mercredi 25 août 2021

Ernest Renan — L'Avenir de la science

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


«"Je veux dire dès le début le sens que j'attache à la science, comment à mes yeux elle est inséparable de la philosophie, comment elle n'a de valeur que par la philosophie qu'elle renferme, comment la science est une religion, sacrée au même titre qu'elle, puisque seule elle peut résoudre à l'homme le grand problème des choses, etc. Ce sera ma profession de foi scientifique, mon Discours de la Méthode, mon Novum Organum" (Renan. Lettre à Henriette, 28 janvier 1849, IX, p. 1168).» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 13-14.

 «La critique sévère des religions — «surnaturalismes» et «supernaturalismes» irrationnels, superstitions et crédulité, orthodoxies sectaires, pétrifiées et pétrifiantes — s'entrelace donc avec les professions de foi et les constants appels au Dieu omniprésent d'un auteur qui se dit «prêtre de la vraie religion»: la religion de la science. Pour Renan, la science est religion, «la plus parfaite religion», la «véritable religion», et elle fonde une nouvelle compréhension de la foi — «savoir et aimer la vérité des choses» —, de Dieu — «la catégorie de l'idéal» —, et de l'aspiration religieuse à l'infini .» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 14-15.

«En revanche la philosophie renanienne, elle, est bien une «religion de la science», puisqu'elle lui délègue une irréductible transcendance par rapport à toute autre activité humaine, et lui fait assumer l'exigence traditionnelle du religieux: l'aspiration à l'infini.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 18.

«La science selon Renan est ainsi vouée à être une religion toute naturelle et rationnelle, et sa méthode est la «critique», aussi implacable qu'attentive aux études différentielles.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 19.

«L'Avenir de la science n'est pas seulement la matrice d'une compréhension générale de la religion, focalisée sur une religion de la raison, et celle d'une philosophie générale de l'histoire, spécialement attentive aux origines; elle l'est aussi d'une philosophie générale des sciences, particulièrement soucieuse de revendiquer la spécificité d'un ensemble de sciences: celles pour lesquelles Renan force l'expression «sciences de l'humanité».» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 26.

«Comme ce sont toujours des hommes qui font les sciences et que la nature est part essentielle de la nature, les «sciences de l'humanité» envahissent et comprennent les «sciences de la nature» qui sont en même temps leur modèle. L'Avenir de la science prend ces positions maximalistes en identifiant science de l'humanité et philosophie.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 27.

«Et ce qu'en fait Renan veut que l'on combine dans les «sciences de l'humanité», ce sont les visées synthétiques — celles de la philosophie — sans lesquelles on risque de n'avoir que lourde érudition, détails effilochés, vues courtes et bornées, sans unité, et les études analytiques, expérimentales, les laborieuses investigations appuyées sur les plus humbles procédés et patiemment critiques — seules méthodes des sciences — sans lesquelles on risque de se perdre dans les spéculations abstraites, dogmatiques, systématiques et grossières.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 31-32.

«Loin de dédaigner les utilités et les conséquences bienfaisantes de la science, il [Renan] fait même l'éloge des progrès matériels et blâme les hypocrites qui prétendent les redouter. Mais il juge désastreux de vouloir vivre de la science plutôt que de vivre pour elle.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 36.

«Les analyses sont accablantes sur les formes. Centralisation, pléthore administrative, déluge de manuels et de livres élémentaires, souci pointilleux de l'uniformité... sont les conséquences de l'importance majeure accordée aux examens et concours. La science étouffe sous la férule des fonctionnaires. Mais ce monde hyper-réglementé est aussi anarchique. En faculté, l'auditoire est mouvant, infidèle; les cours magistraux sont des conférences rhétoriques où le tour mondain l'emporte vite sur l'exigence scientifique. Au lieu d'être servie, la science est ainsi asservie à l'État et/ou goût du public. Enfin, l'hégémonie parisienne, dont la rançon est le désert provincial, inquiète Renan.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 37-38.

«Les principes renaniens pour l'instruction et la formation scientifique sont partout les mêmes: activité, souplesse, indépendance, mais liées aussi au souci d'une organisation coopérative et efficace.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 38.

«La science étant «intérêt d'État», il y a obligation de l'organiser, de veiller à ceux qui s'y consacrent, et de leur en donner les moyens, autrement dit, de financer les structures d'enseignement et de recherche. Mais il ne doit prendre parti pour aucune école.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 41.

«S'il n'est donc pas question pour Renan d'inféoder la science à des fins politiques, il promeut une ferme politique scientifique. Politique de la science et politique générale sont ainsi à la fois indépendantes et liées.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 42.

«L'Avenir de la science est à la fois aux commencements et à la fin de l'œuvre renanienne, et l'a constamment nourrie. Et c'est un ouvrage-bilan doublement. Son auteur, penché sur son passé et sur son œuvre, s'en dit au fond plutôt content; il exprime aussi les interrogations d'un siècle dont il est non seulement un témoin, mais un acteur de premier plan et un porte-parole. Et Renan, à la fin de son siècle, pose des questions dont le nôtre débat encore.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 45.

«La curiosité n'est nulle part plus vive, plus pure, plus objective que chez l'enfant et chez les peuples sauvages. Comme ils s'intéressent naïvement à la nature, aux animaux, sans arrière-pensée, ni respect humain ! L'homme affairé, au contraire, s'ennuie dans la compagnie de la nature et des animaux; ces jouissances désintéressées n'ont rien à faire avec son égoïsme. L'homme simple, abandonné à sa propre pensée, se fait souvent un système des choses bien plus complet et plus étendu que l'homme qui n'a reçu qu'une instruction factice et conventionnelle. Les habitudes de la vie pratique affaiblissent l'instinct de curiosité pure; mais c'est une consolation pour l'amant de la science de songer que rien ne pourra le détruire, que le monument auquel il a ajouté une pierre est éternel, qu'il a sa garantie, comme la morale, dans les instincts de la nature humaine.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 93.

 «Ce n'est pas sans quelque dessein que j'appelle du nom de science ce que d'ordinaire on appelle philosophie. Philosopher est le mot sous lequel j'aimerais le mieux résumer ma vie; pourtant, ce mot n'exprimant dans l'usage vulgaire qu'une forme encore partielle de la vie intérieure, et n'impliquant d'ailleurs que le fait subjectif du penseur solitaire, il faut, quand on se transporte au point de vue de l'humanité, employer le mot plus objectif de savoir. Oui, il viendra un jour où l'humanité ne croira plus, mais où elle saura; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique; un jour où le gouvernement de l'humanité ne sera plus livré au hasard et à l'intrigue, mais à la discussion  rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l'atteindre. Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d'enseigner à l'homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer avec l'art, la poésie et la vertu le divin idéal qui seul donne du prix à l'existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs ?» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 151-152.

«Les écrits destinés à combattre une erreur disparaissent avec l'erreur qu'ils ont combattue. Quand un résultat est acquis, on ne se figure pas ce qu'il a coûté de peine. Il a fallu un génie pour conquérir ce qui devient ensuite le domaine d'un enfant.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 257.

«L'étude comparée des religions, quand elle sera définitivement établie sur la base solide de la critique, formera le plus beau chapitre de l'histoire de l'esprit humain, entre l'histoire des mythologies et l'histoire des philosophies. Comme les philosophies, les religions répondent aux besoins spéculatifs de l'humanité. Comme les mythologies, elles renferment une large part d'exercice spontané et irréfléchi des facultés humaines. De là leur inappréciable valeur aux yeux du philosophe. De même qu'une cathédrale gothique est le meilleur témoin du Moyen Âge, parce que les générations ont habité là en esprit; de même les religions sont le meilleur moyen pour connaître l'humanité; car l'humanité y a demeuré; ce sont des tentes abandonnée où tout décèle la trace de ceux qui y trouveront un abri. Malheur à qui passe indifférent auprès de ces masures vénérables, à l'ombre desquelles l'humanité s'est si longtemps abritée, et où tant de belles âmes trouvent encore des consolations et des terreurs !» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 304-305.

«La perfection de l'humanité ne sera pas l'extinction, mais l'harmonie des nationalités: les nationalités vont bien plutôt se fortifiant que s'affaiblissant; détruire une nationalité, c'est détruire un son dans l'humanité. "Le génie, dit M. Michelet, n'est le génie qu'en ce qu'il est à la fois simple et analyste, à la fois enfant et mûr, homme et femme, barbare et civilisé. [Le peuple. p. 251.] " La science, de même, ne sera parfaite que quand elle sera à la fois analytique et synthétique; exclusivement analytique, elle est étroite, sèche, étriquée; exclusivement synthétique, elle est chimérique et gratuite. L'homme ne saura réellement que quand, en affirmant la loi générale, il aura la vue claire de tous les faits particuliers qu'elle suppose.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 340.

 «Si la culture intellectuelle n'était qu'une jouissance, il ne faudrait pas trouver mauvais que plusieurs n'y eussent point part, car l'homme n'a pas de droit à la jouissance. Mais du moment où elle est une religion, et la religion la plus parfaite, il devient barbare d'en priver une seule âme. Autrefois, au temps du christianisme, cela n'était pas si révoltant: au contraire, le sort du malheureux et du simple était en un sens digne d'envie, puisqu'ils étaient plus près du royaume de Dieu. Mais on a détruit le charme, il n'y a plus de retour possible. De là une affreuse, une horrible situation; des hommes condamnés à souffrir sans une pensée morale, sans une idée élevée, sans un sentiment noble, retenus par la force seule comme des brutes en cage. Oh ! cela est intolérable !» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 350.

«L'indifférence est en politique ce que le scepticisme est en philosophie, une halte entre deux dogmatismes, l'un mort, l'autre en germe. Pendant cet interrègne, libre à chacun de s'attacher à toute doctrine, d'être suivant son goût pythagoricien ou platonicien, stoïque ou péripatétique. Toutes les formes sont également inoffensives, et la seule tâche du pouvoir est de maintenir entre elles la police, pour les empêcher de se dévorer. Il n'est pas ainsi dans les États dogmatiques, où il y a une raison vivante et actuelle, une doctrine hors de laquelle il n'y a point de salut. Forte de toute la vie de la nation, elle en est le premier besoin et le premier droit. Elle est en un sens supérieure à la loi politique, puisque celle-ci a en elle sa raison et sa sanction. Le gouvernement est alors absolu et se fait au nom de la doctrine accepté de tous. Tout fléchit devant elle, et le pouvoir spirituel, qui la représente, est autant au-dessus du pouvoir temporel que les besoins supérieurs de l'homme sont au-dessus des intérêts matériels ou, comme on disait autrefois, que l'esprit est au-dessus de la chair.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 366-367.
 

«... je crois que le mal [de la corruption de l'homme] ne vient pas de ce que les gouvernements violentent et trompent, mais de ce qu'ils n'élèvent pas. Moi qui suis cultivé, je ne trouve pas de mal en moi, et spontanément, en toute chose, je me porte à ce qui me semble le plus beau. Si tous étaient aussi cultivés que moi, tous seraient comme moi dans l'impossibilité de mal faire. Alors il serait vrai de dire: vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 374. 

«L'homme élevé n'a qu'à suivre la délicieuse pente de son impulsion intime; il pourrait adopter la devise de saint Augustin et de l'abbaye de Thélème: «Fais ce que tu voudras»; car il ne peut vouloir que de belles choses. L'homme vertueux est un artiste qui réalise le beau dans une vie humaine comme le statuaire se réalise sur le marbre, comme le musicien par des sons. Y a-t-il obéissance et lutte dans l'acte du statuaire et du musicien ?» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 374-375.

«On se figure trop facilement que la liberté est favorable au développement d'idées vraiment originales. Comme on a remarqué que, dans le passé, tout système nouveau est né et a grandi hors la loi, jusqu'au jour où il est devenu loi à son tour, on a pu penser qu'en reconnaissant et légalisant le droit des idées nouvelles à se produire, les choses en iraient beaucoup mieux. Or c'est le contraire qui est arrivé. Jamais on a pensé avec moins d'originalité depuis qu'on a été libre de le faire. L'idée vraie et originale ne demande pas la permission de se produire et se soucie peu que son droit soit ou non reconnu; elle trouve toujours assez de liberté, car elle se fait toute la liberté dont elle a besoin. Le christianisme n'a pas eu besoin de la liberté de presse ni de la liberté de réunion pour conquérir le monde. Une liberté reconnue légalement doit être réglée. Or, une liberté réglée constitue en effet une chaîne plus étroite que l'absence de loi.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 378.

«Tout homme a droit à la vraie religion, à ce qui fait l'homme parfait; c'est-à-dire que tout homme doit trouver dans la société où il naît les moyens d'atteindre la perfection de sa nature, suivant la formule du temps; en d'autres termes, tout homme doit trouver dans la société, en ce qui concerne l'intelligence, ce que la mère lui fournit en ce qui concerne le corps, le lait, l'aliment primordial, le fond premier qu'il ne peut se procurer lui-même. § Cette perfection ne saurait aller sans un certain degré de bien-être matériel. Dans une société normale, l'homme aurait donc droit aussi au premier fond nécessaire pour se procurer cette vie. § En un mot, la société doit à l'homme la possibilité de la vie, de cette vie que l'homme à son tour doit, s'il en est besoin, sacrifier à la société.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 382-383.

«Le sage n'a de colère contre personne, car il sait que la nature humaine ne se passionne que pour la vérité incomplète. Les conservateurs ont tort; car l'état qu'ils défendent comme bon, et qu'ils ont raison de défendre, est mauvais et intolérable. Les révolutionnaires ont tort; car, s'ils voient le mal, ils n'ont pas plus que les autres l'idée organisatrice. Or il est absurde de détruire, quant on a rien à mettre en place. La révolution sera légitime et sainte, quand l'idée régénératrice, c'est-`-dire la religion nouvelle, ayant été découverte, il ne s'agira plus que de renverser l'état vieilli pour lui faire sa place légitime; ou plutôt alors la révolution n'aura pas besoin d'être faite; elle se fera d'elle-même.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 390-391.

«La médiocrité est facilement satisfaite; les grandes âmes sont toujours inquiètes, agitées, car elles aspirent sans cesse au meilleur. L'infini seul pourra les rassasier.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 392.

«Je me garderai de suivre l'économie politique dans ses déductions; les économistes attribueraient sans doute à mon incompétence les défiances que ces déductions m'inspirent; mais je suis compétent en moral et en philosophie de l'humanité. Je ne m'occupe pas des moyens; je dis ce qui doit être et par conséquent ce qui sera.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 393

«Il est horrible qu'un homme soit sacrifié à la jouissance d'un autre. L'inégalité n'est concevable et juste qu'au point de vue de la société morale. S'il ne s'agissait que de jouir, mieux vaudrait pour tous le brouet noir que pour les uns les délices, pour les autres la faim. En vérité, serait-ce la peine de sacrifier sa vie et son bonheur au bien de la société, si tout se bornait à procurer de fades jouissances à quelques niais et insipides satisfaits, qui se sont mis eux-mêmes au ban de l'humanité, pour vivre plus à leur aise ? Je le répète, si le but de la vie n'était que de jouir, il ne faudrait pas trouver mauvais que chacun réclamât sa part, et, à ce point de vue, toute jouissance qu'on se procurerait au dépens des autres serait bien réellement une injustice et un vol.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 393-394.

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


«"Je veux dire dès le début le sens que j'attache à la science, comment à mes yeux elle est inséparable de la philosophie, comment elle n'a de valeur que par la philosophie qu'elle renferme, comment la science est une religion, sacrée au même titre qu'elle, puisque seule elle peut résoudre à l'homme le grand problème des choses, etc. Ce sera ma profession de foi scientifique, mon Discours de la Méthode, mon Novum Organum" (Renan. Lettre à Henriette, 28 janvier 1849, IX, p. 1168).» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 13-14.

 «La critique sévère des religions — «surnaturalismes» et «supernaturalismes» irrationnels, superstitions et crédulité, orthodoxies sectaires, pétrifiées et pétrifiantes — s'entrelace donc avec les professions de foi et les constants appels au Dieu omniprésent d'un auteur qui se dit «prêtre de la vraie religion»: la religion de la science. Pour Renan, la science est religion, «la plus parfaite religion», la «véritable religion», et elle fonde une nouvelle compréhension de la foi — «savoir et aimer la vérité des choses» —, de Dieu — «la catégorie de l'idéal» —, et de l'aspiration religieuse à l'infini .» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 14-15.

«En revanche la philosophie renanienne, elle, est bien une «religion de la science», puisqu'elle lui délègue une irréductible transcendance par rapport à toute autre activité humaine, et lui fait assumer l'exigence traditionnelle du religieux: l'aspiration à l'infini.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 18.

«La science selon Renan est ainsi vouée à être une religion toute naturelle et rationnelle, et sa méthode est la «critique», aussi implacable qu'attentive aux études différentielles.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 19.

«L'Avenir de la science n'est pas seulement la matrice d'une compréhension générale de la religion, focalisée sur une religion de la raison, et celle d'une philosophie générale de l'histoire, spécialement attentive aux origines; elle l'est aussi d'une philosophie générale des sciences, particulièrement soucieuse de revendiquer la spécificité d'un ensemble de sciences: celles pour lesquelles Renan force l'expression «sciences de l'humanité».» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 26.

«Comme ce sont toujours des hommes qui font les sciences et que la nature est part essentielle de la nature, les «sciences de l'humanité» envahissent et comprennent les «sciences de la nature» qui sont en même temps leur modèle. L'Avenir de la science prend ces positions maximalistes en identifiant science de l'humanité et philosophie.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 27.

«Et ce qu'en fait Renan veut que l'on combine dans les «sciences de l'humanité», ce sont les visées synthétiques — celles de la philosophie — sans lesquelles on risque de n'avoir que lourde érudition, détails effilochés, vues courtes et bornées, sans unité, et les études analytiques, expérimentales, les laborieuses investigations appuyées sur les plus humbles procédés et patiemment critiques — seules méthodes des sciences — sans lesquelles on risque de se perdre dans les spéculations abstraites, dogmatiques, systématiques et grossières.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 31-32.

«Loin de dédaigner les utilités et les conséquences bienfaisantes de la science, il [Renan] fait même l'éloge des progrès matériels et blâme les hypocrites qui prétendent les redouter. Mais il juge désastreux de vouloir vivre de la science plutôt que de vivre pour elle.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 36.

«Les analyses sont accablantes sur les formes. Centralisation, pléthore administrative, déluge de manuels et de livres élémentaires, souci pointilleux de l'uniformité... sont les conséquences de l'importance majeure accordée aux examens et concours. La science étouffe sous la férule des fonctionnaires. Mais ce monde hyper-réglementé est aussi anarchique. En faculté, l'auditoire est mouvant, infidèle; les cours magistraux sont des conférences rhétoriques où le tour mondain l'emporte vite sur l'exigence scientifique. Au lieu d'être servie, la science est ainsi asservie à l'État et/ou goût du public. Enfin, l'hégémonie parisienne, dont la rançon est le désert provincial, inquiète Renan.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 37-38.

«Les principes renaniens pour l'instruction et la formation scientifique sont partout les mêmes: activité, souplesse, indépendance, mais liées aussi au souci d'une organisation coopérative et efficace.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 38.

«La science étant «intérêt d'État», il y a obligation de l'organiser, de veiller à ceux qui s'y consacrent, et de leur en donner les moyens, autrement dit, de financer les structures d'enseignement et de recherche. Mais il ne doit prendre parti pour aucune école.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 41.

«S'il n'est donc pas question pour Renan d'inféoder la science à des fins politiques, il promeut une ferme politique scientifique. Politique de la science et politique générale sont ainsi à la fois indépendantes et liées.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 42.

«L'Avenir de la science est à la fois aux commencements et à la fin de l'œuvre renanienne, et l'a constamment nourrie. Et c'est un ouvrage-bilan doublement. Son auteur, penché sur son passé et sur son œuvre, s'en dit au fond plutôt content; il exprime aussi les interrogations d'un siècle dont il est non seulement un témoin, mais un acteur de premier plan et un porte-parole. Et Renan, à la fin de son siècle, pose des questions dont le nôtre débat encore.» — A. PETIT. «Introduction». In E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 45.

«La curiosité n'est nulle part plus vive, plus pure, plus objective que chez l'enfant et chez les peuples sauvages. Comme ils s'intéressent naïvement à la nature, aux animaux, sans arrière-pensée, ni respect humain ! L'homme affairé, au contraire, s'ennuie dans la compagnie de la nature et des animaux; ces jouissances désintéressées n'ont rien à faire avec son égoïsme. L'homme simple, abandonné à sa propre pensée, se fait souvent un système des choses bien plus complet et plus étendu que l'homme qui n'a reçu qu'une instruction factice et conventionnelle. Les habitudes de la vie pratique affaiblissent l'instinct de curiosité pure; mais c'est une consolation pour l'amant de la science de songer que rien ne pourra le détruire, que le monument auquel il a ajouté une pierre est éternel, qu'il a sa garantie, comme la morale, dans les instincts de la nature humaine.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 93.

 «Ce n'est pas sans quelque dessein que j'appelle du nom de science ce que d'ordinaire on appelle philosophie. Philosopher est le mot sous lequel j'aimerais le mieux résumer ma vie; pourtant, ce mot n'exprimant dans l'usage vulgaire qu'une forme encore partielle de la vie intérieure, et n'impliquant d'ailleurs que le fait subjectif du penseur solitaire, il faut, quand on se transporte au point de vue de l'humanité, employer le mot plus objectif de savoir. Oui, il viendra un jour où l'humanité ne croira plus, mais où elle saura; un jour où elle saura le monde métaphysique et moral, comme elle sait déjà le monde physique; un jour où le gouvernement de l'humanité ne sera plus livré au hasard et à l'intrigue, mais à la discussion  rationnelle du meilleur et des moyens les plus efficaces de l'atteindre. Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d'enseigner à l'homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer avec l'art, la poésie et la vertu le divin idéal qui seul donne du prix à l'existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs ?» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 151-152.

«Les écrits destinés à combattre une erreur disparaissent avec l'erreur qu'ils ont combattue. Quand un résultat est acquis, on ne se figure pas ce qu'il a coûté de peine. Il a fallu un génie pour conquérir ce qui devient ensuite le domaine d'un enfant.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 257.

«L'étude comparée des religions, quand elle sera définitivement établie sur la base solide de la critique, formera le plus beau chapitre de l'histoire de l'esprit humain, entre l'histoire des mythologies et l'histoire des philosophies. Comme les philosophies, les religions répondent aux besoins spéculatifs de l'humanité. Comme les mythologies, elles renferment une large part d'exercice spontané et irréfléchi des facultés humaines. De là leur inappréciable valeur aux yeux du philosophe. De même qu'une cathédrale gothique est le meilleur témoin du Moyen Âge, parce que les générations ont habité là en esprit; de même les religions sont le meilleur moyen pour connaître l'humanité; car l'humanité y a demeuré; ce sont des tentes abandonnée où tout décèle la trace de ceux qui y trouveront un abri. Malheur à qui passe indifférent auprès de ces masures vénérables, à l'ombre desquelles l'humanité s'est si longtemps abritée, et où tant de belles âmes trouvent encore des consolations et des terreurs !» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 304-305.

«La perfection de l'humanité ne sera pas l'extinction, mais l'harmonie des nationalités: les nationalités vont bien plutôt se fortifiant que s'affaiblissant; détruire une nationalité, c'est détruire un son dans l'humanité. "Le génie, dit M. Michelet, n'est le génie qu'en ce qu'il est à la fois simple et analyste, à la fois enfant et mûr, homme et femme, barbare et civilisé. [Le peuple. p. 251.] " La science, de même, ne sera parfaite que quand elle sera à la fois analytique et synthétique; exclusivement analytique, elle est étroite, sèche, étriquée; exclusivement synthétique, elle est chimérique et gratuite. L'homme ne saura réellement que quand, en affirmant la loi générale, il aura la vue claire de tous les faits particuliers qu'elle suppose.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 340.

 «Si la culture intellectuelle n'était qu'une jouissance, il ne faudrait pas trouver mauvais que plusieurs n'y eussent point part, car l'homme n'a pas de droit à la jouissance. Mais du moment où elle est une religion, et la religion la plus parfaite, il devient barbare d'en priver une seule âme. Autrefois, au temps du christianisme, cela n'était pas si révoltant: au contraire, le sort du malheureux et du simple était en un sens digne d'envie, puisqu'ils étaient plus près du royaume de Dieu. Mais on a détruit le charme, il n'y a plus de retour possible. De là une affreuse, une horrible situation; des hommes condamnés à souffrir sans une pensée morale, sans une idée élevée, sans un sentiment noble, retenus par la force seule comme des brutes en cage. Oh ! cela est intolérable !» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 350.

«L'indifférence est en politique ce que le scepticisme est en philosophie, une halte entre deux dogmatismes, l'un mort, l'autre en germe. Pendant cet interrègne, libre à chacun de s'attacher à toute doctrine, d'être suivant son goût pythagoricien ou platonicien, stoïque ou péripatétique. Toutes les formes sont également inoffensives, et la seule tâche du pouvoir est de maintenir entre elles la police, pour les empêcher de se dévorer. Il n'est pas ainsi dans les États dogmatiques, où il y a une raison vivante et actuelle, une doctrine hors de laquelle il n'y a point de salut. Forte de toute la vie de la nation, elle en est le premier besoin et le premier droit. Elle est en un sens supérieure à la loi politique, puisque celle-ci a en elle sa raison et sa sanction. Le gouvernement est alors absolu et se fait au nom de la doctrine accepté de tous. Tout fléchit devant elle, et le pouvoir spirituel, qui la représente, est autant au-dessus du pouvoir temporel que les besoins supérieurs de l'homme sont au-dessus des intérêts matériels ou, comme on disait autrefois, que l'esprit est au-dessus de la chair.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 366-367.
 

«... je crois que le mal [de la corruption de l'homme] ne vient pas de ce que les gouvernements violentent et trompent, mais de ce qu'ils n'élèvent pas. Moi qui suis cultivé, je ne trouve pas de mal en moi, et spontanément, en toute chose, je me porte à ce qui me semble le plus beau. Si tous étaient aussi cultivés que moi, tous seraient comme moi dans l'impossibilité de mal faire. Alors il serait vrai de dire: vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 374. 

«L'homme élevé n'a qu'à suivre la délicieuse pente de son impulsion intime; il pourrait adopter la devise de saint Augustin et de l'abbaye de Thélème: «Fais ce que tu voudras»; car il ne peut vouloir que de belles choses. L'homme vertueux est un artiste qui réalise le beau dans une vie humaine comme le statuaire se réalise sur le marbre, comme le musicien par des sons. Y a-t-il obéissance et lutte dans l'acte du statuaire et du musicien ?» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 374-375.

«On se figure trop facilement que la liberté est favorable au développement d'idées vraiment originales. Comme on a remarqué que, dans le passé, tout système nouveau est né et a grandi hors la loi, jusqu'au jour où il est devenu loi à son tour, on a pu penser qu'en reconnaissant et légalisant le droit des idées nouvelles à se produire, les choses en iraient beaucoup mieux. Or c'est le contraire qui est arrivé. Jamais on a pensé avec moins d'originalité depuis qu'on a été libre de le faire. L'idée vraie et originale ne demande pas la permission de se produire et se soucie peu que son droit soit ou non reconnu; elle trouve toujours assez de liberté, car elle se fait toute la liberté dont elle a besoin. Le christianisme n'a pas eu besoin de la liberté de presse ni de la liberté de réunion pour conquérir le monde. Une liberté reconnue légalement doit être réglée. Or, une liberté réglée constitue en effet une chaîne plus étroite que l'absence de loi.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 378.

«Tout homme a droit à la vraie religion, à ce qui fait l'homme parfait; c'est-à-dire que tout homme doit trouver dans la société où il naît les moyens d'atteindre la perfection de sa nature, suivant la formule du temps; en d'autres termes, tout homme doit trouver dans la société, en ce qui concerne l'intelligence, ce que la mère lui fournit en ce qui concerne le corps, le lait, l'aliment primordial, le fond premier qu'il ne peut se procurer lui-même. § Cette perfection ne saurait aller sans un certain degré de bien-être matériel. Dans une société normale, l'homme aurait donc droit aussi au premier fond nécessaire pour se procurer cette vie. § En un mot, la société doit à l'homme la possibilité de la vie, de cette vie que l'homme à son tour doit, s'il en est besoin, sacrifier à la société.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 382-383.

«Le sage n'a de colère contre personne, car il sait que la nature humaine ne se passionne que pour la vérité incomplète. Les conservateurs ont tort; car l'état qu'ils défendent comme bon, et qu'ils ont raison de défendre, est mauvais et intolérable. Les révolutionnaires ont tort; car, s'ils voient le mal, ils n'ont pas plus que les autres l'idée organisatrice. Or il est absurde de détruire, quant on a rien à mettre en place. La révolution sera légitime et sainte, quand l'idée régénératrice, c'est-`-dire la religion nouvelle, ayant été découverte, il ne s'agira plus que de renverser l'état vieilli pour lui faire sa place légitime; ou plutôt alors la révolution n'aura pas besoin d'être faite; elle se fera d'elle-même.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 390-391.

«La médiocrité est facilement satisfaite; les grandes âmes sont toujours inquiètes, agitées, car elles aspirent sans cesse au meilleur. L'infini seul pourra les rassasier.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 392.

«Je me garderai de suivre l'économie politique dans ses déductions; les économistes attribueraient sans doute à mon incompétence les défiances que ces déductions m'inspirent; mais je suis compétent en moral et en philosophie de l'humanité. Je ne m'occupe pas des moyens; je dis ce qui doit être et par conséquent ce qui sera.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 393

«Il est horrible qu'un homme soit sacrifié à la jouissance d'un autre. L'inégalité n'est concevable et juste qu'au point de vue de la société morale. S'il ne s'agissait que de jouir, mieux vaudrait pour tous le brouet noir que pour les uns les délices, pour les autres la faim. En vérité, serait-ce la peine de sacrifier sa vie et son bonheur au bien de la société, si tout se bornait à procurer de fades jouissances à quelques niais et insipides satisfaits, qui se sont mis eux-mêmes au ban de l'humanité, pour vivre plus à leur aise ? Je le répète, si le but de la vie n'était que de jouir, il ne faudrait pas trouver mauvais que chacun réclamât sa part, et, à ce point de vue, toute jouissance qu'on se procurerait au dépens des autres serait bien une injustice et un vol.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 393-394.

«Tout sacrifice de l'individu qui n'est pas une injustice, c'est-à-dire la spoliation d'un droit naturel, est permis pour atteindre cette fin; car dans ce cas le sacrifice n'est pas fait à la jouissance d'un autre, il est fait à la société tout entière. C'est l'idée du sacrifice antique, l'homme pour la nation: expedit unum hominem mori pro populo. L'inégalité est légitime toutes les fois que l'inégalité est nécessaire au bien de l'humanité.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 394. 

«La subordination des animaux à l'homme, celle des sexes entre eux ne choque personne, parce qu'elle est l'œuvre de la nature et de l'organisation fatale des choses. Au fond, la hiérarchie des hommes selon leur degré de perfection n'est pas plus choquante. Ce qui est horrible c'est que l'individu, de son droit propre et pour sa jouissance personnelle, enchaîne son semblable pour jouir de son travail. L'inégalité est révoltante quand on considère uniquement l'avantage personnel et égoïste que le supérieur tire de l'inférieur; elle est naturelle et juste, si on la considère comme la loi fatale de la société, la condition au moins transitoire de sa perfection.» — E. RENAN. L'Avenir de la science. Garnier-Flammarion. Paris, 1995. p. 395-396.  

 

samedi 7 octobre 2017

Clément d'Alexandrie — Les Stromates (Premier chapitre)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


«Faut-il ne permettre à personne d'écrire, ou faut-il l'accorder à quelques hommes ?  S'il faut ne le permettre à personne, à quoi serviront les lettres ? S'il faut l'accorder à quelques hommes, ce sera ou aux hommes de bien, ou aux méchants. Or il serait ridicule de repousser les écrits des hommes de bien, et d'accepter les écrits des autres.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 1.

«Il est beau, je crois, de laisser après nous des enfants vertueux. Or, les enfants sont les fruits du corps, et les écrits les fruits de l'âme.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 2.

«La sagesse aime les hommes et se communique volontiers.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 2.

«L'union de l'âme avec l'âme et celle de l'esprit avec l'esprit, font croître et vivifient, par la semence de la parole, ce qui est en nous comme dans une terre féconde.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 2.

«Si l’on veut être réellement juste, et non pas seulement le paraître, il faut avoir une conscience irréprochable.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 5.


«Car à quoi sert la sagesse qui ne rend pas sage celui qui peut l'entendre ?» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 9.

 «En enseignant, nous apprenons davantage, et en parlant, nous entendons souvent en même temps que ceux qui nous écoutent; car il n'y a qu'un maître, et pour celui qui enseigne, et pour celui qui écoute: il est la source de l'esprit et de la parole.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 9.

 «Il est des mystères comme de Dieu, ils ne doivent se confier qu'à la parole et non à l'écriture.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 9.

 «Pourquoi tous les hommes ne connaissent-ils pas la vérité ? Pourquoi n'aiment-ils pas la justice, si la justice est le propre de tous ?» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 9. 

 «Les mystères sont transmis d'une manière mystique, de sorte que la vérité se trouve sur les lèvres de celui qui enseigne, et plus encore dans son intelligence que dans sa bouche.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 9. 

 «... car, il est dit, parle à un sage et il deviendra plus sage; et celui qui possède recevra plus encore.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 10. 

 «Car ce qui est écrit est écrit, et demeure quand même on ne le publierait pas; et ce que vous avez une fois écrit et qui ne change pas vous reproduit toujours les mêmes choses quand vous les consultez; car ces choses manquent nécessairement du secours ou de celui qui les a écrites, ou de celui qui a marché sur ses traces.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 10.

 «C'est à de nombreux auditeurs que nous devons communiquer la doctrine de la tradition. C'est pour cela, certes, qu'il nous faut employer l'opinion et le langage qu'ils ont coutume d'entendre. Par ce moyen nos auditeurs seront amenés plus sûrement à la vérité.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 11.

 «Je ne pense pas qu'il soit aucun livre assez heureux pour se produire sans éprouver de résistance ou de contradiction; mais il faut regarder comme conforme à la raison le livre qui n'éprouve aucune contradiction raisonnable. L'action et la doctrine qu'il faut admettre ne sont pas celles qui ne sont pas attaquées, mais celles qui le sont sans raison.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 12.

 «Car l'homme qui possède la vertu n'a plus besoin de la route qui mène à la vertu; et l'homme qui se porte bien n'a pas besoin de rétablir ses forces.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 12.

 «Je n'ignore pas ce que répètent partout certains esprits ignorants et craintifs; ils disent qu'il ne faut se livrer qu'à l'étude des choses les plus nécessaires, et qui sont le principe de la foi; mais qu'il faut négliger les choses étrangères et superflues qui nous fatiguent en vain et qui nous arrêtent à des soins entièrement inutiles pour le salut. Il en est d'autres qui veulent même que la philosophie soit entrées dans la vie pour le malheur et pour la perte des hommes, et qu'elle soit l'invention de quelque malin esprit. Mais comme le vice est mauvais de sa nature et ne peut jamais rien produire de bon, je montrerai, bien qu'indirectement, dans tous mes livres des Stromates, qu'il n'en est pas ainsi de la philosophie, qu'elle est aussi en quelque sorte l'œuvre de la providence divine.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 12-13.

 «D'abord la philosophie, fût-elle inutile, s'il est nécessaire de prouver son inutilité, elle est par le même motif utile.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 13.

 «Bien plus, du contact de deux dogmes contraires que l'on compare entre eux jaillit la vérité; et de là une connaissance plus certaine. Car la philosophie ne s'est pas produite d'elle-même et pour elle-même; elle n'existe que pour les fruits que l'on retire de la science, parce que la science des choses découvertes par l'esprit de l'homme affermit en nous la confiance que nous sommes dans la vérité.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 14.

 «... il est fort dangereux de révéler les mystères de la véritable philosophie à ceux qui, hardiment et à tout propos, veulent parler contre tout, et sans raison, et qui prodiguent les noms les plus grossiers, se trompant eux-mêmes, et éblouissant les yeux de ceux qui les entourent.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 14.

 «La foule des gens de cette sorte [les Sophistes] est nombreuse. Les uns, esclaves des plaisirs, et d'avance refusant de croire, se rient de la vérité digne de tant de respect, et se font un jeu de ce qu'ils nomment son origine barbare. Les autres, enflés d'eux-mêmes, s'efforcent de découvrir dans nos paroles des sujet de calomnie contre elle; ils élèvent des disputes sur tout; ils cherchent des subtilités, ils usent à l'envi des plus petits moyens, querelleurs et pointilleux sur des riens, comme dit l'Abdéritain.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 15.

 «Enflés de leur art, les malheureux sophistes, débitant à toute heure leurs propres mensonges, et travaillant pendant leur vie entière à choisir des mots, à donner à leur style une tournure particulière, à arranger leurs phrases, se montrent plus bavares que des cigales; ils caressent, ils flattent d'une manière peu convenable à des hommes, les oreilles de ceux qui les écoutent. Ce sont des fleuves et non de simples ruisseaux de paroles stériles, ils ressemblent à de vieilles chaussures. Tout est faible en eux et sans consistance, ils n'ont du bon que la langue. L'Athérien Solon les a très-bien caractérisés lorsqu'il les attaque en ces termes: § La langue est tout pour vous, vous ne songez qu'aux paroles qui séduisent; les actes ne vous importent nullement. Chacun de vous suit les traces du renard, et vous avez tous l'esprit vide et frivole.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 15.

«Autre chose est d'entendre discourir quelqu'un sur la vérité, autre chose est d'entendre la vérité s'expliquer elle-même. Autre chose est d'avoir une conjecture sur la vérité, autre chose est de la posséder; autre chose est l'image, autre chose est la réalité.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 27.

«La vérité est une, le mensonge a mille face différentes.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 40.

«Le véritable gnostique est l'homme en possession de toute la sagesse.» — CLÉMENT D'ALEXANDRIE. «Livre premier. Stromates». In A.E. Genonde. Les Pères de l'Église (Vol. V). Sapia. Paris, 1839. p. 41.