dimanche 25 novembre 2012

Max Picard — Le Monde du silence (Chapitre VII-XII)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Max PICARD. Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954.

CHAPITRE VII
Le démonisme du silence et la parole

«Dans le silence il n'y a pas seulement un élément salutaire, aimable; il y a aussi un élément obscur, chotonien, terrible, hostile qui peut surgir du fond du silence, infernal, démonique.»  — Max PICARD. «Le démonisme du silence et la parole». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 31.

«Mais cet élément menaçant, démonique ne peut pénétrer dans la parole, n'y a de place que si la parole n'est point remplie par l'esprit. Car l'esprit a, dans la parole, la force de vaincre le démonique. Le silence perd son caractère terrible, le terrible est exorcisé par la parole qu'habite l'esprit, c'est-à-dire par la vérité et l'ordre.»  — Max PICARD. «Le démonisme du silence et la parole». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 31.

«Dans l'esprit qui est dans la parole, réside une trace du logos divin; par là, la parole reçoit la puissance de se soumettre le démonique.»  — Max PICARD. «Le démonisme du silence et la parole». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 32.

«La forêt vierge du silence donna, grâce à l'esprit qui est en la parole, le sol bienveillant du silence qui porte et nourrit la parole.»  — Max PICARD. «Le démonisme du silence et la parole». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 33.

«Par la parole, le silence cesse d'être dans un isolement démonique, il devient la sœur aimable de la parole.»  — Max PICARD. «Le démonisme du silence et la parole». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 33.

CHAPITRE VIII
Parole et geste

«Le geste appartient à une toute autre catégorie que la parole, il n'est point détaché des états affectifs qui le provoquent, il y est mêlé, il en est une partie et, le plus souvent, il exprime un vouloir. La parole, au contraire, exprime une existence, une totalité et non pas seulement quelque chose qui ressortit à la volonté et n'est qu'une partie de l'être. La parole contient plus d'être que de volonté affective. La parole est même être si peu commun qu'elle crée elle-même de l'être.»  — Max PICARD. «Parole et geste». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 34.

«Jamais l'homme n'aurait pu arriver, par degrés, du geste à la parole, car le geste quelque chose d'irrédimé, il est même ce qui est nettement irrédimé; ce n'est que par un acte créateur particulier que quelque chose de libre peut naître de lui.»  — Max PICARD. «Parole et geste». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 34.

«... la parole est claire, libre, souveraine, elle s'élève au-dessus de soi, elle laisse tout derrière soi sauf le silence d'où elle vient; le geste, au contraire, est serf, irrédimé, encore tout entremêlé de la matière dont il use pour tenter de se mettre sous nos yeux, il est lié à la matière, prise en elle, il ne se porte par librement vers la matière comme le fait l'esprit dans la parole.»  — Max PICARD. «Parole et geste». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 34.

«Le langage est entièrement ontique, au point que tout élément génétique y est sans importance, y paraît comme englouti par la puissance de l'ontique. Même si le langage était le produit de l'évolution, celle-ci n'entrerait pas en considération, elle n'existerait pas, elle serait entièrement absorbée par l'ontique.»  — Max PICARD. «Parole et geste». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 35.

«Le langage fait partie de l'être même de l'homme, il en est un élément, se fond en lui. [...] § Le langage ne peut être déduit que d'un autre existant, d'un existant qui est encore plus puissant que l'existant qui est dans le langage.»  — Max PICARD. «Parole et geste». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 35.

CHAPITRE IX
Les langues anciennes

«Les langues anciennes ont une structure radiale; elles commencent toujours à partir d'un centre (ce centre est le silence); elle y reviennent, prenant toujours à nouveau leur élan à partir de ce centre; il est comme une fontaine jaillissante dont les jets partent du centre en un arc, y reviennent et disparaissent à nouveau en lui.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 36-37.

«Dans la langue encore jeune, il y a un mélange de crainte et de puissance: de crainte parce qu'elle vient de sortir du silence, de puissance parce qu'elle doit se fixer pour ne pas être effacée et ne pas disparaître.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 37.

«La langue jeune devait donc se fixer; elle était statique. Les mots sont comme des pieux; chaque pieu est là comme pour soi; il n'y a presque pas de chemin menant d'un mot à l'autre. L'architecture de la langue est verticale. Un mot s'enfonce après l'autre dans la phrase, perpendiculairement, comme une colonne.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 37.

«Dans la langue d'aujourd'hui, l'existant, le présent, le statique ne comptent plus; la phrase est devenue dynamique; un mot se hâte vers un autre, une phrase vers une autre. L'architecture de la langue est changée, les colonnes verticales sont couchées, l'horizontale détermine la phrase [...]. La phrase devient fluide, dynamique.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 37-38.

«Dans les langues anciennes, la parole n'est que l'interruption du silence. Chaque parole est bordée de silence. Elle est ainsi d'abord en soi-même et, ensuite seulement, elle se joint à la parole qui suit; elle est modelée, elle reçoit une forme de la limitation que lui impose le silence.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 38.

«Dans les langues anciennes, il y a un silence dans l'intervalle de deux paroles. La langue respire du silence, elle prononce du silence et, le prononçant, le conduit au grand silence dont elle est venue.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 39.

«Il est important que les langues anciennes soient enseignées dans les écoles, car notre propre langue y aperçoit la naissance de la parole à partir du silence, la puissance du silence sur la parole, l'action salutaire du silence pour la parole.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 39.

«Il est important aussi que les dialectes soient sauvegardés. Car un homme qui parle habituellement un dialecte ne peut pas, dans la langue écrite, avancer sans gêne, de mot en mot; il faut qu'il reprenne toujours son élan à partir du dialecte, pour arriver dans la langue écrite; celle-ci n'est point pour lui quelque chose qui va de soi et qui n'est que par trop tout prêt.»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 39.

«Un phénomène humain ne peut s'étendre au delà d'une certaine mesure sans se détruire; il en est apparemment de même de la langue ...»  — Max PICARD. «Les langues anciennes». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 40.

CHAPITRE X
Le moi et le silence

«L'homme dont l'être est encore habité par le silence va du silence au monde extérieur; le silence est le centre de l'homme. Le mouvement ne se fait pas alors immédiatement d'un homme vers un autre, mais du silence de l'un au silence de l'autre.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 41.

«Chez les hommes d'aujourd'hui, la situation est renversée: ce qui est premier, c'est le mouvement vers l'extérieur; ce n'est que comme par hasard qu'il rencontre quelque chose; il s'est déjà produit avant que soit déterminé pourquoi il se produit; il devance toujours l'homme même ...»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 41-42.

«Aujourd'hui encore, au milieu du monde du bruit, la substance du silence habite encore parfois un homme.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 42.

«Un homme en qui est active la substance silencieuse porte sur soi le silence dans chacun de ses mouvement; aussi sont-ils lents, ils ne se heurtent pas avec violence; ils sont portés par le silence; ils ne sont pas autre chose que des vagues de silence; et cependant cet homme est là, distinctement et sa parole est là, distinctement. C'est un événement que l'homme se soit détaché du silence; son apparition est plus distincte que là où fait défaut le silence et où l'homme et la rumeur sont un seul bruit continu. § La sublimité inhérente à cet homme vient de ce qu'il apporte le silence dans le monde.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 43.

«Là où pénètre le silence, l'individu ne remarque pas d'opposition entre lui et la communauté, car l'individu et la communauté ne sont pas en face l'un de l'autre, mais ils sont tous deux en face du silence; la différence entre l'individu et la communauté cesse d'avoir de l'importance en face de la puissance du silence. § Aujourd'hui, l'individu n'est plus en face ni du silence ni de la communauté; il est seulement en face d'un bruit général, et l'individu est seulement celui qui, certes, ne possède plus le bruit, le bruit universel, mais ne possède pas non plus encore le silence. Il est isolé du bruit et isolé du silence; c'est un égaré.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 43-44.

«Dans un monde où le silence est actif, la solitude ne dépend pas du subjectif, elle ne vient pas de lui. La solitude se tient devant l'homme comme quelque chose d'objectif, même la solitude qui est en lui-même; elle se tient là, devant lui en tant que silence.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 44.

«Le saint accueillait en soi la solitude comme si elle venait d'un tiers, il l'accueillait comme quelque chose allant de soi [...]. Mais quand la solitude est seulement une partie de notre être intérieur, elle use l'homme et il dépérit de son fait.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 44.

«Un homme qui possède encore en soi de la substance silencieusen'a pas besoin de prêter sans cesse attention à son être intérieur; il n'a pas besoin de recourir à la volonté pour mettre de l'ordre en tout; bien des choses s'ordonnent d'elles-mêmes grâce à la puissance de la substance silencieuse qui adoucit les oppositions. Cet homme peut avoir des qualités qui ne s'accordent pas sans que surgisse, pour cela, une crise; les oppositions ont assez de place dans la substance silencieuse.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 44.

«La vie n'est point déchirée ici entre la foi et la science, la vérité et la beauté, la vie et l'esprit; c'est la réalité entière qui est placée devant l'homme et non point la polarité des concepts; l'existence de l'homme se joue non pas dans une alternative, à son extrême pointe, mais dans la médiation; entre les oppositions, il y a la substance silencieuse et elle les empêche de devenir agressives les unes envers les autres. Chacune doit d'abord franchir la vaste et apaisante plaine du silence avant de pouvoir parvenir à un autre. La substance silencieuse s'entremet donc entre les oppositions. § Ici seulement, l'homme est au-dessus de sa propre contradiction; ici seulement, il a de l'humour. Car en face su silence, la contradiction ne compte pas; elle ne choque pas; elle est absorbée par le silence.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 45.

«Quand il a encore en soi de la substance silencieuse, l'homme supporte mieux ce qui est hostile à son être, ce qui l'use. [...] La vie avec les machines, la technique n'est pas en soi nuisible. Elle est nuisible seulement lorsque fait défaut la substance silencieuse qui protège l'homme.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 45.

«... les possibilités qui ne sont pas réalisée sont une nourriture pour le silence; par elles, le silence acquiert plus de force et, à son tour, devient une nourriture puissant pour tout ce qui se réalise autrement.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 45-46.

«Mais elle [la possibilité de la poésie] n'est pas absente, elle ne se réalise pas seulement; elle se repose dans le silence; elle reprend des forces. Il y a cependant de la beauté dans semblable silence et la beauté vient du poème qui imprègne tout en silence.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 46.

«Aujourd'hui il n'y a pas de substance silencieuse; toutes les choses sont présentes à la fois, récalcitrantes, opprimantes et l'homme qui ne peut laisser s'enfoncer cette surabondance dans le silence, la laisse se volatiliser dans le vide de la phrase et y sombrer.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 46.

«Une véritable éducation, un véritable enseignement sont fondés sur cette substance silencieuse.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 47.

«La substance silencieuse est aussi le lieu où se déroule la métamorphose d'un homme. Sans doute l'esprit est-il la cause de cette métamorphose, mais, sans le silence, la métamorphose n'est pas réalisable, car, lors de cette métamorphose, l'homme n'est en état de se détacher de tout le passé que s'il peut interposer le silence entre ce qui est passé et ce qui est nouveauté. § Aujourd'hui, où le silence fait défaut, l'homme ne peut plus se métamorphoser, il peut seulement se développer; c'est pourquoi l'évolution compte tellement aujourd'hui. L'évolution n'a pas lieu dans le silence, mais dans les allées et venues de la discussion.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 48.

«L'immensité du bonheur n'est bien ressentie que dans l'ampleur du silence. Bonheur et silence font un comme mérite et bruit.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 48.

«Souffrance et silence aussi font un. Dans l'ampleur de la substance silencieuse, la souffrance arrive à un équilibre, les simples émotions se perdent dans cette ampleur, mais la souffrance même se manifeste davantage comme souffrance.»  — Max PICARD. «Le moi et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 49.

CHAPITRE XI
Connaissance et silence

«L'ampleur et l'esprit et l'ampleur du silence font un; l'ampleur de l'esprit a besoin d'un corrélatif naturel hors de soi. Certes, l'esprit est autonome et peut créer de soi-même cette ampleur, mais l'ampleur du silence qui vient de la nature est une exhortation pour l'esprit à être ample.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 50.

«... une extension quantitative doit donner l'illusion de l'ampleur: c'est le signe que l'homme a la nostalgie de la totalité, de l'universalité.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 50-51.

«L'opposition surprend et le regard rétréci la saisit plus facilement que l'ensemble de la réalité d'une chose qui ne surprend pas. On n'est plus, par exemple, en état d'apercevoir toute la réalité de la vie, toute la réalité de l'esprit, toute la réalité non plus de la foi et de la science. De la vie et de l'esprit, de la foi et de la science, on ne connaît que leurs oppositions: «vie est esprit», «foi et science» ne comptent plus que dans leur polarité et leurs heurts; l'homme ne peut plus accorder à la vie et à l'esprit pour soi, à la foi et à la science pour soi assez d'espace pour que chacun puisse encore exister pour soi.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 51.

«Il faut exagérer parce que seul ce qui est exagéré est aperçu. Les phénomènes qui ne surprennent pas ne comptent pas aujourd'hui, ils sont comme absents. Une guerre pourrait naître de cette exagération: ce serait une chose terrible entre toutes qu'une guerre jaillit non de la passion ou d'une nécessité politique, mais seulement d'une déficience psychologique de l'homme qui doit exagérer les phénomènes pour remarquer leur présence»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 51.

«Lorsque l'homme est en rapport avec le silence, il n'est point accablé par son savoir; le silence le décharge de ce faix.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 52.

«Toute la façon de connaître d'un tel homme est pénétré de silence; on ne se sent pas poussé à tout dévoiler; on accorde aussi au silence sa part dans les choses en ne touchant pas beaucoup de choses avec la parole.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 52.

«De même qu'il n'y a plus aujourd'hui de différence entre le silence et la parole — le silence n'est plus un phénomène pour soi, le silence aujourd'hui est seulement parole non encore proférée —, de même il n'y a plus de différence entre ce qui a été acquis par la recherche et ce qui ne l'a pas été; ce qui ne l'a pas été, ce qui est voilé n'est également plus un phénomène pour soi, c'est seulement ce qui n'a pas encore été acquis par la recherche.»  — Max PICARD. «Connaissance et silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 53.

CHAPITRE XII
Les choses et le silence

«La puissance de l'ontique passe aux choses qui sont dans le silence. L'ontique des choses est renforcé par le silence; ce qui ressortit à l'évolution est éloigné du monde du silence, ne prévaut pas contre le silence, n'arrive à rien contre lui. § Être et silence font un. Des époques qui ne sont plus en rapport avec le silence — c'est le cas de celle d'aujourd'hui — ne se soucient plus de l'ontique des choses, elles se préoccupent de leur devenir, de leur évolution, de transformation, de révolution.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 54.

«C'est dans l'être qu'est la totalité d'une chose; le devenir emporte dans son mouvement seulement une petite partie de l'être et la parole, qui décrit le devenir, approche la réalité d'une chose seulement dans la mesure où, dans le devenir, se trouvent des parties de l'être.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 54.

«Chaque objet a en soi un fond qui vient de plus loin que la parole désignant cet objet. Ce fond, l'homme ne peut le rencontrer autrement que par le silence. [...] Ce fond dans l'objet, l'homme ne peut donc le prendre dans la parole.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 55.

«L'homme ne perd rien à ne pas pouvoir faire entrer dans la parole ce fond des choses. Ce fond ineffable relie l'homme à l'état primitif antérieur à la parole, et c'est là ce qui est important. Ce fond ineffable des choses est signe que les choses n'ont pas été crées et montées par l'homme lui-même. Si les choses avaient été produites par lui, dans la connaissance qu'il en a, c'est-à-dire dans la parole, il en aurait l'entière possession.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 55.

«La parole qui vient du silence enveloppe l'objet avec cette force propre à ce qui est originel qu'elle reçoit du silence; l'objet participe à la nature originelle de la parole, il s'épanouit grâce à la parole, il croit en être. § Si la parole ne possède plus la force de l'originel, elle devient simple son qui peut seulement effleurer la surface de l'objet; elle met seulement une étiquette à la chose.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 56.

«Deux formations menaçantes se dressent donc en face l'une de l'autre: le chaos de la machinerie de la parole qui veut résoudre chaque chose en bruit et le chaos de la machinerie de la chose qui, détachée de la parole, attend de se créer à soi-même un langage dans le fracas d'une explosion. De même que, parfois, un muet pousse un cri à faire croire qu'il déchire sa chair afin d'arriver à la parole, de même, aujourd'hui, les choses éclatent et explosent comme si elles voulaient s'ouvrir violemment en un son: c'est le son que rend la décadence.»  — Max PICARD. «Les choses et le silence». Le Monde du silence. Presses universitaires de France. Paris, 1954. p. 57.

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