtemps avec toutes les classes de la société, de chercher à pénétrer dans les palais et dans les chaumières, n'eût-il reçu de la nature aucun génie, il parviendrait encore à recueillir une multitude de faits précieux.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre Premier) . Flammarion. Paris, 1966. p. 137.
«Les Jésuites [qui évangélisèrent la Chine] mirent une grande discrétion dans leur conduite, et montrèrent une connaissance profonde du cœur humain. Ils respectèrent les usages des Chinois, et s'y conformèrent en tout ce qui ne blessait pas les lois évangéliques. Ils furent traversés de tous côtés.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 144.
«Déroulant des cartes, tournant des globes, traçant des sphères, il [le Jésuite missionnaire en Chine] apprenait aux mandarins étonnés, et le véritable cours des astres, et le véritable nom de celui qui les dirige dans leurs orbites. Il ne dissipait pas les erreurs de la physique que pour attaquer celles de la morale; il replaçait dans le cœur, comme dans son véritable siège, la simplicité qu'il bannissait de l'esprit; inspirant à la fois, par ses mœurs et son savoir, une profonde vénération pour son Dieu, et une haute estime pour sa patrie.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrème, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 145-146.
«Au contraire des choses humaines, dont la nature est de périr dans les tourments, la véritable religion s'accroît dans l'adversité: Dieu l'a marquée du même sceau que la vertu.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 148.
«Elles [les missions Jésuites du Paraguay] ont confirmé sous nos yeux cette vérité connue de Rome et de la Grèce, que c'est avec la religion, et non avec des principes abstraits de philosophie, qu'on civilise les hommes et qu'on fonde les empires.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre V) . Flammarion. Paris, 1966. p. 152.
«La mode du siècle a été d'accuser les prêtres d'aimer l'esclavage et de favoriser l'oppression parmi les hommes; il est pourtant certain que personne n'a élevé la voix avec autant de courage et de force en faveur des esclaves, des petits et des pauvres, que les écrivains ecclésiastiques. Ils ont constamment soutenu que la liberté est un droit imprescriptible du chrétien. Le colon protestant, convaincu de cette vérité, pour arranger sa cupidité et sa conscience, ne baptisait ses Nègres qu'à l'article de la mort, souvent même, dans la crainte qu'ils ne revinssent de leur maladie, et qu'ils ne réclamassent ensuite, comme chrétiens, leur liberté, ils les laissaient mourir dans l'idolâtrie: la religion se montrait aussi belle que l'avarice paraît hideuse.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre VII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 163-164.
«Nous ne nous piquons pas du don de prophétie; mais on peut se tenir assuré, et l'expérience le prouvera, que jamais des savants, dépêchés aux pays lointains, avec les instruments et les plans d'une académie, ne feront ce qu'un pauvre moine, parti à pied de son couvent, exécutait seul avec son chapelet et son bréviaire.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Quatrième, Chapitre IX) . Flammarion. Paris, 1966. p. 174.
«Ce ne serait rien connaître que de connaître vaguement les bienfaits du christianisme: c'est le détail de ses bienfaits, c'est l'art avec lequel la religion a varié ses dons, répandu ses secours, distribué ses trésors, ses remèdes, ses lumières, c'est ce détail, c'est cet art qu'il faut pénétrer. Jusqu'aux délicatesses des sentiments, jusqu'aux amours propres, jusqu'aux faiblesses, la religion a tout ménagé, en soulageant tout. Pour nous, qui depuis quelques années nous occupons de ces recherches, tant de traits de charité, tant de fondations admirables, tant d'inconcevables sacrifices sont passés sous nos yeux, que nous croyons qu'il y a dans ce seul mérite du christianisme de quoi expier tous les crimes des hommes: culte céleste, qui nous force d'aimer cette triste humanité qui le calomnie.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre I) . Flammarion. Paris, 1966. p. 197.
«Les sophistes ont voulu rejeter sur la religion un crime que non seulement la religion n'a pas commis, mais dont elle a eu horreur: c'est ainsi que les tyrans ont souvent accusé leur victime.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre II) . Flammarion. Paris, 1966. p. 203.
«Nous ne doutons point des vertus qu'inspire la philosophie; mais elles seront encore bien plus frappantes pour le vulgaire, ces vertus, quand la philosophie nous aura montré pareils dévouements [que ceux des religieuses hospitalières].» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre III) . Flammarion. Paris, 1966. p. 204.
«Ceux qui représentent le christianisme comme arrêtant le progrès des lumières, contredisent manifestement les témoignages historiques. Partout la civilisation a marché sur les pas de l'Évangile, au contraire des religions de Mahomet, de Brama et de Confucius, qui ont borné les progrès de la société, et forcé l'homme à vieillir dans son enfance.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 214.
«Que de savants, dont nous avons déjà nommé un grand nombre dans le cours de cet ouvrage, ont illustré les cloîtres, ou ajouté de la considération aux chaires éminentes de l'église ! Que d'écrivains célèbres ! que d'homme de lettres distingués ! que d'illustres voyageurs ! que de mathématiciens, de naturalistes, de chimistes, d'astronomes, d'antiquaires ! que d'orateurs fameux ! que d'hommes d'État renommés ! Parler de Suger, de Ximénès, d'Alberoni, de Richelieu, de Mazarin, de Fleury, n'est-ce pas rappeler à la fois les plus grands ministres et les plus grandes choses de l'Europe moderne ?» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 216-217.
«Rome chrétienne a été pour le monde moderne ce que Rome païenne fut pour le monde antique, le lien universel; cette capitale des nations remplit toutes les conditions de la destinée, et semble véritablement la Ville éternelle. Il viendra peut-être un temps où l'on trouvera que c'était pourtant une grande idée, une magnifique institution que celle du trône pontifical. Le père spirituel, placé au milieu des peuples, unissait ensemble les diverses parties de la chrétienté.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 217.
«C'est au clergé séculier et régulier que nous devons encore le renouvellement de l'agriculture en Europe, comme nous lui devons la fondation des collèges et des hôpitaux. Défrichements de terres, ouvertures des chemins, agrandissements des hameaux et des villes, établissements des messageries et des auberges, arts et métiers, manufactures, commerce intérieur et extérieur, lois civiles et politiques; tout enfin nous vient originairement de l'Église. Nos pères étaient des barbares à qui le christianisme était obligé d'enseigner jusqu'à l'art de se nourrir.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 219.
«Les plus belles cultures, les paysans les plus riches, les mieux nourris et les moins vexés, les équipages champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient dans les abbayes. Ce n'était pas là, ce nous semble, un sujet de reproches à faire au clergé.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 221.
«Nous savons qu'on cherche toujours à atténuer les services: l'homme hait la reconnaissance. Le clergé a trouvé des terres incultes; il y a fait croître des moissons. Devenu opulent par son propre travail, il a appliqué ses revenus à des monuments publics. Quand vous lui reprochez des biens si nobles, et dans leur emploi, et dans leur source, vous l'accusez à la fois du crime de deux bienfaits. § L'Europe entière n'avait ni chemins ni auberges; ses forêts étaient remplies de voleurs et d'assassins: ses lois étaient impuissantes, ou plutôt il n'y avait point de lois; la religion seule, comme une grande colonne élevée au milieu de ruines gothiques, offrait des abris, et point de communication aux hommes. § Sous la seconde race de nos rois, la France étant tombé dans l'anarchie la plus profonde, les voyageurs étaient surtout arrêtés, dépouillés et massacrés aux passages des rivières. Des moines habiles et courageux entreprirent de remédier à ces maux.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 222-223.
«En général, les monastères étaient des hôtelleries où les étrangers trouvaient en passant le vivre et le couvert. Cette hospitalité, qu'on admire chez les anciens, et dont on voit encore les restes en Orient, étaient en honneur chez nos Religieux: plusieurs d'entre eux, sous le nom d'hospitaliers, se consacrèrent particulièrement à cette vertu touchante.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre VI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 224.
«Rien n'est plus contraire à la vérité historique, que de se représenter les premiers moines comme des hommes oisifs, qui vivaient dans l'abondance aux dépens des superstitions humaines. D'abord cette abondance n'était rien moins que réelle. L'Ordre, par ses travaux, pouvait être devenu riche, mais il est certain que le Religieux vivait très durement. Toutes ces délicatesses du cloître, si exagérées, se réduisaient, même de nos jours, à une étroite cellule, des pratiques désagréables, et une table fort simple, pour ne rien dire de plus. Ensuite, il est très faux que les moines ne fussent que de pieux fainéants: quand leur nombreux hospices, leurs collèges, leurs bibliothèques, leurs cultures, et tous les autres services dont nous avons parlé, n'auraient pas suffi pour occuper leurs loisirs, ils avaient encore trouvé bien d'autres manières d'être utiles; ils se consacraient aux arts mécaniques, et étendaient le commerce au-dehors et au-dedans de l'Europe.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre IX) . Flammarion. Paris, 1966. p. 225.
«Au reste, quand le christianisme a marché seul aux expéditions lointaines, on a pu juger que les désordres des croisades n'étaient pas venus de lui, mais de l'emportement des hommes. Nos missionnaires nous ont ouvert des sources de commerce pour lesquelles ils n'ont versé de sang que le leur, dont, à la vérité, ils ont été prodigues.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre IX) . Flammarion. Paris, 1966. p. 227.
«L'Église, prenant toujours la morale pour base, de préférence à la politique (comme on le voit par les questions de rapt, de divorce, d'adultère), ses ordonnances devaient avoir un fond naturel de rectitude et d'universalité. En effet, la plupart des canons ne sont point relatifs à telle ou telle contrée; ils comprennent toute la chrétienté. La charité, le pardon des offenses formant tout le christianisme, et étant spécialement recommandés dans le sacerdoce, l'action de ce caractère sacré sur les mœurs doit participer de ces vertus.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre X) . Flammarion. Paris, 1966. p. 229.
«La nature, au moral et au physique, semble n'employer qu'un seul moyen de création; c'est de mêler, pour produire, la force à la douceur. Son énergie semble résider dans la loi générale des contrastes. Si elle joint la violence à la violence, ou la faiblesse à la faiblesse, loin de former quelque chose, elle détruit par excès ou par défaut. Toutes les législations de l'antiquité offrent ce système d'opposition qui enfante le corps politique. § Cette vérité une fois reconnue, il faut chercher les points d'opposition: il nous semble que les deux principes résident, l'un dans les mœurs du peuple, l'autre dans les institutions à donner à ce peuple. S'il est d'un caractère timide et faible, que sa constitution soit hardie et robuste; s'il est fier, impétueux, inconstant, que son gouvernement soit doux, modéré, invariable.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 232.
«Si vous voulez considérer plus en grand l'influence du christianisme sur l'existence politique des peuples de l'Europe, vous verrez qu'il prévenait les famines, et sauvait nos ancêtres de leurs propres fureurs, en proclamant ces paix appelées paix de Dieu, pendant lesquelles on recueillait les moissons et les vendanges. Dans les commotions publiques, souvent les papes se montrèrent comme de très grands princes. Ce sont eux qui, en réveillant les rois, sonnant l'alarme et faisant des ligues, ont empêché l'Occident de devenir la proie des Turcs. Ce seul service rendu au monde par l'Église mériterait des autels.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 233-234.
«Enfin, ce fut une grande et féconde idée politique que cette division des trois ordres. Totalement ignorée des anciens, elle a produit chez les modernes le système représentatif, qu'on peut mettre au nombre de ces trois ou quatre découvertes qui ont créé un autre univers. Et qu'il soit encore dit à la gloire de notre religion, que le système représentatif découle en partie des institutions ecclésiastiques, d'abord parce que l'Église en offrit la première image dans ses conciles, composés du Souverain Pontife, des prélats et des députés du bas-clergé, et ensuite parce que les prêtres chrétiens ne s'étant pas séparés de l'État, ont donné naissance à un nouvel ordre de citoyens, qui, par sa réunion aux deux autres, a entraîné la représentation du corps politique.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XI) . Flammarion. Paris, 1966. p. 235-236.
«Le peuple romain fut toujours un peuple horrible: on ne tombe point dans les vices qu'il fit éclater sous ses maîtres, sans une certaine perversité naturelle, et quelque défaut de naissance dans le cœur. Athènes corrompue ne fut jamais exécrable: dans les fers elle ne songea qu'à jouir. Elle trouva que ses vainqueurs ne lui avaient pas tout ôté, puisqu'il lui avaient laissé le temple des Muses.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 241-242.
«C'est l'extinction absolue du sens moral qui donnait aux Romains cette facilité de mourir qu'on a si follement admirée. Les suicides sont toujours communs chez les peuples corrompus. L'homme réduit à l'instinct de la brute meurt indifféremment comme elle. Nous ne parlerons pas des autres vices des Romains, de l'infanticide autorisé par une loi de Romulus, et confirmé par celle des Douze Tables, de l'avarice sordide de ce peuple fameux.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 245.
«Il se peut donc faire que la corruption de l'empire romain ait attiré du fond de leurs déserts les Barbares qui, sans connaître la mission qu'ils avaient de détruire, s'étaient appelé par instinct, le fléau de Dieu. Que fut devenu le monde, si la grande arche du christianisme n'eût sauvé les restes du genre humain de ce nouveau déluge ? Quelle chance restait-il à la prospérité ? Où les lumières se fussent-elles conservées ?.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 246.
«Il est donc très probable que, sans le christianisme, le naufrage de la société et des lumières eût été total. On ne peut calculer combien de siècles eussent été nécessaires au genre humain pour sortir de l'ignorance et de la barbarie corrompue dans lesquelles ils se fût trouvé enseveli. Il ne fallait rien moins qu'un corps immense de Solitaires répandus dans les trois parties du globe, en travaillant de concert à la même fin, pour conserver ces étincelles qui ont rallumé chez les modernes le flambeau des sciences. Encore une fois, aucun ordre politique, philosophique ou religieux du paganisme n'eût pu rendre ce service inappréciable, au défaut de la religion chrétienne.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 248.
«De même que le christianisme a sauvé la société d'une destruction totale en convertissant les Barbares, et en recueillant les débris de la civilisation et des arts, de même il eût sauvé le monde romain de sa propre corruption, si ce monde n'eût point succombé sous des armes étrangères: une religion seule peut renouveler un peuple dans ses sources.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 249.
«... si vous regardez ses mystères [ceux du christianisme], [...], comme l'archétype des lois de la nature, il n'y aurait en cela rien d'affligeant pour un grand esprit: les vérités du christianisme, loin de demander la soumission de la raison, en réclament au contraire l'exercice le plus sublime. § Cette remarque est si juste; la religion chrétienne, qu'on a voulu faire passer pour le religion des Barbares, est si bien le culte du culte des philosophes, qu'on peut dire que Platon l'avait presque devinée.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 251.
«Quant à la moral évangélique, tout le monde convient de sa beauté; plus elle sera connue et pratiquée, plus les hommes seront éclairés sur leur bonheur et leurs véritables intérêts. La science politique est extrêmement bornée: le dernier degré de perfection où elle puisse atteindre est le système représentatif, né, comme nous l'avons montré, du christianisme; mais une religion dont les préceptes sont un code de morale et de vertu, est une institution qui peut suppléer à tout, et devenir, entre les mains des saints et des sages, un moyen universel de félicité. Peut-être un jour les diverses formes de gouvernement, hors le despotisme, paraîtront-elle indifférentes, et l'on s'en tiendra aux simples lois morales et religieuses, qui sont le fonds permanent des sociétés et le véritable gouvernement des hommes.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 252.
«Pour nous, nous sommes convaincu que le christianisme sortira triomphant de l'épreuve terrible [la Révolution française] qui vient de le purifier; ce qui nous le persuade, c'est qu'il soutient parfaitement l'examen de la raison, et que, plus on le sonde, plus on y trouve de profondeur. Ses mystères expliquent l'homme et la nature; ses œuvres appuient ses préceptes; sa charité, sous mille formes, a remplacé la cruauté des anciens; il n'a rien perdu des pompes antiques, et son culte satisfait davantage le cœur et la pensée: nous lui devons tout, lettres, sciences, agriculture, beaux-arts; il joint la morale à la religion, et l'homme à Dieu ...» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Tome II, Quatrième Partie, Livre Sixième, Chapitre XIII) . Flammarion. Paris, 1966. p. 255-256.
DÉFENSE DU «GÉNIE DU CHRISTIANISME»
«Il n'y a peut-être qu'une réponse noble pour un auteur attaqué, le silence: c'est le plus sûr moyen de s'honorer dans l'opinion publique. § Si un livre est bon, la critique tombe; s'il est mauvais, l'apologie ne le justifie pas.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»). Flammarion. Paris, 1966. p. 261.
«[Citant saint Jérôme dans son «Dialogue contre les Lucifériens»] Qui ne sait que, dans les temps difficiles, tout chrétien est prêtre et confesseur de Jésus-Christ ?.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»). Flammarion. Paris, 1966. p. 262.
«Disons la vérité: les critiques qui ont fait cette objection [à savoir que les laïques ne sauraient prétendre faire œuvre d'apologie] en connaissaient bien la frivolité; mais ils espéraient s'opposer, par cette voie détournée, aux bons effets qui pouvaient résulter du livre. Ils voulaient faire naître des doutes sur la compétence de l'auteur, afin de divisder l'opinion, et d'effrayer des personnes simples qui peuvent se laisser tromper à l'apparente bonne foi d'une critique.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»). Flammarion. Paris, 1966. p. 263.
«Cette [autre] objection [qui veuille que l'on ne doive jamais parler d'une religion en considérant son côté humain ou encore ses réalisations historiques] est, pour ainsi dire, la seule que fassent les critiques; elle est la base de toutes leurs censures, soit qu'ils parlent du sujet, du plan ou des détails de de l'ouvrage. Ils ne veulent jamais entrer dans l'esprit de l'auteur ...» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P. Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»). Flammarion. Paris, 1966. p. 264.
«... l'auteur n'attaque pas, il défend; il n'a pas cherché le but, le but lui a été offert: ceci change d'un seul coup l'état de la question, et fait tomber la critique. L'auteur ne vient pas vanter de propos délibéré une religion chérie, admirée et respectée de tous, mais une religion haïe, méprisée et couverte de ridicule par les sophistes.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 265.
«S'il n'est pas permis de défendre la religion, sous le rapport de sa beauté pour ainsi dire humaine; si l'on ne doit pas faire ses efforts pour empêcher le ridicule de s'attacher à ses institutions sublimes, il y aura donc toujours un côté de cette religion qui restera à découvert ? Là, tous les coups seront portés; là, vous serez surpris sans défense; vous périrez par là. N'est-ce pas ce qui a déjà pensé vous arriver ?» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 265.
«Ce dont vous avez besoin d'abord, c'est d'un ouvrage religieux qui soit pour ainsi dire populaire. Vous voudriez conduire votre malade d'un seul trait au haut d'une montagne escarpée, et il peut à peine marcher ! Montrez-lui donc, à chaque pas des objets variés et agréables; permettez-lui de s'arrêter pour cueillir les fleurs qui s'offriront sur sa route et, de repos en repos, il arrivera au sommet.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 266.
«Cet ouvrage a été fait pour être lu de l'homme de lettres le plus incrédule, du jeune homme le plus léger, avec la même facilité que le premier feuillette un livre impie, le second un roman dangereux. Vous voulez donc, s'écrient ces rigoristes si bien intentionnés pour la religion chrétienne, vous voulez faire de la religion une chose de mode ? Hé ! plût à Dieu qu'elle fût à la mode cette divine religion, dans ce sens que la mode est l'opinion du monde ! Cela favoriserait peut-être, il est vrai, quelques hypocrisies particulières; mais il est certain, d'une autre part, que la morale publique y gagnerait. Le riche ne mettrait plus son amour-propre à corrompre le pauvre, le maître à pervertir le domestique, le père à donner des leçons d'athéisme à ses enfants; la pratique du culte mènerait à la croyance du dogme, et l'on verrait renaître, avec la piété, le siècle des mœurs et des vertus.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 266.
«Mais ce n'est pas ici le lieu d'affecter une modestie, toujours suspecte chez les auteurs modernes, qui ne trompe personne. La cause est trop grande, l'intérêt trop pressant, pour ne pas s'élever au-dessus de toutes les considérations de convenance et de respect humain. Or, si l'auteur compte le nombre des suffrages, et l'autorité de ces suffrages, il ne peut se persuader qu'il ait tout à fait manqué le but de son livre. Qu'on prenne un tableau impie, qu'on le place auprès d'un tableau religieux composé sur le même sujet, et tiré du Génie du christianisme, on ose avancer que ce dernier tableau, tout imparfait qu'il puisse être, affaiblira le dangereux effet du premier; tant a de force la simple vérité rapprochée du plus brillant mensonge !» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 267.
«Oui, chantons-la sans crainte, cette religion sublime; défendons-la contre la dérision, faisons valoir toutes ses beautés, comme au temps de Julien, et puisque des siècles semblables ont ramené à nos autels des insultes pareilles, employons contre les modernes sophistes le même genre d'apologie que les Grégoire et les Apollinaire employaient contre les Maxime et les Libanius.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 276.
«Quant un écrivain n'a pas composé son ouvrage avec précipitation; quand il y a employé plusieurs années; quand il a consulté les livres et les hommes, et qu'il n'a rejeté aucun conseil, aucune critique; quand il a recommencé plusieurs fois son travail d'un bout à l'autre; quant il a livré aux flammes son ouvrage tout imprimé, ce ne serait que justice de supposer qu'il a peut-être aussi bien vu son sujet que le critique qui, sur une lecture rapide, condamne d'un mot un plan médité pendant des années.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 279.
«C'est bien pis encore quand on y joint les dénonciations et les calomnies. Mais l'auteur les pardonne aux critiques; il conçoit que cela peut faire partie de leur plan, et ils ont le droit de réclamer, pour leur ouvrage, l'indulgence que l'auteur demande pour le sien. Cependant que revient-il de tant de censures multipliées où l'on n'aperçoit que l'envie de nuire à l'ouvrage et à l'auteur, et jamais un goût impartial de critique ? Que l'on porovque des hommes que leurs principes retenaient dans le silence, et qui, forcés de descendre dans l'arène, peuvent y paraître quelquefois avec des armes qu'on ne leur soupçonnait pas.» — F.-R. CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Défense du «Génie du Christianisme»).
Flammarion. Paris, 1966. p. 282.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS — TOME II
«Des présomptueux n'avouent jamais qu'ils ont tort. Selon leurs principes, le sage ne se trompe jamais; il est le seul éclairé; de lui doit émaner la lumière qui dissipe les sombres vapeurs dans lesquelles croupit le vulgaire imbécile et aveugle: aussi Dieu sait comment ils l'éclairent. Tantôt c'est en lui découvrant l'origine des préjugés, tantôt c'est un livre sur l'esprit, tantôt le système de la nature; cela ne finit point. Un tas de polissons, soit par air ou par mode, se comptent parmi leurs disciples; ils affectent de les copier, et s'érigent en sous-précepteurs du genre humain; et. comme il est plus facile de dire des injures que d'alléguer des raisons, le ton de leurs élèves est de se déchaîner indécemment en toute occasion contre les militaires.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 293.
«On croit que raisonner hardiment de travers, c'est être philosophe, et qu'avancer des paradoxes, c'est remporter la palme.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 294.
«Qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce ministère de saint Pierre finisse avec lui: ce qui doit servir de soutien à une Église éternelle ne peut jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs; Pierre parlera toujours dans sa chaire; c'est ce que disent les Pères; c'est ce que confirment six cent trente évêques au concile de Chalcédoine.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 331.
«Pendant ce travail, soit au champ, soit à la maison, de temps à autre le plus ancien frappe des mains, et alors dans un grand silence pendant cinq ou six minutes, chacun peut porter ses regards vers le ciel; cela suffit pour adoucir le froid de l'hiver et la chaleur de l'été. Il faut en être témoin pour se faire une idée du contentement, de la jubilation de tout le monde; rien ne prouve mieux le bonheur de cette vie, que ce qu'ont fait les Trappistes pour se réunir après leur expulsion de France, et la quantité de couvents de cet ordre qui se sont formés jusque dans le Canada.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 337.
«C'est donc à ces missions [des Jésuites et des Capucins en Grèce], si longtemps décriées, que nous devons encore nos premières notions sur la Grèce antique. Aucun voyageur n'avait quitté ses foyers pour visiter le Parthénon, que déjà des Religieux exilés sur ces ruines fameuses, nouveaux dieux hospitaliers, attendaient l'antiquaire et l'artiste. Les savants demandaient ce qu'était devenue la ville de Cécrops; et il y avait à Paris, au noviciat de Saint-Jacques, un Père Barnabé, et, à Compiègne, un Père Simon, qui auraient pu leur en donner des nouvelles: mais ils ne faisaient point parade de leur savoir; retirés au pied du cridifix, ils cachaient dans l'humilité du cloître ce qu'ils avaient appris, et surtout ce qu'ils avaient souffert pendant vingt au milieu des débris d'Athènes.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 349.
«"Au seizième siècle, dans un temps où les droits de la conscience étaient si mal connus de tout le monde chrétien, où le nom de tolérance était même ignoré, on est étonné de trouver un moine espagnol [le P. Barthélémy d'Olmedo] au nombre des premiers défenseurs de la liberté religieuse et des premiers improbateurs de la persécution. Les remontrances de cet ecclésiastique, aussi vertueux que sage, firent impression sur l'esprit de Cortez. Il laissa les Tascalans continuer l'exercice libre de leur religion, en exigeant seulement qu'ils renonçassent à sacrifier des victimes humaines".» — Extrait de W. Robertson. «Histoire de l'Amérique (1777)». Livre V. In F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 372.
«Ainsi l'on voit que les passions des hommes, des haines et des intérêts souvent très étrangers à la religion, ont produit les énormités sanglantes qu'on a rejetées sur un culte, qui ne prêche que la paix et l'humanité. Que dirait la philosophie, si on l'accusait aujourd'hui d'avoir élevé les échafauds de Robespierre ? N'est-ce pas en empruntant son langage qu'on a égorgé tant de victimes innocentes, comme on a pu abuser du nom de la religion pour commettre des crimes ? Combien ne peut-on pas reprocher d'actes de cruauté et d'intolérance à ces même protestants qui se vantent de pratique seuls la philosophie du christianisme ? Les lois contre les catholiques d'Irlande, appelées lois de découvertes (Laws of discovery), égalent en oppression, et surpassent en immoralité tout ce qu'on a jamais reproché à l'Église romaine.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 375.
«"Quel châtiment, dit-il [saint Salvien de Marseille (400-490)], ne mérite pas le corps de l'empire, dont une partie outrage Dieu par le débordement de ses mœurs et l'autre joint l'erreur aux plus honteux excès ? § Pour ce qui est des mœurs, pouvons-nous le disputer aux Goths et aux Vandales ? Et, pour commencer par la reine des vertus, la charité, tous les Barbares, au moins de la même nation, s'aiment réciproquement; au lieu que les Romains s'entre-déchirent ... Aussi voit-on tous les jours des sujets de l'empire aller chercher chez les Barbares un asile contre l'inhumanité des Romains. Malgré la différence de mœurs, la diversité du langage et, si j'ose le dire, malgré l'odeur infecte qu'exhalent le corps et les habits de ces peuples étrangers, ils prennent le parti de vivre avec eux, et de se soumettre à leur domination, plutôt que se voir continuellement exposés aux injustes et tyranniques violences de leurs compatriotes. § ... Nous ne gardons aucune des lois de l'équité, et nous trouvons mauvais que Dieu nous rende justice. En quel pays du monde, voit-on des désordres pareils à ceux qui règnent aujourd'hui parmi les Romains ? Les Francs ne donnent pas dans ces excès; les Huns en ignorent la pratique; il ne se passe rien de semblable ni chez les Vandales, ni chez les Goths ... Que dire davantage ? les richesses d'autrefois nous ont échappé des mains; et, réduits à la dernière misère, nous ne pensons qu'à de vains amusements. La pauvreté range enfin la prodigue à la raison, et corrige les débauchés: mais pour nous, nous sommes des prodigues et des débauchés d'une espè ce toute particulière; la disette n'empêche pas les désordres".» — Extrait de Salvien. «De la Providence (439)». Livres V-VII. In F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 384-385.
«Les cardinal Bellarmin [saint Robert Ballarmin (1542-1621, canonisé en 1930)] fait remarquer que le zèle de Salvien pour la réformation des mœurs lui avait fait trop généraliser la peinture qu'il fait des vices de son siècle. Tillemont fait une observation semblable: il dit que la corruption ne pouvait pas être si universelle dans un temps où il y avait encore tant de saints évêques. Le livre de Salvien parut en 439. Douze ans auparavant, saint Augustin avait publié, sur le même sujet, son grand ouvrage de la Cité de Dieu, qu'il avait commencé en 413, après la prise de Rome par Alaric. À la profondeur des pensées, à la parfaite justesse des vues, on reconnaît dans ce livre le plus beau génie de l'antiquité chrétienne.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Notes et éclaircissements, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 386.
«Je dirai seulement les moyens dont la Providence s'est servie pour me rappeler à mes devoirs. § Ma mère, après avoir été jetée dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l'avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume: elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère: quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n'existait plus; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voies sorties du tombeau, cette mort qui serait d'interprète à la mort, m'ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles; ma conviction est sortie du cœur; j'ai pleuré, et j'ai cru.» — F.-R.
CHÂTEAUBRIAND. Génie du Christianisme (édition P.
Reboul) (Préface de la Première édition, Tome II).
Flammarion. Paris, 1966. p. 398.
ESSAI SUR LES RÉVOLUTIONS
«L'homme est composé de deux organes différens dans leur essence, sans relations dans leur pouvoir: la Tête et le Cœur. § Le Cœur sent, la Tête compare. § Le Cœur juge du bon et du méchant, la Tête des rapports et des effets. § La vertu découle donc du Cœur; les sciences fluent de la Tête. § La vertu est la conscience écoutée et obéie; la science, la nature éclairée. § Comme ces enfans qu'on est forcé d'enlever à leur mère vicieuse, pour les confier à un lait plus pur, la Liberté, fille de la Vertu Guerrière, ne sauroit vivre, qu'elle ne soit nourrie au sein des Bonnes Mœurs.» — F.-A.
CHÂTEAUBRIAND. Essai historique, politique et moral, sur les Révolutions Anciennes et Modernes. Henri Colburn. Londres, 1815. p. 386-87.
lundi 23 décembre 2013
René Girard — Œuvres diverses
[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.
1. Des choses cachées depuis la fondation du monde
«Puisqu'on n'a pas réussi à comprendre le religieux à partir de la philosophie, il faut inverser la méthode et lire le philosophique à la lumière du religieux.» — R. GIRARD. Des choses cachées depuis la fondation du monde. Le Livre de poche. Paris, 2010. p. 27.
«De même que le crabe a besoin de sa pince ou la chauve-souris de ses ailes et Dame Évolution, toujours bienveillante, les leur fournit, l'homme a besoin de la «culture» et c'est elle qu'il reçoit de cette nouvelle Grande Mère universelle, servie sur un plateau d'argent.» — R. GIRARD. Des choses cachées depuis la fondation du monde. Le Livre de poche. Paris, 2010. p. 120.
2. Les origines de la culture
«... la quête des origines constitue la tentative scientifique par excellence.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 203.
«L'anthropologie moderne ferme systématiquement les yeux sur les violences archaïques. [...] L'essentiel, face à la violence, la seule conduite vraiment recommandable, c'est de faire semblant de ne rien voir. L'anthropologie religieuse moderne surenchérit sur l'interdiction platonicienne de mentionner la violence religieuse.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 257.
«Pourquoi rendre le mythe intouchable ? Pourquoi faisons-nous tant d'efforts, dans le monde moderne, pour resacraliser les mythes au nom de l'esthétique ou de n'importe quoi ? Pourquoi les mythes jouirait-ils d'une immunité que nous refusons, fort justement d'ailleurs, à notre religion à nous ? Au nom de quel absolu interdire aux critiques la seule hypothèse vraiment efficace, seule capable de rendre compte, dans les mythes, de toutes les récurrences et des bizarreries logiques ? Pourquoi s'interdire de constater les contagions victimaires qui déforment les compte rendus des violences collectives à l'insu de leurs auteurs ? Ceux qui s'égosillent à chanter la beauté des mythes pour ne pas voir l'illusion cruelle des lyncheurs se rendent complices des violences qu'ils ne dénoncent pas.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 268.
«Tout ce que je [l'auteur, M. Girard] dis, mais c'est déjà énorme, c'est que, si les Évangiles en savent plus sur la genèse de la culture humaine que nous n'en savons nous-mêmes, il importe désormais de les prendre beaucoup plus au sérieux, dans le monde savant, que l'on a fait jusqu'ici. Il convient de les prendre terriblement au sérieux.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 274.
«La Bible et les Évangiles introduisent dans le monde une vérité qui n'était pas là avant eux, une vérité purement humaine mais tellement puissante que, même si nos sages et nos savants font tout pour ne pas la voir, elle a déjà transformé et elle ne cesse de transformer le monde.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 276.
3. La voix méconnue du réel
«... l'élimination est un acte réel et les meurtriers les plus hystériques eux-mêmes ne tuent pas sans motif.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 38.
«Faire du langage une prison, [...], c'est ignorer son vrai mystère, comme c'est lui accorder une confiance excessive que de prétendre qu'il est toujours parfaitement efficace. Le véritable mystère tient à ce que le langage est à la fois le milieu transparent de l'empirisme et la prison de la linguistique. Tantôt il est l'un, tantôt il est l'autre; et le plus souvent, un inextricable mélange des deux.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 103.
«Comment se fait-il que nos plus brillants esprits modernes en sachent moins qu'un Grec d'antan ?» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 136.
«La plupart des intellectuels prétendent bien entendu ne rivaliser avec personne; tout au plus se soucient-ils d'exceller dans leurs domaines respectifs. L'esprit de concurrence ne concerne que les autres. Tous pourtant ont conscience que l'obstacle le plus insignifiant en apparence peut engendrer une terrible amertume. Le monde intellectuel étant dépourvu de hiérarchie et donc privé de critères objectifs, chacun y est fatalement soumis au jugement indirect de ses pairs. De fait, le nombre de personnes sujettes aux affections paranoïaques y est considérable.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 141.
«Dans le glissement de Dionysos contre le Crucifié à Dionysos ou le Crucifié, dans l'écroulement de cette suprême différence se situe l'effondrement de la pensée nietzschéenne. § Bien entendu, aux yeux de l'historien ou du philosophe, cette confusion est le produit de la seule folie et donc absurdité pure, qu'elle soit motif de gloire ou de détresse. En réalité, dans la théologie païenne comme dans le christianisme, le dieu est toujours une victime.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 148.
«Une rationalité désancrée du religieux abandonne sa liberté, totale mais inefficace, entre les mains d'experts si compétents que leur avis est forcément le seul valable. L'attention se focalise si étroitement sur l'environnement immédiat que nous perdons tout sens du contexte plus large, du tableau plus vaste. Notre équilibre devient précaire, et notre pas mal assuré, un peu comme celui de Frankenstein. D'où la nécessité de recourir à des experts.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 214.
«Les idées de paricide et d'inceste, et aussi d'infanticide, prolifèrent toujours lorsqu'une société est au bord de la désintégration.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 246.
«La seule chose que les perdants peuvent refuser aux gagnants, c'est l'hommage de leur imitation.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 307.
«Le véritable changement ne peut prendre racine qu'à une condition: il faut qu'il jaillisse de cette cohérence que seule la tradition nous offre. La tradition ne peut être défiée avec succès que de l'intérieur. L'innovation véritable suppose nécessairement un respect minimum pour le passé et une connaissance de ses œuvres, c'est-à-dire la mimésis. Vouloir que la nouveauté soit pure de toute trace d'imitation, c'est vouloir qu'une plante puisse pousser avec ses racines dans le ciel. À long terme, l'obligation d'avoir toujours à se révolter peut être plus ruineuse pour l'innovation que l'obligation de ne jamais se révolter.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 313.
4. La violence et le sacré
«On envisage toujours la crise tragique du point de vue de l 'ordre qui est en train de naître, jamais du point de vue de l'ordre qui est en train de s'écrouler. La raison de cette carence est évidente. La pensée moderne n'a jamais pu attribuer une fonction réelle au sacrifice: elle ne saurait percevoir l'écroulement d'un ordre dont la nature lui échappe. Il ne suffit pas, en vérité, de se convaincre qu'un tel ordre a existé pour voir s'éclairer les problèmes proprement religieux de l'époque tragique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 70.
«Quand le religieux se décompose, ce n'est pas seulement, ou tout de suite, la sécurité physique qui est menacée, c'est l'ordre culturel lui-même. Les institutions perdent leur vitalité; l'armature de la société s'affaisse et se dissout; d'abord lente, l'érosion de toutes les valeurs va se précipiter; la culture entière risque de s'effondrer et elle s'effondre un jour ou l'autre comme un château de cartes.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 78.
«Degree, gradus, est le principe de tout ordre naturel et culturel. C'est lui qui permet de situer les êtres les uns par rapport aux autres, qui fait que les choses ont un sens au sein d'un tout organisé et hiérarchisé. C'est lui qui constitue les objets et les valeurs que les hommes transforment, échangent et manipulent.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 79-80.
«La justice humaine s'enracine dans l'ordre différentiel et elle succombe avec lui. Partout où s'installe l'équilibre interminable et terrible du conflit tragique, le langage du juste et de l'injuste fait défaut.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 82.
«La religion, en effet, n'a jamais qu'un seul but et c'est d'empêcher le retour de la violence réciproque.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 86.
«Nous avons d'ores et déjà de sérieuses raisons de penser que la violence contre la victime émissaire pourrait bien être radicalement fondatrice en ce sens qu'en mettant fin au cercle vicieux de la violence, elle amorce du même coup un autre cercle vicieux, celui du rite sacrificiel, qui pourrait bien être celui de la culture tout entière. § S'il en est ainsi, la violence fondatrice constitue réellement l'origine de tout ce que les hommes ont de plus précieux et tiennent le plus à préserver. C'est bien là ce qu'affirment, mais sous une forme voilée, transfigurée, tous les mythes d'origine qui se ramènent au meurtre d'une créature mythique par d'autres créatures mythiques. Cet événement est perçu comme fondateur de l'ordre culturel. De la divinité morte proviennent non seulement les rites mais les règles matrimoniales, les interdits, toutes les formes culturelles qui confèrent aux hommes leur humanité.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 141.
«Penser religieusement, c'est penser le destin de la cité en fonction de cette violence qui maîtrise l'homme d'autant plus implacablement que l'homme se croit plus à même de la maîtriser. C'est donc penser cette violence comme surhumaine, pour la tenir à distance, pour renoncer à elle. Quand l'adoration terrifiée faiblit, quand les différences commencent à s'effacer, les sacrifices rituels perdent leur efficacité: ils ne sont plus agréés. Chacun prétend redresser lui-même la situation, mais personne n'y parvient: le dépérissement même de la transcendance fait qu'il n'y a plus la moindre différence entre le désir de sauver la cité et l'ambition la plus démesurée, entre la piété la plus sincère et le désir de se diviniser. Chacun voit dans l'entreprise rivale le fruit d'un désir sacrilège.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 202.
«L'inspiration tragique dissout les différences fictives dans la violence réciproque; elle démystifie la double illusion d'une divinité violente et d'une communauté innocente.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 204.
«Même s'il vient de la violence et s'il reste imprégné de violence, le rite est tourné vers la paix; il n'y a que lui, en fait, qui s'emploie activement à promouvoir l'harmonie entre les membres de la communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 205.
«Dans la crise sacrificielle, il faut renoncer à attacher le désir à tout objet déterminé, si privilégié qu'il paraisse, il faut orienter le désir vers la violence elle-même mais il n'est pas nécessaire, pour autant, de postuler un instinct de mort ou de violence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 216.
«Le modèle se juge trop au-dessus du disciple, le disciple se juge trop au-dessous d'un modèle pour que l'idée d'une rivalité, c'est-à-dire de l'identité des deux désirs, puisse les effleurer l'un et l'autre. Pour parfaire la réciprocité, il convient d'ajouter que le disciple peut servir lui-même de modèle, parfois même à son propre modèle; quant au modèle, si content de lui qu'il paraisse, il joue certainement, ici ou ailleurs, le rôle de disciple. La position du disciple, de toute évidence, est seule essentielle. C'est par elle qu'il faut définir la situation humaine fondamentale.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 218.
«Le désir, on le voit, s'attache à la violence triomphante; il s'efforce désespérément de maîtriser et d'incarner cette violence irrésistible. Si le désir suit la violence comme son ombre, c'est bien parce que la violence signifie l'être et la divinité.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 224.
«Le dieu qui visite le poète ne se donne que pour se reprendre. De la présence au temps de l'absence et de l'absence au temps de la présence, le souvenir subsiste, tout juste suffisant pour assurer la continuité de l'être individuel, pour fournir des repères qui rendent plus enivrante encore la joie de posséder, plus atroce encore l'amertume de la perte. Tantôt un être qui se croyait à jamais déchu assiste dans l'extase à sa propre résurrection, tantôt au contraire un être qui se prenait pour un dieu découvre dans l'horreur qu'il s'est fait illusion. Le dieu est autre et le poète n'est plus qu'un mort vivant, à jamais privé de toutes raisons de vivre, brebis muette sous le couteau du sacrificateur.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 230-231.
«De l'intérieur du système, il n'y a que des différences; du dehors, au contraire, il n'y a que de l'identité. Du dedans on ne voit pas l'identité et du dehors on ne voit pas la différence. Les deux perspectives ne sont pourtant pas équivalentes. On peut toujours intégrer la perspective du dedans à la perspective du dehors; on ne peut pas intégrer la perspective du dehors à la perspective du dedans.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 235.
«C'est bien là ce qui rend l'enfance si vulnérable. L'adulte est prompt à prévoir la violence et il réplique à la violence par la violence, il répond du tac au tac; le petit enfant, par contre, n'a jamais été exposé à la violence, c'est bien pourquoi il s'avance sans la moindre méfiance vers les objets de son modèle. Seul l'adulte peut interpréter les mouvements de l'enfant comme un désir d'usurpation: il les interprète au sein d'un système culturel qui n'est pas encore celui de l'enfant, à partir de significations culturelles dont l'enfant n'a pas la moindre idée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 256-257.
«Le fils est toujours le dernier à apprendre qu'il est en marche vers le parricide et l'inceste, mais les adultes, ces bons apôtres, sont là pour le renseigner.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 257.
«À l'origine de toute adaptation individuelle ou collective, il y a l'escamotage d'une certaine violence arbitraire. L'adapté est celui qui réalise lui-même cet escamotage ou qui réussit à s'en accommoder, s'il est déjà réalisé pour lui par l'ordre culturel. L'inadapté ne s'accommode pas.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 261.
«Pour concevoir les deux commandements contradictoires su Surmoi, dans le climat d'incertitude et d'ignorance impliqué par la description freudienne, on doit imaginer une première imitation, ardente et fidèle, payée d'une disgrâce d'autant plus stupéfiante aux yeux du fils qu'elle s'inscrit dans le contexte de cette ardeur et de cette fidélité. L'injonction positive: «Sois comme le père» paraît couvrir le champ entier des activités paternelles. Rien dans cette première injonction n'annonce ni surtout ne permet d'interpréter l'injonction contraire qui lui succède immédiatement: «Ne sois pas comme le père», laquelle paraît couvrir, elle aussi, le champ entier du possible. § Tout principe de différenciation fait défaut; c'est cette ignorance qui est terrible; le fils se demande en quoi il a démérité; il cherche à définir pour les deux injonctions, des domaines séparés d'application. Il ne donne nullement l'impression d'un transgresseur; il n'a pas enfreint une loi qu'il connaît déjà; il cherche à connaître la loi qui permettrait de définir sa conduite comme transgression.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 263.
«Même là où il est trop éclairé, trop évolué pour ne pas être au fait de ce qu'il est lui-même, pour se prétendre pur de toute violence, le ressentiment moderne fait toujours d'une non-violence idéale, dont les tragiques grecs n'ont même pas la notion, le critère secrètement violent de tout jugement, de toute évaluation proprement critique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 301.
«L'élément proprement tendancieux ne fait qu'un avec la différence sacrée que chacun veut s'approprier en l'arrachant à l'autre et qui oscille de plus en plus vite dans l'affrontement des lucidités rivales. C'est là peut-être, ce qui définit l'interprétation elle-même, qu'il s'agisse d'Œdipe roi, ou de nos jours, des querelles au sujet de la psychanalyse et des autres méthodologies. L'antagonisme, ostensiblement, n'a jamais d'autre objet que la culture en crise dont chacun se flatte de porter dans son cœur le souci exclusif. Chacun s'efforce de diagnostiquer le mal afin de le guérir. Mais le mal, c'est toujours l'autre, ses faux diagnostics et ses remèdes qui sont en réalité des poisons. Quand les responsabilités réelles sont nulles, le jeu demeure le même; il n'en est que plus parfait pour être totalement privé d'enjeu; chacun s'efforce de briller du plus vif éclat aux dépens de ses voisins, d'éclipser, c'est-à-dire les lucidités rivales, plutôt que d'éclairer quoi que ce soit.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 301-302.
«Les mythes de la démystification pullulent comme des vers sur le cadavre du grand mythe collectif dont ils tirent leur subsistance.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 302.
«Seuls, à ma connaissance, des écrivains ont jamais percé à jour ce processus de démystification mystifiante, les psychanalystes jamais, les sociologues jamais.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 302-303.
«On entend trier le vrai du faux et le tri, en effet, est infaillible: c'est toujours l'erreur qui sort du chapeau, c'est toujours la vérité qui reste au fond.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 317.
«La thèse défendue ici, le mécanisme de la victime émissaire, n'est pas une idées plus ou moins bonne, c'est l'origine vraie de tout le religieux et, on le verra mieux dans un instant, des interdits de l'inceste.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 317.
«On ne peut pas postuler la présence dans l'homme d'un désir incompatible avec la vie en société sans poser également, en face de ce désir, de quoi le tenir lui-même en échec. Pour échapper définitivement aux illusions de l'humanisme, une seule condition est nécessaire mais c'est aussi la seule que l'homme moderne se refuse à remplir: il faut reconnaître la dépendance radicale de l'humanité à l'égard du religieux.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 320.
«Tout ce que la violence sacrée a touché appartient désormais au dieu et fait, en tant que tel, l'objet d'un interdit absolu. § Dégrisés et épouvantés, les antagonistes vont tout faire, désormais, pour ne pas retomber dans la violence réciproque. Et ils savent parfaitement ce qu'il faut faire. La colère divine le leur a signifié. Partout où la violence a flambé l'interdit s'élève.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 320-321.
«Les interdits ne sont rien d'autre que la violence elle-même, toute la violence d'une crise antérieure, littéralement figée sur place, muraille partout dressée contre le retour de ce qu'elle-même fut. Si l'interdit fait preuve d'une subtilité égale à celle de la violence, c'est parce qu'en dernière analyse, il ne fait qu'un avec elle. C'est aussi pourquoi il lui arrive de faire le jeu de la violence et de grossir la tempête quand l'esprit de vertige souffle sur la communauté. Comme toutes les formes de protection sacrificielle, l'interdit peut se retourner contre ce qu'il protège.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 321.
«L'échange matrimonial peut s'accompagner régulièrement de violences ritualisées, analogues aux autres formes de guerre rituelle. Cette violence systématisée ressemble à la vengeance interminable qui sévirait à l'intérieur de la communauté si justement elle n'était pas déplacée vers l'extérieur. Il n'y a qu'un seul problème: la violence, et il n'y a qu'une seule manière de la résoudre, le déplacement vers l'extérieur: il faut interdire à la violence, comme au désir sexuel, de prendre pied là où leur présence double et une est absolument incompatible avec le fait même de l'existence commune.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 322.
«Bénéfique et fécondante mais toujours dangereuse, la violence réglée du sexe, comme celle de l'immolation rituelle, est entourée d'un véritable cordon sanitaire; elle ne saurait se propager librement au sein de la communauté sans devenir maléfique et destructrice.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323.
«Dans les sociétés primitives, là où l'activité sexuelle n'est ni légitime, c'est-à-dire rituelle au sens strict ou au sens large, ni interdite, on peut être certain qu'elle passe tout simplement pour insignifiante ou peu signifiante, inapte, en d'autres termes, à propager la violence intestine. C'est le cas, dans certaines sociétés, de l'activité sexuelle des enfants et des adolescents non mariés, ou encore des rapports avec les étrangers et, bien entendu, des rapports entre étrangers.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323.
«Les interdits ont une fonction primordiale; ils réservent au cœur des communautés humaines une zone protégée, un minimum de non-violence absolument indispensable aux fonctions essentielles, à la survie des enfants, à leur éducation culturelle, à tout ce qui fait l'humanité de l'homme. S'il y a des interdits capables de jour ce rôle, on ne peut pas voir là un bienfait de Dame Nature, cette providence de l'humanisme satisfait, dernière héritière des théologies optimistes engendrées par la décomposition du christianisme historique. Le mécanisme de la victime émissaire doit nous apparaître désormais comme essentiellement responsable du fait qu'il existe une chose telle que l'humanité. On sait, désormais, que dans la vie animale, la violence est pourvue de freins individuels. Les animaux d'une même espèce ne luttent jamais à mort; le vainqueur épargne le vaincu. L'espèce humaine est privée de cette protection. Au mécanisme biologique individuel se substitue le mécanisme collectif et culturel de la victime émissaire. Il n'y a pas de société sans religion parce que sans religion aucune société ne serait possible.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323-324.
«Il y a lieu de penser que, dans la promiscuité naturelle, le lien entre l'acte sexuel et la naissance des enfants, le fait même de la conception doit demeurer inobservable. Seuls les interdits de l'inceste peuvent fournir aux hommes les conditions quasi expérimentales nécessaires à la connaissance de ce fait, en introduisant dans la vie sexuelle les éléments stabilisateurs et des exclusions systématiques sans lesquels les rapprochements et les comparaisons susceptibles de faire la lumière demeurent impossibles. Seuls les interdits permettent de déterminer les fruits de l'activité sexuelle en opposant ceux-ci à la stérilité de l'abstinence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 332.
«Ce n'est pas parce que la biologie appartient à la nature qu'il faut la refuser comme point de départ, c'est au contraire parce qu'elle appartient complètement à la culture. Elle est déduite des systèmes dont la famille élémentaire constitue le plus petit commun dénominateur; c'est bien pourquoi elle n'est point fondatrice; le système est d'un seul tenant et il faut le déchiffrer comme tel, sans se laisser distraire par les possibilités diverses qu'il entraîne mais qui ne le déterminent pas.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 333.
«Tant qu'on mesure les systèmes aux seuls faits de la procréation, il est bien évident que notre système est aussi arbitraire que les autres. Sur le plan du fonctionnement biologique réel, peu importe, en effet, qu'un système interdise à un homme d'épouser: 1) sa mère, ses sœurs, ses filles et toutes les femmes du clan X; 2) sa mère, ses sœurs, et ses filles exclusivement. § Les mécanismes de la biologie ne fonctionneront ni mieux ni plus mal dans le premier cas que dans le second et ils fonctionneraient sans doute tout aussi bien, n'en déplaise à Westermarck [(1862-1939) philosophe et anthropologue finlandais], s'il n'y avait pas d'interdits du tout. Par rapport aux données réelles de la génération, donc, la cause est entendue: tous les systèmes sont également arbitraires.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 337-338.
«La réduction extrême de l'interdit souligne le savoir déjà dégagé, elle le fait mieux ressortir mais elle ne fait apparaître aucun savoir nouveau.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 338.
«Il faut montrer sur l'exemple le plus simple, le plus immédiat, l'aptitude de la pensée symbolique, même la plus mythique, à découvrir des rapports dont la vérité est inébranlable, des différences qui échappent à tout relativisme mythique et culturel.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 338.
«Personne n'ignore, en effet, que le principal obstacle à l'acquisition d'une langue étrangère, n'est autre que la langue maternelle. L'idiome originel nous possède autant et plus encore que nous le possédons. Il fait même preuve, dans le domaine des langues, d'une certaine jalousie dans sa façon de posséder, puisqu'il nous ôte presque toute disponibilité à l'égard de ce qui n'est pas lui. Les enfants font preuve, dans le domaine des langues, d'une faculté d'assimilation à la mesure de leur faculté d'oubli. Et les plus grands linguistes n'ont souvent plus de langue qui leur soit vraiment propre.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 340.
«La «pensée symbolique» dans son ensemble est assimilée au mythique: on lui attribue, face à la réalité, une autonomie que certains jugeront glorieuse, mais qui se révèle en fin de compte décevante et stérile car elle n'a plus de rapport avec la réalité. L'héritage culturel de l'humanité fait l'objet d'un soupçon généralisé. On ne s'intéresse à lui que pour le «démystifier», c'est-à-dire pour montrer qu'il se ramène à quelque combinatoire d'intérêt à peu près nul en dehors de l'occasion qu'il fournit au démystificateur de déployer sa mæstria.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 342.
«Pour nous transporter d'un seul coup du noir mensonge ancestral à l'éclatante vérité scientifique, ce libérateur de l'humanité [Lévi-Strauss] a dû couper le cordon ombilical qui nous rattachait à la matrice de toute pensée mythique. Notre science dure et pure doit être le fruit d'une «coupure épistémologique» que rien n'annonce ni ne prépare.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 343.
«Toutes ces questions convergent, bien entendu, vers un problème fondamental: l'origine de la pensée symbolique. Si les systèmes symboliques ne sont jamais que «le développement spontané d'une situation de fait», s'il y a rupture entre la nature et la culture, la question de l'origine se pose et elle se pose avec urgence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 344.
«Si la pensée symbolique est un donné, est-ce parce que nous saisissons son émergence ou au contraire parce que nous ne la saisissons pas ? Cette émergence passe-t-elle inaperçue, s'agit-il d'une mutation silencieuse, comme de nombreux passages postérieurs le supposent ou l'affirment, ou s'agit-il au contraire d'un véritable événement ? La phrase précédente paraît s'orienter vers la seconde possibilité: elle nous autorise à voir dans l'avènement symbolique une chose sur laquelle il est légitime et même inévitable de s'interroger. Mais quels sont ces phénomènes dont on nous dit qu'ils ont «précédé et préparé» cet avènement ? Comment faut-il envisager une recherche qui paraît réservée «à l'interprétation naturaliste» ?» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 345.
«La pensée symbolique a son origine dans le mécanisme de la victime émissaire. C'est là ce que nous avons essayé de montrer, en particulier dans nos analyses du mythe d'Œdipe et du mythe de Dionysos. C'est à partir d'un arbitrage fondamental qu'il faut concevoir la présence simultanée de l'arbitraire et du vrai dans les systèmes symboliques.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 346.
«Qui dit l'origine de la pensée symbolique dit également l'origine du langage, le véritable fort/da d'où surgit toute nomination, l'alternance fondamentale de la violence et de la paix. Si le mécanisme de la victime émissaire suscite le langage, s'imposant lui-même comme premier objet, on conçoit que le langage dise d'abord la conjonction du pire et du meilleur, l'épiphanie divine, le rite qui la commémore et le mythe qui se la remémore. Longtemps le langage reste imprégné de sacré et ce n'est pas sans raison qu'il paraît réservé au sacré et octroyé par le sacré.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 346.
«Les mécanismes de discrimination, d'exclusion et de conjonction qui s'enracinent dans le processus fondateur s'exercent d'abord sur lui, et ils produisent la pensée religieuse; mais ils ne sont pas réservés au religieux; ce sont les mécanismes de toute pensée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 347.
«C'est le primitif perpétué qui nous fait qualifier de phantasmes tout ce qui pourrait nous éclairer si nous le regardions d'un peu près; c'est le primitif perpétué qui nous interdit de reconnaître que le faux, même sur le plan religieux, est tout autre qu'une erreur grossière, et c'est lui qui empêche les hommes de s'entre-détruire.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 348.
«L'essence du moderne consisterait en un pouvoir de s'installer dans une crise sacrificielle toujours aggravée, non, certes, comme en une habitation paisible et dénuée de souci mais sans jamais perdre la maîtrise qui ouvre aux sciences de la nature d'abord, aux significations culturelles ensuite et enfin à l'arbitrage fondateur lui-même, des possibilités de dévoilement sans égales.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 349.
«Le narcissisme est une inversion de la vérité. On s'affirme tenté par le même et déçu par le tout autre, alors qu'en réalité, c'est le tout autre qui tente et le même qui déçoit ou plutôt tout ce qu'on prend pour tel dans l'un et l'autre cas, une fois que le mimétisme s'est enfermé dans la réciprocité violente et qu'il ne peut plus s'attacher qu'à son antagoniste; seul ce qui lui fait obstacle peut désormais le retenir.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 355.
«Il faut chercher la clef des structurations dans toute transcendance où s'incarne encore l'unité de la société et non dans ce qui défait cette transcendance, l'efface et la détruit, replongeant les hommes dans la mimesis de la violence infinie.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 355.
«Pour l'instant, la pensée affirme qu'il n'y a pas de centre et elle cherche à sortir du cercle pour le maîtriser du dehors. C'est bien là l'entreprise de l'avant-garde qui veut toujours purifier sa pensée pour échapper au cercle du mythe et elle se rendrait totalement inhumaine si elle le pouvait. Comme le doute l'étreint, elle cherche toujours à renforcer le «coefficient de scientificité»; pour ne pas voir que les bases vacillent, elle se hérisse de théorèmes bien rébarbatifs; elle multiplie les sigles incompréhensifs; elle élimine tout ce qui ressemble encore à une hypothèse intelligible. Elle chasse impitoyablement des augustes parvis le dernier honnête homme découragé.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 356.
«On sait maintenant que le sacré règne sans partage partout où l'ordre culturel n'a jamais fonctionné, n'a pas commencé à fonctionner ou a cessé de fonctionner. Il règne aussi sur la structure, il l'engendre, l'ordonne, la surveille, la perpétue, ou au contraire la malmène, la décompose, la métamorphose et la détruit au gré de ses moindres caprices mais il n'est pas présent dans la structure au sens où il passe pour présent partout ailleurs.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 360.
«La violence rituelle est toujours moins intestine que la violence originelle. En devenant mythico-rituelle, la violence se déplace vers l'extérieur et ce déplacement a, en lui-même, un caractère sacrificiel: il dissimule le lieu de la violence originelle, protégeant de cette violence et du savoir de cette violence le groupe élémentaire au sein duquel la paix doit absolument régner .» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 370.
«L'hypothèse de la violence tantôt réciproque, tantôt unanime et fondatrice, est la première qui rende vraiment compte du caractère double de toute divinité primitive, de l'union du maléfique et du bénéfique qui caractérise toutes les entités mythologiques dans toutes les sociétés humaines. Dionysos est à la fois «le plus terrible» et «le plus doux» de tous les dieux. De même, il y a le Zeus qui foudroie et le Zeus «doux comme le miel». Il n'y a pas de divinité antique qui ne soit à double face; si le Janus romain présente à ses fidèles un visage tour à tour pacifique et belliqueux, c'est parce qu'il signifie, lui aussi, le jeu de la violence; s'il finit par symboliser la guerre étrangère, c'est parce que celle-ci n'est qu'un mode particulier de la violence sacrificielle.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 375.
«Il faut donc renoncer, sur le plan de la mythologie, à toute distinction nette entre monstruosité physique et monstruosité morale. Nous utilisons nous-même le terme dans les deux cas. La pensée religieuse, on l'a vu, ne distingue pas les jumeaux biologiques des jumeaux de la violence, engendrés par la désagrégation de l'ordre culturel.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 376.
«Les différences entre les divers types de créatures mythologiques ne deviennent intéressantes que si on les rapporte à leur origine commune, la violence fondatrice pour y reconnaître une différence soit dans l'interprétation des données fournies par la violence, soit encore dans les données elles-mêmes, mais cette seconde possibilité est très difficile à explorer.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 378.
«Dans certaines cultures, les dieux sont absents ou effacés. Ce sont des ancêtres mythiques ou les morts dans leur ensemble qui remplacent, semble-t-il, toute divinité. Ils passent à la fois pour les fondateurs, les gardiens jaloux et, s'il le faut, les perturbateurs de l'ordre culturel. Quand l'adultère, l'inceste et les transgressions de toutes sortes se répandent, quand les querelles entre proches se multiplient, les morts sont mécontents et ils viennent hanter ou posséder les vivants. Ils leur donnent des cauchemar, des accès de folie, des maladies contagieuses; ils suscitent entre parents et voisins, disputes et conflits; ils provoquent toutes sortes de perversions.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 379-380.
«L'interpénétration fâcheuse des morts et des vivants est présentée tantôt comme la conséquence, tantôt comme la cause de la crise. Les châtiments que les morts infligent aux vivants ne se distinguent pas des conséquences de la transgression. Dans une société minuscule, le jeu contagieux de l'hubris se retourne vite, rappelons-le, contre tous les joueurs. Comme celle des dieux, donc, la vengeance des morts est aussi réelle qu'implacable. Elle ne fait qu'un avec le retour de la violence sur la tête du violent.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 380.
«La victime émissaire meurt, semble-t-il, pour que la communauté menacée tout entière de mourir avec elle, renaisse à la fécondité d'un ordre culturel nouveau ou renouvelé. Après avec [sic] semé partout les germes de mort, le dieu, l'ancêtre ou le héros mythique, en mourant eux-mêmes ou en faisant mourir la victime choisie par eux, apportent aux hommes une nouvelle vie. Comment s'étonner si la mort, en dernière analyse, est perçue comme sœur aînée, sinon même comme source et mère de toute vie ?» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 381.
«La victime émissaire est souvent détruite et toujours expulsée de la communauté. La violence qui s'apaise passe pour expulsée avec elle. Elle est en quelque sorte projetée à l'extérieur; elle est censée imprégner en permanence la totalité de l'être à l'exception de la communauté, aussi longtemps, c'est-à-dire, que l'ordre culturel est respecté à l'intérieur de celle-ci.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 397.
«Si la communauté a tout à craindre du sacré, il est vrai également qu’elle lui doit tout. Se voyant seule hors de lui, elle doit se croire engendrée par lui. Nous venons de dire que la communauté croit émerger hors du sacré et c’est bien ainsi qu’il faut parler. La violence fondatrice, on l’a vu, apparaît comme le fait non des hommes mais du sacré lui-même qui procède à sa propre expulsion, qui accepte de se retirer pour laisser exister la communauté hors de lui-même.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 398.
«Entre la communauté et le sacré une séparation complète, si tant est qu’elle soit vraiment pensable, est aussi redoutable qu’une fusion complète. Une séparation trop grande est dangereuse parce qu’elle ne peut se terminer que par un retour en force du sacré, par un déferlement fatal. Si le sacré s’éloigne trop on risque de négliger ou même d’oublier les règles que, dans sa bienveillance, il a enseigné aux hommes pour le permettre de se protéger contre lui-même. L’existence humaine reste donc gouvernée à tout moment par le sacré, réglée, surveillée et fécondée par lui. Les rapports entre l’existence et l’être dans la philosophie de Heidegger ressemblent beaucoup, semble-t-il, à ceux de la communauté et du sacré.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 399.
«La nécessité de la différence que nous venons de signaler entre la victime originaire et les victimes rituelles s'explique parfaitement, on le sait, sur le plan de la fonction. Si les victimes sacrificielles appartenaient à la communauté, comme la victime émissaire, le sacrifice déchaînerait la violence au lieu de l'enchaîner; loin de renouveler les effets de la violence fondatrice, il amorcerait une nouvelle crise sacrificielle. Le fait que certaines conditions doivent être réalisées ne suffit pas, toutefois, à justifier l'existence d'institutions capables de les réaliser. La seconde substitution sacrificielle pose un problème qu'il importe de résoudre.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 401.
«Quand la victime est immolée, elle appartient au sacré; c'est le sacré lui-même qui se laisse expulser ou s'expulse en sa personne. La victime émissaire a donc un caractère monstrueux; on a cessé de voir en elle ce qu'on voit dans les autres membres de la communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 403.
«On comprend maintenant pourquoi les victimes rituelles sont presque toujours empruntées des catégories non pas franchement extérieures, mais marginales, esclaves, enfants, bétail, etc. [...]. § Pour que la victime puisse polariser les tendances agressives, pour que le transfert puisse s'effectuer, il faut qu'il n'y ait pas de solution de continuité, il faut qu'il y ait glissement «métonymique» des membres de la communauté aux victimes rituelles, il faut, en d'autres termes, que la victime ne soit ni trop ni pas assez étrangère à cette même communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 404.
«Le cannibalisme rituel se pense lui-même et se laisse observer comme un jeu de représailles interminables qui se déroule à une échelle intertribale.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 416.
«Qu’il s’agisse de femmes ou de prisonniers, l’échange ritualisé en conflit, le conflit ritualisé en échange ne constituent jamais que des variantes d’un même glissement sacrificiel du dedans vers le dehors, mutuellement avantageux puisqu’il empêche la violence de se déchaîner là où elle ne doit absolument pas se déchaîner, au sein de groupes élémentaires. Les vengeances interminables d’une tribu à l’autre doivent se lire comme la métaphore obscure de la vengeance effectivement différée à l’intérieur de chaque communauté. Cette différence ou plutôt ce «différemment», ce déplacement n’a rien de feint, bien entendu. C’est bien parce que la rivalité et l’intimité entre les divers groupes est réelle que le système conserve son efficacité. Il est clair, d’ailleurs, que ce type de conflit ne se maintient pas toujours dans des limites tolérables.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 417.
«L’idéologie du cannibalisme rituel ressemble aux mythes nationalistes et guerriers du monde moderne. [...]. Un culte sacrificiel fondé sur la guerre et le meurtre réciproque de prisonniers ne peut pas se penser sur un mode mythique très différent de notre «nationalisme» avec ses «ennemis héréditaires», etc. Insister sur les différences entre les mythes de ce genre, c’est donner soi-même dans le mythe, puisque c’est se détourner de la seule chose qui importe vraiment, à savoir, la réalité, toujours identique, situé derrière le nationalisme moderne comme derrière le mythe [...]. Dans un cas comme dans l’autre, la fonction essentielle de la guerre étrangère et des rites plus ou moins spectaculaires qui peuvent l’accompagner, consiste à préserver l’équilibre et la tranquillité des communautés essentielles, en écartant la menace d’une violence forcément plus intestine que la violence ouvertement discutée, recommandée et pratiquée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 418.
«Si l’on voulait caractériser d’un mot l’ensemble des rites qui ont retenu jusqu’ici notre attention, on pourrait dire qu’ils visent tous à perpétuer et à renforcer un certain ordre familial, religieux, etc. Leur objet est de maintenir les choses en l’état. C’est pourquoi ils font constamment appel au modèle de toute fixation et de toute stabilisation culturelle: l’unanimité violente contre la victime émissaire et autour d’elle.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 419.
«Parce qu’elle ne croit pas à la contagion, excepté dans le cas des maladies microbiennes, la mentalité moderne croit toujours possible de limiter la perte de statut à un domaine déterminé. Il n’en va pas ainsi dans les sociétés primitives. L’indifférenciation fait tache d’huile et le néophyte lui-même est la première victime du caractère contagieux de sa propre affection. Dans certaines sociétés, le futur initié n’a plus ni nom, ni passé, ni liens de parenté, ni droits d’aucune sorte. Il est réduit à l’état de chose informe et innommable. Dans les cas d’initiations collectives, quand tout un groupe d’adolescents du même âge est appelé à un même passage, rien ne sépare plus les membres du groupe: à l’intérieur de ce groupe, donc, on vit dans une égalité et une promiscuité totales.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 421.
«Le mot conservateur est trop faible pour qualifier l’esprit d’immobilité, la terreur du mouvement, qui caractérise les sociétés pressées par le sacré. L’ordre socio-religieux apparaît comme un bienfait inestimable, une grâce inespérée que le sacré à chaque instant, peut retirer aux hommes. Il n’est pas question de porter sur cet ordre un jugement de valeur, de comparer, de choisir ou de manipuler le moins du monde le «système» afin de l’améliorer. Toute pensée moderne sur la société ferait ici figure de démence impie, propre à attirer l’intervention vengeresse de la Violence. Il faut que les hommes retiennent leur souffle. Tout mouvement inconsidéré peut entraîner une soudaine bourrasque, un raz de marée où toute société humaine disparaîtrait.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 422.
«L’action rituelle n’a jamais qu’un but qui est l’immobilité complète ou, à défaut de celle-ci, le minimum de mobilité. Accueillir le changement, c’est toujours entrebâiller la porte derrière laquelle rôdent la violence et le chaos. On ne peut pourtant pas empêcher les hommes de devenir des adultes, de se marier, de tomber malades, de mourir. Chaque fois que le devenir les menace, les sociétés primitives cherchent à canaliser sa force bouillonnante dans les limites sanctionnées par l’ordre culturel. C’est vrai même des changements saisonniers dans de nombreuses sociétés. Quel que soit le problème, d’où que vienne le péril, le remède est d’ordre rituel et tous les rites se ramènent à la répétition de la résolution originelle, à un nouvel accouchement de l’ordre différencié. Le modèle de toute fixité culturelle est aussi le modèle de tout changement non catastrophique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 425.
«Ils [les rites de passage] demeurent efficaces, en vérité, tant qu’on ne cherche pas à les penser sur le plan d’une efficacité purement sociale, tant qu’ils constituent réellement une imitation de la crise primordiale. L’efficacité du rite est une conséquence de l’attitude religieuse en général; elle exclut toutes les formes de calcul, de préméditation et de «planning» que nous avons tendance à imaginer derrière des types d’organisation social dont le fonctionnement nous échappe.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 427.
«Les Grecs nommaient katharma l’objet maléfique rejeté au cours d’opérations rituelles [...]. Or, le mot katharma désigne aussi et d’abord une victime sacrificielle humaine, une variante du pharmakos.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 429.
«Le mot katharsis signifie d’abord le bénéfice mystérieux que la cité retire de la mise à mort du katharma humain. On traduit généralement par purification religieuse. L’opération est conçue sur le mode d’un drainage, d’une évacuation. Avant d’être exécuté, le katharma est solennellement promené dans les rues de la ville, un peut à la façon dont une ménagère passe l’aspirateur dans tous les recoins de son appartement. La victime doit aimanter vers sa personne tous les mauvais germes et les évacuer en se faisant elle-même éliminer.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 429-430.
«Le glissement qui conduit du katharma humain à la katharsis médicale est parallèle à celui qui conduit du pharmakos humain au terme pharmakon qui signifie à la fois poison et remède. Dans les deux cas, on passe de la victime émissaire ou plutôt de son représentant, à la drogue double, à la fois maléfique et bénéfique, c’est-à-dire à une transposition physique de la dualité sacrée. Plutarque emploie l’expression kathartikon phramakon en une redondance significative.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 430-431.
«Katharma, katharsis sont des dérivés de katharos. Si on rassemble un peu les thèmes qui gravitent autour de cette même racine, on se trouve devant un véritable catalogue des sujets traités dans le présent essai, au double titre de la violence et du sacré. Katharma ne se rapporte pas seulement à la victime ou à l’objet émissaire. Le terme désigne encore l’occupation par excellence du héros mythique ou tragique. Pour désigner les travaux d’Hercule, Plutarque parle de pontia katharmata, d’expulsion qui ont purifié les mers. Kathairo signifie, entre autres choses, purger la terre de ses monstres.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 431-432.
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.
1. Des choses cachées depuis la fondation du monde
«Puisqu'on n'a pas réussi à comprendre le religieux à partir de la philosophie, il faut inverser la méthode et lire le philosophique à la lumière du religieux.» — R. GIRARD. Des choses cachées depuis la fondation du monde. Le Livre de poche. Paris, 2010. p. 27.
«De même que le crabe a besoin de sa pince ou la chauve-souris de ses ailes et Dame Évolution, toujours bienveillante, les leur fournit, l'homme a besoin de la «culture» et c'est elle qu'il reçoit de cette nouvelle Grande Mère universelle, servie sur un plateau d'argent.» — R. GIRARD. Des choses cachées depuis la fondation du monde. Le Livre de poche. Paris, 2010. p. 120.
2. Les origines de la culture
«... la quête des origines constitue la tentative scientifique par excellence.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 203.
«L'anthropologie moderne ferme systématiquement les yeux sur les violences archaïques. [...] L'essentiel, face à la violence, la seule conduite vraiment recommandable, c'est de faire semblant de ne rien voir. L'anthropologie religieuse moderne surenchérit sur l'interdiction platonicienne de mentionner la violence religieuse.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 257.
«Pourquoi rendre le mythe intouchable ? Pourquoi faisons-nous tant d'efforts, dans le monde moderne, pour resacraliser les mythes au nom de l'esthétique ou de n'importe quoi ? Pourquoi les mythes jouirait-ils d'une immunité que nous refusons, fort justement d'ailleurs, à notre religion à nous ? Au nom de quel absolu interdire aux critiques la seule hypothèse vraiment efficace, seule capable de rendre compte, dans les mythes, de toutes les récurrences et des bizarreries logiques ? Pourquoi s'interdire de constater les contagions victimaires qui déforment les compte rendus des violences collectives à l'insu de leurs auteurs ? Ceux qui s'égosillent à chanter la beauté des mythes pour ne pas voir l'illusion cruelle des lyncheurs se rendent complices des violences qu'ils ne dénoncent pas.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 268.
«Tout ce que je [l'auteur, M. Girard] dis, mais c'est déjà énorme, c'est que, si les Évangiles en savent plus sur la genèse de la culture humaine que nous n'en savons nous-mêmes, il importe désormais de les prendre beaucoup plus au sérieux, dans le monde savant, que l'on a fait jusqu'ici. Il convient de les prendre terriblement au sérieux.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 274.
«La Bible et les Évangiles introduisent dans le monde une vérité qui n'était pas là avant eux, une vérité purement humaine mais tellement puissante que, même si nos sages et nos savants font tout pour ne pas la voir, elle a déjà transformé et elle ne cesse de transformer le monde.» — R. GIRARD. Les origines de la culture. Pluriel. Paris, 2010. p. 276.
3. La voix méconnue du réel
«... l'élimination est un acte réel et les meurtriers les plus hystériques eux-mêmes ne tuent pas sans motif.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 38.
«Faire du langage une prison, [...], c'est ignorer son vrai mystère, comme c'est lui accorder une confiance excessive que de prétendre qu'il est toujours parfaitement efficace. Le véritable mystère tient à ce que le langage est à la fois le milieu transparent de l'empirisme et la prison de la linguistique. Tantôt il est l'un, tantôt il est l'autre; et le plus souvent, un inextricable mélange des deux.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 103.
«Comment se fait-il que nos plus brillants esprits modernes en sachent moins qu'un Grec d'antan ?» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 136.
«La plupart des intellectuels prétendent bien entendu ne rivaliser avec personne; tout au plus se soucient-ils d'exceller dans leurs domaines respectifs. L'esprit de concurrence ne concerne que les autres. Tous pourtant ont conscience que l'obstacle le plus insignifiant en apparence peut engendrer une terrible amertume. Le monde intellectuel étant dépourvu de hiérarchie et donc privé de critères objectifs, chacun y est fatalement soumis au jugement indirect de ses pairs. De fait, le nombre de personnes sujettes aux affections paranoïaques y est considérable.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 141.
«Dans le glissement de Dionysos contre le Crucifié à Dionysos ou le Crucifié, dans l'écroulement de cette suprême différence se situe l'effondrement de la pensée nietzschéenne. § Bien entendu, aux yeux de l'historien ou du philosophe, cette confusion est le produit de la seule folie et donc absurdité pure, qu'elle soit motif de gloire ou de détresse. En réalité, dans la théologie païenne comme dans le christianisme, le dieu est toujours une victime.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 148.
«Une rationalité désancrée du religieux abandonne sa liberté, totale mais inefficace, entre les mains d'experts si compétents que leur avis est forcément le seul valable. L'attention se focalise si étroitement sur l'environnement immédiat que nous perdons tout sens du contexte plus large, du tableau plus vaste. Notre équilibre devient précaire, et notre pas mal assuré, un peu comme celui de Frankenstein. D'où la nécessité de recourir à des experts.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 214.
«Les idées de paricide et d'inceste, et aussi d'infanticide, prolifèrent toujours lorsqu'une société est au bord de la désintégration.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 246.
«La seule chose que les perdants peuvent refuser aux gagnants, c'est l'hommage de leur imitation.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 307.
«Le véritable changement ne peut prendre racine qu'à une condition: il faut qu'il jaillisse de cette cohérence que seule la tradition nous offre. La tradition ne peut être défiée avec succès que de l'intérieur. L'innovation véritable suppose nécessairement un respect minimum pour le passé et une connaissance de ses œuvres, c'est-à-dire la mimésis. Vouloir que la nouveauté soit pure de toute trace d'imitation, c'est vouloir qu'une plante puisse pousser avec ses racines dans le ciel. À long terme, l'obligation d'avoir toujours à se révolter peut être plus ruineuse pour l'innovation que l'obligation de ne jamais se révolter.» — R. GIRARD. La voix méconnue du réel. Livre de Poche. Paris, 2002. p. 313.
4. La violence et le sacré
«On envisage toujours la crise tragique du point de vue de l 'ordre qui est en train de naître, jamais du point de vue de l'ordre qui est en train de s'écrouler. La raison de cette carence est évidente. La pensée moderne n'a jamais pu attribuer une fonction réelle au sacrifice: elle ne saurait percevoir l'écroulement d'un ordre dont la nature lui échappe. Il ne suffit pas, en vérité, de se convaincre qu'un tel ordre a existé pour voir s'éclairer les problèmes proprement religieux de l'époque tragique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 70.
«Quand le religieux se décompose, ce n'est pas seulement, ou tout de suite, la sécurité physique qui est menacée, c'est l'ordre culturel lui-même. Les institutions perdent leur vitalité; l'armature de la société s'affaisse et se dissout; d'abord lente, l'érosion de toutes les valeurs va se précipiter; la culture entière risque de s'effondrer et elle s'effondre un jour ou l'autre comme un château de cartes.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 78.
«Degree, gradus, est le principe de tout ordre naturel et culturel. C'est lui qui permet de situer les êtres les uns par rapport aux autres, qui fait que les choses ont un sens au sein d'un tout organisé et hiérarchisé. C'est lui qui constitue les objets et les valeurs que les hommes transforment, échangent et manipulent.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 79-80.
«La justice humaine s'enracine dans l'ordre différentiel et elle succombe avec lui. Partout où s'installe l'équilibre interminable et terrible du conflit tragique, le langage du juste et de l'injuste fait défaut.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 82.
«La religion, en effet, n'a jamais qu'un seul but et c'est d'empêcher le retour de la violence réciproque.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 86.
«Nous avons d'ores et déjà de sérieuses raisons de penser que la violence contre la victime émissaire pourrait bien être radicalement fondatrice en ce sens qu'en mettant fin au cercle vicieux de la violence, elle amorce du même coup un autre cercle vicieux, celui du rite sacrificiel, qui pourrait bien être celui de la culture tout entière. § S'il en est ainsi, la violence fondatrice constitue réellement l'origine de tout ce que les hommes ont de plus précieux et tiennent le plus à préserver. C'est bien là ce qu'affirment, mais sous une forme voilée, transfigurée, tous les mythes d'origine qui se ramènent au meurtre d'une créature mythique par d'autres créatures mythiques. Cet événement est perçu comme fondateur de l'ordre culturel. De la divinité morte proviennent non seulement les rites mais les règles matrimoniales, les interdits, toutes les formes culturelles qui confèrent aux hommes leur humanité.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 141.
«Penser religieusement, c'est penser le destin de la cité en fonction de cette violence qui maîtrise l'homme d'autant plus implacablement que l'homme se croit plus à même de la maîtriser. C'est donc penser cette violence comme surhumaine, pour la tenir à distance, pour renoncer à elle. Quand l'adoration terrifiée faiblit, quand les différences commencent à s'effacer, les sacrifices rituels perdent leur efficacité: ils ne sont plus agréés. Chacun prétend redresser lui-même la situation, mais personne n'y parvient: le dépérissement même de la transcendance fait qu'il n'y a plus la moindre différence entre le désir de sauver la cité et l'ambition la plus démesurée, entre la piété la plus sincère et le désir de se diviniser. Chacun voit dans l'entreprise rivale le fruit d'un désir sacrilège.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 202.
«L'inspiration tragique dissout les différences fictives dans la violence réciproque; elle démystifie la double illusion d'une divinité violente et d'une communauté innocente.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 204.
«Même s'il vient de la violence et s'il reste imprégné de violence, le rite est tourné vers la paix; il n'y a que lui, en fait, qui s'emploie activement à promouvoir l'harmonie entre les membres de la communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 205.
«Dans la crise sacrificielle, il faut renoncer à attacher le désir à tout objet déterminé, si privilégié qu'il paraisse, il faut orienter le désir vers la violence elle-même mais il n'est pas nécessaire, pour autant, de postuler un instinct de mort ou de violence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 216.
«Le modèle se juge trop au-dessus du disciple, le disciple se juge trop au-dessous d'un modèle pour que l'idée d'une rivalité, c'est-à-dire de l'identité des deux désirs, puisse les effleurer l'un et l'autre. Pour parfaire la réciprocité, il convient d'ajouter que le disciple peut servir lui-même de modèle, parfois même à son propre modèle; quant au modèle, si content de lui qu'il paraisse, il joue certainement, ici ou ailleurs, le rôle de disciple. La position du disciple, de toute évidence, est seule essentielle. C'est par elle qu'il faut définir la situation humaine fondamentale.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 218.
«Le désir, on le voit, s'attache à la violence triomphante; il s'efforce désespérément de maîtriser et d'incarner cette violence irrésistible. Si le désir suit la violence comme son ombre, c'est bien parce que la violence signifie l'être et la divinité.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 224.
«Le dieu qui visite le poète ne se donne que pour se reprendre. De la présence au temps de l'absence et de l'absence au temps de la présence, le souvenir subsiste, tout juste suffisant pour assurer la continuité de l'être individuel, pour fournir des repères qui rendent plus enivrante encore la joie de posséder, plus atroce encore l'amertume de la perte. Tantôt un être qui se croyait à jamais déchu assiste dans l'extase à sa propre résurrection, tantôt au contraire un être qui se prenait pour un dieu découvre dans l'horreur qu'il s'est fait illusion. Le dieu est autre et le poète n'est plus qu'un mort vivant, à jamais privé de toutes raisons de vivre, brebis muette sous le couteau du sacrificateur.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 230-231.
«De l'intérieur du système, il n'y a que des différences; du dehors, au contraire, il n'y a que de l'identité. Du dedans on ne voit pas l'identité et du dehors on ne voit pas la différence. Les deux perspectives ne sont pourtant pas équivalentes. On peut toujours intégrer la perspective du dedans à la perspective du dehors; on ne peut pas intégrer la perspective du dehors à la perspective du dedans.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 235.
«C'est bien là ce qui rend l'enfance si vulnérable. L'adulte est prompt à prévoir la violence et il réplique à la violence par la violence, il répond du tac au tac; le petit enfant, par contre, n'a jamais été exposé à la violence, c'est bien pourquoi il s'avance sans la moindre méfiance vers les objets de son modèle. Seul l'adulte peut interpréter les mouvements de l'enfant comme un désir d'usurpation: il les interprète au sein d'un système culturel qui n'est pas encore celui de l'enfant, à partir de significations culturelles dont l'enfant n'a pas la moindre idée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 256-257.
«Le fils est toujours le dernier à apprendre qu'il est en marche vers le parricide et l'inceste, mais les adultes, ces bons apôtres, sont là pour le renseigner.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 257.
«À l'origine de toute adaptation individuelle ou collective, il y a l'escamotage d'une certaine violence arbitraire. L'adapté est celui qui réalise lui-même cet escamotage ou qui réussit à s'en accommoder, s'il est déjà réalisé pour lui par l'ordre culturel. L'inadapté ne s'accommode pas.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 261.
«Pour concevoir les deux commandements contradictoires su Surmoi, dans le climat d'incertitude et d'ignorance impliqué par la description freudienne, on doit imaginer une première imitation, ardente et fidèle, payée d'une disgrâce d'autant plus stupéfiante aux yeux du fils qu'elle s'inscrit dans le contexte de cette ardeur et de cette fidélité. L'injonction positive: «Sois comme le père» paraît couvrir le champ entier des activités paternelles. Rien dans cette première injonction n'annonce ni surtout ne permet d'interpréter l'injonction contraire qui lui succède immédiatement: «Ne sois pas comme le père», laquelle paraît couvrir, elle aussi, le champ entier du possible. § Tout principe de différenciation fait défaut; c'est cette ignorance qui est terrible; le fils se demande en quoi il a démérité; il cherche à définir pour les deux injonctions, des domaines séparés d'application. Il ne donne nullement l'impression d'un transgresseur; il n'a pas enfreint une loi qu'il connaît déjà; il cherche à connaître la loi qui permettrait de définir sa conduite comme transgression.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 263.
«Même là où il est trop éclairé, trop évolué pour ne pas être au fait de ce qu'il est lui-même, pour se prétendre pur de toute violence, le ressentiment moderne fait toujours d'une non-violence idéale, dont les tragiques grecs n'ont même pas la notion, le critère secrètement violent de tout jugement, de toute évaluation proprement critique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 301.
«L'élément proprement tendancieux ne fait qu'un avec la différence sacrée que chacun veut s'approprier en l'arrachant à l'autre et qui oscille de plus en plus vite dans l'affrontement des lucidités rivales. C'est là peut-être, ce qui définit l'interprétation elle-même, qu'il s'agisse d'Œdipe roi, ou de nos jours, des querelles au sujet de la psychanalyse et des autres méthodologies. L'antagonisme, ostensiblement, n'a jamais d'autre objet que la culture en crise dont chacun se flatte de porter dans son cœur le souci exclusif. Chacun s'efforce de diagnostiquer le mal afin de le guérir. Mais le mal, c'est toujours l'autre, ses faux diagnostics et ses remèdes qui sont en réalité des poisons. Quand les responsabilités réelles sont nulles, le jeu demeure le même; il n'en est que plus parfait pour être totalement privé d'enjeu; chacun s'efforce de briller du plus vif éclat aux dépens de ses voisins, d'éclipser, c'est-à-dire les lucidités rivales, plutôt que d'éclairer quoi que ce soit.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 301-302.
«Les mythes de la démystification pullulent comme des vers sur le cadavre du grand mythe collectif dont ils tirent leur subsistance.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 302.
«Seuls, à ma connaissance, des écrivains ont jamais percé à jour ce processus de démystification mystifiante, les psychanalystes jamais, les sociologues jamais.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 302-303.
«On entend trier le vrai du faux et le tri, en effet, est infaillible: c'est toujours l'erreur qui sort du chapeau, c'est toujours la vérité qui reste au fond.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 317.
«La thèse défendue ici, le mécanisme de la victime émissaire, n'est pas une idées plus ou moins bonne, c'est l'origine vraie de tout le religieux et, on le verra mieux dans un instant, des interdits de l'inceste.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 317.
«On ne peut pas postuler la présence dans l'homme d'un désir incompatible avec la vie en société sans poser également, en face de ce désir, de quoi le tenir lui-même en échec. Pour échapper définitivement aux illusions de l'humanisme, une seule condition est nécessaire mais c'est aussi la seule que l'homme moderne se refuse à remplir: il faut reconnaître la dépendance radicale de l'humanité à l'égard du religieux.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 320.
«Tout ce que la violence sacrée a touché appartient désormais au dieu et fait, en tant que tel, l'objet d'un interdit absolu. § Dégrisés et épouvantés, les antagonistes vont tout faire, désormais, pour ne pas retomber dans la violence réciproque. Et ils savent parfaitement ce qu'il faut faire. La colère divine le leur a signifié. Partout où la violence a flambé l'interdit s'élève.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 320-321.
«Les interdits ne sont rien d'autre que la violence elle-même, toute la violence d'une crise antérieure, littéralement figée sur place, muraille partout dressée contre le retour de ce qu'elle-même fut. Si l'interdit fait preuve d'une subtilité égale à celle de la violence, c'est parce qu'en dernière analyse, il ne fait qu'un avec elle. C'est aussi pourquoi il lui arrive de faire le jeu de la violence et de grossir la tempête quand l'esprit de vertige souffle sur la communauté. Comme toutes les formes de protection sacrificielle, l'interdit peut se retourner contre ce qu'il protège.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 321.
«L'échange matrimonial peut s'accompagner régulièrement de violences ritualisées, analogues aux autres formes de guerre rituelle. Cette violence systématisée ressemble à la vengeance interminable qui sévirait à l'intérieur de la communauté si justement elle n'était pas déplacée vers l'extérieur. Il n'y a qu'un seul problème: la violence, et il n'y a qu'une seule manière de la résoudre, le déplacement vers l'extérieur: il faut interdire à la violence, comme au désir sexuel, de prendre pied là où leur présence double et une est absolument incompatible avec le fait même de l'existence commune.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 322.
«Bénéfique et fécondante mais toujours dangereuse, la violence réglée du sexe, comme celle de l'immolation rituelle, est entourée d'un véritable cordon sanitaire; elle ne saurait se propager librement au sein de la communauté sans devenir maléfique et destructrice.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323.
«Dans les sociétés primitives, là où l'activité sexuelle n'est ni légitime, c'est-à-dire rituelle au sens strict ou au sens large, ni interdite, on peut être certain qu'elle passe tout simplement pour insignifiante ou peu signifiante, inapte, en d'autres termes, à propager la violence intestine. C'est le cas, dans certaines sociétés, de l'activité sexuelle des enfants et des adolescents non mariés, ou encore des rapports avec les étrangers et, bien entendu, des rapports entre étrangers.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323.
«Les interdits ont une fonction primordiale; ils réservent au cœur des communautés humaines une zone protégée, un minimum de non-violence absolument indispensable aux fonctions essentielles, à la survie des enfants, à leur éducation culturelle, à tout ce qui fait l'humanité de l'homme. S'il y a des interdits capables de jour ce rôle, on ne peut pas voir là un bienfait de Dame Nature, cette providence de l'humanisme satisfait, dernière héritière des théologies optimistes engendrées par la décomposition du christianisme historique. Le mécanisme de la victime émissaire doit nous apparaître désormais comme essentiellement responsable du fait qu'il existe une chose telle que l'humanité. On sait, désormais, que dans la vie animale, la violence est pourvue de freins individuels. Les animaux d'une même espèce ne luttent jamais à mort; le vainqueur épargne le vaincu. L'espèce humaine est privée de cette protection. Au mécanisme biologique individuel se substitue le mécanisme collectif et culturel de la victime émissaire. Il n'y a pas de société sans religion parce que sans religion aucune société ne serait possible.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 323-324.
«Il y a lieu de penser que, dans la promiscuité naturelle, le lien entre l'acte sexuel et la naissance des enfants, le fait même de la conception doit demeurer inobservable. Seuls les interdits de l'inceste peuvent fournir aux hommes les conditions quasi expérimentales nécessaires à la connaissance de ce fait, en introduisant dans la vie sexuelle les éléments stabilisateurs et des exclusions systématiques sans lesquels les rapprochements et les comparaisons susceptibles de faire la lumière demeurent impossibles. Seuls les interdits permettent de déterminer les fruits de l'activité sexuelle en opposant ceux-ci à la stérilité de l'abstinence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 332.
«Ce n'est pas parce que la biologie appartient à la nature qu'il faut la refuser comme point de départ, c'est au contraire parce qu'elle appartient complètement à la culture. Elle est déduite des systèmes dont la famille élémentaire constitue le plus petit commun dénominateur; c'est bien pourquoi elle n'est point fondatrice; le système est d'un seul tenant et il faut le déchiffrer comme tel, sans se laisser distraire par les possibilités diverses qu'il entraîne mais qui ne le déterminent pas.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 333.
«Tant qu'on mesure les systèmes aux seuls faits de la procréation, il est bien évident que notre système est aussi arbitraire que les autres. Sur le plan du fonctionnement biologique réel, peu importe, en effet, qu'un système interdise à un homme d'épouser: 1) sa mère, ses sœurs, ses filles et toutes les femmes du clan X; 2) sa mère, ses sœurs, et ses filles exclusivement. § Les mécanismes de la biologie ne fonctionneront ni mieux ni plus mal dans le premier cas que dans le second et ils fonctionneraient sans doute tout aussi bien, n'en déplaise à Westermarck [(1862-1939) philosophe et anthropologue finlandais], s'il n'y avait pas d'interdits du tout. Par rapport aux données réelles de la génération, donc, la cause est entendue: tous les systèmes sont également arbitraires.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 337-338.
«La réduction extrême de l'interdit souligne le savoir déjà dégagé, elle le fait mieux ressortir mais elle ne fait apparaître aucun savoir nouveau.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 338.
«Il faut montrer sur l'exemple le plus simple, le plus immédiat, l'aptitude de la pensée symbolique, même la plus mythique, à découvrir des rapports dont la vérité est inébranlable, des différences qui échappent à tout relativisme mythique et culturel.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 338.
«Personne n'ignore, en effet, que le principal obstacle à l'acquisition d'une langue étrangère, n'est autre que la langue maternelle. L'idiome originel nous possède autant et plus encore que nous le possédons. Il fait même preuve, dans le domaine des langues, d'une certaine jalousie dans sa façon de posséder, puisqu'il nous ôte presque toute disponibilité à l'égard de ce qui n'est pas lui. Les enfants font preuve, dans le domaine des langues, d'une faculté d'assimilation à la mesure de leur faculté d'oubli. Et les plus grands linguistes n'ont souvent plus de langue qui leur soit vraiment propre.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 340.
«La «pensée symbolique» dans son ensemble est assimilée au mythique: on lui attribue, face à la réalité, une autonomie que certains jugeront glorieuse, mais qui se révèle en fin de compte décevante et stérile car elle n'a plus de rapport avec la réalité. L'héritage culturel de l'humanité fait l'objet d'un soupçon généralisé. On ne s'intéresse à lui que pour le «démystifier», c'est-à-dire pour montrer qu'il se ramène à quelque combinatoire d'intérêt à peu près nul en dehors de l'occasion qu'il fournit au démystificateur de déployer sa mæstria.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 342.
«Pour nous transporter d'un seul coup du noir mensonge ancestral à l'éclatante vérité scientifique, ce libérateur de l'humanité [Lévi-Strauss] a dû couper le cordon ombilical qui nous rattachait à la matrice de toute pensée mythique. Notre science dure et pure doit être le fruit d'une «coupure épistémologique» que rien n'annonce ni ne prépare.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 343.
«Toutes ces questions convergent, bien entendu, vers un problème fondamental: l'origine de la pensée symbolique. Si les systèmes symboliques ne sont jamais que «le développement spontané d'une situation de fait», s'il y a rupture entre la nature et la culture, la question de l'origine se pose et elle se pose avec urgence.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 344.
«Si la pensée symbolique est un donné, est-ce parce que nous saisissons son émergence ou au contraire parce que nous ne la saisissons pas ? Cette émergence passe-t-elle inaperçue, s'agit-il d'une mutation silencieuse, comme de nombreux passages postérieurs le supposent ou l'affirment, ou s'agit-il au contraire d'un véritable événement ? La phrase précédente paraît s'orienter vers la seconde possibilité: elle nous autorise à voir dans l'avènement symbolique une chose sur laquelle il est légitime et même inévitable de s'interroger. Mais quels sont ces phénomènes dont on nous dit qu'ils ont «précédé et préparé» cet avènement ? Comment faut-il envisager une recherche qui paraît réservée «à l'interprétation naturaliste» ?» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 345.
«La pensée symbolique a son origine dans le mécanisme de la victime émissaire. C'est là ce que nous avons essayé de montrer, en particulier dans nos analyses du mythe d'Œdipe et du mythe de Dionysos. C'est à partir d'un arbitrage fondamental qu'il faut concevoir la présence simultanée de l'arbitraire et du vrai dans les systèmes symboliques.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 346.
«Qui dit l'origine de la pensée symbolique dit également l'origine du langage, le véritable fort/da d'où surgit toute nomination, l'alternance fondamentale de la violence et de la paix. Si le mécanisme de la victime émissaire suscite le langage, s'imposant lui-même comme premier objet, on conçoit que le langage dise d'abord la conjonction du pire et du meilleur, l'épiphanie divine, le rite qui la commémore et le mythe qui se la remémore. Longtemps le langage reste imprégné de sacré et ce n'est pas sans raison qu'il paraît réservé au sacré et octroyé par le sacré.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 346.
«Les mécanismes de discrimination, d'exclusion et de conjonction qui s'enracinent dans le processus fondateur s'exercent d'abord sur lui, et ils produisent la pensée religieuse; mais ils ne sont pas réservés au religieux; ce sont les mécanismes de toute pensée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 347.
«C'est le primitif perpétué qui nous fait qualifier de phantasmes tout ce qui pourrait nous éclairer si nous le regardions d'un peu près; c'est le primitif perpétué qui nous interdit de reconnaître que le faux, même sur le plan religieux, est tout autre qu'une erreur grossière, et c'est lui qui empêche les hommes de s'entre-détruire.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 348.
«L'essence du moderne consisterait en un pouvoir de s'installer dans une crise sacrificielle toujours aggravée, non, certes, comme en une habitation paisible et dénuée de souci mais sans jamais perdre la maîtrise qui ouvre aux sciences de la nature d'abord, aux significations culturelles ensuite et enfin à l'arbitrage fondateur lui-même, des possibilités de dévoilement sans égales.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 349.
«Le narcissisme est une inversion de la vérité. On s'affirme tenté par le même et déçu par le tout autre, alors qu'en réalité, c'est le tout autre qui tente et le même qui déçoit ou plutôt tout ce qu'on prend pour tel dans l'un et l'autre cas, une fois que le mimétisme s'est enfermé dans la réciprocité violente et qu'il ne peut plus s'attacher qu'à son antagoniste; seul ce qui lui fait obstacle peut désormais le retenir.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 355.
«Il faut chercher la clef des structurations dans toute transcendance où s'incarne encore l'unité de la société et non dans ce qui défait cette transcendance, l'efface et la détruit, replongeant les hommes dans la mimesis de la violence infinie.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 355.
«Pour l'instant, la pensée affirme qu'il n'y a pas de centre et elle cherche à sortir du cercle pour le maîtriser du dehors. C'est bien là l'entreprise de l'avant-garde qui veut toujours purifier sa pensée pour échapper au cercle du mythe et elle se rendrait totalement inhumaine si elle le pouvait. Comme le doute l'étreint, elle cherche toujours à renforcer le «coefficient de scientificité»; pour ne pas voir que les bases vacillent, elle se hérisse de théorèmes bien rébarbatifs; elle multiplie les sigles incompréhensifs; elle élimine tout ce qui ressemble encore à une hypothèse intelligible. Elle chasse impitoyablement des augustes parvis le dernier honnête homme découragé.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 356.
«On sait maintenant que le sacré règne sans partage partout où l'ordre culturel n'a jamais fonctionné, n'a pas commencé à fonctionner ou a cessé de fonctionner. Il règne aussi sur la structure, il l'engendre, l'ordonne, la surveille, la perpétue, ou au contraire la malmène, la décompose, la métamorphose et la détruit au gré de ses moindres caprices mais il n'est pas présent dans la structure au sens où il passe pour présent partout ailleurs.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 360.
«La violence rituelle est toujours moins intestine que la violence originelle. En devenant mythico-rituelle, la violence se déplace vers l'extérieur et ce déplacement a, en lui-même, un caractère sacrificiel: il dissimule le lieu de la violence originelle, protégeant de cette violence et du savoir de cette violence le groupe élémentaire au sein duquel la paix doit absolument régner .» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 370.
«L'hypothèse de la violence tantôt réciproque, tantôt unanime et fondatrice, est la première qui rende vraiment compte du caractère double de toute divinité primitive, de l'union du maléfique et du bénéfique qui caractérise toutes les entités mythologiques dans toutes les sociétés humaines. Dionysos est à la fois «le plus terrible» et «le plus doux» de tous les dieux. De même, il y a le Zeus qui foudroie et le Zeus «doux comme le miel». Il n'y a pas de divinité antique qui ne soit à double face; si le Janus romain présente à ses fidèles un visage tour à tour pacifique et belliqueux, c'est parce qu'il signifie, lui aussi, le jeu de la violence; s'il finit par symboliser la guerre étrangère, c'est parce que celle-ci n'est qu'un mode particulier de la violence sacrificielle.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 375.
«Il faut donc renoncer, sur le plan de la mythologie, à toute distinction nette entre monstruosité physique et monstruosité morale. Nous utilisons nous-même le terme dans les deux cas. La pensée religieuse, on l'a vu, ne distingue pas les jumeaux biologiques des jumeaux de la violence, engendrés par la désagrégation de l'ordre culturel.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 376.
«Les différences entre les divers types de créatures mythologiques ne deviennent intéressantes que si on les rapporte à leur origine commune, la violence fondatrice pour y reconnaître une différence soit dans l'interprétation des données fournies par la violence, soit encore dans les données elles-mêmes, mais cette seconde possibilité est très difficile à explorer.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 378.
«Dans certaines cultures, les dieux sont absents ou effacés. Ce sont des ancêtres mythiques ou les morts dans leur ensemble qui remplacent, semble-t-il, toute divinité. Ils passent à la fois pour les fondateurs, les gardiens jaloux et, s'il le faut, les perturbateurs de l'ordre culturel. Quand l'adultère, l'inceste et les transgressions de toutes sortes se répandent, quand les querelles entre proches se multiplient, les morts sont mécontents et ils viennent hanter ou posséder les vivants. Ils leur donnent des cauchemar, des accès de folie, des maladies contagieuses; ils suscitent entre parents et voisins, disputes et conflits; ils provoquent toutes sortes de perversions.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 379-380.
«L'interpénétration fâcheuse des morts et des vivants est présentée tantôt comme la conséquence, tantôt comme la cause de la crise. Les châtiments que les morts infligent aux vivants ne se distinguent pas des conséquences de la transgression. Dans une société minuscule, le jeu contagieux de l'hubris se retourne vite, rappelons-le, contre tous les joueurs. Comme celle des dieux, donc, la vengeance des morts est aussi réelle qu'implacable. Elle ne fait qu'un avec le retour de la violence sur la tête du violent.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 380.
«La victime émissaire meurt, semble-t-il, pour que la communauté menacée tout entière de mourir avec elle, renaisse à la fécondité d'un ordre culturel nouveau ou renouvelé. Après avec [sic] semé partout les germes de mort, le dieu, l'ancêtre ou le héros mythique, en mourant eux-mêmes ou en faisant mourir la victime choisie par eux, apportent aux hommes une nouvelle vie. Comment s'étonner si la mort, en dernière analyse, est perçue comme sœur aînée, sinon même comme source et mère de toute vie ?» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 381.
«La victime émissaire est souvent détruite et toujours expulsée de la communauté. La violence qui s'apaise passe pour expulsée avec elle. Elle est en quelque sorte projetée à l'extérieur; elle est censée imprégner en permanence la totalité de l'être à l'exception de la communauté, aussi longtemps, c'est-à-dire, que l'ordre culturel est respecté à l'intérieur de celle-ci.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 397.
«Si la communauté a tout à craindre du sacré, il est vrai également qu’elle lui doit tout. Se voyant seule hors de lui, elle doit se croire engendrée par lui. Nous venons de dire que la communauté croit émerger hors du sacré et c’est bien ainsi qu’il faut parler. La violence fondatrice, on l’a vu, apparaît comme le fait non des hommes mais du sacré lui-même qui procède à sa propre expulsion, qui accepte de se retirer pour laisser exister la communauté hors de lui-même.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 398.
«Entre la communauté et le sacré une séparation complète, si tant est qu’elle soit vraiment pensable, est aussi redoutable qu’une fusion complète. Une séparation trop grande est dangereuse parce qu’elle ne peut se terminer que par un retour en force du sacré, par un déferlement fatal. Si le sacré s’éloigne trop on risque de négliger ou même d’oublier les règles que, dans sa bienveillance, il a enseigné aux hommes pour le permettre de se protéger contre lui-même. L’existence humaine reste donc gouvernée à tout moment par le sacré, réglée, surveillée et fécondée par lui. Les rapports entre l’existence et l’être dans la philosophie de Heidegger ressemblent beaucoup, semble-t-il, à ceux de la communauté et du sacré.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 399.
«La nécessité de la différence que nous venons de signaler entre la victime originaire et les victimes rituelles s'explique parfaitement, on le sait, sur le plan de la fonction. Si les victimes sacrificielles appartenaient à la communauté, comme la victime émissaire, le sacrifice déchaînerait la violence au lieu de l'enchaîner; loin de renouveler les effets de la violence fondatrice, il amorcerait une nouvelle crise sacrificielle. Le fait que certaines conditions doivent être réalisées ne suffit pas, toutefois, à justifier l'existence d'institutions capables de les réaliser. La seconde substitution sacrificielle pose un problème qu'il importe de résoudre.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 401.
«Quand la victime est immolée, elle appartient au sacré; c'est le sacré lui-même qui se laisse expulser ou s'expulse en sa personne. La victime émissaire a donc un caractère monstrueux; on a cessé de voir en elle ce qu'on voit dans les autres membres de la communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 403.
«On comprend maintenant pourquoi les victimes rituelles sont presque toujours empruntées des catégories non pas franchement extérieures, mais marginales, esclaves, enfants, bétail, etc. [...]. § Pour que la victime puisse polariser les tendances agressives, pour que le transfert puisse s'effectuer, il faut qu'il n'y ait pas de solution de continuité, il faut qu'il y ait glissement «métonymique» des membres de la communauté aux victimes rituelles, il faut, en d'autres termes, que la victime ne soit ni trop ni pas assez étrangère à cette même communauté.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 404.
«Le cannibalisme rituel se pense lui-même et se laisse observer comme un jeu de représailles interminables qui se déroule à une échelle intertribale.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 416.
«Qu’il s’agisse de femmes ou de prisonniers, l’échange ritualisé en conflit, le conflit ritualisé en échange ne constituent jamais que des variantes d’un même glissement sacrificiel du dedans vers le dehors, mutuellement avantageux puisqu’il empêche la violence de se déchaîner là où elle ne doit absolument pas se déchaîner, au sein de groupes élémentaires. Les vengeances interminables d’une tribu à l’autre doivent se lire comme la métaphore obscure de la vengeance effectivement différée à l’intérieur de chaque communauté. Cette différence ou plutôt ce «différemment», ce déplacement n’a rien de feint, bien entendu. C’est bien parce que la rivalité et l’intimité entre les divers groupes est réelle que le système conserve son efficacité. Il est clair, d’ailleurs, que ce type de conflit ne se maintient pas toujours dans des limites tolérables.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 417.
«L’idéologie du cannibalisme rituel ressemble aux mythes nationalistes et guerriers du monde moderne. [...]. Un culte sacrificiel fondé sur la guerre et le meurtre réciproque de prisonniers ne peut pas se penser sur un mode mythique très différent de notre «nationalisme» avec ses «ennemis héréditaires», etc. Insister sur les différences entre les mythes de ce genre, c’est donner soi-même dans le mythe, puisque c’est se détourner de la seule chose qui importe vraiment, à savoir, la réalité, toujours identique, situé derrière le nationalisme moderne comme derrière le mythe [...]. Dans un cas comme dans l’autre, la fonction essentielle de la guerre étrangère et des rites plus ou moins spectaculaires qui peuvent l’accompagner, consiste à préserver l’équilibre et la tranquillité des communautés essentielles, en écartant la menace d’une violence forcément plus intestine que la violence ouvertement discutée, recommandée et pratiquée.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 418.
«Si l’on voulait caractériser d’un mot l’ensemble des rites qui ont retenu jusqu’ici notre attention, on pourrait dire qu’ils visent tous à perpétuer et à renforcer un certain ordre familial, religieux, etc. Leur objet est de maintenir les choses en l’état. C’est pourquoi ils font constamment appel au modèle de toute fixation et de toute stabilisation culturelle: l’unanimité violente contre la victime émissaire et autour d’elle.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 419.
«Parce qu’elle ne croit pas à la contagion, excepté dans le cas des maladies microbiennes, la mentalité moderne croit toujours possible de limiter la perte de statut à un domaine déterminé. Il n’en va pas ainsi dans les sociétés primitives. L’indifférenciation fait tache d’huile et le néophyte lui-même est la première victime du caractère contagieux de sa propre affection. Dans certaines sociétés, le futur initié n’a plus ni nom, ni passé, ni liens de parenté, ni droits d’aucune sorte. Il est réduit à l’état de chose informe et innommable. Dans les cas d’initiations collectives, quand tout un groupe d’adolescents du même âge est appelé à un même passage, rien ne sépare plus les membres du groupe: à l’intérieur de ce groupe, donc, on vit dans une égalité et une promiscuité totales.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 421.
«Le mot conservateur est trop faible pour qualifier l’esprit d’immobilité, la terreur du mouvement, qui caractérise les sociétés pressées par le sacré. L’ordre socio-religieux apparaît comme un bienfait inestimable, une grâce inespérée que le sacré à chaque instant, peut retirer aux hommes. Il n’est pas question de porter sur cet ordre un jugement de valeur, de comparer, de choisir ou de manipuler le moins du monde le «système» afin de l’améliorer. Toute pensée moderne sur la société ferait ici figure de démence impie, propre à attirer l’intervention vengeresse de la Violence. Il faut que les hommes retiennent leur souffle. Tout mouvement inconsidéré peut entraîner une soudaine bourrasque, un raz de marée où toute société humaine disparaîtrait.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 422.
«L’action rituelle n’a jamais qu’un but qui est l’immobilité complète ou, à défaut de celle-ci, le minimum de mobilité. Accueillir le changement, c’est toujours entrebâiller la porte derrière laquelle rôdent la violence et le chaos. On ne peut pourtant pas empêcher les hommes de devenir des adultes, de se marier, de tomber malades, de mourir. Chaque fois que le devenir les menace, les sociétés primitives cherchent à canaliser sa force bouillonnante dans les limites sanctionnées par l’ordre culturel. C’est vrai même des changements saisonniers dans de nombreuses sociétés. Quel que soit le problème, d’où que vienne le péril, le remède est d’ordre rituel et tous les rites se ramènent à la répétition de la résolution originelle, à un nouvel accouchement de l’ordre différencié. Le modèle de toute fixité culturelle est aussi le modèle de tout changement non catastrophique.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 425.
«Ils [les rites de passage] demeurent efficaces, en vérité, tant qu’on ne cherche pas à les penser sur le plan d’une efficacité purement sociale, tant qu’ils constituent réellement une imitation de la crise primordiale. L’efficacité du rite est une conséquence de l’attitude religieuse en général; elle exclut toutes les formes de calcul, de préméditation et de «planning» que nous avons tendance à imaginer derrière des types d’organisation social dont le fonctionnement nous échappe.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 427.
«Les Grecs nommaient katharma l’objet maléfique rejeté au cours d’opérations rituelles [...]. Or, le mot katharma désigne aussi et d’abord une victime sacrificielle humaine, une variante du pharmakos.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 429.
«Le mot katharsis signifie d’abord le bénéfice mystérieux que la cité retire de la mise à mort du katharma humain. On traduit généralement par purification religieuse. L’opération est conçue sur le mode d’un drainage, d’une évacuation. Avant d’être exécuté, le katharma est solennellement promené dans les rues de la ville, un peut à la façon dont une ménagère passe l’aspirateur dans tous les recoins de son appartement. La victime doit aimanter vers sa personne tous les mauvais germes et les évacuer en se faisant elle-même éliminer.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 429-430.
«Le glissement qui conduit du katharma humain à la katharsis médicale est parallèle à celui qui conduit du pharmakos humain au terme pharmakon qui signifie à la fois poison et remède. Dans les deux cas, on passe de la victime émissaire ou plutôt de son représentant, à la drogue double, à la fois maléfique et bénéfique, c’est-à-dire à une transposition physique de la dualité sacrée. Plutarque emploie l’expression kathartikon phramakon en une redondance significative.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 430-431.
«Katharma, katharsis sont des dérivés de katharos. Si on rassemble un peu les thèmes qui gravitent autour de cette même racine, on se trouve devant un véritable catalogue des sujets traités dans le présent essai, au double titre de la violence et du sacré. Katharma ne se rapporte pas seulement à la victime ou à l’objet émissaire. Le terme désigne encore l’occupation par excellence du héros mythique ou tragique. Pour désigner les travaux d’Hercule, Plutarque parle de pontia katharmata, d’expulsion qui ont purifié les mers. Kathairo signifie, entre autres choses, purger la terre de ses monstres.» — R. GIRARD. La violence et le sacré. Fayard. Paris, 2010. p. 431-432.
Inscription à :
Articles (Atom)