lundi 21 mars 2011

Frédéric Rauh — L'Expérience morale (Chapitres I-III)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.

PRÉFACE

«Les règles de conduite ne peuvent se déduire directement et en quelque sorte linéairement d'une sociologie, comme si entre l'action et la courbe sociale devaient seulement s'intercaler quelques corrections, quelques adaptations exigées par la complexité des circonstances. À mi-chemin de la science et de l'action, il y a place pour une psychologie du sentiment et de l'action honnêtes.» — Frédéric RAUH. Préface. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. i.

«Je suis convaincu que le point de départ de toute recherche morale est la science des mœurs, qu'il n'y a pas à chercher au-delà de fondement métaphysique de la morale, quel qu'il soit, et que les progrès de cette science feront la place de jour en jour plus étroite à l'impressionisme moral. Mais une science objective quelconque se complète par un art [i.e. la technique morale]. Or l'art moral, c'est ainsi une façon de traiter le sentiment moral.» — Frédéric RAUH. Préface. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. ii.

«... l'individu moderne recrée sans cesse la société, comme le primitif, par le sacrifice, ressuscite son Dieu. Il est essentiel dès lors que dès l'enfance on ne tarisse pas les consciences, surtout dans les consciences françaises, la source de l'invention et de l'action.» — Frédéric RAUH. Préface. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. iii.

«C'est au contraire dans les consciences que le moraliste proprement dit le saisit. Peu importe au reste que la conscience qui intervient dans l'action soit individuelle et collective. Pourvu qu'on la considère comme un système de valeurs, la morale cesse d'être purement sociologique. La distinction des faits moraux, immoraux et amoraux n'est pour le sociologue qu'un moyen provisoire et superficiel de classification. Pour un savant, il n'y a que des faits et des forces. Le sentiment même de la communion avec la société ne saurait être par le sociologue exalté comme tel. La conscience doit, pour lui, s'effacer devant la science et la force des choses.» — Frédéric RAUH. Préface. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. iv-v.

CHAPITRE PREMIER
L'EXPÉRIENCE MORALE

«Je voudrais essayer de déterminer la nature de la croyance et de l'action morales ou plutôt de la croyance dans ses rapports avec l'action. Que dois-je faire ? que faut-il croire pour faire ce que je dois ?» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 1.

«On peut faire à toutes les théories morales une double objection. Tout d'abord ces théories sont trop générales, trop indéterminées; elles ne peuvent rendre compte des croyances morales spéciales, trop complexes pour être comprises en une seule formule. Mais surtout — et c'est le point essentiel — ces théories reposent sur le postulat métaphysique de l'identité du réel et de l'idéal, de l'être et de l'agir. Car ou bien elle cherchent l'explication de la croyance morale en dehors d'elle-même, dans les réalités métaphysiques ou des faits d'expérience (faits d'expérience externe: conditions climatériques, économiques, etc.; faits d'expérience interne: phénomènes psychologiques, plaisirs, intérêts, etc.), ou bien si elles la considèrent en elle-même, elles substituent à la croyance ses signes, ses produits, les traces qu'elle marque dans le réel, telles que les institutions ou les coutumes. Ainsi font les sociologues, les historiens. D'une façon générale les théories suppriment la catégorie de l'idéal, ce qui est à faire au profit du tout fait.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 1-2.

«... on ne saurait identifier l'être et l'action. La foi en un idéal, en un devoir-faire s'impose parfois à l'homme avec la même irrésistibilité que la croyance aux lois naturelles. Pas plus dans le cas des lois naturelles que dans le cas des lois morales l'homme ne saisit de lien substantiel, transitif, entre un fait et un autre, le mystère intime de la création. Il n'a donc, dans un cas comme dans l'autre, d'autre preuve de la vérité que l'irrésistibilité même de sa croyance.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 2.

«Seul un préjugé substantialiste grossier peut confondre dans l'unité immobile des existences toutes faites la nature et la conscience active. La vérité est une sans doute, mais dans sa forme; en tant qu'elle impose à la pensée humaine, dans quelque domaine qu'elle se manifeste, une égale contrainte. Elle se révèle aussi bien sous la forme d'une poussée intérieur que sous la forme d'une poussée objective. Nier cela, c'est diviniser la nature, de quelque nom qu'on l'appelle: évolution, bonheur, etc.; c'est asservir la conscience à un Fatum.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 3.

«La croyance humaine n'a pas à se soumettre à la nature, à l'histoire, à ce qui n'est pas elle: elle n'a pas davantage à s'y opposer toujours et quand même. Il ne s'agit de nier ni la science objective, ni la morale, mais de constater en toute impartialité ce qui reste de nos formules morales, quand une fois nous savons. § L'idéal n'est pas plus une donnée externe qu'il n'est une donnée interne. Il n'est pas saisi en une fois comme une chose. Il est le résidu qui reste au creuset d'une âme sincère, quand elle a pris conscience d'elle-même au contact des choses.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 5-6.

«Le procédé de l'esprit est un. Dans toutes ses manifestations il s'élève de la pensée active, militante, qui travaille au contact direct des choses, à la pensée spéculative qui réfléchit. Le sens commun a précédé sur ce point la science morale. Demande-t-on avant de serrer la main à un homme s'il est panthéiste, utilitaire ou kantien ?» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 7.

«Celui qui agit moralement sans le savoir est un innocent. Ce qui caractérise un honnête homme, c'est de vouloir quelque chose plus que tout au monde et de savoir qu'il le veut.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 8. [On pourrait se demander cependant s'il n'est pas plus important d'agir moralement, même spontanément, que d'acquérir cette conscience de l'action morale.]

«L'idéal moral d'une société se définit parce qu'elle veut avant tout. Weut-elle avant tout que certains droits individuels soient respectée et ne consent-elle à vivre qu'à ce prix ? Ou veut-elle avant tout sa stabilité, sa conservation matérielle, la paix sans trouble, la paix morte ?» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 9.

«La pensée morale est une pensée pratique qui tend à se réaliser, qui veut se réaliser, toute tournée vers l'action. Elle se dégage des cas particuliers, des problèmes que pose la vie, au fur et à mesure de la vie. On juge un homme sur ses actes, non sur ses doctrines explicites. C'est pourquoi on dit qu'une vie est un enseignement.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 10.

«Mais la croyance morale peut être dire surtout une expérience, non l'expérience d'un fait, mais l'expérience d'un idéal. Elle n'est pas un principe simplement pensé, rêvé. Elle n'est pas déduite de telle vérité`objective ou de telle autre croyance morale par un simple mécanisme idéologique. Il faut ajouter à toute déduction morale, qui sans cela est simplement possible entre bien d'autres, la vérification de la vie. en ce sens on peut dire qu'une croyance ne se prouve pas: elle s'éprouve.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 14.

«La morale est la science des fins, la science de ce que la raison veut invinciblement, la science de l'ordre idéal de la vie. Elle est donc une partie seulement de la science pratique, de la science générale de la vie. Mais elle en est la partie dominante, régulatrice. La raison morale se distingue de la raison simplement pratique en ce qu'elle pose un idéal auquel se subordonnent tous les plaisirs, les intérêts. La science utilitaire de la vie postule déjà un idéal: celui d'être raisonnable. Mais il s'agit d'une raison empirique, qui se fonde uniquement sur une expérience objective, l'expérience des résultats. La morale ne peut se passer de cette expérience, mais elle s'en sert comme d'un moyen nécessaire et non suffisant pour déterminer ses fins idéales.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 15.

«... il n'y a pas d'honnête homme, il n'y a pas de parti moral sans idéal.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 16.

«Réfléchir est chose pénible. À la nature raisonnable, la nature sensible résiste. Pour triompher de l'obstacle douloureux la pensée spontanée ne se suffit plus. Du moment que naît la réflexion, il faut qu'à la pensée spontanée se joigne la volonté rationnelle ou réfléchie, nous dirons d'un mot: la volonté.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 17-18.

«Toujours donc l'homme a tenté de relier les sentiments sociaux à ceux qu'il éprouvait en face de la nature, du milieu cosmique, et ainsi, plus ou moins vaguement, de faire participer de la force de la raison en général la raison sociale.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 21.

«... la morale détermine la hiérarchie de toutes nos tendances, quelles qu'elles soient. Or, à ce titre, la pensée même spéculative est justiciable de la morale; car une pensée, même spéculative, est tendance, passion, besoin, et appartient comme telle au système général de nos sentiments, de notre activité.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 22.

«Le rationnel, c'est l'idée du toujours et du jamais, de partout, du nulle part, de l'intégration du temps et de l'espace, de l'intégration de quoi que ce soit. Et nous avons une tendance à achever toute chose, à faire de chaque chose un absolu. Il suffit pour qu'un sentiment soit rationalisé qu'il occupe tout le champ de la conscience, qu'aucun autre ne s'y oppose, ou encore qu'il soit habituel.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 23.

«Le sentiment du devoir naît avec la réflexion: nier le devoir, ce serait nier la réflexion, prétendre que l'homme est toujours à l'état de spontanéité pure, de nature.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 24.

«La vie n'est faite ni de pensées ou de sentiments spontanés ni de réflexions ou d'obligations pures. Elle consiste en une spontanéité aidée, achevée par la réflexion. Le sentiment du devoir qui naît avec la réflexion soutient le sentiment impuissant. Il remplit dans la vie morale les vides de la passion, de l'exaltation.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 26.

«La pensée spéculative n'est pas plus réfléchie par essence que la pensée pratique n'est spontanée. L'inspiration et la réflexion se retrouvent à tous les étages de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 27.

«C'est une tendance naturelle à l'homme qui élève tous ses sentiments à l'absolu de mesurer la valeur des choses à la peine qu'il se donne pour les conquérir.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 31.

«L'activité, la pensée morale sont en elles-mêmes indifférentes à l'un et à l'autre [au plaisir et à la peine]. Elles n'ont leur équivalent nécessaire ni dans les émotions en général, ni dans les émotions spécifiques — joies, tristesses morales — par lesquelles parfois elles s'expriment. L'honnête homme ne se pose pas la question du plaisir et de la peine. Il peut, pour s'encourager par cette contemplation à des luttes nouvelles, se donner les spectacle des plus purs moments de sa vie; mais ce plaisir de choix lui-même n'est pas son but. Le géomètre cherche la vérité géométrique: il ne se demande pas si la géométrie le récompensera de ses peines, ou si elle contribue à promouvoir sa vie, ou celle de l'espèce. L'artiste ou le savant ne font pas le calcul de leurs plaisirs, ils agissent, ils travaillent. L'honnête homme est un homme d'action comme tout penseur, l'honnête homme veut la vérité, non la joie.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 32-33.

«Si la science morale ne se préoccupe pas de nos émotions, cependant la capacité pour la souffrance est en un sens le signe d'une vie morale. Il y a peu de chance pour qu'une doctrine acceptée de tous dès l'abord, en morale pas plus qu'ailleurs, soit raisonnable, qu'elle soit la vérité même, la vérité vraie. Car la volonté, l'effort sont douloureux et celui de la pensée plus que tout autre: notre tendance naturelle est de vivre notre vie sans la penser. Par suite la souffrance, la mort restent les grands témoignages d'une croyance vivante. Il n'y a pas de foi vraie qui n'ait eu ses apôtres, ses martyrs.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 33-34.

«Si nous pouvons être égoïstes avec désintéressement et décider impersonnellement en notre faveur, cela est plus difficile. Les dispositions égoïstes sont plus communes et plus fortes que les altruistes et risquent davantage de nous aveugler sur la vérité.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 34.

«Kaireinois dei, mettre sa joie dans la seule vérité, telle est la marque de l'honnête homme. Il en est au contraire dont l'activité s'exprime en images et en actes indifférents. Il est possible que ceux-là aient plus de chances de s'élever à la vertu. Ce n'est pas une raison cependant pour identifier le calme et la raison. La sottise, la lâcheté consciente ou inconsciente ont des allures parfois sages, méthodiques. Il y a au contraire de saintes colères, et la haines vigoureuses ont toujours été la marque des âmes vertueuses. Ne prenons pas le signe pour la chose signifiée. Il suffit que la résonance subjective de la pensée n'empêche pas la conscience de la pensée comme telle. Que Flaubert ait peiné sur son œuvre, Que V. Hugo ait enfanté dans la joie, cela ne fait leur œuvre ni plus ni moins belle.» — Frédéric RAUH. Chapitre premier. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 35-36.


CHAPITRE II
DE L'USAGE PSYCHOLOGIQUE DES THÉORIES MORALES

«La première condition de l'épreuve morale est de se mettre face à face avec sa conscience, et, pour cela, de faire table rase de toutes les théories qui l'obstruent. Il faut commencer par libérer la vie morale. Toute croyance qui paraîtra n'avoir été acceptée que comme une conséquence logique d'un système plus général est par là même suspecte.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 39. [Serait-ce la théorie de la réinvention continuelle de l'univers moral ? En lequel cas, il y aurait le rejet de tout ce qui s'est déjà accompli auparavant [ce qui présuppose la péremption et l'annulation arbitraires de ce qui s'est alors fait de valable, même éminemment) et le désir de reconstruire à zéro un ou plusieurs systèmes de moralité (ce qui suppose l'activation perpétuelle de l'inventivité de l'esprit humain, laquelle s'inscrirait à l'intérieur d'un mouvement de progression qui procède indéfiniment de mieux en mieux).]

«Pour savoir si ma croyance est vraiment solide, je me demanderai d'abord si j'y tiens pour elle-même et non pour autre chose.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 43.

«Le sentiment de la rationalité est le même quand j'affirme un devoir d'humanité et la loi de l'attraction. Si mon devoir m'impose de retarder, parce que je ne pourrais la pousser aujourd'hui plus loin sans violer les lois d'humanité, la connaissance des lois de la nature, ce devoir s'impose comme une vérité aussi bien que les lois mêmes de la nature. Proclamer a priori contre les verdicts de la conscience que la nature a droit à être connue, c'est parler non en savant, mais en prêtre d'une religion. Un esprit positif accepte comme aussi rationnelles que la certitude scientifique ce qu'on appelle les révoltes du cœur, quand elles s'imposent irrésistiblement dans des conditions d'expérience à définir. Il s'agit de savoir si le désir, le devoir de connaître la nature passe dans la conscience moderne avant le devoir d'humanité.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 47.

«Les écrivains s'imprègnent, en vivant la vie de leur temps, du sens actuel des mots. Mais l'histoire est cependant un moyen de m'éclairer sur ma foi. Si le prestige d'un idéal s'évanouit pour moi du jour où je le sais transmis, c'est donc qu'il ne devait sa force qu'à la tradition: mais je puis à l'épreuve le trouver vivant en moi.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 50.

«On voit par là les limites de l'utilité morale de l'histoire: elle ne nous intéresse que dans la mesure où le passé ne diffère pas trop du présent. Au delà d'un certain rayon, elle est indifférente.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 52.

«Un des préjugés les plus tenaces sur la vie humaine, c'est le préjugé matérialiste, substantialiste qui identifie les choses à leurs éléments, comme si la vie ne se recommençait, ne se recréait pas sans cesse. Il n'en est pas qui empêche à ce point le développement spontané de nos sentiments en général.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 53.

«On veut des devoirs éthérés. Les devoirs les plus élevés sont ceux qui concernent la partie la plus immatérielle de nous-mêmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 53.

«Il n'est pas nécessaire, pour qu'une croyance morale soit tenue pour un principe, qu'elle soit primitive ou inanalysable. Il suffit qu'elle soit détachée de ses origines, de ses racines, qu'elle évolue à la façon d'une pensée vivante, autonome.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 54-55.

«Mais comment savoir si vraiment une croyance nouvelle est née ? Comment la distinguer des croyances superficielles, imaginaires ? Il faut que nous en ayons oublié l'origine, que nous n'en apercevions pas les éléments, ou, si nous les apercevons, que cette vision ne nous trouble pas. C'est une question de psychologie. Il s'agit de savoir jusqu'à quel point la synthèse, l'intégration nouvelle s'est faite. L'expérience seule nous l'apprendra.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 55.

«Mais voici au contraire deux époux: ils s'aiment, ils ont fondé une famille, ils mènent une vie digne et pure. On sait cependant que leur amour est né d'un caprice des sens, que la femme fut d'abord une maîtresse de hasard. Une vie nouvelle les a transfigurés. Tel est le sens psychologique profond de la doctrine du repentir, du pardon, qui efface la passé. Il n'y a rien de définitif dans la vie, par suite rien d'irréparable. La vie est faite d'uniformité, mais aussi de fécondité infinie.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 56.

«Mais cependant, toutes choses égales, une idée pour laquelle je n'éprouve pas que je doive subir la souffrance n'est pas une idée vraie. Une âme bien située pourra d'autre part reconnaître l'idéal à la joie qu'il répand en elle, à la paix qu'il lui donne. Mais il faut pouvoir se passer de la joie comme de la souffrance et distinguer sous les sentiments qui l'expriment l'état irrésistible de certitude qui seul compte en définitive. Une vérité morale se reconnaît à ce qu'elle peut subir cette épreuve.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 59-60.

«Une conscience n'est capable de saisir directement la vérité, la vie morale, que du jour où les théories ne lui sont plus que d'un usage psychologique. On ne saurait attacher trop d'importance à cette transformation de point de vue. On peut être intransigeant dans ses idées sociales par tempérament et dans certains cas par devoir. Mais combien d'âmes seraient moins violentes si elles ne croyaient, comme les grands révolutionnaires, leur idéal fondé sur un ordre naturel éternel, ou sur les leçons de l'histoire !» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 61-62.

«Le plus grand mal que les religions positives font aujourd'hui encore aux consciences est de les empêcher de se sentir elles-mêmes, d'immobiliser les unes dans le culte de certaines formes mortes, de retarder l'élan des autres, embarrassées qu'elles sont d'un lourd bagage théologique et traditionnel.» — Frédéric RAUH. Chapitre II. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 62.


CHAPITRE III
L'ACTION MORALE

«La croyance morale est une pensée a priori qui aboutit à l'action.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 63.

«Or, une pensée motrice, quelle qu'en soit l'origine, se forme par le mouvement même. Il en est ainsi de toute certitude pratique. L'homme n'a pas à régler sa conduite d'après un modèle immobile, d'abord contemplé, puis reproduit. Il crée son modèle en agissant, ou, s'il l'aperçoit d'abord, il le vivifie, il le recrée sans cesse par son action.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 64.

«La maxime de vie n'a de valeur que si elle formule des souvenirs ou des prévisions d'action. Il faut avant tout persuader l'homme que la certitude morale se forme comme toute autre certitude pratique. C'est la première notion à donner à l'enfant.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 65.

«Le philosophe a pour fonction de relier après coup l'une à l'autre ces évidences spéciales: chaque science prétend à l'autonomie, la science de la vie comme les autres. De plus, la science se fonde sur l'expérience, c'est-à-dire qu'elle aussi part de l'action et retourne à l'action. L'homme veut désormais saisir la vérité au moment où elle est visible, tangible, où elle touche le sol. Toutes les idéologies doivent partir de là, revenir là.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 68.

«Or comme toute pensée vivante, une pensée morale se formule lentement, au travers de tâtonnement sans nombre, avant d'aboutir à une doctrine. Elle s'exprime d'abord par des vues encore mal débrouillées dans des journaux, dans des revues obscures, au feu des polémiques, des luttes quotidiennes. Celui qui veut se faire une âme sociale n'ira pas chercher ses inspirations dans une œuvre d'école ou d'académie. Le métaphysicien systématique ne connaît que les théories, les livres, les articles magistraux .» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 69.

«La morale sociale, c'est l'ordre que nous mettons dans nos habitudes, nos actions sociales et il faut une matière à l'ordre: on n'ordonne pas le néant. Or, les habitudes sociales naissent du contact avec les hommes, les choses. La pensée qui les organise naît du milieu où elles naissent elles-mêmes. Seul sera donc mon guide en matière sociale, celui dont la doctrine se sera forgée dans le laboratoire de la vie, dans la lutte des partis, le penseur militant, celui qui tout au moins aura recueilli l'écho des batailles.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 72.

«Le génie moral lui-même n'échappe pas à la loi du milieu. Le vrai créateur n'est pas le philosophe. Le créateur de vie n'écrit guère.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 74.

«Un dogme, un système moral est la formule d'une vie, et cette vie même est imprégnée de la vie ambiante et diffuse.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 74.

«L'illusion est précisément de se placer au point de vue de l'éternité. Au-delà d'un certain rayon, le regard de l'homme ne porte plus, et sa pensée, si elle atteint l'avenir, est une lueur perdue, de hasard. Au reste, quant un homme pourrait prévoir de si loin, il ne saurait pas par là ce qu'il doit faire en un temps donné. Un honnête homme ne serait pas plus lié par l'avenir — s'il en était un de prédéterminé absolument — que par le passé. C'est encore un préjugé substantialiste que de se croire astreint à obéir aux prophéties. Le passé comme l'avenir hypothétique sont également justiciables de ma foi actuelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 75.

«Celui qui fait la besogne morale n'est pas toujours capable de la penser. Celui qui la pense n'est pas toujours capable de la faire.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 76.

«Un moraliste ne peut penser sainement que s'il a pratiqué dans une certaine mesure les choses dont il parle. autrement, par intérêt, par passion, par vanité, il sophistiquera les expériences. Même si un écrivain malhonnête devine la vertu, sont témoignage reste suspect, parce qu'il n'est pas fondé. Il rencontre la vérité, il ne la possède pas. Les hommes ne croient que ceux qui prêchent d'exemple. en ces matières, l'autorité du témoin est presque tout. La même parole, insignifiante si elle vient d'un novice, prend avec raisons du poids, prononcée par un homme d'expérience. Elle résume alors une vie, elle est pleine de substance.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 76-77.

«Quand une fois nous nous serons décidés à chercher avant tout la vérité, quand une fois la nature substantielle de la vérité sera révélée à nous, nous éliminerons comme témoins les faiseurs de systèmes, de métaphysiques, de théories en l'air, les purs littérateurs, les chroniqueurs de la vie morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre III. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 77-78.

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