vendredi 1 avril 2011

Frédéric Rauh — L'Expérience morale (Chapitres IV-VI)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.

CHAPITRE IV
LA PENSÉE MORALE

«La pensée morale est-elle nécessairement universelle ? § Est-elle nécessairement éternelle ? § Quelle différence y a-t-il entre un sentiment moral et une pensée morale ? § Trois façons diverses de poser la même question et qui aboutissent à la même conclusion: le contenu et la forme de la pensée morale ne sont pas déterminables a priori, mais seulement par l'expérience morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 79.

«Être raisonnable, ce n'est pas toujours penser universellement, c'est, dans chaque ordre de connaissances, situer sa pensée. Qu'il agisse suivant des principes plus ou moins généraux ou qu'il cède à des inspirations spéciales, l'honnête homme pense ou veut penser. Il ne faut pas dire que ses maximes sont universelles ou individuelles; elles sont, lors même qu'il pense des devoirs particuliers, impersonnelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81.

«En fait, l'homme a toujours reconnu, toutes les fois qu'il a pensé, l'existence de lois abstraites et générales. Et ainsi la pensée peut se définir par la faculté de découvrir des lois. Mais nous ne pouvons savoir d'avance le degré d'extension.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81-82.

«L'honnête homme est raisonnable ne signifie donc pas qu'il ne pense que des principes éternels ou des faits permanents. Il suffit que sa pensée ait pris la forme de l'éternité et, pour cela, que la vérité ou le fait pensé soient habituels ou dominants dans la conscience. Le sentiment acquis de rationalité est justifié, la pensée en question est rationnelle, si après enquête elle résiste invinciblement, de quelque façon qu'elle ait été acquise à l'origine. Admettre le préjugé contraire, d'après lequel la seule certitude valable serait celle qui correspond à un ordre éternel, c'est nier la fécondité, la puissance de renouvellement de la vie. Doit être tenue pour un principe toute croyance qui en fait fonction.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 82-83.

«Penser, d'une façon générale, c'est sortir de soi, avoir une conscience plus ou moins vague de l'objectivité, du tout. Penser quelque chose, c'est le situer dans le tout. Le sentiment subjectif au contraire, c'est l'état de conscience dans ses relations avec l'individu lui-même, ses actes, ses muscles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 83.

«Tout sentiment tend à prendre dans la conscience humaine la forme d'une pensée. L'homme ne vas pas de l'individuel à l'universel. Tout au contraire il élève immédiatement à l'absolu tous ses états de conscience, tous ses actes. Il divinise et lui-même et les choses. Il se croit le confident de l'univers; ses colères, ses haines sont des colères inspirées. Il vit d'abord hors de soi, et toute réalité est pour lui vérité. C'est peu à peu qu'il se distingue des choses ou, en d'autres termes, qu'il distingue le sentiment de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 84.

«Le passage du sentiment à l'état de pensée est légitime, du moment que la conscience informée l'accepte. Cela signifie que si un sentiment apparaît après enquête comme devant être, c'est-à-dire comme préférable en toute ou en telle circonstance à tout autre, il est une pensée. Ce qu'on appelle les vérités du cœur ne se distingue pas des vérités rationnelles, du moment qu'elles sont situées.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 85-86.

«L'honnête homme ne préjuge rien de la nature de la certitude que lui fera la vie. Il cherche impartialement, sans lui imposer d'avance aucune forme, quelle préférence idéale s'impose à sa conscience. La raison n'est pas essentiellement abstraite, universelle, ni non plus concrète, particulière, permanente ou mobile: elle est impersonnelle et — pour un temps indéterminable a prioriinvincible.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 86-87.

CHAPITRE V
PENSÉE SPONTANÉE ET PENSÉE RÉFLÉCHIE OU
DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE DANS SA RELATION AVEC SON CONTENU

«Les sentiments, c'est-à-dire toutes les pensées morales individuelle ou non contrôlées, doivent être situées par la pensée d'ensemble que l'on peut appeler synoptique ou synthétique, systématique ou organisatrice, ou encore, selon l'usage courant, réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 88.

«... un penseur moral doit être d'abord un honnête homme. Car le sentiment ne s'oppose pas à la pensée synthétique. Tantôt il est cette pensée même sous sa forme confuse. Tantôt il est l'élément de pensée, la pensée infinitésimale, que la pensée synthétique intègre: Tout honnête homme unifie, achève en sa conscience les pensées embryonnaires qui souvent s'exprimèrent en gestes de révoltes. C'est pourquoi il doit aller retremper, réchauffer sa foi au contact de ces fois élémentaires, source d'action immédiate, ressentir comme la contagion suggestive des passions pures, sous la peine de sentir se tarir en lui en même temps la source de la vie et celle de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 90.

«Le christianisme a inauguré le culte de l'humilité comme telle. Sa doctrine primitive fut une doctrine de démagogie mystique. S'appropriant le Vox populi, vox Dei, certains ont recueilli comme des enseignements les plus grossières manifestations du sentimentalisme des masses. Ils ont incliné leur intelligence lasse d'analyse devant l'instinct populaire. Et ainsi s'est faite cette alliance si étrange d'intellectuels anémiés, dégoûtés des jeux d'esprit, avec ce que le peuple contient de plus élémentairement brut.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 91.

«On peut [...] dire que la matière de toute réflexion morale, la perception morale commune a chance de se montrer dans les classes populaires libres des conventions mondaines, vivant d'une vie moins artificielle que les classes élevées, plus dégagée de tout alliage. Aussi bien que les pensées d'avenir y germent plus vivaces, le passé, la tradition, l'instinct de la race sont profondément inscrits dans la conscience des masses. Mais tous ces sentiments ne sont que la matière de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 92.

«Le sentiment de souillure persiste dans les consciences modernes, et peut-être que la connaissance même de ses origines religieuses ne l'effacerait pas. Nous serions Œdipe que nous aurions l'horreur de nous-même comme lui. Peut-être avons-nous alors le sentiment que des limites indécises séparent l'être et l,agir. Sait-on ce qu'il y a de naturel dans nos vertus, de vertueux dans notre nature ? Sait-on même si une nature, un caractère qui est en somme un commencement absolu, une formule en un sens irréductible, n'est pas comme une liberté ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 94-95.

«Comme il y a une vérité scientifique objective, il y a une vérité morale objective. Cette vérité est celle que, dans des conditions déterminées d'expérience, tout homme raisonnable reconnaîtrait comme accessible si non à tous, au moins à celui qui vit dans ces conditions. En e sens, il importe aussi peu à la vérité morale qu'à la vérité géométrique de savoir comment l'homme y a été amené.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 96.

«Peut-être bien des libertins le furent-ils pour s'affranchir de tout scrupule en matière de mœurs. Ce motif les conduisit cependant à des pensées vraies. Nous ne contestons pas d'ailleurs qu'il n'eût été mieux d'y venir par d'autres voies, que le meilleur moyen de trouver le vrai ne soit d'en faire son but constant, que cela ne soit plus moral, et seul moral. Mais cela n'empêche qu'une croyance ne puisse être vraie, quels qu'aient été ses motifs primitifs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 97.

«Le sentiment est par rapport à la conscience morale comme la nature par rapport à la pensée scientifique. La pensée utilise la nature, elle l'interprète, elle ne s'y soumet pas. C'est une contradiction de diviniser l'instinct, car c,est la raison qui l'élève à ce rang et par là-même se met au-dessus de lui, puisqu'elle le juge.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 98.

«Quel usage la pensée réfléchie ou synoptique fait-elle de la pensée confuse ? Quel est dans une même conscience le rapport de ces deux pensées ? La pensée synoptique peut être critique, elle peut être créatrice, imaginer des systèmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 100.

«Une affirmation pose comme réel en dehors d'elle-même, non seulement son être, mais l'être de ce qu'elle affirme, dans la mesure où elle affirme quelque chose comme vrai en dehors d'elle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 101.

«Dire que cela est conscient pour une autre conscience, c'est ne rien dire, car quelque conscience que nous imaginions, nous l'imaginons ainsi comme prolongée au delà d'elle-même dans cet inconnaissable.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 102.

«L réflexion ne crée donc rien, elle connaît la réalité morale. Elle n'est qu'un instrument de connaissance. La réflexion apparaît comme un moment rare, comme un point lumineux qui se détache d'un cône d'ombre, l'inconscient, l'être moral. Ce n'est pas moi, comme on le dit ordinairement, qui par l'affirmation d'un idéal m'oppose à la nature; je dirai plutôt: une nature qui veut être s'oppose par l'intermédiaire de ma conscience à la nature qui est.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 103.

«Comme toute réalité, un idéal moral a des signes objectifs par lesquels on juge de son existence, de sa force. On juge un homme sur ses actes, non sur ce qu'il en dit. On juge un penseur sur ses pensée réelles, non sur des phrases médiocres qu'il fait à propos ou autour d'elles.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 104.

«... la véritable fin de l'homme est de prendre conscience de son moi impersonnel et profond, la réflexion sur soi. La véritable maxime de la vie humaine n'est pas: «Dis ou fais», mais : «Sois». Or, cette conclusion résulte d'une confusion. De ce que la connaissance a en effet pour instrument le moi dans une attitude impersonnelle il ne suit pas que son seul objet soit le moi dans cette attitude. Je puis prendre conscience du moi impersonnel en réfléchissant sur mes semblables ou sur la nature.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105.

«Il y a ceci de vrai dans cette vue de l'ancienne métaphysique que les devoirs envers les autres ne s'adressent pas aux autres en tant que tels. Ce n'est pas aux autres que je me sacrifie, mais à la vérité, à l'idée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105-106.

«Il n'est pas vrai que le souci de la pureté, de la perfection intérieure soit le premier qu'il faille donner à l'homme. Tout au contraire, de même qu'il vit d'abord hors de lui, comme une chose parmi les choses, avant d'être capable de réfléchir sa vie, c'est par le sacrifice à autrui que l'homme apprendra à se détacher de ses passions.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 107.

«On ne forme pas la raison en l'appliquant d'abord à l'étude d'elle-même. L'idée que la morale monte de l'individu à la société résulte de cette conception que la conscience est une source de lumière qui rayonne, tandis qu'elle est plutôt un foyer qui concentre. C'est par un effet de la même erreur que l'on conçoit la métaphysique comme une science spéciale, la science de la réflexion pure, comme si les idées et le soi pensant qui en fait l'unité se suffisaient à eux-mêmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.

«L'individualisme subjectif, l'égotisme n'est pas sans parenté avec l'individualisme métaphysique. Le moi réfléchit, donc il crée: tel est le sophisme métaphysique. Le moi est l'instrument de la joie, de l'action, donc il en est l'objet: tel est le sophisme égotiste.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.

«Mais pas plus que la conscience rationnelle, la conscience empirique ne constitue toute l'individualité. Elle est le signe d'une réalité bien plus profonde, d'un caractère, d'une certaine formule de développement, et à ce titre nos semblables nous connaissent aussi bien, quelque fois mieux que nous-mêmes. Je dois tenir compte de leur témoignage, comme du mien, et juger de moi comme d'autrui impersonnellement.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 109.

«La raison réfléchie n'est qu'un point lumineux sans doute, amis sans ce point tout reste obscur. Bien loi de se perdre elle-même dans l'ombre de l'inconscient, elle ne se laisse envahir par lui que pour l'éclairer. Il est bien vrai que l'inconscience déborde la conscience, mais ce que nous projetons dans l'inconscience, ce n'est pas la pensée spontanée, c'est la pensée repensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 110.

«La réflexion morale applique au contraire à toute la vie morale, à toute la vie même inconsciente les idées qu'elle se fait du bien et du mal. Nous interprétons toute notre conduite individuelle d'un point de vue moral. Une conscience pure redoute par dessus tout les suggestions de l,inconscient: les dépister, tel est l'objet de l'examen de conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 111.

«... dans l'incertitude où nous sommes en général sur le véritable déterminisme de nos actions, nos jugements dépendent plutôt du parti pris que nous avons sur la vie. Un caractère moral craindra d'attribuer à la nature, par trop de complaisance pour soi-même, ce qui est la faute de sa volonté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 113.

«L'idée du contrat privé est à la base de nos législations modernes, et cette idée suppose des individus débattant en connaissance de cause leurs intérêts et leurs droits. L'idée du quasi-contrat n'est autre que celle même du contrat en tant qu'elle sert à interpréter des engagement implicites. Nous nous reconnaissons comme engagés dans contrat explicite, de sorte que tout se passe comme si nous avions contracté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 114.

«Les relations en apparence les plus instinctives tendent à prendre une forme rationnelle et réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 115.

«Le procédé ordinaire pour défendre une idée nouvelle est de montrer qu'on l'appliquait déjà sans s'en douter, d'extraire la formule impliquée dans nos actes antérieurs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 116.

«C'est une erreur des sociologues de tendance trop exclusivement juridique que de réduire les relations morales à n'être que des relations grossièrement contractuelles, où tout se balance en doit et avoir. Il y a des relations d,affection, et celles-ci aussi créent des devoirs et des droits. Il y a des devoirs d'amitié, et l'amitié a ses droits. [...] Nous avons des devoirs envers la famille, la patrie, non pas seulement parce qu'elles sont nos créancières, mais parce que nous les aimons invinciblement et qu'un amour invincible est comme un principe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 117-118.

«On a traité les capitalistes d'exploiteurs. Faire des profits, c'est en effet tirer de l'argent des salariés sans leur consentement, et c'est là proprement la définition du vol. Mais un homme n'est pas coupable s'il habite sans le savoir une maison volée. Il est vrai que tout honnête homme devrait, quand on la lui découvre, reconnaître qu'il participe à une injustice sociale organisée; tel sera certainement le sentiment de l'homme sans préjugé. Mais l'habitude nous a rendus si insensibles à cette injustice et la réparation en demande un effort si compliqué et si continu qu'il faut être, tout en luttant pour la vérité, indulgent à ceux qui ferment les yeux. D'autre part il faut tenir compte non seulement de l'innocence des intentions des détenteurs d'une propriété injuste, mais du travail incorporé dans la fortune actuelle, qui méritait en effet salaire, et aussi des compensations dues au droits acquis.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 119.

«La matière de la pensée est donnée à tous et chaque jour: c'est la vie pratique tout entière; le besoin brut lui-même a le droit de se faire entendre; il est la matière de l'idéal, de la justice. Ici, plus qu'en aucun ordre de réalité, l'inventeur trouve la formule de pensées éparses dans la masse des hommes, plus qu'il n'apporte une idée absolument nouvelle. Il doit pas suite se mettre en contact avec toute la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 122-123.

«... toutes choses égales ailleurs, il y a lieu de tenir compte,pour faire choix d'une croyance, de la quantité de ses adhérents, de sa puissance d'expansion, de sa fécondité, des dévoûments, des intelligences qu'elle suscite. C'est aussi un préjugé en faveur d'une croyance qu'elle se rattache à d'autres croyances de même direction.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 123-124.

«Les porteurs d'une idée morale étroite et puissante auront de plus en plus à tenir compte de la critique, de la morale collective [à l'intérieur de la démocratie]. Nous ne sommes plus dans la période héroïque de la science et de l'action; la diffusion de la culture, la démocratisation de la pensée oblige les créateurs eux-même à tenir compte de l'opinion, non seulement parce qu'elle est une force, mais parce qu'elle est une lumière. Il faut que le génie, les grands partis pris moraux reçoivent leur limite de la conscience commune. Parce que l'homme admire le torrent, doit-il se laisser emporter par lui ? Il l'utilise. Qu'il utilise aussi s'il peut les génies sans critique, les héros, expression brute de leur race, les hommes d'une seule vertu.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 125.

«Toutes les découvertes se sont faites contre la conscience commune. Les idées morales nouvelles naissent en général dans des milieux limités, fermés, réprouvés par la société. Il en est de la morale comme du langage: l'autorité n'y appartient pas à l'usage, mais à l'inventeur, à celui qui crée les formes dont se sert ensuite le commun des hommes, à l'écrivain, au philosophe, au poète.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 126.

«J'ai le droit, le devoir d'être moi. Sans doute. Mais je n'ai le droit d'être moi qu'après enquête, comme je n'affirme l'existence d'un fait singulier que parce que j'ai constaté par une comparaison parfois longue et pénible, qu'il est seul de son espèce. Et ceux contre lesquels j'affirme mon individualité, ont le devoir de l'éprouver avant de l'accepter telle quelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 127.

«Le véritable honnête homme est celui qui après enquête situe sa croyance. Il a présents à l'esprit non seulement tout le contenu de sa propre conscience, mais toute la conscience contemporaine, tous les types moraux actuellement vivants. C'est là la première sorte de connaissance nécessaire à l'honnête homme. Il est doué d'imagination morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 128.

«Il est vrai de dire que le premier devoir est d'être sincère. Un manuel de méthodologie morale est un manuel de sincérité. Mais il faut distinguer la sincérité d'une raison et celle d'un tempérament, ou encore celle d'un penseur proprement dit et celle d'un artiste qui n'exprime que son tempérament. Il y a des hommes qui modèlent leur vie comme une œuvre d'art, œuvre individuelle, parfaite en soi, indépendante de l'univers. Ceux-là sont des artistes, non des savants. Le savant ne vise pas à la perfection de son œuvre considérée en elle-même, mais dans ses rapports avec les connaissances déjà acquises par l'humanité, avec l'univers. On distingue le savant de l,artiste en morale, à ce trait que le savant, tout en étant lui-même, ne tient pas à parfaire son attitude dans tel détail de langage ou de costume, par exemple, qui n'a qu'une importance esthétique. § La sincérité dont il est question ici est celle d'une conscience impartiale qui se situe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 129-130.

CHAPITRE VI
DES DIVERSES FORMES DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE

«Nous ne nions pas que l'humanité n'ait acquis des connaissance définitives, même en morale. Mais elle les adapte à sa vie actuelle, et pour cela il faut d'abord qu'elle vive, prenne conscience de sa vie propre. Il n'y a de morale sérieuse que celle qui prétend à être contemporaine. Ce qui nous différencie des anciens, c'est qu'ils étaient de leur temps sans le savoir. Nous devons en être consciemment.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 132-133.

«Quand nou spensons rationnellement, notre pensée est immobile, intemporelle, et en ce sens, sub specie æternitatis. Mais il n'est pas nécessaire que cette pensée soit toujours la même. On conçoit une successions [sic] d'idées fixes. Telle est la pensée humaine. C'est pourquoi sont essence est à la fois d'évoluer et d'être actuelle. Elle pense autre chose aux différents moments de l'histoire, mais ce qu'elle pense à chacun de ces moments, elle le saisit dans un acte indivisible, intemporel.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 134.

«L'abstraction fondamentale qui est à la base de notre organisation comme de notre morale sociale est l'abstraction économique. L'homme est essentiellement aujourd'hui un être qui échange. Plus encore que le propriétaire des moyens de production, le propriétaire des moyens d'échange est le véritable souverain. L'argent donne véritablement ce que Marx appelait le pouvoir sur le travail d'autrui. Mais cette souveraineté est invisible parce qu'elle ne s'exerce pas in concreto d'homme à homme. Elle circule avec la monnaie, le billet de banque qui sont des possibilités de marchandises, de jouissance, de domination, c'est-à-dire des abstractions. Nous sommes les esclaves d'une abstraction anonyme et mobile.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 137.

«La raison logique n'est autre que le principe général de la tendance à être appliqué aux pensées. Une pensée tend à se maintenir, à durer. Or à cette tendance correspond un devoir qui est précisément le devoir de non-contradiction. Car il y a sentiment du devoir toutes les fois que, la spontanéité de la raison étant amenée par un obstacle à se réfléchir, la volonté supplée à la spontanéité défaillante.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 142.

«L'humanité n'a pas toujours donné aux contrats, aux lois le même contenu; elle a toujours tenu pour juste — au moins dans la période de civilisation ou même la période historique — de respecter les lois, les contrats. Mais on a longtemps admis que cette vertu n'était, comme toutes les autres, obligatoire pour un groupe qu'à l'intérieur de ce groupe.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.

«Les braves gens de tous les partis sont d'abord ceux qui gardent la foi jurée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.

«Le premier signe de l'immoralité, c'est la contradiction volontaire ou intéressée. Un parti est immoral si sa formation s'explique uniquement par une coalition incohérente d'intérêts opposés. Mais cette règle n'est exacte qu'à une condition: c'est que la croyance morale où l'on persévère paraisse toujours vraie, qu'aucune autre croyance ne s'y oppose ou ne la limite. Dans ce cas il y a conflit de devoirs, conflit qui se résout par l'épreuve de la conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 145.

«Nos pères ont fait de grandes choses; faisons comme eux, mais pour des raisons meilleures. La tendance logique ainsi entendue n'est que la forme intellectuelle de la brutalité. Le peuple pousse ses idées jusqu'au bout comme il fonce sur l'ennemi quand il est en colère. Certains métaphysiciens contribuent à le maintenir dans cette brutalité en perpétuant cette illusion de l'absolue autonomie des idées, en cherchant dans la raison en soi le fondement de la République ou dans le principe de causalité celui de la justice.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 150.

«Le seul fait d'avoir vécu dans une société nous engage implicitement à en accepter les charges.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151.

«Le pardon corrige la rigueur de la justice et s'y oppose en certains cas. Mais la charité n'est-elle pas la justice ? Car si le coupable est coupable, n'est-ce pas souvent par la faute de la société qui l'a mis par une organisation défectueuse dans l'impossibilité d'être bon ? Le pardon devient dès lors juste réparation. En morale comme en science, l'identification du distinct est un des procédés de l'invention.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151-152.

«Mais qui dira jusqu'où doit aller cette extension d'une croyance, ce devoir ? Car il faut qu'ils aient une limite. Or, il n'y a aucune raison pour que l'élan de la pensée s'arrête ici ou là, sinon, dans l'ordre théorique, l'expérience objective, dans l'ordre pratique, l'expérience morale. Une croyance morale tend à être, à s'étendre, comme tout sentiment, tout état de conscience. Cette extension est légitime dans la mesure où les consciences qui comptent, après s'être éprouvées, la veulent.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152.

«Une croyance vraie est avant tout celle qui s'est éprouvée au contact du milieu qu'elle concerne. Il suit de là que nous devons faire subir à toute croyance morale que nous sommes tentés de généraliser des épreuves successives au contact des milieux où nous voulons la réaliser.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152-153.

«Le mouvement général d'un siècle n'est pas fait d'un seul mouvement qui se communique à tous les autres. Il est la résultante de mouvements particuliers tous dirigés dans le même sens. C'est pourquoi l'éducation d'un peuple doit se faire par toutes les voies, et il est naïf d'imaginer que le changement des conditions économiques suffirait à transformer toute la superstructure sociale. Certains intellectuels commettent l'erreur inverse, quand ils prétendent convertir les foules par un enseignement philosophique, en leur apportant la nourriture spirituelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 155.

«Des devoirs, de forme d'ailleurs diverse, peuvent être subordonnés à des devoirs dominateurs comme des moyens à une fin. Le respect de la vie humaine est-il un principe en soi, ou cesse-t-il avec la déchéance morale de la personne ? Le patriotisme est-il un devoir autonome ou n'a-t-il de valeur que s'il est subordonné au devoir envers l'humanité ? On s'apercevra qu'un principe cesse d'être une fin en soi lorsqu'on commence à le justifier. Un principe sert à justifier toutes les autres vérités, loin d'avoir besoin de justification.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 156.

«Si je limite le droit que mon semblable a de me regarder, c'est que je lui oppose le droit à la propriété de ma personne dont je ne veux rien laisser distraire à mon insu.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.

«... en droit, c'est un postulat de la pensée — sans lequel elle s'évanouirait aussitôt que formée — qu'il faut persévérer dans une certitude, tant qu'aucune autre ne s'y oppose. C'est par suite un devoir de maintenir ce qu'on pense, si aucune raison ne le contredit.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.

«Les généralisations morales légitimes peuvent être retardées par les hommes ou par les circonstances qui ne s'y prêtent pas. Nous ne pouvons cependant y renoncer, si, sincèrement, après nous être placés dans le milieu qui convient, les épreuves nécessaires accomplies, nous déclarons invincible la tendance à étendre notre foi. mais faut-il alors consentir à mutiler notre idéal pour en réaliser quelque chose ou au contraire le maintenir dans son intégrité ? Dans quelle mesure faut-il être évolutionniste ou révolutionnaire ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 160.

«Modérés ou intransigeants doivent cesser de se fonder désormais les uns sur la nécessité universelle de l'évolution, les autres sur le devoir d'être logique. Il peut être beau de pousser jusqu'au bout ses idées; mais si l'on est révolutionnaire, qu'on le soit parce qu'en conscience on croit devoir l'être, pour être sincère, non pour être logique. Il y a des moments où c'est un devoir d'affirmer un principe dans sa pureté, de s'y attacher quand même en désespéré. Il en est où il convient de l'adapter aux circonstances, d'en faire passer tout ce qui se peut dans la réalité présente. La logique n'a rien à voir ici.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 161.

«Nous ne savons pas ce que pense la nature, nous ne pouvons que le conjecturer et dès lors nos hypothèses sont libres. Nous pouvons savoir ce que pense l'homme. Nous nous adressons ici non à une pensée énigmatique qui ne dit pas son secret, mais à une conscience. Or à substituer aux contradictions, aux synthèse profondes, vivantes de la croyance, des synthèses artificielles, on risque de fausser les consciences, de mettre le pharisaïsme, le verbalisme à la place de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 165.

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