mardi 4 octobre 2011

Henri Bergson — Les deux sources de la morale et de la religion (Chapitre III)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Henri BERGSON. Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000.

CHAPITRE III
La religion dynamique


«Un grand courant d'énergie créatrice se lance dans la matière pour en obtenir ce qu'il peut. sur la plupart des point il est arrêté; ces arrêts se traduisent à nos yeux par autant d'apparitions d'espèces vivantes, c'est-à-dire d'organismes où notre regard, essentiellement analytique et synthétique, démêle une multitude d'éléments se coordonnant pour accomplir une multitude de fonctions; le travail d'organisation n'était pourtant que l'arrêt lui-même, acte simple, analogue à l'enfoncement du pied qui détermine instantanément des milliers de grains de sable à s'entendre pour donner un dessin.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 221.

«L'intelligence, elle, regardait jusqu'en bas. Car l'être intelligent ne vivait plus seulement dans le présent; il n'y a pas de réflexion sans prévision, pas de prévision sans inquiétude, pas d'inquiétude sans un relâchement momentané de l'attachement à la vie. Surtout, il n'y a pas d'humanité sans société, et la société demande à l'individu un désintéressement que l'insecte, dans son automatisme, pousse jusqu'à l'oubli complet de soi. Il ne faut pas compter sur la réflexion pour soutenir ce désintéressement. L'intelligence, à moins d'être celle d'un subtil philosophe utilitaire, conseillerait plutôt l'égoïsme.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 222.
«La religion est ce qui doit combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l'attachement à la vie.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 223.

«Le principe actif, mouvant, dont le seul stationnement en un point extrême s'est exprimé par l'humanité, exige sans doute de toutes les espèces créées qu'elles se cramponnent à la vie. Mais, [...], si ce principe donne toutes les espèces globalement, à la manière d'un arbre qui pousse dans toutes les directions des branches terminées en bourgeons, c'est le dépôt, dans la matière, d'une énergie librement créatrice, s'est l'homme ou quelque être de même signification — nous ne disons pas de même forme — qui est la raison d'être du développement tout entier.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 223.

«Mais, de toute manière, la vie est chose au moins aussi désirable, plus désirable même pour l'homme que pour les autres espèces, puisque celles-ci la subissent comme un effet produit au passage par l'énergie créatrice, tandis qu'elle est chez l'homme le succès même, si incomplet et si précaire soit-il, de cet effort. Pourquoi, dès lors, l'homme ne retrouverait-il pas la confiance qui lui manque, ou que la réflexion a pu ébranler, en remontant, pour reprendre de l'élan, dans la direction d'où l'élan était venu ? Ce n'est pas par l'intelligence, ou en tout cas avec l'intelligence seule, qu'il pourrait le faire: celle-ci irait plutôt en sens inverse; elle a une destination spéciale et, lorsqu'elle s'élève dans ses spéculations, elle nous fait tout au plus concevoir des possibilités, elle ne touche pas une réalité. Mais nous savons qu'autour de l'intelligence est restée une frange d'intuition, vague et évanouissante Ne pourrait-on pas la fixer, l'intensifier, et surtout la compléter en action, car elle n'est devenue pure vision que par un affaiblissement de son principe et, si l'on peut s'exprimer ainsi, par une abstraction pratiquée sur elle-même ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 224.

«Mais surtout il faut considérer [lorsqu'il se définit par sa relation à l'élan vital] que le mysticisme pur est une essence rare, qu'on le rencontre le plus souvent à l'état de dilution, qu'il n'en communique pas moins alors à la masse à laquelle il se mêle sa couleur et son parfum, et qu'on doit le laisser avec elle, pratiquement inséparable d'elle, si l'on veut le prendre agissant, puisque c'est ainsi qu'il a fini par s'imposer au monde» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 225.

«... c'est en vertu de son essence même que le vrai mysticisme est exceptionnel.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 226.

«Ainsi s'intercalent, [...], des transitions et des différences apparentes de degré entre deux choses qui diffèrent radicalement de nature et qui ne sembleraient pas, d'abord, devoir s'appeler de la même manière. Le contraste est frappant dans bien des cas, par exemple quand des nations en guerre affirment l'une et l'autre avoir pour elles un dieu qui se trouve ainsi être le dieu national du paganisme, alors que le Dieu dont elles s'imaginent parler est un Dieu commun à tous les hommes, dont la seule vision par tous serait l'abolition immédiate de la guerre. Et pourtant il ne faudrait pas tirer parti de ce contraste pour déprécier des religions qui, nées du mysticisme, ont généralisé l'usage de ses formules sas pouvoir pénétrer l'humanité entière de la totalité de son esprit. Il arrive à des formules presque vides de faire surgir ici ou là, véritables paroles magiques, l'esprit capable de les remplir.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 227. 

«Un historien des religions n'aura pas de peine à retrouver, dans la matérialité d'une croyance vaguement mystique qui s'est répandue parmi les hommes, des éléments mythiques et même magiques. Il prouvera ainsi qu'il y a une religion statique, naturelle à l'homme, et que la nature humaine est invariable. Mais s'il s'en tient là, il aura négligé quelque chose, et peut-être l'essentiel. Du moins aura-t-il, sans précisément le vouloir, jeté un pont entre le statique et le dynamique, et justifié l'emploi du même mot dans des cas aussi différents. C'est bien à une religion qu'on a encore affaire, mais à une religion nouvelle.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 228. 

«... la plupart des mystères [païens] n'eurent rien de mystique. Ils se rattachaient à la religion établie, qui trouvait tout naturel de les avoir à côté d'elle. Ils célébraient les mêmes dieux, ou des dieux issus de la même fonction fabulatrice. Ils renforçaient simplement chez les initiés l'esprit religieux en le doublant de cette satisfaction que les hommes ont toujours éprouvée à former de petites sociétés au sein de la grande, et à s'ériger en privilégiés par le fait d'une initiation tenue secrète. Les membres de ces sociétés closes se sentaient plus près du dieu qu'ils invoquaient, ne fût-ce que parce que la représentation des scènes mythologiques jouait un plus grand rôle ici que dans les cérémonies publiques. En un certain sens, le dieu était présent; les initiés participaient quelque peu de sa divinité. Ils pouvaient donc espérer d'une autre vie plus et mieux que ce qui faisait attendre la religion nationale.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 229-230. 

«Cette évolution [de la philosophie grecque] fut purement rationnelle. Elle porta la pensée humaine à son plus haut degré d'abstraction et de généralité. Elle donna aux fonctions dialectiques de l'esprit tant de force et de souplesse qu'aujourd'hui encore, pour les exercer, c,est à l'école des Grecs que nous nous mettons. Deux points sont pourtant à noter. Le premier est qu'à l'origine de ce grand mouvement il y eut une impulsion ou une secousse qui ne fut pas d'ordre philosophique. Le second est que la doctrine à laquelle le mouvement aboutit, et où la pensée hellénique trouva son achèvement, prétendit dépasser la pure raison.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 231.

«Ainsi, en résumé, il y eut à l'origine une pénétration de l'orphisme [dans la philosophie grecque], et, à la fin, un épanouissement de la dialectique en mystique. De là on  pourrait conclure que c'est une force extra-rationnelle qui suscita ce développement rationnel et qui le conduisit à son terme, au delà de la raison.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 232.

«On peut supposer que le développement de la pensée grecque fut l'œuvre de la seule raison, et qu'à côté de lui, indépendamment de lui, se produisit de loin en loin chez quelques âmes prédisposées un effort pour aller chercher, par delà l'intelligence, une vision, un contact, la révélation d'une réalité transcendante. Cet effort n'aurait jamais atteint le but; mais chaque fois, au moment de s'épuiser, il aurait confié à la dialectique ce qui restait de lui-même plutôt que de disparaître tout entier; et ainsi, avec la même dépense de force, une nouvelle tentative pouvait ne s'arrêter que plus loin, l'intelligence se trouvant toujours rejointe en un point plus avancé d'un développement philosophique qui avait, dans l'intervalle, acquise plus d'élasticité et comportait plus de mysticité.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 232-233.

«En un mot, le mysticisme, au sens absolu o`u nous convenons de le prendre, n'a pas été atteint par la pensée hellénique [pour laquelle toute action dérogeait à la pureté de la contemplation]. Il aurait sans doute voulu être: il a, simple virtualité, plusieurs fois frappé à la porte. Celle-ci s'est entrebaîllée de plus en plus largement, mais ne l'a jamais laissé passer tout entier.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 234.

«Mais tout esprit qui s'engage sur la voie mystique, hors de la cité, sent plus ou moins confusément qu'il laisse derrière lui les hommes et les dieux. Par là même il les voit ensemble.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 235.

«Statique ou dynamique, en effet, nous prenons la religion à ses origines. Nous avons trouvé que la première était préfigurée dans la nature; nous voyons maintenant dans la seconde un bond hors de la nature, et nous considérons d'abord le bond dans ces cas où l'élan fut insuffisant ou contrarié.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 236.

«Des états hypnotiques n'ont rien de mystique par eux-mêmes, mais ils pourront le devenir, ou du moins annoncer et préparer le mysticisme vrai, par la suggestion qui s'y insérera. Ils le deviendront facilement, leur forme sera prédisposée à remplir de cette matière, s'ils dessinent déjà des visions, des extases, suspendant la fonction critique de l'intelligence.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 236.

«Admettons pourtant que l'action directe du christianisme, en tant que dogme, ait été à peu près nulle dans l'Inde. Comme il a pénétré toute la civilisation occidentale, on le respire, ainsi qu'un parfum, dans ce que notre civilisation apporte avec elle. L'industrialisme lui-même, [...], en dérive indirectement. Or c'est l'industrialisme, c'est notre civilisation occidentale, qui a déclenché le mysticisme d'un Ramakrishna ou d'un Vivekananda. Jamais ce mysticisme ardent, agissant, ne se fût produit au temps où l'Hindou se sentait écrasé par la nature et où toute intervention humaine était inutile.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 239.

«Quand on prend ainsi à son terme l'évolution intérieure des grands mystiques, on se demande comment ils on pu être assimilés à des malades. Certes, nous vivons dans un état d'équilibre instable, et la santé moyenne de l'esprit, comme d'ailleurs celle du corps, est chose malaisée à définir. Il y a pourtant une santé intellectuelle solidement assise, exceptionnelle, qui se reconnaît sans peine. Elle se manifeste par le goût de l'action, la faculté de s'adapter et de se réadapter aux circonstances, la fermeté jointe à la souplesse, le discernement prophétique du possible et de l'impossible, un esprit de simplicité qui triomphe des complications, enfin un bon sens supérieur.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 241.

«Quand les profondeurs obscures de l'âme sont remuées, ce qui monte à la surface et arrive à la conscience y prend, si l'intensité est suffisante, la forme d'une image ou d'une émotion. L'image est le plus souvent hallucination pure, comme l'émotion n'est qu'agitation vaine. Mais l'une et l'autre peuvent exprimer que le bouleversement est un réarrangement systématique en vue d'un équilibre supérieur: l'image est alors symbolique de ce qui se prépare, et l'émotion est une concentration de l'âme dans l'attente d'une transformation. Ce dernier cas est celui du mysticisme, mais il peut aussi participer de l'autre; ce qui est simplement anormal peut se doubler de ce qui est nettement morbide; à déranger les rapport habituels entre le conscient et l'inconscient on court un risque.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 243.

«... l'union avec Dieu a beau être étroite, elle ne serait définitive que si elle était totale. Plus de distance, sans doute, entre la pensée et l'objet de la pensée, puisque les problèmes sont tombés qui mesuraient et même constituaient l'écart. Plus de séparation radicale entre ce qui aime et ce qui est aimé: Dieu est présent et la joie est sans bornes. Mais si l'âme s'absorbe en Dieu par la pensée et par le sentiment, quelque  chose d'elle reste en dehors; c'est la volonté: son action, si elle agissait, procéderait simplement d'elle. Sa vie n'est pas encore divine. Elle le sait; vaguement elle s'en inquiète, et cette agitation dans le repos est caractéristique de ce que nous appelons le mysticisme complet: elle exprime que l'élan avait été pris pour aller plus loin, que l,extase intéresse bien la faculté de voir et de s'émouvoir, mais qu'il y a aussi le vouloir, et qu'il faudrait le replacer lui-même en Dieu.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 244.

«L'âme mystique veut être cet instrument. Elle élimine de sa substance tout ce qui n'est pas assez pur, assez résistant et souple, pour que Dieu l'utilise. Déjà elle sentait Dieu présent, déjà elle croyait l'apercevoir dans des visions symboliques, déjà même elle s'unissait à lui dans l'extase; mais rien de tout cela n'était durable parce que tout cela n'était que contemplation: l'action ramenait l'âme à elle-même et la détachait ainsi de Dieu. Maintenant c'est Dieu qui agit par elle, en elle: l'union est totale, et par conséquent définitive.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 245.

«... c'est désormais pour l'âme, une surabondance de vie. C'est un immense élan. C'est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu'elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu'elle semble ne pas même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l'acte décisif, le mot sans réplique. L'effort reste pourtant indispensable, et aussi l'endurance et la persévérance.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 246.

«Déjà dans le mysticisme qui s'arrêtait à l'extase, c'est-à-dire à la contemplation, une certaine action était préformée. On éprouvait, à peine de redescendre du ciel sur la terre, le besoin d'aller enseigner les hommes. Il fallait annoncer à tous que le monde perçu par les yeux du corps est sans doute réel, mais qu'il y a autre chose, et que ce n'est pas simplement possible ou probable, comme le serait la conclusion d'un raisonnement, mais certain comme une expérience: quelqu'un a vu, quelqu'un a touché, quelqu'un sait. Toutefois il n'y avait là qu'une velléité d'apostolat.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 246-247.

«Car l'amour qui le consume [le grand mystique] n'est plus simplement l'amour d'un homme pour Dieu, c'est l'amour de Dieu pour tous les hommes. A travers Dieu, par Dieu, il aime toute l'humanité d'un divin amour. Ce n'est pas la fraternité que les philosophes ont recommandée au nom de la raison, en arguant de ce que tous les hommes participent originellement d'une même essence raisonnable: devant un idéal aussi noble on s'inclinera avec respect; on s'efforcera de le réaliser; on ne s'y attacher pas avec passion.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 247.

«Tout au plus le sentiment familial et social pourra-t-il surabonder accidentellement et s'employer au delà de ses frontières naturelles, par luxe ou par jeu; cela n'ira jamais très loin. Bien différent est l'amour mystique de l'humanité. Il ne prolonge pas un instinct, il ne dérive pas d'une idée. Ce n'est ni du sensible, ni du rationnel. C'est l'un et l'autre implicitement, et c'est beaucoup plus effectivement. Car un tel amour est à la racine même de la sensibilité et de la raison, comme du reste des choses. Coïncidant avec l'amour de Dieu pour son œuvre, amour qui a tout fait, il livrerait à qui saurait l'interroger le secret de la création. Il est d'essence métaphysique encore plus que la morale. Il voudrait, avec l'aide de Dieu, parachever la création de l'espèce humaine et faire de l'humanité ce qu'elle eût été tout de suite si elle avait pu se constituer définitivement sans l'aide de l'homme lui-même. [...] sa direction est celle même de l'élan de vie; il est cet élan même, communiqué intégralement à des hommes privilégiés qui voudraient l'imprimer alors à l'humanité entière et, par une contradiction réalisée, convertir en effort créateur cette chose créée qu'est une espèce, faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt. § Réussira-t-il ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 248-249.

«Le grand obstacle qu'ils [les mystiques] rencontreront est celui qui a empêché la création d'une humanité divine. L'homme doit gagner son pain à la sueur de son front: en d'autres termes, l'humanité est une espèce animale, soumise comme telle à la loi qui régit le monde animal et qui condamne le vivant à se repaître du vivant.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 249.

«... il y avait en attendant une autre méthode à suivre. C'était de ne pas rêver pour l'élan mystique une propagation générale immédiate, évidemment impossible, mais de le communiquer, encore que déjà affaibli, à un petit nombre de privilégiés qui formeraient ensemble une société spirituelle; les sociétés de ce genre pourraient essaimer; chacune d'elles, par ceux de ses membres qui seraient exceptionnellement doués, donnerait naissance à une pou plusieurs autres; ainsi se conserverait, ainsi se continuerait l'élan jusqu'au jour où un changement profond des conditions matérielles imposées à l'humanité par la nature, permettrait, du côté spirituel, une transformation radicale. Telle est la méthode que les grands mystiques ont suivie.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 250.

«Les enseignements de la religion s'adressent en effet, comme tout enseignement, à l'intelligence, et ce qui est d'ordre intellectuel peut devenir accessible à tous. Qu'on adhère ou non à la religion, on arrivera toujours à se l'assimiler intellectuellement, quitte à se représenter comme mystérieux ses mystères. Au contraire le mysticisme ne dit rien, absolument, rien, à celui qui n'en a pas éprouvé quelque chose. Tout le monde pourra donc comprendre que le mysticisme vienne de loin en loin s'insérer, original et ineffable, dans une religion préexistante formulée en termes d'intelligence, tandis qu'il sera difficile de faire admettre l'idée d'une religion qui n'existerait que par le mysticisme, dont elle serait un extrait intellectuellement formulable et par conséquent généralisable.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 251-252.

«Ce que le mystique trouve devant lui est donc une humanité qui a été préparée à l'entendre par d'autres mystiques, invisibles et présents dans la religion qui s'enseigne. De cette religion son mysticisme même est d'ailleurs imprégné, puisqu'il a commencé par elle. Sa théologie sera généralement conforme à celles des théologiens. Son intelligence et son imagination utiliseront, pour exprimer en mots ce qu'il éprouve et en images matérielles ce qu'il voit spirituellement, l'enseignement des théologiens. Et cela lui sera facile, puisque la théologie a précisément capté un courant qui a sa source dans la mysticité. Ainsi, son mysticisme bénéficie de la religion, en attendant que la religion s'enrichisse de son mysticisme.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 253.

«Il n'est pas douteux que le christianisme ait été une transformation profonde du judaïsme. On l'a dit bien des fois: à une religion qui était encore essentiellement nationale se substitua une religion capable de devenir universelle. à une Dieu qui tranchait sans doute sur tous les autres par sa justice en même temps que par sa puissance, mais dont la puissance s'exerçait en faveur de son peuple et dont la justice concernait avant tout ses sujets, succéda un Dieu d'amour, et qui aimait l'humanité entière.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 254.

«Si le mysticisme est bien ce que nous venons de dire, il doit fournir le moyen d'aborder en quelque sorte expérimentalement le problème de l'existence et de la nature de Dieu. Nous ne voyons pas, d'ailleurs, comme la philosophie l'aborderait autrement. D'une manière générale, nous estimons qu'un objet qui existe est un objet qui est perçu ou qui pourrait l'être. Il est donc donné dans une expérience, réelle ou possible. Libre à vous de construire l'idée d'un objet ou d'un être, comme fait le géomètre pour une figure géométrique; mais l'expérience seule établira qu'il existe effectivement en dehors de l'idée ainsi construite.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 255.

«Alléguerez-vous qu'il [c'est-à-dire Dieu] l'est par définition, et qu'on est libre de donner aux mots qu'on définit le sens qu'on veut ? Je l'admets encore, mais si vous attribuez au mot un sens radicalement différent de celui qu'il a d'ordinaire, c'est à un objet nouveau qu'il s'applique; vos raisonnement ne concerneront plus l'ancien objet; il sera donc entendu que vous nous parlez d'autre chose. Tel est précisément le cas, en général, quand la philosophie parle de Dieu.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 256.

«Mais celui qui vient philosopher quand la société a déjà poussé fort loin son travail, et qui en trouve les résultats emmagasinés, peut être frappé d'admiration pour ce système d'idées sur lesquelles les choses semblent se régler. Ne seraient-elles pas, dans leur immutabilité, des modèles que les choses changeantes et mouvantes se bornent à imiter ? Ne seraient-elles pas la réalité vraie, et changement et mouvement ne traduiraient-ils pas l'incessante et inutile tentative de choses quasi inexistantes, courant en quelque sorte après elles-mêmes, pour coïncider avec l'immutabilité de l'Idée ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 257.

«Statique ou dynamique, la religion présente à la philosophie un Dieu qui soulève de tout autres problèmes. Pourtant c'est à celui-là que la métaphysique s'est attachée généralement, quitte à le parer de tel ou tel attribut incompatible avec son essence. Que ne l'a-t-elle pris à son origine ! Elle l'eût vu se former par la compression de toutes les idées en une seule. Que n'a-t-elle considéré ces idées à leur tour ! Elle eût vu qu'elles servent avant tout à préparer l'action de l'individu et de la société sur les choses, que la société les fournit pour cela à l'individu, et qu'ériger leur quintessence en divinité consiste simplement à diviniser le social. Que n'a-t-elle analysé, enfin, les conditions sociales de cette action individuelle, et la nature du travail que l'individu accomplit avec l'aide de la société ! ...» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 257-258.


«Les grands mystiques, qui sont les seuls dont nous nous occupions, ont généralement été des hommes ou des femmes d'action, d'un bon sens supérieur: peu importe qu'ils aient eu pour imitateurs des déséquilibrés, ou que tel d,entre eux se soit ressenti, à certains moments, d'une tension extrême et prolongée de l'intelligence et de la volonté; beaucoup d'hommes de génie ont été dans le même cas.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 259.

«Certains, sans aucun doute, sont totalement fermés à l'expérience mystique, incapables d'en rien éprouver, d'en rien imaginer. Mais on rencontre également des gens pour lesquels la musique n'est qu'un bruit; et tel d'entre eux s'exprime avec la même colère, sur le même ton de rancune personnelle, au sujet des musiciens. Personne ne tirera de là un argument contre la musique. Laissons donc de côté ces négations, et voyons si l'examen le plus superficiel de l'expérience mystique ne créerait pas déjà une présomption en faveur de sa validité.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 261.

«... chacun d'eux [des grands mystiques] a son originalité, qui n'est pas voulue, qui n'a pas été désirée, mais à laquelle on sent bien qu'il tient essentiellement: elle signifie qu'il est l'objet d'une faveur exceptionnelle, encore qu'imméritée.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 261.

«... si les ressemblances extérieures entre mystiques chrétiens peuvent tenir à une communauté de tradition et d'enseignement, leur accord profond est signe d'une identité d'intuition qui s'expliquerait le plus simplement par l'existence réelle de l'Être avec lequel ils se croient en communication. Que sera-ci si l'on considère que les autres mysticismes, anciens ou modernes, vont plus ou moins loin, s'arrêtent ici ou là, mais marquent tous les même direction ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 262.

«L'arpenteur mesure la distance d'un point inaccessible en le visant tour à tour de deux points auxquels il a accès. Nous estimons que cette méthode de recoupement est la seule qui puisse faire avancer définitivement la métaphysique. Par elle s'établira une collaboration entre philosophes; la métaphysique, comme la science, progressera par accumulation graduelle de résultats acquis, au lieu d'être un système complet, à prendre ou à laisser, toujours contesté, toujours à recommencer.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 263.

«L'absence d'une chose étant toujours la présence d'une autre — que nous préférons ignorer parce qu'elle n'est pas celle qui nous intéresse ou celle que nous attendions — une suppression n'est jamais qu'une substitution, une opération à deux faces que l'on convient de ne regarder que par un côté: l'idée d'une abolition de tout est donc destructive d'elle-même, inconcevable; c'est une pseudo-idée, un mirage de représentation.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 266-267.

«Dieu est amour et il est objet d'amour: tout l'apport du mysticisme est là. De ce double amour le mystique n'aura jamais fini de parler. Sa description est interminable parce que la chose à décrire est inexprimable. Mais ce qu'elle dit clairement, c'est que l'amour divin n'est pas quelque chose de Dieu: c'est Dieu lui-même. À cette indication s'attachera le philosophe qui tient Dieu pour une personne et qui ne veut pourtant pas donner dans un grossier anthropomorphisme.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 267.

«Une émotion de ce genre [l'émotion indivisible de l'artiste, qui est plus que musique et plus qu'intelligence] ressemble sans doute, quoique de très loin, au sublime amour qui est pour le mystique l'essence même de Dieu.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 268.

«Par le fait, les mystiques sont unanimes à témoigner que Dieu a besoin de nous, comme nous avons besoin de Dieu. Pourquoi aurait-il besoin de nous, sinon pour nous aimer ? Telle sera bien la conclusion du philosophe qui s'attache à l'expérience mystique. La Création lui apparaîtra comme une entreprise de Dieu pour créer des créateurs, pour s'adjoindre des êtres dignes de son amour. § On hésiterait à l'admettre, s'il ne s'agissait que des médiocres habitants d'univers qui s'appelle la Terre.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 270-271.

«Nous avons montré au contraire que la matière et la vie, telle que nous la définissons, sont données ensemble et solidairement. Dans ces conditions, rien n'empêche le philosophe de pousser jusqu'au bout l'idée, que le mysticisme lui suggère, d'un univers qui ne serait que l,aspect visible et tangible de l'amour et du besoin d'aimer, avec toutes les conséquences qu'entraîne cette émotion créatrice, je veux dire avec l'apparition d'êtres vivants où cette émotion trouve son complément, et d'une infinité d'autres êtres vivants sans lesquels ceux-ci n'auraient pas pu apparaître, et enfin d'une immensité de matérialité sans laquelle la vie n'eût pas été possible.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 271-272.

«Une énergie créatrice qui serait amour, et qui voudrait tirer d'elle-même des êtres dignes d'être aimés, pourrait semer ainsi des mondes dont la matérialité, en tant qu'opposée à la spiritualité divine, exprimerait simplement la distinction entre ce qui est créé et ce qui crée, entre les notes juxtaposées de la symphonie et l'émotion indivisible qui les a laissées tomber hors d'elle. Dans chacun de ces mondes, élan vital et matière brute seraient les deux aspects complémentaires de la création, la vie tenant de la matière qu'elle travers sa subdivision en êtres distincts, et les puissances qu'elle porte en elle restant confondues ensemble dans la mesure où le permet la spatialité de la matière qui les manifeste.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 272.

«Cette double question [du courant vital qui traverse la matière et de l'humanité], l'intuition mystique la pose en y répondant. Des êtres ont été appelés à l'existence qui étaient destinés à aimer et à être aimés, l'énergie créatrice devant se définir par l'amour. Distincts de Dieu, qui est cette énergie même, ils ne pouvaient surgir que dans un univers, et c'est pourquoi l'univers a surgi. Dans la portion d'univers qu'est notre planète, probablement dans notre système planétaire tout entier, de  tels êtres, pour se produire, ont dû constituer une espèce, et cette espèce en nécessita une foule d'autres, qui en furent la préparation, le soutien, ou le déchet ...» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 273.

«Sur la terre, en tout cas, l'espèce qui est la raison d'être de toutes les autres n'est que partiellement elle-même. Elle ne penserait même pas à le devenir tout à fait si certains de ses représentants n'avaient réussi, par un effort individuel qui s'est surajouté au travail général de la vie, à briser la résistance qu'opposait l'instrument, à triompher de la matérialité, enfin à retrouver Dieu. Ces hommes sont les mystiques. Ils ont ouvert une voie où d'autres hommes pourront marcher. Ils ont, par là même, indiqué au philosophe d'où venait et allait la vie.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 273-274.

«Et comme l'action est ce qui compte, comme il est entendu que nous sommes là où nous agissons, on a coutume d'enfermer la conscience dans le corps minime, de négliger le corps immense. On y paraît d'ailleurs autorisé par la science, laquelle tient la perception extérieure pour un épiphénomène des processus intra-cérébraux qui y correspondent: tout ce qui est perçu du plus grand corps ne serait donc qu'un fantôme projeté au dehors par le plus petit.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 274.

«Il est vrai que lorsqu'on parle de la petitesse de l'homme et de la grandeur de l'univers, c'est à la complication de celle-ci qu'on pense autant qu'à sa dimension. Une personne fait l'effet d'être simple; le monde matériel est d'une complexité qui défie toute imagination: la plus petite parcelle visible de matière est déjà elle-même un monde. Comment admettre que ceci n'ait d'autre raison d'être que cela ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 275.

«... la complication, même sans bornes, n'est pas signe d'importance, et [...] une existence simple peut exiger des conditions dont la chaîne est sans fin.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 276.

«Mais il y a un optimisme empirique, qui consiste simplement à constater deux faits: d'abord, que l'humanité juge la vie bonne dans son ensemble, puisqu'elle y tient; ensuite qu'il existe une joie sans mélange, situé par delà le plaisir et la peine, qui est l'état d'âme définitif du mystique. Dans ce double sens, et de ce double point de vue, l'optimisme s'impose, sans que le philosophe ait à plaider la cause de Dieu.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 277.

«On construit a priori une certaine représentation, on convient de dire que c'est l'idée de Dieu; on en déduit alors les caractères que le monde devrait présenter; et si le monde ne les présente pas, on en conclut que Dieu est inexistant. Comment ne pas voir que, si la philosophie est œuvre d'expérience et de raisonnement, elle doit suivre la méthode inverse, interroger l'expérience sur ce qu'elle peut nous apprendre d'un Être transcendant à la réalité sensible comme à la conscience humaine, et déterminer alors la nature de Dieu en raisonnant sur ce que l'expérience lui aura dit ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 278.

«Aussi l'affirmation reste-t-elle stérile, autant que la définition était-elle arbitraire. La conception platonicienne n'a pas fait avancer d'un pas notre connaissance de l'âme, malgré deux mille ans de méditation sur elle. Elle était définitive comme celle du triangle, et pour les même raisons. Comment pourtant ne pas voir qu s'il y a effectivement un problème de l'âme, c'est en termes d'expérience qu'il devra être posé, en termes d'expérience qu'il sera progressivement, et toujours partiellement, résolu ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 279-280.

«Mais nous aurons du moins trouvé un point sur lequel l'expérience a prise, et une affirmation indiscutable deviendra possible, comme aussi un progrès éventuel de notre connaissance. Voilà pour ce que nous appellerions l'expérience d'en bas. Transportons-nous alors en haut; nous aurons une expérience d'un autre genre, l'intuition mystique. Ce sera une participation de l'essence divine. Maintenant, ces deux expériences se rejoignent-elles ?» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 280-281.

«Mais c'est quelque chose que d'avoir obtenu, sur des points essentiels, un résultat d'une probabilité capable de se transformer en certitude, et pour le reste, pour la connaissance de l'âme et de sa destinée, la possibilité d'un progrès sans fin. Il est vrai que cette solution ne satisfera d'abord ni l'une ni l'autre des deux écoles qui se livrent un combat autour de la définition a priori de l'âme, affirmant ou niant catégoriquement. Ceux qui nient, parce qu'ils refusent d'ériger en réalité une construction peut-être vide de l'esprit, persisteront dans leur négation en présence même de l'expérience qu'on leur apporte, croyant qu'il s'agit encore de la même chose. Ceux qui affirment n'auront que du dédain pour des idées qui se déclarent elles-mêmes provisoires et perfectibles; ils n'y verront que leur propre thèse, diminuée et appauvrie. Ils mettront du temps à comprendre que leur thèse avait été extraite telle quelle du langage courant.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 281.

«Plus la distinction sera radicale, mieux le mot répond à sa destination: or elle ne saurait être plus radicale que si l'on fait des propriétés de l'âme, purement et simplement, des négations de celles de la matière. Telle est l'idée que le philosophe a trop souvent reçue toute faire de la société par l'intermédiaire du langage. Elle paraît représenter la spiritualité la plus complète, justement parce qu'elle va au but de quelque chose. Mais ce quelque chose n'est que de la négation. On ne tire rien du vide, et la connaissance d'une telle âme est naturellement incapable de progrès; — sans compter que l'idée sonne creux dès qu'une philosophie antagoniste frappe sur elle. Combien ne vaudrait-il pas mieux se reporter aux vagues suggestions que nous préconisons. Encore une fois, elle ne plaira ni aux uns, ni aux autres. On risque, à l'appliquer, d'être pris entre l'arbre et l'écorce. Mais peu importe. L'écorce sautera, si le vieil arbre se gonfle sous une nouvelle poussée de sève.» — Henri BERGSON. Chapitre III. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 281-282.

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