jeudi 25 novembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XV)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

[RÉSULTATS DE L'OUVRAGE.]

«Les formes religieuses sont de deux espèces. § Les unes, soumises à des corporations qui les maintiennent stationnaires; les autre, indépendantes de toute corporation, et se perfectionnant progressivement. § L'homme peut se trouver sous l'empire de l'une ou de l'autre de ces formes. § Une troisième hypothèse serait celle où les deux formes seraient repoussées. § Cette hypothèse est-elle admissible ? Nous ne le pensons point. Historiquement, nous n'en voyons d'exemple nulle part. Psychologiquement, l'existence du sentiment religieux nous semble y mettre obstacle.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 563-564.

«Le mouvement qui survit à la mort apparente, prouve que le germe n'est pas privé de vie.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 565.

«Beaucoup se perdent dans les nuages; mais leur élan vers les nuages est une tentative pour approcher des cieux. Ils sentent que c'est ainsi que s'établira leur correspondance avec un public nouveau, public que l'incrédulité fatigue, et qui veut autre choses, sans savoir peut-être encore ce qu'il veut. § L'absence de toute conjecture, de tout sentiment, de toute espérance religieuse, l'incrédulité dogmatique, sont donc impossibles pour la masse de l'espèce humaine.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 565-566.

«... la négation de toute puissance supérieure à nous, de toute communication avec cette puissance, de tout appel à sa bonté et à sa justice contre l'injustice et la perversité, le renoncement à un monde meilleur que le nôtre, à un monde de réparation et de pureté, aucune société ne s'en contentera.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 566.

«Nous ne prétendons nullement que le sacerdoce ait été l'auteur de tous les maux qui ont pesé sur le monde. Des causes nombreuses et de diverses natures, extérieures ou intérieures, fortuites ou permanentes, ont souvent et puissamment réagi. L'aristocratie des guerriers a, jusqu'à un certain point, contrebalancé le pouvoir des prêtres, comme le despotisme des rois a détrôné plus tard l'aristocratie guerrière, et comme aujourd'hui l'industrie renverse le despotisme des rois. Mais en est-il moins vrai que le sacerdoce a toujours entravé cette extension des droits et des jouissances, se communiquant d'une caste à l'autre, et enfin de tous les privilèges de l'espèce entière ? C'est là ce que nous affirmons; c'est là ce que prouve l'histoire.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 567.

«La morale, plus douce et plus délicate, parce que le sentiment religieux y verse ses nuances raffinées, demeure indépendante de la sécheresse et de l'âpreté des dogmes positifs. Aucune volonté capricieuse, aucune puissance discrétionnaire, aucune autocratie mystique ne transforment le bien en mal et le mal en bien. Ce qui est vertu reste vertu; ce qui est crime, demeure crime. Aucun pontife insolent n'ose, au nom du ciel, ordonner ce qui est coupable, ou justifier ce qui est atroce. Aucun prêtre mercenaire ne fait de l'impunité achetée le gage d'une impunité future qu'on achèterait de nouveau. Les dieux, comme les humaine, se soumettent aux lois éternelles, et la conscience inviolable et respectée prononce sur les volontés des uns, comme sur la conduite des autres.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 568-569.

«... même dans ce trop fameux procès, les ennemis de Socrate lui laissèrent, jusqu'au moment où il but la ciguë, des moyens faciles de désarmer leur vengeance. Mais, pour s'y dérober, c'était ou les lois de la patrie qu'il fallait violer, ou le principe stationnaire qu'il fallait reconnaître par un désaveu. Il fallait repousser tous les perfectionnement acquis par les émotions nobles, ou par les méditations studieuses; reculer vers les temps d'ignorance, pour en adopter de nouveau les dogmes; renoncer à tous les progrès de la raison et de la morale. Socrate ne le voulut pas; sachons-lui-en gré. Sa mort a été utile à son siècle et à sa patrie. Elle est utile encore aujourd'hui.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 570.

«La morale, plus douce et plus délicate, parce que le sentiment religieux y verse ses nuances raffinées, demeure indépendante de la sécheresse et de l'âpreté des dogmes positifs. Aucune volonté capricieuse, aucune puissance discrétionnaire, aucune autocratie mystique ne transforment le bien en mal et le mal en bien. Ce qui est vertu reste vertu; ce qui est crime, demeure crime. Aucun pontife insolent n'ose, au nom du ciel, ordonner ce qui est coupable, ou justifier ce qui est atroce. Aucun prêtre mercenaire ne fait de l'impunité achetée le gage d'une impunité future qu'on achèterait de nouveau. Les dieux, comme les humaine, se soumettent aux lois éternelles, et la conscience inviolable et respectée prononce sur les volontés des uns, comme sur la conduite des autres.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 570.

«... tant que la religion servira de prétexte à l'existence d'un corps chargé de l'enseigner et de la maintenir, le dogmatisme religieux aura, suivant les pays et suivant l'époque, ses exils, ses cachots, sa ciguë ou ses bûchers.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 570.

«Considérer une religion comme ne pouvant jamais être améliorée, c'est la déclarer la seule bonne, la seule salutaire. Dès lors la faire adopter à tous, devient un impérieux devoir. Non seulement il est permis, mais il est ordonné d'employer à cette œuvre pieuse les moyens de force, si les moyens de persuasion ne suffisent pas. § Si l'autorité politique se joint au zèle religieux pour la perpétuité de la foi, et le principe une fois admis, elle doit s'y joindre, elle investit nécessairement le sacerdoce de ces moyens de force. De là, l'introduction d'un pouvoir matériel dans le domaine de la conscience; de là les persécutions et les supplices.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 572.

«C'est donc une erreur grave que de supposer la religion intéressée à demeurer immuable; elle l'est, au contraire, à ce que la faculté progressive qui est une loi de la nature de l'homme, lui soit appliquée. § Elle doit l'être aux dogmes, ainsi qu'aux rites et aux pratiques. Que sont en effet les dogmes ? La rédaction des notions conçues par l'homme sur la Divinité. Quand ces notions s'épurent. les dogmes doivent changer. Que sont les rites et les pratiques ? Des conventions supposées nécessaires au commerce des êtres mortels avec les dieux qu'ils adorent. L'anthropomorphisme sert de base à cette idée. Les hommes ne connaissant pas réciproquement leurs dispositions secrètes, leurs intentions cachées, ils remédient à cette ignorance, en attachant un sens convenu à des démonstrations extérieures. Cette langue artificielle leur serait inutile, s'ils pouvaient lire au fond des cœurs. Supposer la nécessité de ce langage pour s'adresser à l'Être infini, c'est circonscrire ses facultés, c'est le rabaisser au niveau des hommes, c'est transporter dans le séjour céleste une imitation des coutumes humaines. L'anthropomorphisme disparaissant, les rites sont condamnés à le suivre.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 574.

«... si l'on veut rendre à la religion le seul hommage qui soit digne d'elle, et l'appuyer en même temps sur les seuls fondements qui soient solides et inébranlables, il faut respecter sa progression. § L'espèce humaine n'a aucun principe plus cher et plus précieux à défendre. Aussi n'en a-t-elle défendu aucun au prix de plus de sacrifices et de plus de sang. Pareille à la métempsycose des brames, où les âmes traversent quatre-vingt mille transmigrations avant de monter jusqu'à Dieu, la religion se régénère indéfiniment; ses formes seules, sujettes à la mort, sont, en quelque sorte, comme des momies d'Égypte qui ne servent qu'à constater les existences du passé.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 574.

«Une constitution signifie les lois d'après lesquelles une nation se régit. Qu'une loi de détail soit changée, la constitution n'en subsiste pas moins. La religion signifie l'ensemble des rapports qui existent entre l'homme et le monde invisible. Qu'un dogme se modifie, la religion n'est pas pour cela détruite. En général, il faut éviter de proclamer les changements, si la nécessité n'est pas urgente. C'est leur susciter des résistances. Tout se fait graduellement, et, pour ainsi dire, imperceptiblement par la nature. Les hommes doivent l'imiter. Pourvu qu'il n'y ait point de contrainte exercée sur les consciences, point d'obstacle opposé à la pratique des cultes divers, le nom est utile à conserver. Il ne nuit point au fond des choses, et il rassure les esprit susceptibles de s'effaroucher.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 575.

«Plus on croit à la bonté et à la justice d'une Providence qui a créé l'homme et qui lui sert de guide, plus il est naturel d'admettre que cette Providence bienfaisante proportionne ses enseignements à l'état des intelligences destinées à la recevoir.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 575.

«Qu'est-ce, en effet, que ce sentiment [le sentiment religieux] ? Le besoin de se rapprocher des êtres dont on invoque la protection. Il est dans son essence d'essayer, pour se satisfaire, de chaque forme religieuse qu'il se crée, ou qu'on lui présente; mais il est aussi dans son essence, lorsque ces formes religieuses ne le satisfont plus, de les modifier de manière à en écarter ce qui le blesse. Le borner au présent, qui ne lui suffit jamais, lui interdire cet élan vers l'avenir, auquel l'insuffisance du présent l'invite, c'est le frapper de mort. Partout où il est ainsi enchaîné, partout où il y a impossibilité de modifications successives, il peut y avoir superstition, parce que la superstition est l'abnégation de l'intelligence; il peut y avoir fanatisme, parce que le fanatisme est la superstition devenue furieuse; mais il ne saurait y avoir religion, parce que la religion est le résultat des besoins de l'âme et des efforts de l'intelligence, et que des degrés stationnaires mettent l'une et l'autre hors de la question.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 575-576.

«Toute secte naissante aspire à l'excellence de la morale, et la secte délaissée réforme ses propres mœurs. Le protestantisme améliora pour un temps le clergé catholique; et si nous voulions, ce que nous n'aimons guère, nous adresser à l'autorité, nous lui prouverions que la liberté religieuse est dans son intérêt. Une secte unique est une rivale toujours redoutable. Deux sectes ennemies sont deux camps sous les armes. Divisez le torrent, ou, pour mieux dire, laissez-le se diviser en mille ruisseaux. Ils fertiliseront la terre que le torrent aurait dévastée.» — Benjamin CONSTANT. Livre XV, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 576-577.

mercredi 24 novembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XIV)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

[DE LA RELIGION SCANDINAVE ET DE LA RÉVOLUTION QUI SUBSTITUA EN SCANDINAVIE UNE CROYANCE SACERDOTALE AU POLYTHÉISME INDÉPENDANT.]

«... si le Midi était le domaine du sacerdoce, le Nord avait été sa conquête. Or, l'intérêt du sacerdoce étant le même, les lois auxquelles sont intelligence est soumise étant identiques dans tous les climats, il doit en résulter pour la religion, publique ou secrète, populaire ou scientifique, des conformités qui seraient inexplicables, si elles ne remontaient à cette cause.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 547.

«... nous avons remarqué que la religion, guerrière dans le Nord, était pacifique dans l'Orient; mais cette diversité de caractère n'a changé que peu de chose à l'action des prêtres, n'a limité qu'accidentellement et par intervalles la puissance qu'ils ont exercée, et ne les a point empêché d'introduire, dans la croyance du peuple, les dogmes qui leur étaient favorables, et, dans leur doctrine occulte, les notions vers lesquelles leurs méditations les avaient conduits.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIV, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 548.

«Si l'on accorde ce qu'il faut accorder aux différences accidentelles qui distinguaient des Grecs les habitants de la Scandinavie; si l'on substitue un climat terrible au plus beau climat, des terres stériles et incultes à un sol heureux et fécond, des sens tourmentés par une nature hostile à des sens flattés par une nature douce et amie, la nécessité, par cela même, l'habitude et bientôt l'amour de la guerre, la soif du sang, l'ardeur du pillage au mélange de repos et d'action qui, chez les Grecs, favorisait à la fois le développement des facultés physiques, l'éclat de l'imagination et le progrès de la pensée; si l'on fait ensuite la comparaison avec exactitude, on reconnaîtra que le polythéisme des deux nations était d'ailleurs le même polythéisme, établissant entre les dieux et les hommes précisément les mêmes rapports.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIV, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 551.

«Chez les Grecs, en raison du progrès des idées, le même enfer est diversement employé. Chez les Scandinaves, il y a deux enfers pour des usages différents, et, dans la description du dernier enfer, l'empreinte sacerdotale n'est pas à méconnaître. Le palais d'Héla est la douleur, sa table la famine, son glaive la faim, son esclave la lenteur, son vestibule le précipice, son lit la souffrance, sa tente la malédiction. Dix fleuves roulent leurs eaux noirâtres, à travers ce séjour d'horreur; les noms de ces fleuves sont l'angoisse, le chagrin, le néant, le désespoir, le gouffre, la tempête, le tourbillon, le rugissement, le hurlement et l'abîme.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIV, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 557.

«... la religion est différente, suivant qu'elle est affranchie de la domination sacerdotale, ou soumise à cette domination.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIV, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 562.

mercredi 17 novembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XIII)

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[QUE LES MYSTÈRES GRECS FURENT DES INSTITUTIONS EMPRUNTÉES DES SACERDOCES ÉTRANGERS ...]

«Il y a dans le cœur de l'homme une tendance à entourer de barrières ce qu'il sait comme ce qu'il possède. L'esprit de propriété se montre égoïste, aussi bien pour ce qui tient à la science que pour ce qui tient à la richesse. Si ce penchant de l'homme n'était combattu par d'autres penchants, il refuserait à ses semblables tout ce qu'il pourrait leur ravir; mais la nature a mis le remède à nos défauts dans nos défauts mêmes. Comme elle nous a forcés par nos besoins à nous faire part mutuellement de ce qui nous appartient, elle nous a contraints par notre amour-propre à faire un échange réciproque de nos connaissances; cependant la disposition primitive subsiste et agit avec d'autant plus de force que l'intérêt est plus important ou que la science est plus relevée.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 517-518.

«Les trois mots mystérieux avec lesquels, à la fin des grandes Eleusinies, on congédiait les initiés, ces trois mots qui ont exercé depuis deux siècles la sagacité des savants, se trouvent être trois mots sanscrits, dont le sens s'applique parfaitement aux cérémonies qu'on terminait en les prononçant [ces trois mots sont: 1. kogs (grec), en sanscrit cansha, signifiant l'objet du désir; 2. om, le monosyllabe consacré, dont se servent les Indiens au commencement et à la fin de toutes leurs prières; et 3. pas (grec), en sanscrit pascha, signifiant la fortune].» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 520.

«Dans le polythéisme indépendant, au contraire, une classe éclairée existait à côté du sacerdoce. Il ne se sentait pas assez fort pour se maintenir, comme ses collègues de l'Égypte ou des Indes, dans une position isolée, dans un camp retranché pour ainsi dire; il était en présence d'une société qui, n'étant pas subjuguée par lui, examinait ses droits et contestait ses prérogatives. Les mystères lui fournissaient un moyen d'appeler les profanes à son aide, et d'en former un corps d'auxiliaires en se les attachant par des révélations; mais il fallait que ces révélations fussent importantes. Il ne s'agissait pas de captiver un vulgaire stupide, détourné de toute méditation par des travaux sans relâche, dont les facultés étaient resserrées dans un cercle étroit par l'institution des castes, et qui venait assister à des cérémonies dont ses yeux étaient éblouis et dont son esprit ne recherchait pas le sens; c'étaient des hommes versés dans toutes les sciences, habitués à la réflexion, des hommes que révoltait la grossièreté ou la licence des fables populaires, et qu'il fallait réconcilier avec leurs imperfections apparentes. § Les doctrines philosophiques avaient pénétré trop profondément dans l'esprit des Grecs pour n'avoir pas attiré l'attention du sacerdoce. Il dut se conduire à leur égard comme il s'était conduit envers les religions étrangères. L'histoire nous le montre en effet, poursuivant en public la philosophie, et s'enrichissant en secret de ses dépouille. Les différents systèmes de philosophie devinrent simultanément, mais séparément, partie des mystères.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 531.

«Le phénomène d'une classe qui, vouée au maintien et à la célébration du culte, appelle autour d'elle, en grand nombre, pour leur révéler que la religion qu'elle enseigne au peuple n'est qu'un tissu de fables puériles, ce phénomène paraîtra moins surprenant si l'on réfléchit que cette révélation n'était ni le but primitif, ni le but unique, ni même à aucune époque le but général des mystères.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 532.

«En laissant entrer la philosophie dans les mystères, ils la rendaient plus indulgente pour les pratiques extérieures qu'il leur importait de conserver. Lutant au-dehors contre ses progrès, ils transigeaient secrètement avec elle. Ils la désarmaient en l'adoptant. Ils se flattaient de s'en faire une alliée, en lui conférant le privilège de l'initiation. Les privilèges corrompent communément ceux qui les reçoivent. Ce n'était donc pas un mauvais calcul pour le sacerdoce que de s'associer une classe redoutable, en reconnaissant que dans la réalité rien n'était moins éloigné de la philosophie que la religion bien expliquée. Il ajoutait ensuite que ces explications devaient être soigneusement dérobées au peuple; et le cœur humain recèle je ne sais quel orgueil insolent et absurde qui persuade à chaque individu qu'il possède seul une raison suffisamment forte pour ne pas abuser de ce qu'il sait. Chacun pense que les autres seraient éblouis par la lumière qui ne fait que l'éclairer. Ainsi les prêtres qui, par état, proscrivaient l'irréligion, cherchaient par politique à l'enrôler sous leurs étendards, en ne lui demandant pour prix du traité que le silence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 532-533.

«Les religions qui s'écroulent, font malheureusement assez bon marché de la morale...» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 535.

«Toutes les religions sacerdotales condamnent le suicide, et cette réprobation est assez remarquable; car ces religions inculquent, beaucoup plus expressément que le polythéisme libre de la direction des prêtres, le détachement de ce monde et l'indifférence pour tous les intérêts de la vie. Mais le suicide est un moyen d'indépendance, et en cette qualité tous les pouvoirs le haïssent. Nous ne prétendons nullement le justifier, en thèse générale. Il faut le juger par ses motifs, comme toutes les actions humaines. Il est souvent un crime, presque toujours une faiblesse, mais osons le dire, quelquefois une vertu. C'est une crime lorsque, servant en perspective de refuge au mépris qu'on veut mériter sans l'encourir, aux châtiments qu'on espère braver sans en être atteint, il encourage l'homme à des actes coupables, en lui offrant un abri contre la peine; c'est une faiblesse quand, cédant à ses propres douleurs, on oublie qu'on peut, en faisant le bien, adoucir les maux qu'on éprouve; c'est une vertu, si, peu rassuré sur sa force physique ou morale, on craint de céder à des séductions, ou de ne pas résister à des menaces. Celui qui sent, qu'à l'aspect de la torture, il trahirait l'amitié, dénoncerait des malheureux, violerait les secrets confiés à sa foi, remplit un devoir en se donnant la mort; et c'est précisément pour cela que toutes les tyrannies proscrivent le suicide indistinctement.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 535.

«Nous montrerons ailleurs comment cet esprit [l'esprit philosophique des Grecs], bien que naturellement porté à une dialectique exacte et rigoureuse, s'empreignit des conceptions gigantesques, et se jeta dans les subtilités indéfinissables qui caractérisent l'Orient, et comment la philosophie grecque perdit en logique et en clarté, ce qu'elle parut gagner quelquefois en élévation et en profondeur.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 539.

«... on a souvent demandé quel était l'objet du secret dans les mystères. Ce secret, nous n'hésitons pas à l'affirmer, ne résidait ni dans les traditions, ni dans les fables, ni dans les allégories, ni dans les opinions, ni dans la substitution d'une doctrine plus pure, en remplacement d'une plus grossière: toutes ces choses étaient connues. On confiait aux récipiendaires des faits qu'ils avaient ouï raconter ailleurs, des fictions qu'ils avaient lues dans tous les poètes, des hypothèses qui étaient dans la bouche de tous les philosophes. [...]. On n'apprenait point par l'initiation les opinions philosophiques; mais quand on était philosophe, on les y reconnaissait. Ce qu'il y avait de secret n'était donc point les choses qu'on révélait, c'était que ces choses fussent ainsi révélées, qu'elles le fussent comme dogme et pratiques d'une religion occulte, qu'elles le fussent progressivement, de manière à laisser toujours en perspective des révélations ultérieures, qui dissiperaient en temps opportun toutes les objections, et qui lèveraient tous les doutes. Ce qu'il y avait de fixe, ce n'était point les doctrines, c'étaient les signes et les mots de ralliement communiqués aux initiés, et les cérémonies qui accompagnaient ces communications.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 541-542.

«Les Grecs adoptaient des cérémonies qui venaient du dehors, par le même motif qui leur faisait dresser des autels à des dieux inconnus; mais le génie national se soulevait contre tout ce qui portait l'empreinte barbare et sacerdotale. De leur côté, les philosophes, impatients de la grossièreté des croyances vulgaires, étaient disposés favorablement envers des institutions qui prétendaient l'épurer. Ils y retrouvaient leurs doctrines subtiles, les découvertes ou les conjectures qui leur avaient coûté tant d'études; le théisme, qui substituait à des diversités fatigantes l'imposante unité; le dualisme, qui seul absout l'Être suprême de la présence du mal; le panthéisme, qui repose l'imagination en réalisant pour elle cet infini, sa terre promise, qu'elle aperçoit à travers les nuages, sans jamais y entrer. Mais d'une autre part, à mesure que les philosophes pénétraient dans les secrets des mystères, ils voyaient se mêler aux opinions qui pouvaient leur plaire un alliage étrange et contre nature, qui ne prêtait au culte national un sens moins déraisonnable en apparence que pour le corrompre en réalité, par des hypothèses plus fantastiques et des pratiques plus scandaleuses. § De là ce mélange de repoussement et d'attrait, d'admiration et de blâme, de respect et d'horreur.» — Benjamin CONSTANT. Livre XIII, chapitre X. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 544-545.