vendredi 21 mai 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre I)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


[INTRODUCTION GÉNÉRALE]

«Les révolutions sont des moments d'orage, où l'homme, forcé de précipiter ses jugements et ses actes, au milieu du choc de toutes les violences déchaînées, sans guides pour le diriger, sans spectateurs pour le contenir, peut se tromper avec des intentions droites, et devenir criminel par les motifs les plus purs.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 29.

«Non, la nature n'a point placé notre guide dans notre intérêt bien entendu, mais dans notre sentiment intime. Ce sentiment nous avertit de ce qui est mal ou de ce qui est bien. L'intérêt bien entendu ne nous fait connaître que ce qui est avantageux ou ce qui est utile.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 30.

«Si le sentiment religieux est une folie, parce que la preuve n'est pas à côté, l'amour est une folie, l'enthousiasme un délire, la sympathie une faiblesse, le dévouement un acte insensé.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 31.

«On a pratiqué des vertus domestiques. Il est plus conforme à l'intérêt bien entendu de vivre en paix chez soi qu'en hostilité, et le scandale trouble la vie. Mais les vertus domestiques ont aussi été rabaissées à hauteur d'appui. L'on a eu de l'égoïsme pour sa famille, comme auparavant pour soi. On a repoussé son ami menacé, de peut d'alarmer une épouse inquiète. On a déserté la cause de la patrie, parce que l'intérêt bien entendu voulait qu'on ne compromît pas la dot d'une fille. On a servi le pouvoir injuste, parce que l'intérêt bien entendu ne  voulait pas qu'on entravât la carrière d'un fils. § Il n'y avait point de vices dans tout cela; il y avait prudence, arithmétique morale; il y avait la partie logique et raisonnable de l'homme, séparée de sa partie noble et élevée; il y avait, en un mot, l'intérêt bien entendu.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 32.

«Tous les systèmes se réduisent à deux. L'un nous assigne l'intérêt pour guide, et le bien-être pour but. L'autre nous propose pour but le perfectionnement, et pour guide le sentiment intime, l'abnégation de nous-mêmes et la faculté du sacrifice.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 33.

«Le monde était peuplé d'esclaves, exploitant la servitude ou la subissant. Les chrétiens parurent: ils placèrent leur point d'appui hors de l'égoïsme. Ils ne disputèrent point l'univers matériel, que la force matérielle tenait enchaîné. Ils ne tuèrent point, ils moururent, et ce fut en mourant qu'ils triomphèrent.» — Benjamin CONSTANT. Préface. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 34.

«On nous a reproché d'avoir pris pour point de départ, l'état sauvage, parce qu'il n'est point démontré, nous a-t-on dit, qu'il ait été le premier état de l'homme. § Nous avons reconnu avant nos adversaires, que l'origine de notre espèce était enveloppée de ténèbres impossibles à dissiper; mais nous avons déclaré que, voulant suivre l'intelligence dans ses progrès, nous avons dû partir du point où ces progrès avaient commencé. Que l'état sauvage soit le premier, peu nos importe: l'homme y est tombé. Toutes les nations indiquent une époque où cet état fut le leur: cela nous suffit.» — Benjamin CONSTANT. Avertissement au tome IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 36-37.

«... autre chose est l'oubli des injures, autre chose l'estime; et si nous nous imposons l'un comme un devoir, nous ne nous croyons point obligés à feindre l'autre, quand nous ne l'éprouvons pas.» — Benjamin CONSTANT. Troisième avertissement. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 38.

«Si donc il y a dans le cœur de l'homme un sentiment qui soit étranger à tout le reste des êtres vivants, qui se reproduise toujours, quelle que soit la position où l'homme se trouve, n'est-il pas vraisemblable que ce sentiment est une loi fondamentale de sa nature ? § Tel est, à notre avis, le sentiment religieux.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 39. 

«Les causes de nos douleurs sont nombreuses. l'autorité peut nous poursuivre, le mensonge nous calomnier. Les liens d'une société toute factice nous blessent. La destinée nous frappe dans ce que nous chérissons. La vieillesse s'avance vers nous, époque sombre et solennelle, où les objets s'obscurcissent et semblent se retirer, et où je ne sais quoi de froid et de terne se répand sur tout ce qui nous entoure. Nous cherchons partout des consolations, et presque toutes nos consolations sont religieuses. Lorsque le monde nous abandonne, nous formons une alliance au-delà du monde. Lorsque les hommes nous persécutent, nous nous créons un appel par-delà les hommes. Lorsque nous voyons s'évanouir nos illusions les plus chéries, la justice, la liberté, la patrie, nous  nous flattons qu'il existe quelque part un être qui nous saura gré d'avoir été fidèles, malgré notre siècle, à la justice, à la liberté, à la patrie. Quand nos regrettons un être aimé, nous jetons un pont sur l'abîme et le traversons par la pensée. Enfin, lorsque la vie nous échappe, nous nous élançons vers une autre vie. Ainsi, la religion est la compagne fidèle, l'ingénieuse et infatigable amie de l'infortuné.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 41-42.

«Ce n'est qu'à la paix qu'on examine le pays pour le pays même. § Tel a été le sort de la religion, vaste contrée, attaquée et défendue avec une ténacité, une violence égales, mais que n'a visité aucun voyageur désintéressé, pour nous en donner une description fidèle.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 43.

«L'on a décrit le dehors du labyrinthe: nul n'a percé jusqu'au centre, nul ne le pouvait. Tous cherchaient l'origine de la religion dans des circonstances étrangères à l'homme, les dévots comme les philosophes. Les uns ne voulaient pas que l'homme pût être religieux sans une révélation particulière et locale; les autres sans l'action des objets extérieurs. Delà une erreur première, de là une série de longues erreurs. Oui, sans doute, il y a une révélation, mais cette révélation est universelle, elle est permanente, elle a sa source dans le cœur humain. L'homme n'a besoin que de s'écouter lui-même, il n'a besoin que d'écouter la nature qui lui parle par mille voix, pour être invinciblement porté à la religion. Sans doute aussi, les objets extérieurs influent sur les croyances; mais ils en modifient les formes, ils ne créent pas le sentiment intérieur qui leur sert de base.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 43-44.

«En supposant le sentiment religieux, les espérances religieuses, l'enthousiasme qu'elles inspirent, de vaines illusions, ce seraient encore des illusions particulières à l'homme; ces illusions le distingueraient du reste des être vivants, et il en résulterait pour lui une seconde exception, non moins singulière. Tous les êtres se perfectionnent d'autant plus qu'ils obéissent à leur nature. L'homme se perfectionnerait d'autant plus qu'il s'éloignerait de la sienne. La perfection de tous les êtres est dans la vérité; celle de l'homme serait dans l'erreur !» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 45. 

«Assigner à la religion, à la sociabilité, à la faculté du langage, d'autres causes que la nature de l'homme, c'est se tromper volontairement. L'homme n'est pas religieux parce qu'il est timide: il est religieux parce qu'il est homme. Il n'est pas sociable parce qu'il est faible; il est sociable parce que la sociabilité est dans son essence. Demander pourquoi il est religieux, pourquoi il est sociable, c'est demander la raison de sa structure physique et de ce qui constitue son mode d'exister.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 46.

«... de ce que toute une génération semble applaudir au mépris dont on accable une croyance longtemps respectée, il n'en résulte point que l'homme soit disposé à se passer de la religion. C'est seulement une preuve que la forme ainsi menacée ne convenant plus à l'esprit humain, le sentiment religieux s'en est passé. § Mais, dira-t-on, comment se faire une idée du sentiment religieux, indépendamment des formes qu'il revêt ? Nous ne le trouvons sans doute jamais ainsi dans la réalité; mais, en descendant au fond de notre âme, il nous sera possible, nous le croyons, de le concevoir par la pensée.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 47.

«En un mot, le sentiment religieux est la réponse à ce cri de l'âme que nul ne peut taire, à cet élan vers l'inconnu, vers l'infini, que nul ne parvient à dompter entièrement, de quelques distractions qu'il s'entoure, avec quelque habileté qu'il s'étourdisse ou qu'il se dégrade.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 50.

«On peut donc, bien que le sentiment religieux n'existe jamais sans une forme quelconque, le concevoir indépendamment de toute forme, en écartant tout ce qui varie, suivant les situations, les circonstances, les lumières relatives, et en ressemblant tout ce qui reste immuable, dans les situations et les circonstances les plus différentes.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 51.

«Le sentiment religieux naît du besoin que l'homme éprouve de se mettre en communication avec les puissances invisibles. §La forme naît du besoin qu'il éprouve également de rendre réguliers et permanents les moyens de communication qu'il croit avoir découverts.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 52. 

«Les écrivains ne sont que les organes des opinions dominantes. Leur accord avec ce opinions, leur fidélité à les exprimer, fondent leur succès.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 53. 

«Ce n'est pas une fantaisie chez les peuples que d'être dévots ou irréligieux: la logique est un besoin de l'esprit, comme la religion est un besoin de l'âme. On ne doute point, parce qu'on veut douter, comme on ne croit point, parce qu'on voudrait croire. § Il y a des époques où il est impossible de semer le doute, il y en a d'autres où il est impossible de raffermir la conviction.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 54.

«Une loi éternelle qu'il faut reconnaître, quelque opinion que nous ayons d'ailleurs sur des questions que nous avouons être insolubles, une loi éternelle semble avoir voulu que la terre fût inhabitable, quand toute une génération ne croit plus qu'une puissance sage et bienfaisante veille sur les hommes. Cette terre, séparée du ciel, devient pour ses habitants une prison, et le prisonnier frappe de sa tête les murs du cachot qui le renferme. Le sentiment religieux s'agite avec frénésie sur des formes brisées, parce qu'une forme lui manque que l'intelligence perfectionnée puisse admettre.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 57-58.

«Des nations puissantes et policées ont adoré des dieux qui leur donnaient l'exemple de tous les vices. Qui n'eût pensé que ce scandaleux exemple devait corrompre les adorateurs ? Au contraire, ces nations, aussi longtemps qu'elles sont restées fidèles à ce culte, ont offert le spectacle des plus hautes vertus. § Ce n'est pas tout. Ces mêmes nations se sont détachées de leur croyance, et c'est alors qu'elles se sont plongées dans tous les abîmes de la corruption.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 59.

«... le sentiment religieux est une émotion du même genre que toutes nos émotions naturelles; il est, en conséquence, toujours d'accord avec elles. Il est toujours d'accord avec la sympathie, la pitié, la justice, en un mot avec toutes les vertus. Il s'ensuit qu'aussi longtemps qu'il reste uni avec cette forme religieuse, les fables de cette religion peuvent être scandaleuse, ses dieux peuvent être corrompus, et cette forme néanmoins avoir un effet heureux pour la morale.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 59.

«Pareils aux grands de ce monde, les dieux ont un caractère public et un caractère privé. Dans leur caractère public, ils sont les appuis de la morale; dans leur caractère privé, ils n'écoutent que leurs passions; mais ils n'ont de rapports avec les hommes que dans leur caractère public. c'est à ce dernier que le sentiment religieux s'attache exclusivement; comme il se plaît à respecter et à estimer ce qu'il adore, il jette un voie sur tout ce qui porterait atteinte à son estime et à son respect.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 60.

«... l'on dirait que, par une combinaison singulière, moins l'homme croit à ses dieux, plus il les imite.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 60.

«En considérant le sentiment religieux en lui-même, et indépendamment de toues les formes qu'il peut revêtir, il est évident qu'il ne contient nul principe, nul élément d'esclavage. § La liberté, l'égalité, la justice, qui n'est que l'égalité, sont au contraire ses conceptions favorites. Des créatures qui sortent des mains d'un dieu dont la bonté dirige la puissance, étant soumises à la même destinée physique, étant douées des mêmes facultés morales, doivent jouir des mêmes droits. § En étudiant toutes les époques où le sentiment religieux a triomphé, l'on voit partout que sa liberté fut sa compagne.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 61-62.
 
«L'époque où le sentiment religieux disparaît de l'âme des hommes est toujours voisine de celle de leur asservissement. Des peuples religieux ont pu être esclaves; aucun peuple irréligieux n'est demeuré libre. La liberté ne peut s'établir, ne peut se conserver, que par le désintéressement, et toute morale étrangère au sentiment religieux ne saurait se fonder que sur le calcul. Pour défendre la liberté, on doit savoir immoler sa vie, et qu'y a-t-il de plus que la vie, pour qui ne voit au-delà du néant ?» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 62.

«Telle est donc la tendance invariable du sentiment religieux. C'est entre lui et la liberté, entre l'absence de ce sentiment et la tyrannie qu'existent la nature identique, le principe homogène.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 64.

«Dans la croyance ancienne que la philosophie avait subjuguée, l'homme était rabaissé au rang d'atome imperceptible dans l'immensité de cet univers. La forme nouvelle [i.e. le Christianisme] lui rend sa place de centre d'un monde, qui n'a été créé que pour lui: il est à la fois l'œuvre et le but de Dieu. La notion philosophique est peut-être plus vraie; mais combien l'autre est plus pleine de chaleur et de vie; et, sous un certain point de vue, elle a aussi sa vérité plus haute et plus sublime. Si l'on place la grandeur dans ce qui la constitue réellement, il y a plus de grandeur dans une pensée fière, dans une émotion profonde, dans un acte de dévouement, que dans tout le mécanisme des sphères célestes.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 66.

«... si la religion nous est nécessaire, s'il existe en nous une faculté qui demande à s'exercer, si notre imagination a besoin de sortir des limites qui nous renferment, s'il faut à cette partie souffrante et agitée de nous-mêmes un monde dont elle dispose et qu'elle embellisse à son gré, ce serait bien en vain qu'on reprocherait à la religion ses inconvénients et ses périls. La nécessité vaincra toujours la prudence. Qui ne peut supporter la terre doit affronter les flots, quelque semée d'écueils que la mer puisse être.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 67-68.

«Les philosophes qui, en attaquant la religion existante, voulaient conserver les principes qui servent de base à toute religion, ne considéraient cependant ces principes que sous leur point de vue le plus ignoble et le plus grossier, comme suppléant aux lois pénales. § En lisant leurs écrits, on voit qu'ils veulent que la religion leur serve tout de suite, comme une espèce de gendarmerie, qu'elle garantisse leurs propriétés, assure leur vie, discipline leurs enfants, maintienne l'ordre dans leur ménage. On dirait qu'ils ont, en quelque sorte, peur de croire pour rien. La religion doit leur payer en services ce qu'ils concèdent en croyance. § Cette manière étroite e incomplète de l'envisager a plus d'un inconvénient.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 70.

«La Révolution française, produite parce que nous avions trop de lumières pour vivre sous l'arbitraire, a dévié de sa route parce que nous n'avions pas assez de lumières pour profiter de la liberté. Elle a déchaîné une multitude qu'aucune méditation n'avait préparée à cet affranchissement subit. Elle n'a pas tardé à se transformer en une force matérielle, sans frein comme sans règle, dirigée contre toutes les institutions dont les imperfections l'avait provoquée. La religion a été en butte à la persécution la plus exécrable. Il s'en est suivi ce qu'il devait s'ensuivre: la réaction a été d'autant plus forte que l'action avait été plus injuste et plus violente.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 71-72.

«Les écrivains d'un ordre inférieur ont en général plus d'érudition classique que nos théologiens, mais leur point de vue n'est pas plus large. Ils ne pénètrent pas mieux dans l'esprit des siècles antiques et de peuples lointains, leur philosophie n'est pas plus libérale, leur logique ne s'agite pas dans un cercle moins vicieux.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 72.

«Toute lutte fait toujours jaillir un peu de lumière.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 72.

«Tout sert à l'intelligence dans sa marche éternelle. Les systèmes sont des instruments à l'aide desquels l'homme découvre des vérités de détail, tout en se trompant sur l'ensemble: et quand les systèmes ont passé, les vérités demeurent.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 78.

«Sans doute, la religion est la langue dans laquelle la nature parle à l'homme; mais cette langue varie, elle n'a point été la même à toutes les époques, dans la bouche des peuples ou de la classe éclairée qui gouvernait ces peuples. La religion est soumise, pour cette classe comme pour le vulgaire, à une progression régulière à laquelle les prêtres obéissent aussi bien que les tribus qu'ils dominent. Cette progression est plus mystérieuse dans les doctrines sacerdotales, parce que sous le joug sacerdotal tout est mystérieux. Quelque fois aussi elle est plus lente, parce que les prêtres font tous leurs efforts pour la retarder. Mais elle n'en est pas moins inévitable et déterminée par des lois fixes, qui ont leur origine dans le cœur humain.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 78.

«Vouloir faire de la religion une unité immuable et seulement voilée aux regards profanes, se flatter qu'on découvrira cette langue unique, et qu'alors les cultes, les dogmes, les symboles de toutes les nations se révéleront à nos yeux comme une portion de cette langue sacrée, c'est se bercer d'un espoir chimérique. Ce n'est ni dans les symboles, ni dans les doctrines que cette unité peut se trouver. Mais pénétrez dans la nature de l'homme, vous y apercevrez, si vous l'étudiez bien, la source unique de toutes les religions et le germe de toutes les modifications qu'elles subissent.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 79.

«Nous n'avons déclaré la guerre à aucun dogme: nous n'avons attaqué la divinité d'aucune des croyances qu'entoure la vénération publique. Mais nous avons pensé qu'on pouvait écarter avec respect, car tout ce qui touche à la religion mérite du respect, nous avons pensé, disons-nous, qu'on pouvait écarter avec respect des questions épineuses, et partir d'un fait qui nous semble évident. Ce fait, c'est que le sentiment religieux est un attribut essentiel, une qualité inhérente à notre nature.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 79.

«Tel a donc été notre premier principe. Nous avons dit: la civilisation étant progressive, les formes religieuses doivent se ressentir de cette progression; et l'histoire nous a confirmés dans ce premier résultat de nos recherches.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 80.

«L'homme est ainsi placé entre trois forces contraires, qui se le disputent: on dirait que le ciel l'appelle en haut; la terre le retient en bas, et il y a des êtres, semblables à lui, qui l'entraînent de côté. Cependant il avance conformément à l'impulsion que sa nature lui imprime, et au milieu des obstacles qu'il doit vaincre. Sa marche est réglée, elle est nécessaire. Sa direction peut être contrariée ou suspendue; mais rien ne peut lui donner pour longtemps une direction contraire.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 81.

«Le religion étant inhérente à l'homme et renaissant toujours sous une forme nouvelle quand l'ancienne forme est brisée, et la marche de la religion se proportionnant naturellement aux progrès de chaque époque, il s'ensuit, d'un côté, que la philosophie, en travaillant à épurer les idées religieuses, doit renoncer à se mettre en lutte avec le sentiment religieux et à vouloir détruire ce qui n'est pas soumis à la destruction; mais il s'ensuit, d'un autre côté, que l'autorité ne peut ni ne doit tenter d'entraver, de détourner, ni même d'accélérer les améliorations apportées à la religion par les efforts de l'intelligence.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 81.

«Que l'autorité soit neutre. L'intelligence de l'homme, cette intelligence dont le ciel l'a doué pour qu'il en fît usage, se chargera du reste. Elle n'est ennemie de la religion que lorsque la religion est persécutrice. Elle s'acquittera d'autant mieux de la mission d'impartialité et d'amélioration qui lui est confiée, qu'elle ne sera pas irritée par des obstacles, troublée par des périls et contrainte à prendre un élan trop fort pour surmonter d'opiniâtres résistances.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 82.

«Invoquer le hasard, c'est prendre pour une cause un mot vide de sens. Le hasard ne triomphe point de la nature. Le hasard n'a point civilisé des espèces inférieures, qui, dans l'hypothèse de nos philosophes, auraient dû rencontrer aussi des chances heureuses.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 83.

«La plupart des novateurs en politique ne disent jamais qu'ils veulent établir un gouvernement nouveau. A les entendre, ils n'aspirent qu'à rendre aux institutions anciennes leur pureté primitive. Il en de même de la religion. Les philosophes, les esprits éclairés et surtout les prêtres, qui, [...], on toujours deux impulsions, celle de conserver les opinions existantes, parce que d'est leur intérêt immédiat, et celle d'introduire dans la religion qu'ils regardent comme leur propriété, toutes leurs découvertes successives, parce que c'est l'intérêt durable du sacerdoce, ces hommes réclament pour leurs additions et leurs interprétations plus ou oins ingénieuses, abstraites ou recherchées, les honneurs de l'Antiquité, la faveur de la tradition. Pour mieux dominer les générations vivantes, ils empruntent la voix des générations passées.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 87.

«... dans le polythéisme grec, les divinités cosmogoniques, Chronos ou le Temps, Rhée, le Ciel, l'Erèbe, la Nuit, l'Océan, la Terre, précèdent en apparence les divinités réelles.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 88.

«La science est toujours salutaire, comme l'ignorance est toujours funeste.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 89.

«Chez toutes les nations de la terre, une classe d'hommes plus ou moins puissante a cherché à faire de la religion le dépôt des connaissances humaines. Mais conclure que la religion fut inventée pour renfermer ce sens mystérieux, et que les opinions populaires n'ont été que des déguisements ou des dégradations de cette doctrine, c'est tomber dans une erreur aux conséquences de laquelle il est impossible d'échapper. Les fables religieuses ne sont devenues que par degrés des hiéroglyphes, à l'aide desquels la classe instruite a enregistré ses calculs, ses observations sur les faits, ou ses hypothèses sur les causes.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 89.

«L'erreur des savants ne vient pas de ce qu'ils ont prêté à la religion un sens scientifique, mais de ce qu'ils ont cru pouvoir le placer avant le sens populaire ou littéral. Au lieu de considérer la religion comme un sentiment, ils l'ont envisagée comme une combinaison; au lieu d'y reconnaître une affection de l'âme, ils l'ont voulu transformer en une œuvre de l'esprit. Au lieu de voir la nature, ils n'ont vu que l'art.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 89.

«Il est désirable, sans doute, de pénétrer le sens mystérieux des cultes anciens. Mais la découverte de ce sens mystérieux fût-elle assurée, ne suffirait nullement pour les faire connaître sous les rapports les plus essentiels. La masse des hommes prend la religion comme elle se présente; pour elle, la forme est le fond. C'est dans la lettre des mythologies que se remarquent presque uniquement les progrès de la morale et les modifications successives que les religions subissent. Les allégories et les symboles peuvent rester les mêmes à toutes les époques, parce qu'ils expriment des idées qui ne varient pas. Les fables populaires changent, parce qu'elles expriment des idées qui varient.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 91-92.

«Si nous traitons un jour de la philosophie grecque, nous montrerons Socrate consultant la Pythie; Xénophon se conduisant d'après les oracles; Platon accordant une foi implicite à la divination. Lors même que les hommes s'écartent à beaucoup d'égards des dogmes professés avant eux et autour d'eux, ces dogmes ne perdent pas tous leurs droits. [...] Quand la philosophie domine dans la classe instruite, il n'y en a pas moins des fragments de religion vulgaire, mêlés aux opinions de cette classe; et pour apprécier ces opinions, c'est encore cette religion vulgaire qu'il faut étudier. Les poètes eux-mêmes, lorsqu'ils inventent, se plient à la croyance reçue, pour donner à leurs inventions une apparence de vérité» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 92-93.

«Le peu d'influence que possèdent les jongleurs de plusieurs tribus sauvages, vient de ce que, l'état de ces hordes n'étant pas un état organisé par des règles fixes, tout y est vague, tout y est d'impression momentanée, d'habitude irréfléchie. Rien n'y a force de loi, le sacerdoce pas plus qu'autre chose. Mais lorsqu'un peuple, [...], voit, [...], s'élever dans son sein une institution sacerdotale, avant qu'il ait aucune institution politique capable de lutter contre cette puissance religieuse ou de la restreindre, il doit subir le joug de cette puissance. Dès lors la religion qui, livrée à elle-même, se compose de tous les sentiments, de toutes les notions, de toutes les conjectures naturelles à l'homme, devient, dans les mains du sacerdoce, l'objet d'un calcul prémédité, d'un arrangement systématique.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 93-94.
 
«Le sacerdoce a trouvé le germe de toutes les notions religieuses dans le cœur de l'homme, mais il a dirigé ensuite despotiquement le développement de ce germe, et de la sorte il a imprimé à la religion une marche qu'elle n'aurait pas suivie naturellement.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 95.

«Sans doute, on ne peut suivre l'esprit humain, dans sa progression naturelle, qu'en étudiant les religions indépendantes. Tous les changements s'opèrent à découvert dans ces religions, tandis que sous l'empire des prêtres, le travail se fait à huis clos, dans l'enceinte mystérieuse des corporations privilégiées. Mais les cultes que les prêtres ont dominés sont historiquement les plus anciens: et les nations, en très petit nombre, chez lesquelles le sacerdoce n'a eu que peu de pouvoir, en ont vraisemblablement été plutôt affranchies que préservées. Il en résulte que la simplicité des religions livrées à elles-mêmes provient surtout de ce que l'esprit humain en retranche successivement les notions grossières qui appartiennent à l'enfance des croyances, notions que le sacerdoce, au contraire, enregistre et transforme en dogmes, de sorte que, pour bien comprendre les cultes les plus simples, il faut avoir étudié à fond les plus compliqués.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 95-96.

«Les religions qui ont lutté avec le plus de succès contre sa puissance [celle de la religion], ont été les plus douces, les plus humaines, les plus pures.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 96.

«Retracer les révolutions religieuses de toutes les nations serait faire l'histoire de toutes les nations. La religion se mêle à tout. Comme elle pénètre dans la partie la plus intime de l'homme, tout ce qui agit sur l'homme agit sur la religion. Comme elle modifie tout ce qu'elle touche, elle est aussi modifiée par tout ce qui la touche. Les causes se rencontrent, s'entrechoquent, et se font plier mutuellement. Pour expliquer la marche d'une religion, il faut examiner le climat, le gouvernement, les habitudes présentes et passées du peuple qui la professe: car ce qui existe influe, mais ce qui n'existe plus ne cesse pas toujours d'influer.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 96-97.

«L'histoire des exceptions serait devenue beaucoup plus longue que celle de la règle générale. La règle est une et simple, les causes des exceptions sont innombrables et compliquées.» — Benjamin CONSTANT. Livre I, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 97.

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