jeudi 3 juin 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre II)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

 [DE LA FORME LA PLUS GROSSIÈRE QUE LES IDÉES RELIGIEUSES PUISSENT REVÊTIR]

«... le sentiment religieux, le besoin que l'homme éprouve de se mettre en communication avec la nature qui l'entour, et les forces inconnues qui lui semblent animer cette nature. § La forme religieuse est le moyen qu'il emploie pour établir cette communication.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 99.

«Mieux vaut partir de faits historiques, pour remonter aux causes de ces faits.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 99.

«L'homme, [...], place toujours dans l'inconnu ses idées religieuses. Pour le Sauvage, tout est inconnu. Son sentiment religieux s'adresse donc à tout ce qu'il rencontre.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 101.

«Cet effort du sentiment religieux pour s'élever à la conception d'un dieu supérieur aux fétiches, suggère au Sauvage une notion plus abstraite encore, qui, dans les philosophies des époques civilisées, prendra d'immenses développements. § Nous voulons parler de la division en deux substances [la substance qui imprime le mouvement et celle qui le reçoit] ou de la spiritualité.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 104.

«Si le sentiment se nourrit d'émotions vagues, l'intelligence, plus exigeante, veut des raisonnements dont la justesse la satisfasse. Le besoin intérieur que l'homme éprouve d'adorer des êtres avec lesquels il corresponde et dont les soins protecteurs veillent sur lui, suffit au sentiment pour concevoir des dieux tutélaires. L'intelligence, qui observe avant de juger, tire des phénomènes extérieurs qu'elle compare et qu'elle rapproche des conclusions en partie différentes. Si plusieurs de ces phénomènes annoncent une force bienveillante, d'autres indiquent une sorte de haine et d'hostilité. Cette opposition, qui éclate à chaque instant dans chaque détail de la nature physique et morale, est à toutes les époques une énigme insoluble pour les esprit les plus exercés. Qui ne connaît pas les tentatives multipliées de toutes les écoles de philosophie pour résoudre le problème de l'origine du mal ?» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 105-106.

«Si le sentiment a ses émotions, l'intelligence ses lois, l'intérêt personnel a ses désirs et ses volontés; il faut que la religion s'y prête. Moins l'homme est éclairé, plus son intérêt personnel est impétueux, et lus en même temps il est resserré dans une sphère étroite et ignoble. Ses passions sont plus violentes, ses idées d'utilité se bornent toutes au moment présent. § Aussitôt donc que, pressé par le sentiment religieux, il s'est créé des objets de culte, il est poussé par son intérêt à les employer à son usage. Il entre alors dans une carrière toute nouvelle où l'intérêt travaille à fausser le sentiment religieux. § Le sentiment l'avait entraîné vers l'inconnu; l'intérêt le ramène aux choses connues. Le sentiment l'avait élevé au-dessus de lui-même; l'intérêt le rabaisse à son niveau.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 106.

«L'idée du sacrifice est inséparable de toute religion. L'on pourrait dire qu'elle est inséparable de toute affection vive et profonde. L'amour se complaît à immoler à l'être qu'il préfère tout ce que d'ailleurs il a de plus cher; il se complaît même, dans son exaltation raffinée, à se consacrer à l'objet aimé, par les souffrances les plus cruelles et les privations les plus pénibles.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 107.

«Le sentiment voudrait que le sacrifice fût désintéressé. L'intérêt veut qu'il ait pour but une réciprocité de services. Alors la religion n'est plus qu'un trafic. Le culte s'arrête, quand le profit cesse. L'homme passe d'un fétiche à l'autre, cherchant toujours un allié plus fidèle, un protecteur plus puissant, un plus zélé complice. § Dirigeant la religion vers ce but ignoble, l'intérêt en écarte toute notion de morale. Le fétiche est un être égoïste et avide, allié d'un être plus faible, égoïste comme lui. Les sacrifices dont il se repaît ne regardent que lui seul. Les devoir qu'il impose consistent en victimes, en offrandes, en témoignages de soumission, monnaie convenue, signes représentatifs d'offrandes et de victimes futures. C'est un paiement que le fétiche réclame, pour la protection qu'il accorde; que ce paiement se fasse avec exactitude et libéralité, aucun des deux contractants ne se mêle de ce que fait l'autre vis-à-vis d'un tiers.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 109.

«Quelle que soit la croyance, la question principale est de voir si le sentiment ou l'intérêt prédomine: si c'est l'intérêt, la pureté de la doctrine est sans importance. La religion alors n'est que du fétichisme ...» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 110.

«Tel est donc le culte de l'état sauvage. C'est la religion à l'époque la plus brute de l'esprit humain. Elle est en arrière de toutes les formes que nous aurons bientôt à décrire. Elle ne réunit point ses dieux en un corps, comme le polythéisme des nations policées. Ses vagues notions du Grand Esprit ne s'élèvent point à la hauteur du théisme. Elle choisit ses protecteurs dans une sphère bien inférieure. Elle n'a point l'esprit jaloux, mais compact de la théocratie, qui, plaçant son dieu en hostilité perpétuelle avec tous les autres, crée l'esprit national et le patriotisme par l'intolérance. § Dans cette conception étroite et informe réside néanmoins le germe des hautes idées qui, par la suite, se déploieront à nos regards.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 111.

«... en effet il est très possible pour le raisonnement de concevoir la religion séparée de la morale. Les relations des hommes avec les dieux constituent la religion. Les relations des hommes avec les hommes constituent la morale. Ces deux choses n'ont aucun rapport nécessaire entre elles. Les dieux peuvent ne s'occuper que de la conduite des hommes à leur égard, sans intervenir dans celle des hommes avec leurs semblables. Ceux-ci peuvent n'être responsables envers les premiers que de l'observance des devoirs du culte, et rester pour ceux de la morale dans une indépendance complète. On ne saurait imaginer la religion ne représentant pas ses dieux comme des êtres puissants. Mais on peut sans difficulté la concevoir ne leur donnant d'autres attributs que la puissance. Cela serait surtout naturel, si la terreur était l'unique source de la religion. » — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 112-113.

«Nous ne traitons jamais avec quiconque a des intérêts opposés aux nôtres sans nous efforcer de lire dans ses yeux si ses intentions répondent à ses paroles, et nous sommes douloureusement avertis par l'expérience de l'impuissance de nos efforts. La voix, le geste, le regard peuvent être complices de l'imposture.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 113.

«La conviction religieuse crée une sauvegarde, le serment; mais cette garantie disparaît avec la conviction religieuse. Trop souvent, au sein de la civilisation, les peuples irréligieux passent d'un serment à l'autre, ne se croyant liés par aucun, et les considérations comme des formules appartenant de droit au pouvoir qui règne, et ne constituent aucun tire en faveur du pouvoir déchu. Leurs chefs, irréligieux en même temps qu'hypocrites, foulent sans remords le matin les promesses de la veille, et promènent au milieu de l'indignation le scandale de la perfidie. Ainsi tous les liens sont brisés; le droit n'existe plus; le devoir disparaît avec le droit; la force est déchaînée; le parjure fait de la société un état permanent de guerre et de fraude.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 114.

«Si l'homme ne tirait ses idées religieuses que de l'action matérielle des objets extérieurs; si la religion n'était qu'une combinaison de l'esprit, un résultat de l'intérêt, de l'ignorance ou de la crainte, son alliance avec la morale ne serait ni si rapide ni si infaillible. Mais la morale est un sentiment. Elle s'associe au sentiment religieux, parce que tous les sentiments se tiennent.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 115.

«Si, [...], c'est toujours dans l'inconnu que la religion se place, le centre de toutes les conjonctures religieuses doit être la mort; car la mort est de toutes les choses inconnues la plus imposante.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 116.

«L'homme, [...], repoussé loin des morts par l'instinct physique, se trouve attiré de nouveau près d'eux par un mouvement qui dompte cet instinct.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 122.

«Le sentiment éloigne l'objet de son culte pour mieux l'adorer: l'intérêt s'en rapproche pour mieux s'en servir.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 126.

«A proprement parler, la magie n'est que la religion séparée du sentiment religieux, et réduite aux notions que l'intérêt seul suggère.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 127.

«... dans tous les cultes, l'acte de prophétiser est un acte pénible.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 132.

«Le culte qui flatte les désirs immédiats convient mieux à l'exigence de la passion que l'adoration, qui est inapplicable aux détails de la vie.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 133.

«L'effusion du sang humain [dans les sacrifices religieux] est devenue l'offrande la plus précieuse, parce que la vie est aux yeux de l'homme ce qu'il y a de plus précieux: et parmi ces horribles offrandes, les plus méritoires ont dû être celles qui frappaient les victimes les plus chères. Rien n'est plus terrible que la logique dans l'absurdité.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 134.

«L'homme dès sa première enfance a cru ne faire jamais assez pour honorer ses dieux. La nature l'invitait au plaisir, il a sacrifié le plaisir pour leur plaire; la nature lui prescrivait la pudeur, il leur a offert la pudeur en holocauste. Mais c'est au sacerdoce qu'appartient ce dernier raffinement. Il a découvert dans la lutte qui s'élevait entre le sentiment intérieur et des pratiques obscènes, le sujet d'un triomphe nouveau pour la religion, triomphe en sens inverse de celui qu'elle avait remporté sur l'attrait des sexes; et après avoir interdit à la jeune vierge les chastes embrassements d'un époux, il l'a traînée devant ses divinités hideuses pour la profaner et la flétrir.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 135.

«... moins un peuple est éclairé, plus le sacerdoce est inséparable de la religion.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 137.

«Le mal n'est jamais dans ce qui existe naturellement, mais dans ce qu'on prolonge ou dans ce qu'on rétablit par la ruse ou la force. Le véritable bien, c'est la proportion. La nature la maintient toujours quand on laisse la nature libre. Toute disproportion est pernicieuse. Ce qui est usé, ce qui est hâtif est également funeste.» — Benjamin CONSTANT. Livre II, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 138.

«... la profondeur n'est pas dans l'érudition qui compile, mais dans la perspicacité qui apprécie ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 478.

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