samedi 5 novembre 2011

Henri Bergson — Les deux sources de la morale et de la religion (Chapitre IV)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Henri BERGSON. Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000.

CHAPITRE IV
Remarques finales

Mécanique et mystique


«Un des résultats de notre analyse a été de distinguer profondément, dans le domaine social, le clos de l'ouvert. La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférente au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat. Telle est la société humaine quand elle sort des  mains de la nature. [...] Mais si la nature, précisément parce qu'elle nous a faits intelligents, nous a laissés libres de choisir jusqu'à un certain point notre type d'organisation sociale, encore nous a-t-elle imposé de vivre en société. Une force de direction constante, qui est à l'âme ce que la pesanteur est au corps, assure la cohésion du groupe en inclinant dans un même sens les volontés individuelles. Telle est l'obligation morale.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 283.

«De la société close à la société ouverte, de la cité à l'humanité, on ne passera jamais par voie d'élargissement. Elles ne sont pas de même essence. La société ouverte est celle qui embrasserait en principe l'humanité entière. Rêvée, de loin en loin, par des âmes d'élite, elle réalise chaque fois quelque chose d'elle-même dans des créations dont chacune, par une transformation plus ou moins profonde de l'homme, permet de surmonter des difficultés jusque-là insurmontables. Mais après chacune aussi se referme le cercle momentanément ouvert. Une partie du nouveau s'est coulée dans le moule de l'ancien; l'aspiration individuelle est devenue pressions sociale; l'obligation couvre le tout. Ces progrès se font-ils dans la même direction ?» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 284.

«... pourtant la diversité des efforts se résumerait bien en quelque chose d'unique: un élan, qui avait donné des sociétés closes va ensuite chercher et reprendre, à défaut de l'espèce, telle ou telle individualité privilégiée. Cet élan se continue ainsi par l'intermédiaire de certains hommes, dont chacun se trouve constituer une espèce composée d'un seul individu. Si l'individu en a conscience, si la frange d'intuition qui entoure son intelligence s'élargit assez pour s'appliquer tout le long de son objet, c'est la vie mystique. La religion dynamique qui surgit ainsi s'oppose à la religion statique, issue de la fonction fabulatrice, comme la société ouverte à la société close. Mais de même que l'aspiration morale nouvelle ne prend corps qu'en empruntant à la société close sa forme naturelle, qui est l'obligation, ainsi la religion dynamique ne se propage que par des images et des symboles que fournit la fonction fabulatrice.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 285.

«Il y a une morale statique, qui existe en fait, à un moment donné, dans une société donnée, elle s'est fixée dans les mœurs, les idées, les institutions; son caractère obligatoire se ramène, en dernière analyse, à l'exigence, par la nature, de la vie en commun. Il y a d'autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a créé l'exigence sociale. La première obligation, en tant que pression, est infra-rationnelle. La seconde, en tant qu'aspiration, est supra-rationnelle. Mais l'intelligence survient. Elle cherche le motif de chacune des prescriptions, c'est-à-dire son contenu intellectuel; et comme elle est systématique, elle croit que le problème est de ramener tous les motifs moraux à un seul. Elle n'a d'ailleurs que l'embarras du choix. Intérêt général, intérêt personnel, amour-propre, sympathie, pitié, cohérence rationnelle, etc., il n'est aucun principe d'action dont on ne puisse déduire à peu près la morale généralement admise.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 286-287.

«... les raisons d'agir s'échelonneraient au-dessous de l'Idée du Bien, les meilleures étant celles qui s'en rapprochent le plus; l'attrait du Bien serait le principe de l'obligation. Mais on est alors très embarrassé pour dire à quel signe nous reconnaissons qu'une conduite est plus ou moins proche du Bien idéal: si on le savait, le signe serait l'essentiel et l'Idée du Bien deviendrait inutile.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 287.

«La vérité est qu'un idéal ne peut devenir obligatoire s'il n'est déjà agissant; et ce n'est pas alors son idée qui oblige, c'est son action. Ou plutôt, il n'est que le mot par lequel nous désignons l'effet supposé ultime de cette action, sentie comme continue, le terme hypothétique du mouvement qui déjà nous soulève.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 288.

«Parce que nous constatons un enrichissement graduel de la morale, nous voulons qu'il n'y ait pas de morale primitive, irréductible, apparue avec l'homme. Il faut pourtant poser cette morale originelle en même temps que l'espèce humaine, et se donner au début une société close.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 288. 

«La connaissance de plan [de l'organisation sociale primitive] n'offrirait sans doute aujourd'hui qu'un intérêt historique si les dispositions en avaient été éliminées par d'autres. Mais la nature est indestructible. On a eu tort de dire «Chassez le naturel, il revient au galop», car le naturel ne se laisse pas chasser. Il est toujours là.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 289.

«C'est dans les mœurs, dans les institutions, dans le langage même que se déposent les acquisitions morales; elles se communiquent ensuite par une éducation de tous les instants; ainsi passent de génération en génération des habitudes qu'on finit par croire héréditaires. Mais tout conspire à encourager l'interprétation fausse: un amour-propre mal placé, un optimisme superficiel, une méconnaissance de la vraie nature du progrès, enfin et surtout une confusion très répandue entre la tendance innée, qui est transmissible en effet du parent à l'enfant, et l'habitude acquise qui s'est souvent greffée sur la tendance naturelle.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 289-290. 

«Nous disons qu'il y a une société humaine naturelle, vaguement préfigurée en nous, que la nature a pris soin de nous en fournir par avance le schéma, toute latitude étant laissée à notre intelligence et à notre volonté pour suivre l'indication. Ce schéma vague et incomplet correspondrait, dans le domaine de l'activité raisonnable et libre, à ce qu'est le dessin cette fois précis de la fourmilière ou de la ruche dans le cas de l'instinct, à l'autre point terminus de l'évolution. Il y aurait donc seulement un schéma simple à retrouver. § Mais comment le retrouver, puisque l'acquis recouvre le naturel ?» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 291-292.

«Mais la source d'information par excellence sera l'introspection. Nous devrons aller à la recherche de ce fond de sociabilité, et aussi d'insociabilité, qui apparaîtrait à notre conscience si la société constituée n'avait mis en nous les habitudes et dispositions qui nous adaptent à elle. Nous n'en avons plus la révélation que de loin en loin, dans un éclair. Il faudra la rappeler et la fixer.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 292.


«Remarquons que l'art de gouverner un grand peuple est le seul pour lequel il n'y ait pas de technique préparatoire, pas d'éducation efficace, surtout s'il s'agit des plus hauts emplois. L'extrême rareté des hommes politiques de quelque envergure tient à ce qu'ils doivent résoudre à tout moment, dans le détail, un problème que l'extension prise par les sociétés a peut-être rendu insoluble. Étudiez l'histoire des grandes nations modernes: vous y trouverez nombre de grands savants, de grands artistes, de grands soldats, de grands spécialistes en toute matière, — mais combien de grands hommes d'État ?» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 293.

«... que la guerre est à l'origine des empires. Ils sont nés de la conquête. Même si la guerre ne visait pas la conquête d'abord, c'est à une conquête qu'elle aboutit, tant le vainqueur juge commode de s'approprier les terres du vaincu, et même les populations, pour tirer profit de leur travail. Ainsi se formèrent jadis les grands empires asiatiques.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 294.

«Si de grandes nations ont pu se constituer solidement dans les temps modernes, c'est parce que la contrainte, force de cohésion s'exerçant du dehors et d'en haut sur l'ensemble, a cédé peu à peu la place à un principe d'union qui monte du fonde de chacune des sociétés élémentaires assemblées, c'est-à-dire de la région même des forces disruptives auxquelles il s'agit d'opposer une résistance ininterrompue. Ce principe, seul capable de neutraliser la tendance à la désagrégation, est le patriotisme. Mais il y a loin de cet attachement à la cité, groupement encore placé sous l'invocation du dieu qui l'assistera dans les combats, au patriotisme qui est une vertu de paix autant que de guerre, qui peut se teinter de mysticité mais qui ne mêle à la religion aucun calcul, qui couvre un grand pays et soulève une nation, qui aspire à lui ce qu'il y a de meilleur dans les âmes, enfin qui s'est composé lentement, pieusement, avec des souvenirs et des espérances, avec de la poésie et de l,amour, avec un peut de toutes les beautés morales qui sont sous le ciel, comme le miel avec les fleurs. Il fallait un sentiment aussi élevé, imitateur de l'état mystique, pour avoir raison d'un sentiment aussi profond que l'égoïsme de la tribu.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 294-295. 

«Il faut prendre la société au moment où elle est complète, c'est-à-dire capable de se défendre, et par conséquent, si petite soit-elle, organisée pour la guerre. Quel sera donc, en ce sens précis, son régime naturel ? Si ce n'était profaner les mots grecs que de les appliquer à une barbarie, nous dirions qu'il est monarchique ou oligarchique, probablement les deux à la fois.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 295. 

«Mais il faut toujours se rappeler que la vie sociale était comprise dans le plan de structure de l'espèce humaine comme dans celui de l'abeille, qu'elle était nécessaire, que la nature n'a pas pu s'en remettre exclusivement à nos volontés libres, que dès lors elle a dû faire en sorte qu'un seul ou quelques-un commandent, que les autres obéissent.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 296. 

«La vérité est que le dimorphisme fait le plus souvent de chacun de nous, en même temps, un chef qui a l'instinct de commander et un sujet qui est prêt à obéir, encore que la seconde tendance l'emporte au point d'être seule apparente chez la plupart des hommes.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 296. 

«Nous n'irons pas en effet jusqu'à dire qu'un des attributs du chef endormi au fond de nous soit la férocité. Mais il est certain que la nature, massacreuse des individus en même temps que génératrice des espèces, a dû vouloir le chef impitoyable si elle a prévu des chefs. L'histoire tout entière en témoigne.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 297.

«... si le christianisme a mis fin à certains crimes ou tout au moins obtenu qu'on ne s'en vantât pas, le meurtre est trop souvent resté la ratio ultima, quand ce n'est pas prima, de la politique. Monstruosité, sans doute, mais dont la nature est responsable autant que l'homme. La nature ne dispose en effet ni de l'emprisonnement ni de l'exil; elle ne connaît que la condamnation à mort.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 297. 

«La classe dirigeante, dans laquelle nous comprendrons le roi s'il y a un roi, peut s'être recrutée en cours de route par des méthodes différentes; mais toujours elle se croit d'une race supérieure. Cela n'a rien d'étonnant. Ce qui le serait pour nous davantage, si nous n'étions avertis du dimorphisme de l'homme social, c'est que le peuple lui-même soit convaincu de cette supériorité innée.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 298. 

«La vérité est que si une aristocratie croit naturellement, religieusement, à sa supériorité native, le respect qu'elle inspire est non moins religieux, non moins naturel.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 299. 

«Ce toutes les conceptions politiques c'est [la démocratie] en effet la plus éloignée de la nature, la seule qui transcende, en intention au moins, les conditions de la «société close». Elle attribue à l'homme des droits inviolables. Ces droits, pour rester inviolés, exigent de la part de tous une fidélité inaltérable au devoir. Elle prend donc pour matière un homme idéal, respectueux des autres comme de lui-même, s'insérant dans des obligations qu'il tient pour absolues, coïncidant si bien avec cet absolu qu'on ne peut plus dire si c'est le devoir qui confère le droit ou le droit qui impose le devoir.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 299-300. 

«Comment demander une définition précise de la liberté et de l'égalité, alors que l'avenir doit rester ouvert à tous les progrès, notamment à la création de conditions nouvelles où deviendront possibles des formes de liberté et d'égalité aujourd'hui irréalisables, peut-être inconcevables ? On ne peut que tracer des cadres, ils se rempliront de mieux en mieux si la fraternité y pourvoit. Ama, et fac quod vis. La formule d'une société non démocratique, qui voudrait que sa devise correspondît, terme à terme, à celle de la démocratie, serait «Autorité, hiérarchie, fixité». Voilà donc la démocratie dans son essence. » — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 300-301. 

«Les formules démocratiques, énoncées d'abord dans une pensée de protestation, se sont ressenties de leur origine. On les trouve commodes pour empêcher, pour rejeter, pour renverser; il est moins facile d'en tirer l'indication positive de ce qu'il faut faire. Surtout, elles ne sont applicables que si on les transpose, absolues et quasi évangéliques, en termes de moralité purement relative, ou plutôt d'intérêt général; et la transposition risque toujours d'amener une incurvation dans le sens des intérêts particuliers.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 301.  

«Repliement sur soi, cohésion, hiérarchie, autorité absolue du chef, tout cela signifie discipline, esprit de guerre. La nature a-t-elle voulu la guerre ? Répétons, une fois de plus, que la nature n'a rien voulu, si l'on entend pas volonté une faculté de prendre des décisions particulières.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 302.

«L'instinct guerrier est si fort qu'il est le premier à apparaître quand on gratte la civilisation pour retrouver la nature. On sait combien les petits garçons aiment à se battre. Ils donneront des coups, Mais ils auront eu la satisfaction d'en donner. On a dit avec raison que les jeux de l'enfant étaient les exercices préparatoires auxquels la nature le convie en vue de la besogne qui incombe à l'homme fait. Mais on peut aller plus loin, et voir des exercices préparatoires ou des jeux dans la plupart des guerres enregistrées dans l'histoire.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 303.

«En revanche, si l'on place à côté des querelles accidentelles les guerres décisives, qui aboutirent à l'anéantissement d'un peuple, on comprend que celles-ci furent la raison d'être de celles-là: il fallait un instinct de guerre, et parce qu'il existait en vue de guerres féroces qu'on pourrait appeler naturelles, une foules de guerres accidentelles ont eu lieu, simplement pour empêcher l'arme de se rouiller.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 303.      

 «Celui qui connaît à fond la langue et la littérature d'un peuple ne peut pas être tout à fait son ennemi. On devrait y penser quand on demande à l'éducation de préparer une entente entre nations. La maîtrise 'une langue étrangère, en rendant possible une imprégnation de l'esprit par la littérature et la civilisation correspondantes, peut faire tomber d'un seul coup la prévention voulue par la nature contre l'étranger en général. Mais nous n'avons pas à énumérer tous les effets extérieurs visibles de la prévention cachée. Disons seulement que les deux maximes opposée Homo homini deus et Homo homini lupus se concilient aisément. Quand on formule la première, on pense à quelque compatriote. L'autre concerne les étrangers.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 304-305.

«L'instinct guerrier a beau exister par lui-même, il ne s'en accroche pas moins à des motifs rationnels. L'histoire nous apprend que ces motifs ont été très variés.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 307.

«Sans être précisément menacé de mourir de faim, on estime que la vie est sans intérêt si l'on n'a pas le confort, l'amusement, le luxe; on tient l'industrie nationale pour insuffisante si elle se borne à vivre, si elle ne donne pas la richesse; un pays se juge incomplet s'il n'a pas de bons ports, des colonies, etc. De tout cela peut sortir la guerre. Mais le schéma que nous venons de tracer marque suffisamment les causes essentielles: accroissement de population, perte de débouchés, privation de combustible et de matières premières. § Éliminer ces causes ou en atténuer l'effet, voilà la tâche par excellence d'un organisme international qui vise à l'abolition de la guerre. La plus grave d'entre elles est le surpeuplement.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 308.

«Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 309.

«Nous réclamons le confort, le bien-être, le luxe. Nous voulons nous amuser. Qu'arriverait-il si notre vie devenait plus austère ? Le mysticisme est incontestablement à l'origine des grandes transformations morales. L'humanité en paraît sans doute aussi éloignée que jamais. Mais qui sait ?» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 310.

«Longtemps il avait été entendu qu'industrialisme et machinisme feraient le bonheur du genre humain. Aujourd'hui l'on mettrait volontiers sur leur compte les maux dont nous souffrons. Jamais, dit-on, l'humanité n'a été plus assoiffée de plaisir, de luxe, de richesse. Une force irrésistible semble la pousser de plus en plus violemment à la satisfaction de ses désirs les plus grossiers. C'est possible, mais remontons à l'impulsion qui fut à l'origine.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 310.

«L'humanité ne se modifiera que si elle veut se modifier.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 311.

«Les gouvernements ne recueillent que des éloges modérés pour ce qu'ils font de bon; ils sont là pour bien faire; mais leurs moindres fautes comptent; toutes se conservent, jusqu'à ce que leur poids accumulé entraîne la chute du gouvernement.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 312.

«Nous ne croyons pas à la fatalité en histoire. Il n'y a pas d'obstacle que des volontés suffisamment tendues ne puissent briser, si elles s'y prennent à temps. Il n'y a pas de loi historique inéluctable. Mais il y a des lois biologiques; et les société humaines, en tant que voulues d'un certain côté par la nature, relèvent de la biologie sur ce point particulier. Si l'évolution du monde organisé s'accomplit selon certaines lois, je veux dire en vertu de certaines forces, il est impossible que l'évolution psychologique de l'homme individuel et social renonce tout à fait à ces habitudes de la vie.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 312-313.

«Certains tiennent l'acte volontaire pur un réflexe composé, d'autres verraient dans le réflexe une dégradation du volontaire. La vérité est que réflexe et volontaire matérialisent deux vues possibles sur une activité primordiale, indivisible, qui n'était ni l'un ni l'autre, mais qui devient rétroactivement, par eux, les deux à la fois. Nous en dirions autant de l'instinct et de l'intelligence, de la vie animale et de la vie végétale, de maint autre couple de tendances divergentes et complémentaires. Seulement, dans l'évolution générale de la vie, les tendances ainsi crées par voie de dichotomie se développement le plus souvent dans des espèces distinctes...» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 313-314.

«Il en est surtout ainsi des tendances très générales qui déterminent l'orientation d'une société et dont le développement se répartit nécessairement sur un nombre plus ou moins considérable de générations. Une intelligence, même surhumaine, ne  saurait dire où l'on sera conduit, puisque l,action en marche crée sa propre route, crée pour une forte par les conditions où elle s'accomplira, et défie ainsi le calcul. On poussera donc de plus en plus loin; on ne s'arrêtera, bien souvent, que devant l'imminence d'une catastrophe. La tendance antagoniste prend alors la place restée vide; seule à son tour, elle ira aussi loin qu'il lui sera possible d’aller. Elle sera réaction, si l'autre s'est appelée action.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 315.


«N'abusons pas du mot «loi» dans un domaine qui est celui de la liberté, mais usons de ce terme commode quand nous nous trouvons devant de grands faits qui présentent une régularité suffisante: nous appellerons loi de dichotomie celle qui paraît provoquer la réalisation, par leur seule dissociation, de tendances qui n'étaient d'abord que des vues différentes prises sur une tendance simple. Et nous proposons alors d'appeler loi de double frénésie l'exigence, immanente à chacune des deux tendances une fois réalisée par sa séparation, d'être suivie jusqu'au bout, — comme s'il y avait un bout !» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 316.

«... l'humanité aime le drame; volontiers elle cueille dans l'ensemble d'une histoire plus ou moins longue les traits qui lui impriment la forme d'une lutte entre deux partis, ou deux sociétés, ou deux principes; chacun d'eux, tour à tour, aurait remporté la victoire. Mais la lutte n'est ici que l'aspect superficiel d'un progrès. La vérité est qu'une tendance sur laquelle deux vues différentes sont possibles ne peut fournir son maximum, en quantité et en qualité, que si elle matérialise ces deux possibilités en réalités mouvantes, dont chacune se jette en avant et accapare la place, tandis que l'autre le guette sans cesse pour savoir si son tour est venu.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 316-317.

«Il s'agissait du souci de confort et de luxe qui semble être devenu la préoccupation principale de l'humanité. A voir comment il a développé l'esprit d'invention, comme beaucoup d'inventions sont des applications de notre science, comment la science est destinée à s'accroître sans fin, on serait tenté de croire qu'il y aura progrès indéfini dans la même direction. Jamais, en effet, les satisfactions que des inventions nouvelles apportent à d'anciens besoins ne déterminent l'humanité à en rester là; des besoins nouveaux surgissent, aussi impérieux, de plus en plus nombreux. On a vu la course au bien-être aller en s'accélérant, sur une piste où des foules de plus en plus compactes se précipitaient. Aujourd'hui, c'est une ruée. Mais cette frénésie même ne devrait-elle pas nous ouvrir les yeux ?» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 317-318. 

«... les deux développements opposés [complication de la vie et retour à la simplicité] que nous venons de signaler sont bien ceux d'une seule tendance originelle. § Déjà l'histoire des idées en témoigne. De la pensée socratique, suivie dans deux sens contraires qui chez Socrate étaient complémentaires, sont sortie les doctrines cyrénaïque et cynique: l'une voulait qu'on demandât à la vie le plus grand nombre possible de satisfactions, l'autre qu'on apprît à s'en passer. Elles se prolongèrent dans l'épicurisme et le stoïcisme avec leurs deux principes opposés, relâchement et tension.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 319.  

«La vérité est que les deux principes sont au fond de l'idée qu'on s'est toujours faite du bonheur. On désigne par ce dernier mot quelque chose de complexe et de confus, un de ces concepts que l'humanité a voulu laisser dans le vague pour que chacun le déterminât à sa manière. Mais, dans quelque sens qu'on l,entende, il n'y a pas de bonheur sans sécurité, je veux dire sans perspective de durée pour un état dont on s'est accommodé. Cette assurance, on peut la trouver ou dans une mainmise sur les choses, ou dans une maîtrise de soi qui rende indépendant des choses. Dans les deux cas on jouit de sa force, soit qu'on la perçoive du dedans, soit qu'elle éclate du dehors: on est sur le chemin de l'orgueil, ou sur celui de la vanité.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 319-320.

«Toute notre civilisation est aphrodisiaque. Ici encore la science a son mot à dire, et elle le dira un jour si nettement qu'il faudra bien l'écouter: il n'y aura plus de plaisir à tant aimer le plaisir. La femme hâtera la venue de ce moment dans la mesure où elle voudra réellement, sincèrement, devenir l'égale de l'homme, au lieu de rester l'instrument qu'elle est encore, attendant de vibrer sous l'archet du musicien. Que la transformation s'opère: notre vie sera plus sérieuse en même temps que plus simple. Ce que la femme exige de luxe pour plaire à l'homme et, par ricochet, pour se plaire à elle-même, deviendra en grande partie inutile. Il y aura moins de gaspillage, et aussi moins d'envie.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 322. 

«La vérité est que c'est le plus souvent par amour du luxe qu'on désire le bien-être, parce que le bien-être qu'on n'a pas apparaît comme un luxe, et qu'on veut imiter, égaler, ceux qui sont en état de l'avoir. Au commencement était la vanité.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 323. 

«Qu'on y réfléchisse pourtant, on y trouvera aussi des motifs d'espérer. Le besoin toujours croissant de bien-être, la soif d'amusement, le goût effréné du luxe, tout ce qui nous inspire une si grande inquiétude pour l,avenir de l'humanité parce qu'elle a l'air d'y trouver des satisfactions solides, tout cela apparaîtra comme un ballon qu'on remplit furieusement d'air et qui se dégonflera aussi tout d'un coup. Nous savons qu'une frénésie appellera la frénésie antagoniste. Plus particulièrement, la comparaison des faits actuels à ceux d'autrefois nous invite à tenir pour transitoires des goûts qui paraissent définitifs.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 323. 

«Beaucoup estiment que c'est l'invention mécanique en général qui a développé le goût du luxe, comme d'ailleurs du simple bien-être. Même, si l'on admet d'ordinaire que nos besoins matériels iront toujours en croissant et en s'exaspérant, c'est parce qu'on ne voit pas de raison pour que l'humanité abandonne la voie de l'invention mécanique, une fois qu'elle y est entrée. Ajoutons que, plus la science avance, plus ses découvertes suggèrent d'inventions; souvent il n'y a qu'un pas de la théorie à l'application; et comme la science ne saurait s'arrêter, il semble bien, en effet, qu'il ne doive pas y avoir de fin à la satisfaction de nos anciens besoins, à la création de besoins nouveaux. Mais il faudrait d'abord se demander si l'esprit d'invention suscite nécessairement des besoins artificiels, ou si ce ne serait pas le besoin artificiel qui aurait orienté ici l'esprit d'invention.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 324. 

«Il n'en est pas moins vrai que l'esprit d,invention mécanique, qui coule dans un lit étroit tant qu'il est laissé à lui-même, qui s'élargit indéfiniment quand il a rencontré la science, en reste distinct et pourrait à la rigueur s'en séparer. Tel, le Rhône entre dans le lac de Genève, paraît y mêler ses eaux, et montre à sa sortie qu'il avait conservé son indépendance.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 325. 

«Mais la vérité est que la science a donné ce qu'on lui demandait et qu'elle n'a pas pris ici l'initiative; c'est l'esprit d'invention qui ne s'est pas toujours exercé au mieux des intérêts de l'humanité. Il a créé une foule de besoins nouveaux; il ne s'est pas assez préoccupé d'assurer au plus grand nombre, à tous si c'était possible, la satisfaction des besoins anciens. Plus simplement: sans négliger le nécessaire, il a trop pensé au superflu.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 325-326. 

«Quand on fait le procès du machinisme, on néglige le grief essentiel. On l'accuse d'abord de réduire l'ouvrier à l'état de machine, ensuite d'aboutir à une uniformité de production qui choque le sens artistique. Mais si la machine procure à l'ouvrier un plus grand nombre d'heures de repos, et si l'ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu'aux prétendus amusements, qu'un industrialisme mal dirigé a mis à la porté de tous, il donnera à son intelligence le développement qu'il aura choisi, au lieu de s'en tenir à celui que lui imposerait, dans des limites toujours restreintes, le retour (d'ailleurs impossible) à l'outil, après suppression de la machine.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 327. 

«Il faudrait que l'humanité entreprît de simplifier son existence avec autant de frénésie qu'elle en mît à la compliquer. L'initiative ne peut venir que d'elle, car c'est elle, et non pas la prétendue force des choses, encore moins une fatalité inhérente à la machine, qui a lancé sur une certaine piste l'esprit d'invention.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 327-328. 

«... le présent, aperçu dans le passé par un effet de mirage, est alors ce que nous appelons l'inconscient d'autrefois. La rétro-activité du présent est à l'origine de bien des illusions philosophiques.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 328-329. 

«Que le mysticisme appelle l'ascétisme, cela n'est pas douteux. L'un et l'autre seront toujours l'apanage d'un petit nombre. Mais que le mysticisme vrai, complet, agissant, aspire à se répandre, en vertu de la charité qui en est l'essence, cela est non moins certain. Comment se propagerait-il, même dilué et atténué comme le sera nécessairement, dans une humanité absorbée par la crainte de ne pas manger à sa faim ? L'homme ne se soulèvera au-dessus de terre que si un outillage puissant lui fournit le point d'appui. Il devra peser sur la matière s'il veut se détacher d'elle. en d'autres termes, la mystique appelle la mécanique. On ne l'a pas assez remarqué, parce que la mécanique, par un accident d'aiguillage, a été lancée sur une voie au bout de laquelle étaient le bien-être exagéré et le luxe pour un certain nombre, plutôt que la libération pour tous.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 329. 

«... dans ce corps démesurément grossi [par les possibilités de la planète qui révèle des énergies minérales phénoménales], l'âme reste ce qu'elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D'où le vide entre lui  et elle. D'où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux, qui sont autant de définitions de ce vide et qui, pour le combler, provoquent aujourd'hui tant d'efforts désordonnés et inefficaces: il y faudrait de nouvelles réserves d'énergie potentielle, cette fois morale.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 330. 

«... le corps agrandi attend un supplément d'âme et [...] la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette mécanique sont peut-être plus mystiques qu'on ne le croirait; elle ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnés à sa puissance, que si l'humanité qu'elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 330-331. 

«Les croyances innées à nos ancêtres subsistent au plus profond de nous-mêmes; elles reparaissent, dès qu'elles ne sont plus refoulées par des forces antagonistes. Or un des traits essentiels des religions antiques était l'idée d'un lien entre les groupements humains et des divinités attachées à chacun d'eux. Les dieux de la cité combattaient pour elle, avec elle. Cette croyance est incompatible avec le mysticisme vrai, je veux dire avec le sentiment qu'ont certaines âmes d'être les instruments d'un Dieu qui aime tous les hommes d'un égal amour, et qui leur demande de s'aimer entre eux. Mais remontant des profondeurs obscures de l'âme à la surface de la conscience, et y rencontrant l'image du mysticisme vrai telle que les mystiques modernes l'ont présenté au monde, instinctivement elle s'en affuble; elle attribue au Dieu de mystique moderne le nationalisme des anciens dieux. C'est dans ce sens que l'impérialisme se fait mysticisme.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 331-332. 

«L'obstacle matériel est presque tombé. Demain la voie sera libre, dans la direction même du souffle qui avait conduit la vie au point où elle avait dû s'arrêter. Vienne alors l'appel du héros: nous ne le suivront pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons les le chemin, que nous élargirons si nous y passons. du même coup s'éclaircira pour toute philosophie le mystère de l'obligation suprême: un voyage avait été commencé, il avait fallu l'interrompre; en reprenant sa route, on ne fait que vouloir encore ce qu'on voulait déjà. C'est toujours l'arrêt qui demande une explication, et non pas le mouvement. § Mais ne comptons pas trop sur l'apparition d'une grande âme privilégiée.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 333. 

«Bref, notre cerveau n'est ni créateur ni conservateur de notre représentation; il la limite simplement, de manière à la rendre agissante. C'est l'organe de l'attention à la vie.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 336. 

«Le type du savant est pour nous le physicien; son attitude de légitime confiance envers une matière qui ne s'amuse évidemment pas à le tromper est devenue pour nous caractéristique de toute science. Nous avons de la peine à traiter encore de scientifique une recherche qui exige des chercheurs qu'ils flairent partout la mystification.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 336.  

«Mais on ne comprendrait pas la fin de non-recevoir que de vrais savants opposent à la «recherche psychique» si ce n'était qu'avant tout ils tiennent les faits rapportés pour «invraisemblables»; ils diraient «impossibles», s'ils ne savaient qu'il n'existe aucun moyen concevable d'établir l'impossibilité d'un fait; ils sont néanmoins convaincus, au fond, de cette impossibilité. Et ils en sont convaincus parce qu'ils jugent incontestable, définitivement prouvée, une certaine relation entre l'organisme et la conscience, entre le corps et l'esprit.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 336-337. 

«La vérité est qu'il y a un choix à faire parmi les résultats que la science psychique nous présente; elle-,même est loin de les mettre tous au même rang; elle distingue entre ce qui lui paraît certain et ce qui est simplement probable ou tout au plus possible. Mais, même si l'on ne retient qu'une partie de ce qu'elle avance comme certain, il en reste assez pour que nous devinions l'immensité de la terra incognita dont elle commence seulement l'exploration.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 337. 

«L'information qui nous viendrait ainsi ne concernerait peut-être que ce qu'il y a d'inférieur dans les âmes, le dernier degré de la spiritualité. Mais il n'en faudrait pas davantage pour convertir en réalité vivante et agissante une croyance à l'au-delà qui semble se rencontrer chez la plupart des hommes, mais qui reste le plus souvent verbale, abstraite, inefficace. Pour savoir dans quelle mesure elle compte, il suffit de regarder comment on se jette sur le plaisir: on n'y tiendrait pas à ce point si l'on n'y voyait autant de pris sur le néant, un moyen de narguer la mort. En vérité, si nous étions sûrs, absolument sûrs de survivre, nous ne pourrions plus penser à autre chose. Les plaisirs subsisteraient, mais ternes et décolorés, parce que leur intensité n'était que l'attention que nous fixions sur eux. Ils pâliraient comme la lumière de nos ampoules au soleil du matin. Le plaisir serait éclipsé par la joie. § Joie serait en effet la simplicité de vie que propagerait dans le monde une intuition mystique diffusée, joie encore celle qui suivrait automatiquement une vision d'au-delà dans une expérience scientifique élargie.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 337-338. 

«L'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle. À elle de voir d'abord si elle veut continuer à vivre. à elle de se demander ensuite si elle veut vivre seulement, ou fournir en outre l'effort nécessaire pour que s'accomplisse, jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de l'univers, qui est une machine à faire des dieux.» — Henri BERGSON. Chapitre IV. In Les deux sources de la morale et de la religion. Presses universitaires de France. Paris, 2000. p. 338.               

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