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VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Henri BERGSON. Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000.
CHAPITRE I
L'obligation morale
«Quand une grandeur est tellement supérieure à une autre que celle-ci est négligeable par rapport à elle, les mathématiciens disent qu'elle est d'un autre ordre. Ainsi pour l'obligation sociale. sa pression, comparée à celle des autres habitudes, est telle que la différence de degré équivaut à une différence de nature.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 2.
«Chacun répond, directement ou indirectement, à une exigence sociale; et dès lors toutes se tiennent, elles forment un bloc. Beaucoup seraient de petites obligations si elles se présentaient isolément. Mais elles font partie intégrante de l'obligation en général; et ce tout, qui doit être ce qu'il est à l'apport de ses parties, confère à chacune, en retour, l'autorité globale de l'ensemble. Le collectif vient ainsi renforcer le singulier, et la formule «c'est le devoir» triomphe des hésitations que nous pourrions avoir devant un devoir isolé.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 3.
«Une société humaine est un ensemble d'êtres libres. Les obligations qu'elle impose, et qui lui permettent de subsister, introduisent en elle une régularité qui a simplement de l'analogie avec l'ordre inflexible des phénomènes de la vie.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 3.
«Pas plus que nous ne voyons la maladie quand nous nous promenons dans la rue, nous ne mesurons ce qu'il peut y avoir d'immoralité derrière la façade que l'humanité nous montre. On mettrait bien du temps à devenir misanthrope si l'on s'en tenait à l'observation d'autrui. C'est en notant ses propres faiblesses qu'on arrive à plaindre ou à mépriser l'homme. L'humanité dont on se détourne alors est celle qu'on a découverte au fond de soi. Le mal se cache si bien, le secret est si universellement gardé, que chacun est ici la dupe de tous: si sévèrement que nous affections de juger les autres hommes, nous les croyons, au fond, meilleurs que nous. sur cette heureuse illusion repose une bonne partie de la vie sociale.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 4.
«La loi prend au commandement ce qu'il a d'impérieux; le commandement reçoit de la loi ce qu'elle a d'inéluctable. Une infraction à l'ordre social revêt ainsi un caractère antinaturel: même si elle est fréquemment répétée, elle nous fait l'effet d'une exception qui serait à la société ce qu'un monstre est à la nature.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 5.
«Qu'on interprète la religion d'une manière ou d'une autre, qu'elle soit sociale par essence ou par accident, un point est certain, c'est qu'elle a toujours joué un rôle social. Ce rôle est d'ailleurs complexe; il varie selon les temps et selon les lieux; mais, dans les sociétés telles que les nôtres, la religion a pour premier effet de soutenir et de renforcer les exigences de la société. Elle peut aller beaucoup plus loin, elle va tout au moins jusque-là.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 5-6.
«Ici-bas, l'ordre est simplement approximatif et plus ou moins artificiellement obtenu par les hommes; là-haut il est parfait, et se réalise de lui-même. La religion achève donc de combler à nos yeux l'intervalle, déjà rétréci par les habitudes du sens commun, entre un commandement de la société et une loi de la nature.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 6.
«La cellule composante d'un organisme, devenue consciente pour un instant, aurait à peine esquissé l'intention de s'émanciper qu'elle serait ressaisie par la nécessité. L'individu qui fait partie de la société peut infléchir et même briser une nécessité qui imite celle-là, qu'il a quelque peu contribué à créer, mais que surtout il subit: le sentiment se cette nécessité, accompagné de la conscience de pouvoir s'y soustraire, n'en est pas moins ce qu'il appelle obligation. Ainsi envisagée, et prise dans son acception la plus ordinaire, l'obligation est à la nécessité ce que l'habitude est à la nature.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 7.
«L'obligation, que nous nous représentons comme un lien entre les hommes, lie d'abord chacun de nous à lui-même.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 8.
«Cultiver ce «moi social» est l'essentiel de notre obligation vis-à-vis de la société. Sans quelque chose d'elle en nous, elle n'aurait sur nous aucune prise; et nous avons à peine besoin d'aller jusqu'à elle, nous nous suffisons à nous-même, si nous la trouvons présente en nous. Sa présence est plus ou moins marquée selon les hommes; mais aucune de nous ne saurait s'isoler d'elle absolument.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 8.
«En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 9.
«... si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera, isolé, ce qu'il ferait avec l,encouragement et même l'appui de la société entière.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 9.
«Elle [la société] occupe la périphérie; l'individu est au centre. Du centre à la périphérie sont disposés, comme autant de cercles concentriques de plus en plus larges, les divers groupement auxquels l'individu appartient. De la périphérie au centre, à mesure que le cercle se rétrécit, les obligations s'ajoutent aux obligations et l'individu se trouve finalement devant leur ensemble. L'obligation grossit ainsi en avançant; mais, plus compliquée, elle est moins abstraite, et elle est d'autant mieux acceptée. Devenue pleinement concrète, elle coïncide avec une tendance, si habituelle que nous la trouvons naturelle, à jouer dans la société le rôle que nous y assigne notre place. Tant que nous nous abandonnons à cette tendance, nous la sentons à peine. Elle ne se révèle impérieuse, comme toute habitude profonde, que si nous nous écartons d'elle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 12.
«Si naturellement, en effet, qu'on fasse son devoir, on peut rencontrer en soi de la résistance; il est tuile de s'y attendre, et de ne pas prendre pour accordé qu'il soit facile de rester bon époux, bon citoyen, travailleur consciencieux, enfin honnête homme. Il y a d'ailleurs une forte part de vérité dans cette opinion; car s'il est relativement aisé de se maintenir dans le cadre social, encore a-t-il fallu s'y insérer, et l'insertion exige un effort.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 13.
«Le cavalier n'a qu'à se laisser porter; encore a-t-il dû se mettre en selle. Ainsi pour l'individu vis-à-vis de la société. En un certain sens il serait faux, et dans tous les sens il serait dangereux, de dire que le devoir peut s'accomplir automatiquement. Érigeons donc en maxime pratique que l'obéissance au devoir est une résistance à soi-même.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 14.
«Bref, un être intelligent agit sur lui-même par l'intermédiaire de l'intelligence. Mais, de ce que c'est par des voies rationnelles qu'on revient à l'obligation, il ne suit pas que l'obligation ait été d'ordre rationnel.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 16.
«Jamais, aux heures de tentation, on ne sacrifierait au seul besoin de cohérence logique son intérêt, sa passion, sa vanité. Parce que la raison intervient en effet comme régulatrice, chez un être raisonnable, pour assurer cette cohérence entre des règles ou maximes obligatoires, la philosophie a pu voir en elle un principe d'obligation. Autant vaudrait croire que c'est le volant qui fait tourner la machine.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 17.
«La coordination logique est essentiellement économie; d'un ensemble elle dégage d'abord, en gros, certains principes, puis elle exclut de l'ensemble tout ce qui n'est pas d'accord avec eux. La nature est au contraire surabondante. Plus une société est voisine de la nature, plus large y est la part de l'accident et de l'incohérent.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 18.
«Représentez-vous l'obligation comme pesant sur la volonté à la manière d'une habitude, chaque obligation traînant derrière elle la masse accumulée des autres et utilisant ainsi, pour la pression qu'elle exerce, le poids de l'ensemble: vous avez le tout de l'obligation pour une conscience morale simple, élémentaire. C'est l'essentiel; et c'est à quoi l'obligation pourrait à la rigueur se réduire, là même où elle atteint sa complexité la plus haute.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 19.
«Bref, un instinct absolument catégorique est de nature instinctive ou somnambulique; joué comme tel à l'état normal, représenté comme tel si la réflexion s'éveille juste assez longtemps pour qu'il puisse se formuler, pas assez longtemps pour qu'il puisse se chercher des raisons. Mais alors, n'est-il pas évident que, chez un être raisonnable, un impératif tendra d'autant plus à prendre la forme catégorique que l'activité déployée, encore qu'intelligente, tendra davantage à prendre la forme instinctive ?» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 20.
«Supposons un instant que la nature ait voulu, à l'extrémité de l,autre ligne, obtenir des sociétés où une certaine latitude fût laissée au chois individuel: elle aura fait que l'intelligence obtînt ici des résultats comparables, quant à leur régularité, à ceux de l'instinct dans l'autre; elle aura recours à l'habitude. Chacune de ces habitudes, qu'on pourra appeler «morales», sera contingente. Mais leur ensemble, je veux dire l'habitude de contracter ces habitudes, étant à la base même des sociétés et conditionnant leur existence, aura une force comparable à celle de l'instinct, et comme intensité et comme régularité. C'est là précisément ce que nous avons appelé «le tout de l'obligation».» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 21.
«La vie social est ainsi immanente; cet idéal trouve sa réalisation la plus complète dans la ruche ou la fourmilière d'une part, dans les sociétés humaines de l,autre. Humaine ou animale, une société est une organisation; elle implique une coordination et généralement aussi une subordination d'éléments les uns aux autres; elle offre donc, ou simplement vécu ou, de plus, représenté, un ensemble de règles et de lois. Mais, dans une ruche ou dans une fourmilière, l'individu est rivé à son emploi par sa structure, et l'organisation est relativement invariable, tandis que la cité humaine est de forme variable, ouverte à tous les progrès. Il en résulte que, dans les premières, chaque règle est imposée par la nature, elle est nécessaire; tandis que dans les autres une seule chose est naturelle, la nécessité d'une règle. Plus donc, dans une société humaine, on creusera jusqu'à la racine des obligations diverses pour arriver à l'obligation en général, plus l'obligation tendra à devenir nécessité, plus elle se rapprochera de l'instinct dans ce qu'elle a d'impérieux. Et néanmoins on se tromperait grandement si l'on voulait rapporter à l'instinct une obligation particulière, quelle qu'elle fût. Ce qu'il faudra toujours se dire, c'est que, aucune obligation n'étant de nature instinctive, le tout de l'obligation eût été de l'instinct si les sociétés humaines n'étaient en quelque sorte lestées de variabilité et d'intelligence. C'est un instinct virtuel, comme celui qui est derrière l'habitude de parler. La morale d'une société humaine est en effet comparable à son langage.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 22-23.
«Un être ne se sent obligé que s'il est libre, et chaque obligation, prise à part, implique la liberté. Mais il est nécessaire qu'il y ait des obligations; et plus nous descendons de ces obligations particulières, qui sont au sommet, vers l'obligation en général, ou, comme nous disions, vers le tout de l'obligation qui est à la base, plus l'obligation nous apparaît comme la forme même que la nécessité prend dans le domaine de la vie quand elle exige, pour réaliser certaines fins, l'intelligence, le choix, et par conséquent la liberté.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 24.
«Le naturel est en grande partie recouvert par l'acquis; mais il persiste, à peu près immuable, à travers les siècles: habitudes et connaissances sont loin d'imprégner l'organisme et de se transmettre héréditairement, comme on se l'était imaginé. Il est vrai que nous pourrions tenir ce naturel pour négligeable, dans notre analyse de l'obligation, s'il était écrasé par les habitudes acquises qui se sont accumulées sur lui pendant des siècles de civilisation. Mais il se maintient en fort bo nétat, très vivant, dans la société la plus civilisée.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 24-25.
«... au fond de l'obligation morale il y a l'exigence sociale. de quelle société s'agissait-il ? Était-ce de cette société ouverte que serait l'humanité entière ?» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 25.
«... on voudrait laisser croire que la «société humaine» est dès à présent réalisée. Et il est bon de le laisser croire, car nous avons incontestablement des devoirs envers l'homme en tant qu'homme (quoiqu'ils aient une tout autre origine [...]), et nous risquerions de les affaiblir en les distinguant radicalement des devoirs envers nos concitoyens. L'action y trouve son compte. Mais une philosophie morale qui ne met pas l'accent sur cette distinction est à côté de la vérité; ses analyses en seront nécessairement faussées.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 25-26.
«Mais entre la société où nous vivons et l'humanité en général il y a, nous le répétons, le même contraste qu'entre le clos et l'ouvert; la différence entre les deux objets est de nature, et non plus simplement de degré. Que sera-ce, si l'on va aux états d'âme, si l'on compare entre eux ces deux sentiments, attachement à la patrie, amour de l'humanité ? Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. À ceux-là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour; car c'est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l'homme à aimer le genre humain, comme aussi c'est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer l'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l'autre nous n'arrivons à l'humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d'un bond, nous nous soyons transportés plus loin qu'elle et que nous l'ayons atteinte sans l'avoir prise pour fin, en la dépassant. Qu'on parle d'ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu'il s'agisse d'amour ou de respect, c'est une autre morale, c'est un autre genre d'obligation, qui viennent se superposer à la pression sociale.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 28-29.
«De tout temps ont surgi des hommes exceptionnels en lesquels cette morale [complète] s'incarnait. Avant les saints du christianisme, l'humanité`avait connu les sages de la Grèce, les prophètes d'Israël, les Arahants du bouddhisme et d'autres encore. C'est à eux que l'on s'est toujours reporté pour avoir cette moralité complète, qu'on ferait mieux d'appeler absolue.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 29.
«Tandis que la première [limite minimale de la morale de la société] est d'autant plus pure et plus parfaite qu'elle se ramène mieux à des formules impersonnelles, la seconde [limite maximale de la morale complète], pour être pleinement elle-même, doit s'incarner dans une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de l'une tient à l'universelle acceptation d'une loi, celle de l'autre à la commune imitation d'un modèle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 29-30.
«... l'amour de l'humanité n'est pas un modèle qui se suffise à lui-même et qui agisse directement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 32.
«Un être intelligent, à la poursuite de ce qui est de son intérêt personnel, fera souvent tout autre choses que ce que réclamerait l'intérêt général. Si pourtant la morale utilitaire s'obstine à reparaître sous une forme ou sous une autre, c'est qu'elle n'est pas insoutenable; et si elle peut se soutenir, c'est justement parce qu'au-dessous de l'activité intelligente, qui aurait en effet à opter entre l'intérêt personnel et l'intérêt d'autrui, il y a un substratum d'activité instinctive primitivement établi par la nature, où l'individuel et le social sont tout près de se confondre. La cellule vit pour elle et aussi pour l'organisme, lui apportant et lui empruntant de la vitalité; elle se sacrifiera au tout s'il en est besoin; et elle se dirait sans doute alors, si elle était consciente, que c'est pour elle-même qu'elle le fait.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 33.
«Or, c'est à cet instinct fondamental que nous avons rattaché l'obligation proprement dite: elle implique, à l'origine, un état de choses où l'individuel et le social ne se distinguent pas l'un de l'autre. C'est pourquoi nous pouvons dire que l'attitude à laquelle elle correspond est celle d'un individu et d'une société recourbés sur eux-mêmes. Individuelle et sociale à la fois, l'âme tourne dans un cercle. Elle est close. § L'autre attitude est celle de l'âme ouverte.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 34.
«La charité subsisterait chez celui qui la possède, lors même qu'il n'y aurait plus d'autre vivant sur la terre.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 34.
«... on les distinguera alors [les trois états d'âme que sont l'amour de la famille, l'amour de la patrie et l'amour de l'humanité] en nommant trois objets, de plus en plus larges, auxquels ils se rapporteraient. Cela suffit, en effet, à les désigner. Mais est-ce les décrire ? Est-ce les analyser ? Au premier coup d'œil, la conscience aperçoit entre les deux premiers sentiments et le troisième une différence de nature. Ceux-là impliquent un choix et par conséquent une exclusion; ils pourront inciter à la lutte, ils n'excluent pas la haine. Celui-ci n'est qu'amour. Ceux-là vont tout droit se poser sur un objet qui les attire. Celui-ci ne cède pas à un attrait de son objet; il ne l'a pas visé; il s'est élancé plus loin, et n'atteint l'humanité qu'en la traversant.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 35.
«Analysez la passion de l'amour, surtout à ses débuts: est-ce le plaisir qu'elle vise ? ne serait-ce pas aussi bien la peine ? Il y a peut-être une tragédie qui se prépare, toute une vie gâchée, dissipée, perdue, on le sait, on le sent n'importe ! il faut parce qu'il faut. La grande perfidie de la passion naissante est justement de contrefaire le devoir.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 35-36.
«Dans l'émotion la plus tranquille peut entrer une certaine exigence d'action qui diffère de l'obligation définie tout à l'heure en ce qu'elle ne rencontrera pas de résistance, en ce qu'elle n'imposera que du consenti, mais qui n'en ressemble pas moins à l'obligation en ce qu'elle impose quelque chose.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 36.
«Que la musique exprime la joie, la tristesse, la pitié, la sympathie, nous sommes à chaque instant ce qu'elle exprime. Non seulement nous, mais beaucoup d'autres, mais tous les autres aussi. Quand la musique pleure, c'est l'humanité, c'est la nature entière qui pleure avec elle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 36.
«Les sentiments voisins de la sensation, étroitement liés aux objets qui les déterminent, prouvent d'ailleurs aussi bien attirer à eux une émotion antérieurement crée, et non pas toute neuve. C'est ce qui s'est passé pour l'amour. De tout temps la femme a dû inspirer à l'homme une inclination distincte du désir, qui y restait cependant contiguë et comme soudée, particulièrement à la fois du sentiment et de la sensation. Mais l'amour romanesque a une date: il a surgi au moyen âge, le jour où l'on s'avisa d'absorber l'amour naturel dans un sentiment en quelque sorte surnaturel, dans l'émotion religieuses telle que le christianisme l'avait créée et jetée dans le monde. Quand on reproche au mysticisme de s'exprimer à la manière de la passion amoureuse, on oublie que c'est l'amour qui avait commencé par plagier la mystique, qui lui avait emprunté sa ferveur, ses élans, ses extases; en utilisant le langage d'une passion qu'elle avait transfigurée, la mystique n'a fait que reprendre son bien. Plus d'ailleurs, l'amour confine à l'adoration, plus grande est la disproportion entre l'émotion et l'objet, plus profonde par conséquent la déception à laquelle l'amoureux s'expose — à moins qu'il ne s'astreigne indéfiniment à voir l'objet à travers l'émotion, à n'y pas toucher, à le traiter religieusement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 38-39.
«Une émotion est un ébranlement affectif de l'âme, mais autre chose est une agitation de la surface, autre chose un soulèvement des profondeurs. Dans le premier cas, l'effet se disperse, dans le second il reste indivisé. Dans l'un c'est une oscillation des parties sans déplacement du tout; dans l'autre le tout est poussé en avant.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 40.
«Il faut distinguer deux espèces d'émotion, deux variétés de sentiment, deux manifestations de sensibilité, qui n'ont de commun entre elles que d'être des états affectifs distincts de la sensation et de ne pas se réduire, comme celle-ci, à la transposition psychologique d'une excitation physique. Dans la première, l'émotion est consécutive à une idée ou à une image représentée; l'état sensible résulte bien d'un état intellectuel qui ne lui doit rien, qui se suffit à lui-même et qui, s'il en subit l'effet par ricochet, y perd plus qu'il n'y gagne. C'est l'agitation de la sensibilité par une représentation qui y tombe. Mais l'autre émotion n'est pas déterminée par une représentation dont elle prendrait la suite et dont elle resterait distincte. Bien plutôt serait-elle, par rapport aux états intellectuels qui surviendront, une cause et non plus un effet: elle est grosse de représentations, dont aucune n'est proprement formée, mais qu'elle tire ou pourrait tirer de sa substance par un développement organique. La première est infra-intellectuelle; c'est d'elle que les psychologues s'occupent généralement, et c'est à elle qu'on pense quand on oppose la sensibilité à l'intelligence ou quand on fait de l'émotion un vague reflet de la représentation. Mais de l'autre nous dirions volontiers qu'elle est supra-intellectuelle, si le mot n'évoquait tout de suite, et exclusivement, l'idée d'une supériorité de valeur; il s'agit aussi bien d'une antériorité dans le temps, et de la relation de ce qui engendre à ce qui est engendré. Seule, en effet, l'émotion du second genre peut devenir génératrice d'idées.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 40-41.
«Le plus grand tort de ceux qui croiraient rabaisser l'homme en rattachant à la sensibilité les plus hautes facultés de l'esprit est de ne pas voir où est précisément la différence entre l'intelligence qui comprend, discute, accepte ou rejette, s'en tient enfin à la critique, et celle qui invente. § Création signifie, avant tout, émotion.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 41-42.
«L'œuvre géniale est le plus sortie d'une émotion unique en son genre, qu'on eût crue inexprimable, et qui a voulu s'exprimer. Mais n'en est-il pas ainsi de toute œuvre, si imparfaite soit-elle, où entre une part de création ?» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 43.
«... à côté de l'émotion qui est l'effet de la représentation et qui s'y surajoute, il y a celle qui précède la représentation, qui la contient virtuellement et qui en est jusqu'à un certain point la cause.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 44.
«On se plaît à dire que si une religion apporte une morale nouvelle, elle l'impose par la métaphysique qu'elle fait accepter, par ses idées sur Dieu, sur l'univers, sur la relation de l'un à l'autre. A quoi l'on a répondu que c'est au contraire par la supériorité de sa morale qu'une religion gagne les âmes et les ouvre à une certaine conception des choses. Mais l'intelligence reconnaîtrait-elle la supériorité de la morale qu'on lui propose, étant donné qu'elle ne peut apprécier des différences de valeur que par des comparaisons avec une règle ou un idéal, et que l'idéal et la règle sont nécessairement fournis par la morale qui occupe déjà la place ?» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 45.
«Métaphysique et morale expriment la même chose, l'une en termes d'intelligence, l'autre en termes de volonté; et les deux expressions sont acceptées ensemble dès qu'on s'est donné la chose à exprimer.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 46.
«Ainsi, quand nous dissipons les apparences pour toucher les réalités, quand nous faisons abstraction de la forme commune que les deux morales, grâce à des échanges réciproques, ont prises dans la pensée conceptuelle et dans le langage, nous trouvons aux deux extrémités de cette morale unique la pression et l'aspiration.: celle-là d'autant plus parfaite qu'elle est plus impersonnelle, plus proche de ces forces naturelles qu'on appelle habitude et même instinct, celle-là d'autant plus puissante qu'elle est plus visiblement soulevée en nous par des personnes, et qu'elle semble mieux triompher de la nature. Il est vrai que si l'on descendait jusqu'à la racine de la nature elle-même, on s'apercevrait peut-être que c'est la même force qui se manifeste directement, en se tournant sur elle-même, dans l'espèce humaine une fois constituée, et qui agit ensuite indirectement, par l'intermédiaire d'individualités privilégiées, pour pousser l'humanité en avant.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 48.
«... il y a une certaine difficulté à comparer entre elles les deux morales parce qu'elle ne se présentent plus à l'état pur. La première a passé à l'autre quelque chose de sa force de contrainte; la seconde a répandu sur la première quelque chose de son parfum.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 48.
«Immanente à la première [la pression] est la représentation d'une société qui ne vise qu'à se conserver: le mouvement circulaire où elle entraîne avec elle les individus, se produisant sur place, imite de loin, par l'intermédiaire de l'habitude, l'immobilité de l'instinct. Le sentiment qui caractériserait la conscience de cette ensemble d'obligations pures, supposées toutes remplies, serait un état de bien-être individuel et social comparable à celui qui accompagne le fonctionnement normal de la vie. Il ressemblerait au plaisir plutôt qu'à la joie. Dans la morale de l'aspiration, au contraire, est implicitement contenu le sentiment d'un progrès. L'émotion dont nous parlions est l'enthousiasme d'une marche en avant, — enthousiasme par lequel cette morale s'est fait accepter de quelques-uns et s'est ensuite, à travers eux, propagée dans le monde.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 49.
«Nous parlions des fondateurs et réformateurs de religions, des mystiques et des saints. Écoutons leur langage; il ne fait que traduire en représentations l'émotion particulière d'une âme qui s'ouvre, rompant avec la nature qui l'enfermait à la fois en elle-même et dans la cité.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 49-50.
«Notre intelligence a beau se persuader à elle-même que telle est la marche indiquée, les choses s'y prennent autrement. Ce qui est simple au regard de notre entendement ne l'est pas nécessairement pour notre volonté. Là où la logique dit qu'une certaine voie serait la plus courte, l'expérience survient et trouve que dans cette direction il n'y a pas de voie. La vérité est qu'il faut passer ici par l'héroïsme pour arriver à l'amour. L'héroïsme, d'ailleurs, ne se prêche pas; il n'a qu'à se montrer, et sa seule présence pourra mettre d'autres hommes en mouvement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 50-51.
«Si tel est le contraste entre l'opération réelle de la vie et l'aspect qu'elle prend pour les sens et l'intelligence qui l'analysent, est-il étonnant qu'une âme qui ne connaît plus d'obstacle matériel se sente, à tort ou à raison, en coïncidence avec le principe même de la vie ?» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 52.
«La morale comprend ainsi deux parties distinctes, dont l'une a sa raison d'être dans la structure originelle de la société humaine, et dont l'autre trouve son explication dans le principe explicatif de cette structure. Dans la première, l'obligation représente la pression que les éléments de la société exercent les uns sur les autres pour maintenir la forme du tout, pression dont l'effet est préfiguré en chacun de nos par un système d'habitudes qui vont pour ainsi dire au-devant d'elle: ce mécanisme, dont chaque pièce est une habitude mais dont l'ensemble est comparable à un instinct, a été préparé par la nature. Dans la seconde, il y a encore obligation, si l'on veut, mais l'obligation est la force d'une aspiration ou d'un élan, de l'élan même qui a abouti à l'espèce humaine, à la vie sociale, à un système d'habitudes plus ou moins assimilable à l'instinct: le principe de propulsion intervient directement, et non plus par l'intermédiaire des mécanismes qu'il avait montée, auxquels il s'était arrêté provisoirement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 52-53.
«L'humanité a beau s'être civilisée, la société a beau s'être transformée, nous prétendons que les tendances en quelque sorte organiques à la vie sociale sont restées ce qu'elles étaient à l'origine. Nous pouvons les retrouver, les observer. Le résultat de cette observation est net: c'est pour des sociétés simples et closes que la structure morale, originelle et fondamentale de l'homme, est faite.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 54.
«Les grands entraîneurs de l'humanité, qui ont forcé les barrières de la cité, semblent bien s'être replacés par là dans la direction de l'élan vital. Mais cet élan propre à la vie est fini comme elle. Tout le long de sa route il rencontre des obstacles, et les espèces successivement apparues sont les résultantes de cette force et des forces antagonistes: celle-là pousse en avant, celles-ci font qu'on tourne sur place.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 55.
«La volonté a son génie, comme la pensée, et le génie défie toute prévision. Par l'intermédiaire de ces volontés géniales l'élan de vie qui traverse la matière obtient de celle-ci, pour l'avenir de l'espèce, des promesses dont il ne pouvait même être question quand l'espèce se constituait. En allant de la solidarité sociale à la fraternité humaine, nous rompons donc avec une certaine nature, mais non pas avec toute nature.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 56.
«[Bergson réfère ici à la morale évangélique]. Ce n'est pas pour les pauvres, c'est pour lui que le riche doit faire abandon de sa richesse: heureux le pauvre «en esprit» ! Ce qui est beau, ce n'est pas d'être privé, ni même de se priver, c'est de ne pas sentir la privation. L'acte par lequel l'âme s'ouvre a pour effet d'élargir et d'élever à la pure spiritualité une morale emprisonnée et matérialisée dans des formules: celle-ci devient alors, par rapport à l'autre, quelque chose comme un instantané pris sur un mouvement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 58.
«L'ironie courait à travers l'enseignement socratique, et le lyrisme n'y faisait doute que des explosions rares; mais, dans la mesure où ces explosions ont livré passage à un esprit nouveau, elles ont été décisives pour l'avenir de l'humanité.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 62.
«Bref, entre le statique et le dynamique on observe en morale une transition. Cet état intermédiaire passerait inaperçu si l'on prenait, au repos, l'élan nécessaire pour sauter tout d'un coup au mouvement. Mais il frappe l'attention quand on s'y arrête, — signe ordinaire d'une insuffisance d'élan.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 62.
«... un seul chemin mène de l'action confinée dans un cercle à l'action se déployant dans l'espace libre, de la répétition à la création, de l'infra-intellectuel au supra-intellectuel. Qui s'arrête entre les deux est nécessairement dans la région de la pure contemplation, et pratique en tout cas naturellement, ne s'en tenant plus à l'un et n'étant pas allé jusqu'à l'autre, cette demi-vertu qu'est le détachement.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 63-64.
«Ce qui est aspiration tend à se consolider en prenant la forme de l'obligation stricte. Ce qui est obligation stricte tend à grossir et à s'élargir en englobant l'aspiration. Pression et aspiration se donnent pour cela rendez-vos dans la région de la pensé où s'élaborent les concepts. Il en résulte des représentations dont beaucoup sont mixtes, réunissant ensemble ce qui est cause de pression et ce qui est objet d'aspiration. Mais il en résulte aussi que nous perdons de vue la pression et l'aspiration pures, agissant effectivement sur notre volonté; nous ne voyons plus que le concept où sont venus se fondre les deux objets distincts auxquels elles étaient respectivement attachées. C'est ce concept qui exercerait une action sur nous. Erreur qui explique l'échec des morales proprement intellectualistes, c'est-à-dire, en somme, de la plupart des théories philosophies du devoir. Non pas, certes, qu'une idée pure soit sans influence sur notre volonté. Mais cette influence ne s'exercerait avec efficacité que si elle pouvait être seule. Elle résiste difficilement à des influences antagonistes, ou, si elle triomphe, c'est que reparaissent dans leur individualité et leur indépendance, déployant alors l'intégralité de leur force, la pression et l'aspiration qui avaient renoncé chacune à leur action propre en se faisant représenter ensemble par une idée.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 64-65.
«Que la raison soit la marque distinctive de l'homme, personne ne le contestera. Qu'elle ait une valeur éminente, au sens où une belle œuvre d'art a de la valeur, on l'accordera également. Mais il faut expliquer pourquoi elle peut commander absolument, et comment elle se fait alors obéir. La raison ne peut qu'alléguer des raisons, auxquelles il semble toujours loisible d'opposer d'autres raisons. Ne disons donc pas seulement que la raison, présente en chacun de nous, s'impose à notre respect et obtient notre obéissance en vertu de sa valeur éminente. Ajoutons qu'il y a derrière elle les hommes qui ont rendu l'humanité divine, et qui ont imprimé ainsi un caractère divin à la raison, attribut essentiel de l'humanité. Ce sont eux qui nous attirent dans une société idéale, en même temps que nous cédons à la pression de la société réelle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 67-68.
«Toutes les notions morales se compénètrent, mais il n'est pas de plus instructive que celle de justice, d'abord parce qu'elle absorbe la plupart des autres, ensuite parce qu'elle se traduit, malgré sa plus grande richesse, par des formules plus simples, enfin et surtout parce qu'on y voit s'emboîter l'une dans l'autre les deux formes de l'obligation. La justice a toujours évoqué des idées d'égalité, de proportion, de compensation.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 68.
«Il n'est pas douteux, en effet, que la force n'ai été à l'origine de la division des anciennes sociétés en classes subordonnées les unes aux autres. Mais une subordination habituelle finit par sembler naturelle, et elle se cherche à elle-même une explication: si la classe inférieur a accepté sa situation pendant assez longtemps, elle pourra y consentir encore quand elle sera devenue virtuellement la plus forte, parce qu'elle attribuera aux dirigeants une supériorité de valeur. Cette supériorité sera d'ailleurs réelle s'ils ont profité des facilités qu'ils se trouvaient avoir pour se perfectionner intellectuellement et moralement: mais elle pourra aussi bien-être qu'une apparence soigneusement entretenue. Quoiqu'il en soit, réelle ou apparente, elle n'aura qu'à durer pour paraître congénitale: il faut bien qu'il y ait supériorité innée, se dit-on, puisqu'il y a privilège héréditaire. La nature, qui a voulu des société disciplinées, a prédisposé l'homme à cette illusion.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 70-71.
«De quelque manière qu'on se représente la transition de la justice relative à la justice absolue, qu'elle se soit faite en plusieurs fois ou tout d'un coup, il y a eu création. Quelque chose est survenu qui aurait pu ne pas être, qui n'aurait pas été sans certaines circonstances, sans certains hommes, sans un certain homme peut-être. Mais au lieu de penser à du nouveau, qui s'est emparé de l'ancien pour l'englober dans un tout imprévisible, nous aimons mieux envisager l'ancien comme une partie de ce tout, lequel aurait alors virtuellement préexisté: les conceptions de la justice qui se sont succédé dans des sociétés anciennes n'auraient donc été que des visions partielles, incomplètes, d'une justice intégrale qui serait précisément la nôtre. Inutile d'analyser en détail ce cas particulier d'une illusion générale...» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 71-72.
«Mais il y a loin de ces équilibres mécaniquement atteints, toujours provisoires comme celui de la balance aux mains de la justice antique, à une justice telle que la nôtre, celle des «droits de l'homme», qui n'évoque plus des idées de relation ou de mesure, mais au contraire d'incommensurabilité et d'absolu.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 74.
«Ce serait oublier que la plupart des grandes réformes accomplies ont paru d'abord irréalisables, et qu'elles l'étaient en effet. Elles ne pouvaient être réalisées que dans une société dont l'état d'âme fût déjà celui qu'elles devaient induire par leur réalisation; et il y avait là un cercle dont on ne serait pas sorti si une ou plusieurs âmes privilégiées, ayant dilaté en elles l'âme sociale, n'avaient brisé le cercle en entraînant la société derrière elles. Or, c'est le miracle même de la création artistique.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 74.
«... posons-nous la fameuse question: «que ferions-nous si nous apprenions que pour le salut du peuple, pour l'existence même de l'humanité, il y a quelque part un homme, un innocent, qui est condamné à subir des tortures éternelles ?». Nous y consentirions peut-être s'il était entendu qu'un philtre magique nous le fera oublier, et que nous n'en saurons jamais plus rien; mais s'il fallait le savoir, y penser, nous dire que cet homme est soumis à des supplices atroces pour que nous puissions exister, que c'est là une condition fondamentale de l'existence en général, ah non ! plutôt accepter que plus rien n'existe ! plutôt laisser sauter la planète !» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 76. [O tempora !, o mores !].
«Le progrès qui fut décisif pour la matière de la justice, comme le prophétisme l'avait été pour la forme, consista dans la substitution d'une république universelle, comprenant tous les hommes, à celle qui s'arrêtait aux frontières de la cité, et qui s'en tenait dans la cité elle-même aux hommes libres. Tout les reste est venu de là, car si la porte est restée ouverte à des créations nouvelles, et le restera probablement toujours, encore fallait-il qu'elle s'ouvrît. Il ne nous paraît pas douteux que ce second progrès, le passage du clos à l'ouvert, soit dû au christianisme, comme le premier l'avait été au prophétisme juif. Aurait-il pu s'accomplir par la philosophie pure ? Rien n'est plus instructif que de voir comment les philosophes l'ont frôlé, touché, et pourtant manqué.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 77.
«Toutefois, avant le christianisme, il y eut le stoïcisme: des philosophes proclamèrent que tous les hommes sont frères, et que le sage est citoyen du monde. Mais ces formules étaient celles d'un idéal conçu, et conçu peut-être comme irréalisable. Nous ne voyons pas qu'aucun des grands stoïciens, même celui qui fut empereur, ait jugé possible d'abaisser la barrière entre l'homme libre et l'esclave, entre le citoyen romain et le barbare. Il faut attendre jusqu'au christianisme pour que l'idée de fraternité universelle, laquelle implique l'égalité des droits et l'inviolabilité de la personne, devînt agissante. » — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 77-78.
«L'antiquité classique n'avait pas connu la propagande; sa justice avait l'impassibilité sereine des dieux olympiens. Besoin de s'élargir, ardeur à se propager, élan, mouvement, tout cela est d'origine judéo-chrétienne. Mais, parce que l'on continuait à employer le même mot, on a trop cru qu'il s'agissait de la même chose.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 79.
«On définit volontiers le progrès de la justice par une marche à la liberté et à l'égalité. La définition est inattaquable, mais que tirera-t-on d'elle ? Elle vaut pour le passé; il est rare qu'elle puisse orienter notre choix pour l'avenir.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 79.
«... il n'y a pas une simple différence de degré, mais une différence radicale de nature, entre les deux idées de justice que nous avons distinguées, l'une close, l'autre ouverte. Car la justice relativement stable, close, qui traduit l'équilibre automatique d'une société sortant des mains de la nature, s'exprime dans des usages auxquels s'attache le «tout de l'obligation», et ce «tout de l'obligation» vient englober, au fur et à mesure qu'elles sont acceptées par l'opinion, les prescriptions de l,autre justice, celle qui est ouverte à des créations successives. La même forme s'impose ainsi à deux matières, l'une fournie par la société, l'autre issue du génie de l'homme. Pratiquement, en effet, elles devraient être confondues.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 81.
«Si radicale que soit alors la différence entre le civilisé et le primitif, elle tient uniquement à ce que l'enfant a emmagasiné depuis le premier éveil de sa conscience: toutes les acquisitions de l'humanité pendant des siècles de civilisation sont là, à côté de lui, déposées dans la science qu'on lui enseigne, dans la tradition, dans les institutions, dans les usages, dans la syntaxe et le vocabulaire de la langue qu'il apprend à parler et jusque dans la gesticulation des hommes qui l'entourent. C'est cette couche épaisse de terre végétale qui recouvre aujourd'hui le roc de la nature originelle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 83.
«Bref, l'obligation que nous trouvons au fond de notre conscience et qui en effet, comme le mot l'indique bien, nous lie aux autres membres de la société, est un lien du même genre que celui qui unit les unes aux autres les fourmis d'une fourmilières ou les cellules d'un organisme. C'est la forme que prendrait ce lien aux yeux d'une fourmi devenue intelligente comme un homme, ou d'une cellule organique devenue aussi indépendante dans ses mouvements qu'une fourmi intelligente. Je parle, bien entendu, de l'obligation envisagée comme cette simple forme, sans matière: elle est ce qu'il y a d'irréductible, et de toujours présent encore, dans notre nature morale. [...] Mais toutes les fois que nous revenons à ce qu'il y a de proprement impératif dans l'obligation, et lors même que nous trouverions en elle tout ce que l'intelligence y a inséré pour l'enrichir, tout ce que la raison a mis autour d'elle pour la justifier, c'est dans cette structure fondamentale que nous nous replaçons. Voilà pour l'obligation pure.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 84.
«L'aspiration pure est une limite idéale, comme l'obligation nue. Il n'en est pas moins vrai que ce sont les âmes mystiques qui ont entraîné et qui entraînent encore dans leur mouvement les sociétés civilisées.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 85.
«L'obligation qui s'attache à l'ordre est, dans ce qu'elle a d'original et de fondamental, infra-intellectuelle. L'efficacité de l'appel tient à la puissance de l'émotion qui fut jadis provoquée, qui l'est encore ou qui pourrait l'être: cette émotion, ne fût-ce que parce qu'elle est indéfiniment résoluble en idées, est plus qu'idée; elle est supra-intellectuelle. Les deux forces, s'exerçant dans des régions différentes de l'âme, se projettent sur le plan intermédiaire, qui est celui de l'intelligence. Elles seront désormais remplacées par leurs projections.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 85-86.
«Mais de ce qu'on aura constaté`le caractère rationnel de la conduite morale, il ne suivra pas que la morale ait son origine ou même son fondement dans la pure raison. La grosse question est de savoir pourquoi nous sommes obligés dans des cas où il ne suffit nullement de se laisser aller pour faire son devoir.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 86.
«À vrai dire, une morale qui croit fonder l'obligation sur des considérations purement rationnelles réintroduit toujours à son insu, [...] des forces d'une ordre différent. C'est justement pourquoi elle réussit avec une telle facilité. L'obligation vraie est déjà là, et ce que la raison viendra poser sur elle prendra naturellement un caractère obligatoire. La société, avec ce qui la maintient et ce qui la pousse en avant, est déjà là, et c'est pourquoi la raison pourra adopter comme principe de la morale l'une quelconque des fins que poursuit l'homme en société; en construisant un système bien cohérent de moyens destinés à réaliser cette fin, elle retrouvera tant bien que mal la morale telle que le sens commun la conçoit, telle que l'humanité en général la pratique ou prétend la pratiquer. C'est que chacune de ses fins, étant prise par elle dans la société, est socialisée et, par là même, grosse de toutes les autres fins qu'on peut s'y proposer.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 90-91.
«Bref, les théoriciens de la morale postulent la société et par conséquent les deux forces auxquelles la société doit sa stabilité et son mouvement. Profitant de ce que toutes les fins sociales se compénètrent et de ce que chacune d'elles, posée en quelque sorte sur cet équilibre et ce mouvement, semble se doubler de ces deux forces, ils n'ont pas de peine à reconstituer le contenu de la morale avec l'une quelconque des fins prise pour principe, et à montrer alors que cette morale est obligatoire. C'est qu'ils se sont donné par avance, avec la société, la matière de cette morale et sa forme, tout ce qu'elle contient et toute l'obligation dont elle s'enveloppe.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 93.
«L'obligation est une nécessité avec laquelle on discute, et qui s'accompagne par conséquent d'intelligence et de liberté. La nécessité, d'ailleurs, est analogue ici à celle qui s'attache à la production d'un effet physiologique ou même physique: dans une humanité que la nature n'aurait pas faite intelligente, et où l'individu n'aurait aucune puissance de choix, l'action destinée à maintenir la conservation et la cohésion du groupe s'accomplirait nécessairement; elle s'accomplirait sous l'influence d'une force bien déterminée, la même qui fait que chaque fourmi travaille pour la fourmilière et chaque cellule d'un tissu pour l'organisme. Mais l'intelligence intervient avec la faculté de choisir ...» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 93-94.
«... si c'est l'intelligence d'un philosophe, elle construira une morale théorique où l'interpénétration de l'intérêt personnel et de l'intérêt général sera démontrée, et où l'obligation se ramènera à la nécessité, sentie par nous, de penser à autrui si nous voulons nous rendre intelligemment utiles à nous-mêmes.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 94.
«Ce qu'il y a de proprement obligatoire dans l'obligation ne vient donc pas de l'intelligence. Celle-n'explique, de l'obligation, que ce qu'on y trouve d'hésitation. Là où elle paraît fonder l'obligation, elle se borne à la maintenir en résistant à une résistance, en s'empêchant d'empêcher.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 95.
«à quelque philosophie, en effet, qu'on se rattache, on est bien forcé de reconnaître que l'homme est un être vivant, que l'évolution de la vie, sur ses deux principales lignes, s'est accomplie dans la direction de la vie sociale, que l'association est la forme la plus générale de l'activité vivante puisque la vie est organisation, et que dès lors on passe par transitions insensibles des rapports entre cellules dans un organisme aux relations entre individus dans la société. Nous nous bornons à noter de l'incontesté, de l'incontestable. Mais, ceci une fois admis, toute théorie de l'obligation devient inutile en même temps qu'inopérante: inutile, parce que l'obligation est une nécessité de la vie; inopérante, parce que l'hypothèse introduite peut tout au plus justifier aux yeux de l'intelligence (et justifier bien incomplètement) une obligation qui préexistait à cette reconstruction intellectuelle.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 96.
«Mais de même qu'il s'est trouvé des hommes de génie pour reculer les bornes de l'intelligence, et qu'il a été concédé par là à des individus, de loin en loin, beaucoup plus qu'il n'avait été possible de donner tout d'un coup à l'espèce, ainsi des âmes privilégiées ont surgi qui se sentaient apparentées à toutes les âmes et qui, au lieu de rester dans les limites du groupe et de s'en tenir à la solidarité établie par la nature, se portaient vers l'humanité en général dans un élan d'amour. L'apparition de chacune d'elles était comme la création d'une espèce nouvelle composée d'un individu unique, la poussée vitale aboutissant de loin en loin, dans un homme déterminé, à un résultat qui n'eût pu être obtenu tout d'un coup pour l'ensemble de l'humanité. chacune d'elles marquait ainsi un certain point atteint par l'évolution de la vie; et chacune d'elle manifestait sous une forme originale un amour qui paraît être l'essence même de l'effort créateur.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 97.
«Rétablissons la dualité d'origine: les difficultés s'évanouissent. Et la dualité elle-même se résorbe dans l'unité, car «pression sociale» et «élan d'amour» ne sont que deux manifestations complémentaires de la vie, normalement appliquée à conserver en gros la forme sociale qui fut caractéristique de l'espèce humaine dès l'origine, mais exceptionnellement capable de la transfigurer, grâce à des individus dont chacun représente, comme eût fait l'apparition d'une nouvelle espèce, un effort d'évolution créatrice.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 98-99.
«Nous ne nions pas l'utilité, la nécessité même d'un enseignement moral qui s'adresse à la pure raison, qui définisse les devoirs et les rattache à un principe dont il suit, dans le détail, les diverses applications. C'est sur le plan de l'intelligence, et sur celui-là seulement, que la discussion est possible, et il n'y a pas de moralité complète sans réflexion, analyse, discussion avec les autres comme avec soi-même. Mais si un enseignement qui s'adresse à l'intelligence est indispensable pour donner au sens moral de l'assurance et de la délicatesse, s'il nous rend pleinement capables de réaliser notre intention l;à où notre intention est bonne, encore faut-il qu'il y ait d'abord intention, et l'intention marque une direction de la volonté autant et plus que l'intelligence.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 99.
«La discipline aurait fait de lui un honnête homme. Telle est la première méthode: elle opère dans l'impersonnel. L'autre la complètera au besoin; elle pourra même la remplacer. Nous n'hésitons pas à l'appeler religieuse, et même mystique; mais il faut s'entendre sur le sens des mots. On se plaît à dire que la religion est l'auxiliaire de la morale, en ce qu'elle fait craindre ou espérer des peines ou des récompenses. On a peut-être raison, mais on devrait ajouter que, de ce côté, la religion ne fait guère autre chose que promettre une extension et redressement de la justice humaine par la justice divine ...» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 100.
«Les vrais mystiques s'ouvrent simplement au flot qui les envahit. Sûrs d'eux-mêmes, parce qu'ils sentent en eux quelque chose de meilleur qu'eux, ils se révèlent grands hommes d'action, à la surprise de ceux pour qui le mysticisme n'est que vision, transport, extase. Ce qu'ils ont laissé couler à l'intérieur d'eux-mêmes, c'est un flux descendant qui voudrait, à travers eux, gagner les autres hommes: le besoin de répandre autour d'eux ce qu'ils ont reçu, ils le ressentent comme un élan d'amour.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 101-102.
«On se plaît à dire que la société existe, que dès lors elle exerce nécessairement sur ses membres une contrainte, et que cette contrainte est l'obligation. Mais d'abord, pour que la société existe, il faut que l'individu apporte tout un ensemble de dispositions innées; la société ne s'explique donc pas elle-même; on doit par conséquent chercher au-dessous des acquisitions sociales, arriver à la vie, dont les sociétés humaines ne sont, comme l'espèce humaine d'ailleurs, que des manifestations.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 102-103.
«Tout est obscur, si l'on s'en tient à de simples manifestations, qu'on les appelle toutes ensemble sociales ou que l'on considère plus particulièrement, dans l'homme social, l'intelligence. Tout s'éclaire au contraire, si l'on va chercher, par-delà ces manifestations, la vie elle-même. Donnons donc au mot biologie le sens très compréhensif qu'il devrait avoir, qu'il prendra peut-être un jour, et disons pour conclure que toute morale, pression ou aspiration, est d'essence biologique.» — Henri BERGSON. Chapitre I. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 103.
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