[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
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NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site
n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles
sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière
importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que
par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en
découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à
l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en
retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de
Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer,
en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut
bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à
l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.
«Selon moi, l'histoire est faite par les hommes et les femmes, mais elle peut également être défaite et réécrite, à coups de silences, d'oublis, de formes imposées et de déformations tolérées, de telle sorte que «notre» Est, ou notre «Orient», devienne vraiment «nôtre», que nous puissions le posséder et le diriger. Je dois redire que je n'a pas de «véritable» Orient à défendre. En revanche, j'ai le plus grand respect pour la capacité qu'ont ces peuples à défendre leur propre vision de ce qu'ils sont et de ce qu'ils veulent devenir.» — E.W. Said. «Préface (2003).» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 9.
«La volonté de comprendre d'autres cultures à des fins de coexistence et d'élargissement de son horizon n'a rien à voir avec la volonté de dominer.» — E.W. Said. «Préface (2003).» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 10.
«Chaque nouvel empire prétend toujours être différent de ceux qui l'ont précédé, affirme que les circonstances sont exceptionnelles, que sa mission consiste à civiliser, à établir l'ordre de la démocratie, et qu'il n'utilise la force qu'en dernier recours. Le plus triste est qu'il se trouve toujours des intellectuels pour trouver des mots doux et parler d'empires bienveillants et altruistes.» — E.W. Said. «Préface (2003).» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 11-12.
«Par humanisme, je pense d'abord à la volonté qui poussait William Blake à briser les chaînes de notre esprit afin d'utiliser celui-ci à une réflexion historique et raisonnée. L'humanisme est également entretenu par un sentiment de communauté avec d'autres chercheurs, d'autres sociétés et d'autres époques: il n'existe pas d'humaniste à l'écart du monde. Chaque domaine est lié à tous les autres et rien de ce qui se passe dans le monde ne saurait rester isolé et pur de toute influence extérieure. Nous devons traiter de l'injustice et de la souffrance, mais dans un contexte largement inscrit dans l'histoire, la culture et la réalité socio-économique. Notre rôle est d'élargir le champ de débat.» — E.W. Said. «Préface (2003).» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 13.
«L'esprit critique n'obéit pas à l'injonction de rentrer dans les rangs pour partir en guerre contre un ennemi officiel ou l'autre. Loin d'un choc des civilisations préfabriqué, nous devons nous concentrer sur un lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent de manière bien plus profonde que ne le laissent penser des modes de compréhension réducteurs et inauthentiques. Mais cette forme de perception plus large exige du temps, des recherches patientes et toujours critiques, alimentées par une foi en une communauté intellectuelle difficile à conserver dans un monde fondé sur l'immédiateté de l'action et de la réaction.» — E.W. Said. «Préface (2003).» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 19.
«Un discours est, certes, déterminé par ce sur quoi il porte; mais à côté de ce contenu évident il en est un autre, parfois inconscient et toujours implicite, qui lui vient de ses utilisateurs: auteurs et lecteurs, orateurs et public. Affirmer cette dualité ne revient pas à opposer l'objectif et le subjectif, ou le collectif et l'individuel: même si la personnalité subjective y est pour quelque chose, c'est plutôt à un ensemble de positions, d'attitudes et d'idées partagées par la collectivité à un moment de son histoire qu'on a affaire quand on examine la pression des sujets parlants et interprétants sur la formation des discours. Cet ensemble, nous l'appelons aujourd'hui idéologie: et l'étude de la production du discours par le dispositif idéologique permet d'établir la parenté entre textes que sépare par ailleurs leur forme: la même idéologie sera à l'œuvre dans les écrits littéraires, des traités scientifiques et des propos politiques.» — T. Todorov. «Préface à l'édition française.» In E.W. Said. L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 21.
«L'histoire du discours sur l'autre est accablante. De tout temps les hommes ont cru qu'ils étaient mieux que leurs voisins; seules ont changé les tares qu'ils imputaient à ceux-ci. Cette dépréciation a deux aspects complémentaires: d'une part, on considère son propre cadre de référence comme étant unique, ou tout au moins normal; de l'autre, on constate que les autres, par rapport à ce cadre, nous sont inférieurs. On peint donc le portrait de l'autre en projetant sur lui nos propres faiblesses; il nous est à la fois semblable et inférieur. Ce qu'on lui a refusé avant tout c'est d'être différent: ni inférieur, ni (même) supérieur, mais autre, justement. La condamnation d'autrui s'accommode aussi bien du modèle social hiérarchique (les barbares assimilés deviennent esclaves) que de la démocratie et de l'égalitarisme: les autres nous sont inférieurs parce qu'on les juge, dans le meilleur des cas, par les critères qu'on s'applique à soi-même.» — T. Todorov. «Préface à l'édition française.» In E.W. Said. L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 22.
«Comprendre signifie à la fois, et pour cause, «interpréter» et «inclure»: qu'elle soit déforme passive (la compréhension) ou active (la représentation), la connaissance permet toujours à celui qui la détient la manipulation de l'autre; le maître du discours sera le maître tout court. Est-ce un hasard si, d'une part, il y a un discours orientaliste en Occident mais aucun discours «occidentaliste» en Orient, et si, de l'autre, c'est justement l'Occident qui a dominé l'Orient ? § Le concept est la première arme dans la soumission d'autrui — car il le transforme en objet (alors que le sujet ne se réduit pas au concept); délimiter un objet comme «l'Orient» ou «l'Arabe» est déjà un acte de violence.» — T. Todorov. «Préface à l'édition française.» In E.W. Said. L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 23.
«... notre destin est inséparable de celui des autres, et donc aussi du regard que nous portons sur eux et de la place que nous leur réservons.» — T. Todorov. «Préface à l'édition française.» In E.W. Said. L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 24.
«L'Orientalisme [d'E. Said] ne résout pas toutes les questions qu'il pose. Il refuse l'entité «Orient» mais ne nous dit pas si la civilisation islamique (ou égyptienne, ou indienne, etc.) ne possède pas certains traits différents de la civilisation occidentale (et si oui, lesquels). Il condamne la compréhension assimilatrice et impérialiste pratiquée par la science officielle, mais ne nous apprend pas s'il existe une compréhension différente, où l'autre n'est pas réduit et soumis au même. Il fustige l'intolérance des hommes à l'égard des «barbares» mais ne nous enseigne pas comment concilier l'impératif moral «soyez tolérants» avec la constatation historique: «les hommes ne l'ont jamais été»; il ne nous indique pas le voie d'une nouvelle morale lucide, non utopiste. § Mais c'est peut-être le propre du savoir tel que le voudrait Saïd: plutôt que de nous enfermer dans les réponses, il maintient salutairement les questions.» — T. Todorov. «Préface à l'édition française.» In E.W. Said. L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 24-25.
«L'orientalisme n'est donc pas un simple thème ou domaine politique reflété passivement par la culture, l'érudition ou les institutions; il n'est pas non plus une collection vaste et diffuse de textes sur l'Orient; il ne représente pas, il n'exprime pas quelque infâme complot impérialiste «occidental» destiné à opprimer le monde «Oriental». C'est plutôt la distribution d'une certaine conception géo-économique dans les textes d'esthétique, d'érudition, d'économie, de sociologie, d'histoire et de philologie: c'est l'élaboration non seulement d'une distinction géographique (le monde est composé de deux moitiés inégales, l'Orient et l'Occident), mais aussi de toute une série d'«intérêts» que non seulement il crée, mais encore entretient par des moyens tels que les découvertes érudites, la reconstruction philologique, l'analyse psychologique, la description de paysages et la descriptions sociologique; il est (plutôt qu'il n'exprime) une certaine volonté ou intention de comprendre, parfois de maîtriser, de manipuler, d'incorporer même, ce qui est un monde manifestement différent (ou autre et nouveau); surtout il est un discours qui n'est pas du tout en relation de correspondance directe avec le pouvoir politique brut, mais qui, plutôt, est produit et existe au cours d'un échange inégal avec différentes sortes de pouvoirs, qui est formé jusqu'à un certain point par l'échange avec le pouvoir politique (comme dans l'establishment colonial ou impérial), avec le pouvoir intellectuel (comme dans les sciences régnantes telles que la linguistique, l'anatomie comparées), avec le pouvoir culturel (comme dans les orthodoxies et les canons qui régissent le goût, les valeurs, les textes), la puissance morale (comme dans les idées de ce que nous «faisons» et de ce qu'«ils» ne peuvent faire ou comprendre comme nous). En fait, ma thèse est que l'orientalisme est — et non seulement représente — une dimension considérable de la culture politique et intellectuelle moderne et que, comme tel, il a moins de rapports avec l'Orient qu'avec «notre» monde.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 45-46.
«Voilà donc le genre de questions politiques que pose l'orientalisme: quels sont les autres types d'énergie intellectuelle, esthétique, savante et culturelle qui ont participé à l'élaboration d'une tradition impérialiste comme la tradition orientaliste ? Comment la philologie, la lexicographie, l'histoire, la biologie, les théories politiques et économiques, la composition de romans et de poésie lyrique ont-elles servi à la conception du monde carrément impérialiste de l'orientalisme ? Quels sont les changements, les modulations, les raffinements, les révolutions même qui se sont produits dans l'orientalisme ? Quelle est la signification de l'originalité, de la continuité, ou de l'individualité dans ce contexte ? Comment l'orientalisme se transmet-il ou se reproduit-il d'une époque à l'autre ? Enfin, comment pouvons-nous traiter le phénomène culturel et historique de l'orientalisme comme une sorte d'œuvre humaine voulue — et non comme une simple ratiocination dans le vide — dans toute sa complexité historique, tous ses détails, et toute sa valeur, sans perdre de vue en même temps l'alliance entre le travail culturel, les tendances politiques, l'État et les réalités spécifiques de la domination ? Guidée par des préoccupations de ce genre, une étude humaniste peut s'attaquer de manière responsable à la politique et à la culture.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 50-51.
«L'autorité n'a rien de mystérieux, ni de naturel. Elle est formée, irradiée, disséminée; elle est instrumentale, elle est persuasive; elle a un statut, elle établit les canons du goût, les valeurs; elle est pratiquement indiscernable de certaines idées auxquelles elle donne la dignité du vrai et de traditions, de perceptions qu'elle forme, transmet, reproduit. Par-dessus tout, l'autorité peut, en fait doit, être analysée. Tous ces attributs de l'autorité s'appliquent à l'orientalisme, et une bonne partie de ce que je fais dans cette étude est de décrire et l'autorité historique de l'orientalisme et les personnes qui font autorité dans l'orientalisme.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 57-58.
«L'extériorité de la représentation est toujours gouvernée par une version ou une autre du truisme: si l'Orient pouvait se représenter lui-même, il le ferait; puisqu'il ne le peut pas, la représentation fait le travail, pour l'Occident, et, faute de mieux, pour le pauvre Orient.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 60.
«Ainsi, tout l'orientalisme tient lieu de l'Orient, et s'en tient à distance: que l'orientalisme ait le moindre sens dépend plus de l'Occident que de l'Orient, et l'on est directement recevable de ce sens à différentes techniques occidentales de représentation qui rendent l'Orient visible, clair, et qui font qu'il est «là» dans le discours qu'on tient à son sujet. Ces représentations s'appuient pour leurs effets sur des institutions, des traditions, des conventions, des codes d'éligibilité, et non sur un Orient lointain et amorphe.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 60-61.
«C'est ainsi qu'il y eut (et qu'il y a) un Orient linguistique, un Orient freudien, un Orient spenglérien, un Orient darwinien, un Orient raciste, etc. Cependant, il n'y a jamais eu d'Orient pur, non conditionné; de même qu'il n'y a jamais eu de forme non matérielle de l'orientalisme, moins encore quelque chose d'innocent qui soit une «idée» de l'Orient.» — E.W. Said. «Introduction.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 61.
«Pour Balfour [(1838-1930) premier ministre britannique de 1902-1905], savoir signifie prendre une vue d'ensemble sur une civilisation, de son origine à son âge d'or et à son déclin — et naturellement aussi avoir les moyens de le faire. Savoir veut dire s'élever au-dessus des contingences actuelles, sortir de soi pour atteindre ce qui est étranger et lointain. L'objet de ce savoir est par nature exposé à l'épreuve de la vérification: c'est un «fait» qui, s'il se développe, s'il se modifie ou se transforme comme le font fréquemment les civilisations, est cependant ontologiquement stable. Connaître ainsi un tel objet, c'est le dominer, c'est avoir autorité sur lui, et autorité ici signifie que «nous» «lui» refusons l'autonomie (au pays oriental), puisque nous le connaissons et qu'il existe, en un sens, tel que nous le connaissons.» — E.W. Said. «Connaître l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 75.
«Les affaires égyptiennes ont été dirigées suivant une théorie générale exprimée et par Balfour, dans ses remarques générales sur la civilisation orientale, et par Cromer [(1841-1917), consul-général en l'Égypte, de 1883 à 1907], dans sa gestion des affaires courantes en Égypte. Le point important, de 1900 à 1910, c'est que cette théorie a servi, et de façon stupéfiante. Le raisonnement, réduit à sa forme la plus simple, est clair, précis, facile à suivre. Il y a les Occidentaux et il y a les Orientaux. Les uns dominent, les autres doivent être dominés, c'est-à-dire que leur pays doit être occupé, leurs affaires intérieures rigoureusement prises en main, leur sang et leurs finances mis à la disposition de l'une ou l'autre des puissances occidentales. Le fait que Balfour et Cromer aient été capables, [...], de dépouiller si brutalement l'humanité pour la réduire à des essences culturelles et raciales n'est pas, de leur part, le signe d'une méchanceté particulière. Cela montre plutôt à quel point cette doctrine générale va dans le sens du courant au moment où ìls la mettent en pratique — et combien elle est efficace.» — E.W. Said. «Connaître l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 81.
«L'Oriental est déraisonnable, dépravé (déchu), puéril, «différent»; l'Européen est ainsi raisonnable, vertueux, mûr, «normal». Mais pour rendre ce rapport plus vivant, on soulignait toujours le fait que l'Oriental vivait dans un monde à lui, différent mais complètement organisé, un monde avec ses propres frontières nationales, culturelles et épistémologiques et ses principes de cohérence interne. Cependant, ce qui donnait au monde de l'Oriental son intelligibilité et son identité, n'était pas le résultat de ses propres efforts, mais plutôt toute la série complexe de manipulations intelligentes permettant à l'Occident de caractériser l'Orient. C'est ainsi que les deux traits des rapports culturels que j'ai exposés se rejoignent. Le savoir sur l'Orient, parce qu'il est né de la force, crée en un sens l'Orient, l'Oriental et son monde. Dans le langage de Cromer et de Balfour, l'Oriental est dépeint comme quelque chose que l'on juge (comme dans un tribunal), quelque chose que l'on étudie et décrit (comme dans un curriculum), quelque chose que l'on surveille (comme dans une école ou une prison), quelque chose que l'on illustre (comme dans un manuel de zoologie). Dans chaque cas, l'Oriental est contenu et représenté par des structures dominantes .» — E.W. Said. «Connaître l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 87-88.
«Et ils ont partagé [en parlant des pays occidentaux dans leurs rapports avec les colonies orientales]; comment, c'est ce que nous allons voir maintenant. Ce qu'ils ont partagé, ce pendant, ce n'est pas seulement le terrain, ou le profit, ou la souveraineté, c'est cette espèce de pouvoir intellectuel que j'ai appelé l'orientalisme. Celui-ci a été dans un certain sens la bibliothèque, les archives des informations généralement et même unanimement reçues. Ce qui relie ces archives est une famille d'idées et un ensemble unifiant de valeurs qui ont trouvé de différentes manières leur efficacité. Ces idées expliquent le comportement des Orientaux; elles leur donnent une mentalité, une généalogie, une atmosphère; plus encore, elles permettent aux Européens de traiter les Orientaux, et même de les voir, comme un phénomène doué de caractéristiques régulières.» — E.W. Said. «Connaître l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 90.
«Quand on utilise des catégories telles qu'Oriental et Occidental à la fois comme point de départ et comme point d'arrivée pour des analyses, des recherches, pour la politique (c'est ainsi qu'elles ont été employées par Balfour et Cromer), cela a d'ordinaire pour conséquence de polariser la distinction: l'Oriental devient plus Oriental, l'Occidental plus occidental, et de limiter les contacts humains entre les différentes cultures, les différentes traditions, les différentes sociétés. Bref, depuis le début de l'histoire moderne jusqu'à l'heure actuelle, l'orientalisme, en tant que forme de pensée traitant de l'étranger, a présenté de façon caractéristique la tendance regrettable de toute science fondée sur des distinctions tranchées, qui est de canaliser la pensée dans un compartiment, «Ouest» ou «Est». Parce que cette tendance occupe le centre même de la théorie, de la pratique et des valeurs orientalistes telles qu'on les trouve en Occident, le sens du pouvoir occidental sur l'Orient est accepté sans discussion comme vérité scientifique.» — E.W. Said. «Connaître l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 97.
«Le classiciste, le spécialiste des langues romanes, l'américaniste même, ont pour centre d'intérêt une portion relativement modeste du monde, non une bonne moitié de celui-ci. Mais l'orientalisme est un domaine qui a une ambition géographique considérable. Et puisque les orientalistes se sont traditionnellement occupé des choses de l'Orient (un spécialiste du droit islamique, tout autant qu'un spécialiste des dialectes chinois ou des religions de l'Inde, est considéré comme un orientaliste par des personnes qui se disent elles-mêmes orientalistes), nous devons nous habituer à l'idée que l'une des caractéristiques majeures de l'orientalisme est sa taille énorme, indéterminée, qui s'accompagne d'une capacité presque infinie de subdivision: amalgame déroutant de flou impérial et de détails précis.» — E.W. Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 104-105.
«Notre première description de l'orientalisme comme discipline savante prend maintenant un caractère nouveau et concret. L'idée de représentation est une idée théâtrale: l'Orient est la scène sur laquelle tout l'Est est confiné; sur cette scène vont se montrer des figures dont le rôle est de représenter le tout plus vaste dont ils émanent. L'Orient semble alors être non une étendue illimitée au-delà du monde familier à l'Européen, mais plutôt un champ fermé, une scène de théâtre attachée à l'Europe. Un orientaliste n'est qu'un spécialiste particulier dans un savoir dont l'Europe tout entière est responsable, comme un public est historiquement et culturellement responsable des drames que le dramaturge a techniquement composés (et le public y répond).» — E.W. Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident. Seuil. Paris, 2003. p. 124-125.
«L'Orient est non seulement accommodé au goût des exigences morales du christianisme occidental: il est aussi circonscrit par toute une série d'attitudes et de jugements qui renvoient l'esprit occidental, non pas en premier aux sources orientales en vue de correction et de vérification, mais plutôt à d'autres ouvrages orientalistes. La scène orientaliste, comme je l'ai appelée, devient un système de rigueur morale et épistémologique.» — E.W.
Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 130-131.
«Il est parfaitement naturel, pour l'esprit humain, de résister aux assauts que lui porte l'étrangeté brutale; pour cette raison, des cultures ont toujours eu tendance à imposer des transformations complète à d'autres cultures, en recevant celles-ci, non pas telles qu'elles sont, mais, pour le plus grand bien du récepteur, telles qu'elles devraient être. Pour l'Occidental, cependant, l'Oriental est toujours comme un aspect ou un autre de l'Occident; pour les romantiques allemands, par exemple, la religion indienne était essentiellement une version orientale du panthéisme germano-chrétien. Mais l'orientaliste prend à tâche de toujours convertir l'Orient de quelque chose en quelque chose d'autre: il le fait pour lui-même, dans l'intérêt de sa culture, dans certains cas pour ce qu'il croit être l'intérêt de l'Oriental. Ce processus de conversion est un processus discipliné: il est enseigné, il a ses sociétés, ses périodiques, ses traditions, son vocabulaire, sa rhétorique à lui, tout ceci de manière fondamentale en relation avec les normes culturelles et politiques qui prévalent en Occident et fourni par celles-ci. [...], il a plutôt tendance à devenir plus total dans ses tentatives, si bien que, lorsqu'on parcourt l'orientalisme au dix-neuvième et au vingtième siècle, l'impression dominante est celle d'une froide schématisation de l'Orient entier par l'orientalisme. » — E.W.
Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 131-132.
«L'éternité est un grand niveleur de différences ...» — E.W.
Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 134.
«D'un point de vue philosophique, donc, le type de langage, de pensée et de vision que j'ai appelé de manière générale l'orientalisme est une forme extrême de réalisme. Il consiste en une manière habituelle de traiter de questions, d'objets, de qualité et de régions supposés orientaux; ceux qui l'emploient vont désigner, nommer, indiquer, fixer ce dont ils parlent d'un terme ou d'une expression. On considère alors que ce terme ou cette expression a acquis une certaine réalité, ou tout simplement, est la réalité. D'un point de vue rhétorique, l'orientalisme est absolument anatomique et énumératif: utiliser son vocabulaire, c'est s'engager dans la particularisation et la division des choses de l'Orient en parties traitables. D'un point de vue psychologique, l'orientalisme est une forme de paranoïa, un savoir qui n'est pas du même ordre que le savoir historique ordinaire, par exemple. Voilà quelques-unes des conséquences de la géographie imaginaire et des frontières spectaculaires qu'elle trace.» — E.W.
Said. «Orientaliser l'Oriental.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 139.
«Les relations culturelles, matérielles et intellectuelles entre l'Europe et l'Orient sont passées par des phases innombrables, même s'il est vrai que la démarcation entre l'Est et l'Ouest a été constamment sensible en Europe. Cependant, c'est en général l'Ouest qui a avancé vers l'Est et non l'inverse.» — E.W.
Said. «Projets.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 141.
«D'une certaine manière, les limites de l'orientalisme sont, [...], celles qui apparaissent lorsqu'on reconnaît, réduit à l'essentiel, dénude l'humanité d'une autre culture, d'un autre peuple ou d'une autre région géographique. Mais l'orientalisme a fait un pas de plus: il considère l'Orient comme quelque chose dont l'existence non seulement se déploie pour l'Occident, mais aussi se fixe pour lui dans le temps et dans l'espace. Les succès descriptifs et textuels de l'orientalisme ont été si impressionnants que des périodes entières de l'histoire culturelle, politique et sociale de l'Orient ne sont considérées que comme des réactions à l'Occident. L'Occident est l'agent, l'Orient est un patient. L'Occident est le spectateur, le juge et le jury de toutes les facettes du comportement oriental.» — E.W.
Said. «Crise.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 198.
«La crise actuelle met en scène, de manière dramatique, la disparité entre les textes et la réalité. Pourtant, dans cette étude sur l'orientalisme, je ne veux pas seulement mettre au jour les sources des conceptions de l'orientalisme, mais encore réfléchir sur son importance, car l'intellectuel, aujourd'hui, estime à juste titre que c'est fuir la réalité que d'ignorer une partie du monde dont il est évident qu'elle le touche de près.» — E.W.
Said. «Crise.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 199-200.
«Étudier l'orientalisme, c'est aussi proposer des moyens intellectuels pour traiter les problèmes méthodologiques que l'histoire a fait sortir, pour ainsi dire, dans son sujet, l'Orient. Mais auparavant, nous devons fait voir quelles sont les valeurs humanistes que l'orientalisme, par son étendue, ses expériences, ses structures, a presque éliminées.» — E.W.
Said. «Crise.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 200.
«Celui qui étudie l'Orient doit disposer d'un vocabulaire séculier en accord avec ses cadres. Cependant, si l'orientalisme fournit le vocabulaire, le répertoire des concepts, les techniques — car c'est ce que faisait et ce qu'était l'orientalisme depuis la fin du dix-huitième siècle —, il conserve aussi, comme un courant permanent de son discours, un élan religieux reconstruit, un surnaturalisme naturalisé. Ce que je vais essayer de montrer, c'est que cet élan de l'orientalisme réside dans la conception que l'orientaliste se fait de lui-même, de l'Orient et de sa discipline. § L'orientaliste moderne est, à ses propres yeux, un héros qui sauve l'Orient de l'obscurité, de l'aliénation et de l'étrangeté qu'il a lui-même convenablement perçues.» — E.W.
Said. «Redessiner les cadres.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 217.
«Ce que la génération de Renan — qui a fait ses classes entre 1835 et 1848 — a retenu de tout cet enthousiasme pour l'Orient, c'est que, pour le savant occidental s'occupant de langues, de cultures et de religions, l'Orient est une nécessité intellectuelle.» — E.W.
Said. «Sylvestre de Sacy, Renan, Marx.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 244.
«L'orientaliste peut imiter l'Orient sans que la réciproque soit vraie. Ce qu'il dit de l'Orient doit donc se comprendre comme une description dans un échange à sens unique: tandis qu'ils parlent et agissent, lui observe et prend note. Son pouvoir consiste à avoir existé au milieu d'eux comme un locuteur indigène, pourrait-on dire, et aussi comme un écrivain secret. Et ce qu'il écrit est destiné à être un savoir utile non pour eux, mais pour l'Europe et ses différentes institutions de diffusion.» — E.W.
Said. «Pèlerins et pèlerinages, anglais et français.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 284.
«Pour un être aussi précieux que Châteaubriand, l'Orient était une toile abîmée attendant ses efforts de restauration.» — E.W.
Said. «Crise.» In L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident.
Seuil. Paris, 2003. p. 301.
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