[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.
«Mais le reflet sur notre visage des questions soudaines et aveuglantes tombées d'un univers étrange où les notions communes sont entrées en fusion, mais notre tenue au bord des dangers où la mort est possible au détour de chaque chemin et de chaque idée suffisent à apprécier ce que nous sommes quand il ne nous reste plus rien.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 009.
«Parler de désespoir devant cet univers est déjà trop dire. Le désespoir est le témoin torturé d'un infini qui se refuse sans se nier ou d'une immortalité qui se consume sans pouvoir s'épuiser. Le ton du jour est bien plutôt un inespoir stupide, une absence vide, non pas le deuil de l'espoir mais son constat de défaut.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 016.
«À la limite, le mystique dira: à la plénitude du Tout par l'épreuve du Néant. C'est que la Foi, pour la raison abandonnée, est pari, et que dans le moment qui nous ouvre à la Foi, dans le moment interminablement répété qui nous maintient dans la Foi, il y a plus dure aventure que le capotage dans l'Absurde — le saut, infini, du Néant à l'Être.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 024.
«Le chevalier de la vie et le chevalier de la foi n'ont pas le même univers. § L'un est l'univers de la passion instantanée, de la vitalité forcenée qui se consume dans la plénitude enivrante et sans lendemain de l'élan court et violent, ou du calcul fini et positif. L'autre est l'univers de l'éternel incarné, qui ne se livre entièrement à aucun des instants de la durée, mais qui se donne tout entier à chacun d'eux par tous les autres. La vie dans l'éternel nous jette à plus de ferveur que tout autre, mais elle éteint la fièvre, mesure le geste, répartit l'élan, sacrifie l'éclat à l'intensité, la séduction à la continuité. Il n'est pas étonnant que sa première apparence soit d'un affaiblissement et d'un affadissement. C'est plus qu'une apparence. Le passage de la vie naturelle à la vie éternelle ne se fait, à chaque moment du temps comme à l'heure dernière, qu'à travers les pâleurs de la mort. Il y a une couleur et une force de la vie dans l'instant qui se perd réellement avant d'être retrouvée au bout de la liberté spirituelle. Il y a un premier appauvrissement réel de notre humanité par la Foi. Et cette langueur est pour beaucoup une volupté qu'ils prolongent. Qu'il soit plus aisé de se laisser mourir que de revivre, que nous nous enlisions souvent à la première étape et n'abandonnions la vie brillante de l'instant que pour les eaux croupies du formalisme et de l'esprit bigot, hélas ! il n'est que trop vrai ... Celui qui nous regarde de la plénitude chantante des heureuses minutes du paganisme — rares elles aussi, que les stylisations ne nous trompent pas — ne peut manquer à ces moments de trouver laids nos visages de chrétiens désintéressés. Il n'en aura pas seulement l'occasion avec les chrétiens morts. L'expression se transfigure moins vite que le cœur et beaucoup de religions ardentes ont une piètre allure dans le monde.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 026-027.
«Laissé à lui-même l'instinct, après une émulsion brusque vite retombée, est un facteur d'inertie, de stéréotypie et même de régression. Sous le contrôle des centres supérieurs, c'est-à-dire de la vie personnelle, il est partiellement arraché à cette disgrâce et donne alors à la vie spirituelle la robustesse, le sens de la terre et du réel. C'est cette intégration qu'il s'agit de réussir. Mais elle ne se fait que du haut. Si l'attention reste fixée au plan de l'instinct, que ce soit pour se livrer à lui ou pour le combattre, des désordres semblables s'ensuivent. L'instinct contraint sans issue accumule dans les bas-fonds de la personnalité ses forces vives et déviées par l'obstacle. Quand on les croit domptées elles explosent brutalement, comme l'exemple n'en est pas rare chez les jeunes gens sages; ou bien elles poussent sous le masque religieux ces grimaces, ces biaisements, ces airs sournois et ces duplicités qui donnent de trop beaux arguments aux pharisiens de l'antipharisaïsme.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 035-036.
«On s'arrange mieux de sa mauvaise conscience que de sa mauvaise réputation.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 036.
«Une vertu qui abaisse est une vertu frelatée.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 037.
«La vanité se fait un aliment de l'exaltation chrétienne et de la considération qu'elle apporte. Elle prend pour désir de perfection le désir de jouir de l'agitation intérieure et du rayonnement de l'idée de perfection. Comme elle est impuissante à pousser très loin un perfectionnement réel, elle dessine dans les nuages les beaux sentiments qui lui permettent de mystifier l'estime de soi. Et ce sont ces effusions idéalistes, ces allures suaves ou ingénues, ces habitudes d'accent noble ou d'onction pieuse, qui se recherchent et s'assemblent en de petits cénacles, en langages de chapelles, leur impuissance les écartent des grandes routes et des dangers qu'on y affronte. Le lutteur n'a de mépris pour ces ferveurs à bon marché. Nous compromettons trop souvent le christianisme en les acceptant comme des marques touchantes de candeur spirituelle et d'élévation de pensée.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 038-039.
«Cet affadissement de la charité commence fréquemment dès le rapport familial. La distance d'un homme à un homme y semble encore trop grande et tous les moyens sont bons pour la combler. On y enseigne à envelopper toute affirmation un peu rude dans la suavité du langage, à masquer sous des affabilités de convention les drames réels que pose toute communauté humaine, si liée soit-elle. Ce besoin, sous prétexte de charité, de ne pas contredire et de n'être pas contredit, de ne pas faire souffrir et de ne pas souffrir, de ne rien brusquer et de n'être pas brusqué, est un poison lent qui dévirilise les cœurs goutte à goutte. Ils y perdent le sens de l'affirmation, la nudité du regard, et ce goût du dépaysement qui aguerrit à l'imprévu de la vie.» — E. MOUNIER. «L'affrontement chrétien». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 055-056.
«... la dérision, en général, fréquente les parvis des dieux.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 069.
«La première démarche de la philosophie, en vue même de la connaissance, n'est donc pas une démarche de connaissance, du moins au sens le plus courant du mot. Elle consiste à rappeler l'homme violemment, des séductions intimes ou mondaines, à sa qualité d'existant.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 078.
«L'absence d'intériorité est une autre forme de folie, bien qu'elle se discerne à peine, parce qu'elle est une folie sociale.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 079.
«... sans l'attitude intérieure, la connaissance est vaine, elle s'amortit en savoir. [...] Voilà la vraie connaissance, celle du «penseur subjectif». Exister est son premier souci, l'existence autour de lui son suprême intérêt.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 079.
«Caractériser, un homme ou une chose, est l'acte le plus superficiel du connaître. Plus nous accédons à la réalité, plus elle cesse d'être assimilable à un objet posé devant nous sur lequel nous prenons des repères. En son fond, elle est incaractérisable. L'être est un «inépuisable concret» qui ne peut être constaté, mais seulement reconnu comme on reconnaît une personne, et même moins reconnu que salué.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 080.
«L'image de la possession n'arrive pas à établir le contact entre le connaissant et l'être. On ne possède que ce qui est inventoriable, comptable. Or, si l'être est inépuisable, il est jusqu'en sa moindre parcelle le non inventoriable. Tout ce que j'accumulerai de savoir à son sujet (le savoir étant un avoir du connaissant), restera toujours quantité infime par rapport à ce que j'en ignore. Aussi l'inventoriable est-il le lieu du désespoir. La connaissance qui, sans épouser le libre destin de son objet, veut accumuler sur lui les repères et les déterminations, est une connaissance désespérée et désespérante, interminable et interminablement vide.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 080.
«L'existence est l'acte libre, et l'acte libre n'est pas intelligible au regard de l'homme. L'existence, c'est ce qui ne devient jamais objet. On ne peut l'évoquer qu'en termes de jaillissement. C'est le surgissement originel (Ursprung) à partir duquel je pense et agis. Ce n'est pas un concept, c'est un index qui désigne un au-delà de toute subjectivité. C'est «ce que je ne puis qu'être, mais non voir et savoir».» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 082.
«Un existant est ainsi un homme qui se heurte à des mystères, mais qui s'y heurte pour ainsi dire à l'intérieur de lui-même, il faudrait presque dire qui s'en embarrasse. Un inexistant est un homme qui ne s'embarrasse pas de questions.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 083.
«Chaque vie marche irrémédiablement à la mort. La mort n'est pas un accident, elle ne vient pas du dehors, comme l'opinion banale veut s'en persuader, elle est notre possibilité suprême. L'existence humaine est être-pour-la-mort. Mourir de ma mort est en effet la seule chose que personne ne puisse faire pour moi. Ma mort est ma possibilité la plus personnelle, la plus authentique, la plus absurde en même temps. Elle n'est pas au bout de ma vie, elle est présente à chaque moment de ma vie, dans mon acte même de vivre. Je cherche constamment à l'oublier, à la fuir, à la travestir, par le divertissement, l'indifférence ou les mythes religieux. Vivre authentiquement, par contre, c'est vivre en conformité entière à ce sens de la vie, vivre dans l'attente constante de la mort et de son imminence possible, regarder face à face cette compagne de chaque instant. Alors nous avons atteint «la liberté devant la mort».» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 101.
«L'exception fondée explique plus de choses que le général, malgré son caractère d'exception; conquise
à partir de la généralité éthique, elle en est un rejeton, et lui retourne sa lumière; ainsi celle-ci l'aime-t-elle sans le laisser paraître.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 103.
«La solitude absolue n'est-elle pas un pseudo-concept, un concept intenable, se nourrissant clandestinement de l'autre qu'il nie, comme le concept de néant absolu ? Est-elle pensable sans référence à une présence environnante, autrement qu'en se transformant en son contraire, l'idée de plénitude absolue ?» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 104.
«L'existence humaine la plus spontanée est la déception absolue. La conscience réfléchie fait l'effort pour récupérer cet être qui s'échappe sous l'unité d'un regard, dans une double tentative pour l'objectiver et pour l'intérioriser. Elle aboutit à un nouvel échec. Elle est déjà un regard, et un regard glaçant [...]. Elle secrète une réflexion impure qui fixe la vie psychique dans le révolu. Elle donne du pour-soi mobile et projectif une image qui n'est qu'un étalement d'en-soi, une ombre portée et morte du pour-soi. La connaissance ne m'avance pas d'une ligne. La «représentation» est une fiction des philosophes; mais ce rien, précisément parce qu'il est néant, est infranchissable. La connaissance, c'est «ce qui est immédiatement hors d'atteinte»: nouvelle déception fondamentale.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 105.
«L'absurde ne se réfute pas, mais il peut se refuser. Et il se refuse raisonnablement. Il est absurde que tout soit absurde. Ou, en termes pascaliens, incompréhensible que tout soit incompréhensible. L'absurdisme philosophique comporte une sorte de chantage logique. A la manière dont il mène parfois le débat, il semble que l'on ne puisse chercher de la raison ou de l'être dans le monde que par une sorte de lâcheté ou d'infantilisme philosophique, qu'une position ne soit défendable que du moment ou elle est intenable. Coupons court à ces intimidations. Il n'y a pas plus de courage à tout nier qu'à moins nier.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 108.
«L'anxiété, la crainte de l'avenir, sentiments plus modestes, sont déjà des maladies de l'avoir. L'espérance, au contraire, est primitivement une détente du je, un refus de vouloir disposer de moi, de supputer mes possibilités, une distraction ontologique volontaire, un abandon. Elle n'est pas une manière de béatifier mes désirs, car elle est d'autant plus authentique qu'elle s'éloigne du désir, et refuse d'imaginer la substance de la chose espérée. Mais elle est patience, c'est-à-dire renoncement à l'empressement, à l'indiscrétion devant ce qui, dans le monde, peut naître indépendamment de mon action possible. Elle ne considère pas le monde comme inventoriable, donc épuisable, mais au contraire comme l'inexhaustible. Elle refuse de supputer les possibilités, et généralement de mesurer les puissances en jeu. En ce sens et sur ce plan, elle est une distance prise à l'égard du monde fonctionnalisé des techniques, formé au service de mes désirs; elle affirme l'inefficacité ultime des techniques dans la résolution du destin de l'homme. Elle se situe à l'opposé de l'avoir et de l'indisponibilité. Elle fait crédit, donne du temps, donne du champ à l'expérience en cours. Elle est le sens de l'aventure ouverte, elle traite la réalité comme généreuse, même si cette réalité doit apparemment contrecarrer mes désirs. Nous pouvons nous refuser à l'espérance comme à l'amour. Elle est donc bien une vertu, et non pas une consolation, une facilité. Mais elle est plus qu'une vertu. Elle entre dans le statut ontologique d'un être défini comme transcendant à l'intérieur de lui-même. L'accepter ou la refuser, c'est accepter ou refuser d'être homme.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 109-110.
«Vivre intensément, c'est être exposé, au double sens où le mot désigne la disponibilité aux influences extérieures et l'affrontement caractéristique de la personne, le courage de s'exposer. Vivre personnellement, c'est assumer une situation et des responsabilités toujours nouvelles et dépasser sans cesse la situation acquise.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 113.
«La haine est haine de la transcendance de l'autre, projet violent de la supprimer.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 134.
«La pudeur ou la honte morale expriment qu'entre ma nature corporelle ou sociale objectivée et mon existence, il n'y a pas d'identité. Je n'ai pas honte d'être cela devant autrui. Je n'ai pas honte, par exemple, d'occuper un emplacement dans l'espace, ou de mon cerveau. Je n'ai pas honte d'exercer devant autrui une activité qui s'accompagne du sentiment de ma propre valeur comme s'éployant, se transcendant. J'ai honte de n'être que cela, ou plutôt de paraître n'être que cela, moi qui sens en moi la possibilité d'être infiniment plus, et en autrui, dans son appel ou dans son reproche, l'exigence que je sois infiniment plus. C'est ce qui explique qu'un aspect de moi-même ou un comportement parfaitement naturel — par exemple le comportement sexuel — puisse susciter de la honte, si l'attention se porte sur ses limites au lieu de porter sur son élan. Cette honte ne frappe pas le comportement dans sa posivité [sic]. Elle me rappelle que je ne suis pas seulement l'instrument passif de la nature et de ses buts. L'homme pourrait ainsi se définir comme un être capable de honte. J'ai honte, donc j'existe, au sens plein du mot: j'existe comme un être transcendant, fait pour perpétuellement se dégager de lui-même, de ses passions, de ses actions, de ses perfections paralysantes. » — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 139.
«Il n'y a pas de nous autres là où le nous deux n'arrive pas à se former. Il n'y a qu'une solidarité de damnés, où chacun est étranger à chacun comme à soi-même, étranger et non pas autre.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 142.
«Sa force [celle de la tradition existentialiste] est grande dans ce combat quand l'existence est soutenue par une transcendance réelle qui la déborde, l'appelle et la nourrit. Le nombre et l'importance des échecs s'efface sous la constance de l'appel et sa puissance indéfinie de susciter la réponse. L'échec porte au surplus dans cette perspective un signe positif. Il ne se réduit pas au fait objectif d'une limite ou d'un arrêt, il est une expérience de la déception. Or la déception implique l'appréhension d'un plus-être. Elle n'aurait pas de sens sans la perception enveloppée de quelque chose qui aurait pu être atteint et qui ne l'a pas été. Il y a un abîme entre l'expérience de l'échec et le nihilisme, entre l'action brisée et l'action vaine. L'action meurt perpétuellement, mais elle est perpétuellement ressuscitée, parce que le sens directeur de l'action ne meurt pas.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 145.
«La répétition, c'est la reprise perpétuelle des déchirures du temps par l'aiguille inlassable de l'éternité.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 145.
«Il apparaît peu contestable qu'une philosophie de l'espérance fasse plus d'hommes d'action qu'une philosophie du désespoir. Ce n'est pas un argument pour qui préfère, au nombre, l'authenticité. C'en est un pour qui pense que l'existence n'est pas marâtre et doit trouver une large complicité dans le cœur de l'homme. La philosophie du néant peut invoquer en sa faveur la grandeur solitaire et sans appuis de ceux qu'elle inspire. Peut-elle devenir un évangile commun ?» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 146-147.
«Que signifie le déterminisme ? Le déterminisme n'est pas la conclusion d'une expérience, c'est une conduite d'excuse, et même le fondement de toutes les conduites d'excuse. Il objective mes possibles, en les regardant du dehors, comme les possibles d'un autre, dans un «en-soi» figé où ils s'identifient déjà à leurs effets. Il n'y a plus alors entre le possible et l'acte ce saut inquiétant, cet abîme créateur, qui est l'être même de notre expérience de l'acte libre, mais une ressemblance familiale, rassurante, qui désarme à nos yeux le danger de l'action. Les causes qu'assigne le déterminisme à notre action, ce sont des états de fait perçus comme des manques. Or aucun état de fait ne peut déterminer la conscience à le considérer comme un manque, aucun état de fait ne peut déterminer un acte quelconque.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 152.
«La liberté ne donne pas à l'univers un couronnement et un sens, elle n'est qu'une perpétuelle intériorisation de la contingence, le retour au jaillissement de l'absurdité primitive. Le choix est absurde par hypothèse.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 154.
«Il est dans la nature même d'une vérité destinée à un existant qu'elle soit saisie par croyance, et non par certitude: la certitude éliminerait le risque et la passion, elle ne révélerait pas une vie à une liberté, mais un objet à un enregistrement. Loin qu'une conviction soit déconsidérée par le fait d'être objective, elle n'est conviction humaine que par cette subjectivité.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 158.
«Le «penseur subjectif» est le penseur du secret. Il préfère même, comme Socrate, ne pas être compris: il supprime ainsi l'inévitable malentendu. Aussi son instrument propre d'expression n'est-il pas le discours, mais le paradoxe. Le discours étale, publie, objective. Le paradoxe est l'étincelle qui jaillit au frottement de l'éternel et du langage. Effet de ce choc indicible, il est quand même un instrument du verbe, l'instrument qui provoque l'incertitude objective dans un atmosphère de passion subjective. Ce n'est pas que la vérité éternelle soit en elle-même un paradoxe: mais elle l'est toujours dans sont rapport à un existant.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 159.
«Il y a incompatibilité entre l'universel et l'existence. Toute ontologie unitaire suppose une totalité des existants. Or l'existence comme telle est irréductible, jaillissante et ineffable: l'idée n'a pas de prise sur elle, ni la loi, ni le rapport. Les unités humaines ne peuvent être les membres d'une unité totalisante. Il n'y a donc pas de vérité de tous, ni de vérité pour tous, ni, hors de l'histoire, de vérité de tous les temps. La philosophie de l'existence ne peut qu'éclaircir des cas individuels, décrire des situations discontinues, sans que jamais ces investigations dépassent en portée l'aire d'existence où elles ont été suscitées. La philosophie doit renoncer à l'extension, tentation de l'idée traditionnelle de vérité, pour l'étroitesse profonde; à l'organisation, pour l'incursion. Elle ne me conduit ainsi jamais à la vérité, mais à ma vérité d'existant à la recherche de la signification de l'existence, à travers ma propre existence. Cette vérité, je ne puis en sortir, la dominer du dehors pour la comparer à d'autres.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 160.
«Toute expression de l'existence, sortant de l'ineffable, est donc ambiguë et trompeuse. Une fois qu'il a rencontré cette vérité fondamentale, l'existant abandonne la passion du savoir, poursuite épuisante d'ombres vaines et de solitudes loquaces, pour la passion nourrissante du non-savoir, il délaisse la philosophie du jour pour la philosophie de la nuit.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 161.
«Un chiffre indéchiffrable est la seule parole possible de la transcendance à l'existence. Elle ne peut lui transmettre un contenu exprimable en termes préhensibles comme le concept, mais seulement un signe irrationnel (le signe pascalien, équivalent du paradoxe et du chiffre) qui propose à la liberté une révélation sans mots. Cette révélation est à la fois surabondante et décevante. elle ne se livre que par équivoques et antinomies. Seule la liberté peut l'approcher dans l'obscurité fervente du non-savoir.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 161.
«Il reste, des échecs de l'existence et de l'intelligibilité, qu'un existant ne connaît jamais la vérité, mais seulement, et mal, un petit nombre de vérités. Il ne se confine pas pour autant dans la simple exaltation de son existence. S'il ne cherche pas la vérité en général, une vérité qui ne serait la vérité de personne, il est lié dès son surgissement à un esprit de vérité qui l'entraîne à briser la complaisance de soi et à poursuivre, au-delà de son expérience brute, l'universel vivant, indissolublement Vie et Vérité. L'horizon de vérité qu'il découvre ainsi, de plus en plus large à mesure qu'il se détache de soi, n'est pas un cadre impersonnel où l'existant, d'esprit subjectif, deviendrait, comme on dit, un esprit «objectif». C'est un suprapersonnel avec lequel il reste dans un rapport personnel qui évoque une sorte de loyalisme.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 164.
«La méthode existentielle d'approche de la vérité ne peut être que dialectique, brisée, rusée. Tantôt elle devra accepter les tunnels du non-savoir. Tantôt jouer de la valeur ascétique de la négation. Tantôt taire toute parole, à ce moment où les paroles les plus pures se révèlent empoisonnées, les plus libres, nouées à notre insu. Tantôt jouer de l'alternance et scandaliser de droite et de gauche pour forcer le chemin direct: «S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante, et le contredis toujours jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible». Cette nouvelle logique n'existe encore qu'à l'état fragmentaire. Ce serait une grande tâche de l'édifier.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 164.
«La liberté de l'homme ne peut en effet s'exercer que dans le choix; le choix exige, pour être un vrai saltus de l'existant, que la vérité lui soit proposée comme énigme et l'action comme imbroglio.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 171.
«Très voisine de cette première expérience est l'expérience du débordement. Je ne puis contenir mon existence. Dans ma perception, déjà ma pensée couve et organise, dans ma pensée il y a déjà plus que ma pensée, dans ma volonté voulue, de sourdes volontés voulantes qui me portent au-delà de mes buts conscients, et parfois à l'inverse. C'est sur ce type d'expérience que s'appuie la [...] méthode d'immanence portant au dégagement d'une transcendance. L'enthousiasme est l'aspect affectif de cette expérience ontologique. § Si l'on met l'accent moins sur l'effervescence de ce plus-être intérieur à l'être, que sur le caractère inéluctable de son affirmation, sur la façon dont il prévient notre propre actualité, on décrira une expérience de la présence, et, corrélative, une expérience de l'attestation.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 171-172.
«L'expérience de la plénitude ne peut être qu'une rare grâce dans le déroulement de l'expérience malheureuse. La rencontre de la transcendance se fait plus souvent sous des formes négatives, non plus dans le dépassement, mais à travers la limite. § Au lieu de se révéler comme inexhaustible, elle s'affirme alors comme irréductible.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 172.
«Le chiffre est le médiateur entre la transcendance et l'existant. Il n'est pas lisible à l'entendement commun, qui n'en voit que le dessin extérieur ou verbal. Le sens ne s'en révèle qu'à l'existence concrète. Je vis longtemps dans la seule existence manifeste, sous la loi du Jour. Mais voici que surgit devant moi, en moi, un point obscur, une énigme, le barrage d'un désespoir, la résistance d'un être, le déchirement d'une situation, l'étrangeté d'un événement, — et avec lui une sourde protestation contre l'ordre de mes idées, de mes raisons, de ma vie, de mes mots. La passion de la Nuit me saisit, une passion de détruire l'habitude ou l'évidence, de faire silence pour laisser ces chiffres insolites délivrer leur message inattendu. Mythes, symboles, religions, rites, systèmes philosophiques eux-même sont des essais pour introduire une certaine universalité dans l'univers des chiffres. Mais ils n'empêchent que la vérité d'un chiffre est chaque fois dans une large mesure unique pour l'existant qui la découvre, équivoque pour lui-même et pour qui la regarde. Là est justement le signe de la transcendance. L'être ne peut produire une vérité claire, épuisable et parfaitement communicable.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 173-174.
«Seule une pensée dialectique peut exprimer ce mélange d'être et de néant, de savoir et de non-savoir, qu'est le monde de l'être transcendant. Il y faudra utiliser un jeu d'instruments variés, tantôt le symbole ou le mythe, tantôt le concept, mais en entrechoquant des concepts contradictoires, en distordant, par leurs paradoxes implicites, des notions trop usées, en passant, pour déconcerter l'esprit, des voies claires aux voies nocturnes, de l'accueil au défi, de la généralité à l'exception, et vice versa. Le tourment de l'existence exige un contrepoint du langage, pour lesquels la logique, la grammaire et le style classique sont insuffisants. Il exige aussi bien un contrepoint de l'action déconcertant pour le moraliste. Nous dirons, par exemple, que la transcendance est ce qu'il y a de plus subjectif, en même temps qu'elle est ce qu'il y a de plus objectif. Nous inclinerons toutes les puissances de l'existant à la découverte de l'intériorité, et aussitôt après nous le jetterons à la discipline opposée d'une dialectique matérialiste. Nous accepterons sur la même zone d'être l'extase lyrique, l'analyse rationnelle et la violence injurieuse de l'anathème. Nous retrouverons, dans cet effort final pour dépasser toutes les puissances humaines, l'exigence d'une logique nouvelle de l'existence, irréductible aux logiques continuistes de l'inclusion et de la relation.» — E. MOUNIER. «Introduction aux existentialismes». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 174.
«... un insigne n'est pas un signalement complet. Et lorsque nous rappellerons les lignes maîtresses de notre philosophie de l'homme, nous verrons que la personne n'est pas une cellule, même sociale, mais un sommet d'où partent tous les chemins du monde.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 181.
«La pureté abstraite va toujours au général, au principe construit, à la situation rêvée, à ces biens sans corps qui ne sont rien ni à personne. La démarche personnelle, au contraire, est affirmation et insertion concrète, responsabilité assumée dans un monde de situations.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 187.
«Nous sommes embarqués dans un corps, dans une famille, dans un milieu, dans une classe, dans une partrie, dans une époque que nous n'avons pas choisis. Pourquoi suis-je ici plutôt que là, maintenant plutôt que lors : un mystérieux dessein en a décidé antérieurement à toute volonté de ma part. En moi se nouent les chiffres entrelacés d'un destin pressant et d'une vocation qui est un défi jeté à toutes les forces du monde. Mais cette vocation ne peut frayer son chemin que dans ce corps, cette famille, ce milieu, cette classe, cette patrie, cette époque. Je ne suis pas un cogito léger et souverain dans le ciel des idées, mais cet être lourd dont une lourde expression seule donnera le poids: je suis un moi-ici-maintenant; il faudrait peut-être alourdir encore et dire un moi-ici-maintenant-comme ça-parmi ces hommes-avec ce passé.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 191-192.
«Nous ne pouvons être sans assumer, et nous ne sommes pas sans espérer et vouloir. Il est symptomatique que la volonté et l'engagement aient connu dans le monde moderne une déconsidération et un recul parallèles et que le désespoir contemporain soit né de nos démissions, quand même il engagerait quelques-uns à les remonter. § Cette double condition, où la joie existentielle est mêlée à la tension tragique, fait de nous des êtres de réponse, des responsables. Il faut revaloriser ces mots. Il y a là un type unique d'existence. Non seulement il est propre à l'homme, mais il ne trouve sa place, chez l'homme, ni dans un monde atomisé, ni dans un monde asservi.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 192.
«... nous ne pouvons accrocher notre action à un idéal abstrait, tiré d'une méditation purement individuelle, et essayer d'imposer ce préjugé à un milieu qui n'a pas eu part dans son élaboration; ou refuser en son nom toute activité historique concrète, sous prétexte que nulle part nos prétentions ne nous sont intégralement accordées. C'est pas ce double biais du doctrinarisme ou de l'abstention boudeuse que les «consciences exigeantes» trahissent leur mission historique.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 192-193.
«Si toute action nous insère dans un monde de données préexistantes, il n'y a jamais, pour l'action, de pureté. Toutes les situations sont des situations impures, mêlées, ambiguës, et par le fait déchirantes. Vouloir agir et ne rien abandonner de ses principes ou ne pas se salir les mains est une contradiction dans les termes: elle exprime un pharisaïsme égocentrique attaché à l'image de soi plutôt qu'au destin commun des hommes.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 193.
«On ne dit pas que la notion de pureté soit vide de toute valeur; mais isolée, elle gâte la vie spirituelle. Elle attire l'attention sur un état du sujet consécutif à l'acte, et conservateur de soi, au lieu de la porter sur la liberté créatrice, sur son essor, sur ses buts lointains, ou sur son entourage. Le souci de la pureté, sous cette forme qui est la plus commune et qui vicie de très fiers sentiments, est un souci égocentrique de dire qu'il glisse souvent sur le goût bourgeois de la respectabilité et de l'intégrité individuelle. Dans une époque aussi pénétrée que la nôtre de narcissisme jusque dans ses plus hautes altitudes, il importe de mettre désormais en relief, contre le primat du scrupule et de l'intégrité, les valeurs de décision de d'engagement.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 194.
«... si la condition humaine, avec le poids présent d'un passé sans direction, ne contient que la possibilité vide d'un futur sans finalité, c'est abuser des mots que de parler encore de condition humaine: plus rien ne nous garantit que cette puissance aveugle n'est humaine autrement que par un hasard précaire et qu'elle ne dérivera pas demain à une condition parfaitement inhumaine. Il n'y a pas de condition humaine, il n'y a pas d'absolu humain sans que le drame des solitudes et l'imprévisibilité déconcertante des créations ne soit traversés par une intention d'universalité.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 198.
«La défense de l'esprit ne consiste pas alors à dépenser sa ferveur pour une figure de cire et à ironiser sur l'homme nouveau, mais à le reconnaître et à y greffer la continuité de l'homme. On sait bien que tout le nouveau n'y est pas beau; on sourit même à l'idée que, dans le recul de l'histoire, il n'apparaîtra pas si insolite qu'on le croit aujourd'hui. Mais son destin ne sera pas décidé dans quelque siècles, il est en jeu devant nous; et devant nous, l'homme éternel, si rassurant dans les rétrospectives, est toujours déconcertant, souvent inquiétant. Ce ne sont pas les académies qui tendent la main à ce mauvais garçon.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 199.
«Une philosophie tout entière orientée en politique doit être jugée politiquement, par son succès ou son échec politique.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 204.
«Certains jugeront que cette relative indétermination politique [de la philosophie personnaliste de Mounier] est une faiblesse. Politiquement sans doute. Mais l'art aussi, et la poésie, la religion, la rigueur scientifique sont par eux-mêmes politiquement faibles, précisément par ce que, tout en ayant incidence sur le politique, ils ne sont pas faits pour le politique. Leur rôle est de former des hommes qui parmi d'autres activités s'affermissent politiquement dans l'expérience et le jugement politique.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 204.
«Il n'est pas exclu qu'un jour la négation de l'homme par l'homme pousse la frénésie jusqu'à la destruction de l'homme par l'homme. Nous en voyons naître sous nos yeux les instruments possibles. Il paraît très significatif que tout le XIXe siècle ait rêvé la synthèse de la matière et que le XXe vienne troubler son rêve en inventant justement la dislocation industrielle de l'atome. L'homme contemporain se croit absurde, il n'est peut-être qu'insensé. Je crains ce fou qui croit que, mise en face du bouton de la prospérité universelle et du bouton de l'explosion atomique intégrale, la seule vertu scientifique conduira le savant ou son ayant-droit à presser le bouton sauveur plutôt que l'ordre de mort. Nous ne croyons plus à la raison immanente, à la bonté naturelle et à l'organisation automatique. L'imminence de la suprême folie, côtoyant désormais notre sagesse comme la mort dans l'ombre de la vie, rendra peut-être notre sagesse plus difficile. Elle a mis fin, en tout cas, à la République souriante des professeurs.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 207.
«La personne ne s'oppose pas au nous, qui la fonde et la nourrit, mais au on irresponsable et tyrannique.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 208.
«La conscience, fonction de sursis et garantie de lucidité, joue dans cette activité un rôle incontestable. Mais dans notre perspective, toute conscience est conscience d'un dehors, mouvement vers le dehors, et non pas repli égocentrique. Or cette conscience exposée se décrit de manière très différente de la conscience rabattue sur soi. Jetée à l'objet, et par-là déjà oublieuse de soi, elle tend à se perdre ou mieux à s'épanouir dans une hyperconscience. C'est un fait connu que le créateur se distrait dans son œuvre jusqu'à l'extase. Ainsi l'amant dans son amour, le mystique dans son abandon. La vie personnelle la plus haute nous découvre un mouvement vers un mode de vie qui tout en nous réalisant dans la plénitude, déborde l'expérience du pour soi et de l'autonomie. Cette révélation doit nous rendre attentifs à certaines transformations qui s'amorcent sous nos yeux.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 209-210.
«Si la situation fondamentale de l'homme est une situation entourée et appelée, et non pas une déréliction, voici au cœur de mon sentiment du monde une certaine joie existentielle qui nie l'absolu désespoir de l'âme contemporaine. Mais cette réconciliation avec la vie et avec l'homme ne nous entraîne pas aux facilités optimistes. Que ce monde soit un monde cassé et obscur, qui semble se liguer contre la raison à mesure que la raison le pénètre, que les significations dernières nous en échappent que le lien semble perdu entre les hommes, et interminablement encombré le chemin qui nous conduit à nous-mêmes, que l'homme s'asservisse avec ses propres gestes de libération, qu'il s'enlise dans tous ses élans, s'obscurcisse de ses propres lumières, que nous puissions hésiter à savoir si l'échec ou le progrès est la loi de 1'histoire, comment le nier sans illusion ? Dans tout ce que nous sommes, dans tout ce que nous faisons, l'angoisse s'amalgame à la joie, la malice à la bonne volonté, le néant à l'être. Ce sentiment dramatique de la condition humaine nous écarte à la fois des solutions totalitaires, que commande un désespoir absolu sur l'homme, débouchant sur un mépris essentiel de l'homme,et à l'autre bout des utopies idéalistes. Il est le ressort du plus riche sans doute des tempéraments révolutionnaires, celui qui prête assez généreusement à l'homme pour en tirer de la générosité, qui nourrit assez de désespoir pour ne pas trop demander à la bonté automatique des choses et des gens, et qui porte un sentiment assez vif de la commune détresse et des difficultés communes pour ne pas céder au fanatisme..» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 210.
«Enfin l'homme est fait pour être dépassé. Il est sur un chemin ouvert, au-delà de l'adaptation, au-delà de la mort individuelle, au-delà de l'acquis et du révolu. Des traditions personnalistes différentes peuvent concevoir différemment ce dépassement. Certaines l'ouvrent sur la transcendance d'un Absolu, d'autres la portent seulement en avant de lui-même d'un puissant mouvement où l'esprit se laisse reconnaître à ses signes immédiats : intériorité, liberté, générosité. Ce mouvement pour aller toujours plus loin, qui jette l'homme hors de soi tout en l'appelant à la constante révision de soi, est la force cohésive qui recrée perpétuellement l'équilibre dialectique de l'expansion et de l'intériorisation.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 211.
«Les matérialistes n'oublient qu'une chose, l'ambivalence de la vie matérielle. Nous avons reconnu celle de la vie de l'esprit, qui peut être, selon notre décision, pleine présence au monde ou fuite devant le monde. De la même manière, notre vie parmi les choses, dans la fabrication, la manipulation et l'utilisation, et notre vie parmi les hommes, dans la publicité, l'organisation, la conversation et la collaboration peuvent être ou bien vigilance et initiative, ou bien un engourdissement dans le confort, dans l'agitation sans but, dans l'automatisme technique, dans l'impersonnalité des appareils, des bavardages et des voisinages. Narcisse est rongé du dedans par le mal de la belle âme, il se dissout sous son propre regard. Mais Hercule est dévoré du dehors par sa dernière conquête, brûlé jusqu'aux os par le produite de sa victoire mondaine.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 212-213.
«L'homme est être-dans-le-monde. Sa condition ne peut être saisie sans être aussitôt saisie comme condition incarnée et insérée. Pas plus qu'elle n'existe et ne vit indépendamment des autres, la personne ne vit et n'existe indépendamment de la nature. Aussi doit-elle se réaliser par le corps-à-corps aussi bien que par la vie intérieure. Il n'est pas un geste spirituel qui ne s'appuie à un mouvement et ne s'exprime par un mouvement. Il n'est pas une création qui ne soit aussi pro-duction. Il n'y a donc pas, pour l'homme, de vie de l'âme coupée de la vie du corps, de réforme morale sans aménagement technique, et, en temps de crise, de révolution spirituelle sans révolution matérielle.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 217.
«Le lien vital de l'action humaniste, ce n'est ni l'homme subjectif, ni la matière, mais le lien humain de l'homme à la matière, la maîtrise que l'homme exerce sur la matière comme sur lui-même. Et le secret de cette maîtrise ne jaillit pas automatiquement de l'usage des techniques. Elles ont la vertu de rassembler les puissance anarchiques de l'individu, de lester sa légèreté constitutionnelle, de la nettoyer de ses complications baroques. Mais elle n'y contribuent que si préalablement l'homme a décidé de se rassembler et de se simplifier.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 218.
«Il nous faut toujours revenir à ce grand postulat de la statique et de la dynamique humaines: l'homme intérieur ne tient debout que sur l'appui de l'homme extérieur, l'homme extérieur ne tient debout que par la force de l'homme intérieur.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 220.
«Qu'est-ce que donc que l'intériorité ? § Elle n'est surtout pas ce que précisément l'accusent d'être nos fous lucides. Elle n'est pas une fuite du réel, de l'action ou de la responsabilité. Elle suppose, il est vrai, un repli méthodique [...], en retrait de l'agitation des actes et de la dispersion des choses; plutôt qu'un repli, une reprise de soi et de sa route. Cette reprise se mêle souvent aux mouvements de fuite du réel, comme une colonne de civils en fuite peut se mêler au repli des troupes qui rejoignent leurs positions de contre-attaque. Il en résulte de nombreuses ambivalences dont il appartient à la lucidité intérieure de faire le tri. Mais les démarches de fuite du réel présentent les caractères du refus et de la peur. Elles appauvrissent et désarment la responsabilité. Le recueillement, même s'il commence par une désadaptation ou par un échec, ne poursuit pas un refuge, mais un ramassement de forces pour un meilleur engagement. Il ne cherche pas le silence pour le silence ou la solitude pour la solitude, mais le silence parce qu'on y prépare la vie et la solitude parce qu'on y retrouve l'homme.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 220.
«Nous préparons, à travers toutes les audaces politiques, sociales ou économiques que l'on voudra, un monde d'hommes d'humanité. Mais précisément, c'est peut-être là la plus grande audace, celle qui accumule contre elle le plus de haine. § Car elle veut un monde d'hommes libres, et quand il ne l'aime plus que tout au monde, il n'est rien que l'homme déteste autant que sa liberté.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 221.
«Il n'y a pas d'humanité s'il n'y a pas d'aventure humaine, et toujours ouverte. Sinon pourquoi le monde durerait-il, pourquoi l'Histoire se déroulerait-elle ?.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 222.
«... le destin central de l'homme n'est pas de maîtriser la nature, ni de savourer sa propre vie, mais de réaliser progressivement la communication des consciences et la compréhension universelle.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 223.
«Aussi bien nos institutions éducatives ou politiques, dans l'éducation du sens communautaire, ne doivent-elles pas cultiver le sommeil délirant des grands rythmes unanimes, la rigidité passive des structures militaires, l'enthousiasme aveugle, l'opinion irresponsable et fabriquée, mais le goût de l'échange, du dialogue, de l'engagement, du jugement, de la diversité, vieilles qualités des peuples que les peuples doivent sauver et répandre contre les castes.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 224-225.
«Ce principe de dépassement est la force qui soude le principe d'intériorisation au principe d'extériorisation, empêche l'intériorisation de se dissoudre dans le subjectivisme, l'extériorisation dans le sommeil des choses. Il est à la vie personnelle ce que la vitesse est à la bicyclette ou à l'avion, un principe de stabilité dans l'élan. [...]. Cette fois, le dépassement se découvre à nous comme l'être même de l'homme. Il découvre aujourd'hui toutes les perspectives de l'action.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 225.
«Un peuple qui refuse l'avenir par crainte de ses excès est un peuple malade et indigne d'avenir.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 230.
«La permanence de l'homme, c'est l'aventure. La nature de l'homme, c'est l'artifice. Assumer cette aventure, diriger cet artifice afin que l'homme sous des visages chaque fois inattendus, soit toujours plus homme, telle est la tâche où, pour nous, tradition et révolution dialoguent et se poussent l'une l'autre. § Il n'est pas une zone de la pensée ou de l'action que cette exigence ne doive renouveler.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 243.
«A la longue, l'unité du genre humain doit, tout en se diversifiant à l'infini, résorber toutes ses cassures mortelles: intellectuel-manuel, ville-campagne, privé-public, action-contemplation.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 244.
«Je redoute les voyageurs pressés de faire la leçon à ceux qui commencent, après de longues années, à savoir qu'ils ne savent rien.» — E. MOUNIER. «Qu'est-ce que le personnalisme ?». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 249.
«La crise des croyances résulte de l'effondrement massif et à peu près contemporain des deux grandes religions du monde moderne: le christianisme et le rationalisme. Je ne préjuge ici ni de la valeur ni de la durée de cet effondrement. Je constate son étendue sociologique. Là où il y a seulement un siècle, sur cent hommes, une majorité professait les vérités chrétiennes, où la plupart des autres croyaient fermement en l'infaillibilité illimitée de la raison soutenue par la science, il faut compter aujourd'hui quelque dix pour cent de croyants chrétiens, et je ne sais pas si la proportion de rationalistes convaincus est bien meilleure.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 350.
«Une humanité vraiment dépourvue de sens, ou qui le croit, ne peut que désirer disparaître, au plus rester indifférente à la menace de sa disparition. § Du moins, les choses devraient-elles ainsi se passer dans la pureté des positions philosophiques. Mais le désespoir n'est pas une idée. Il est un corrosif. Et là où il creuse le cœur, il installe une irréductible angoisse, qui se resserre à toute menace. En face de lui, la vie n'est pas une idée, mais une force irrépressible, et là où on lui refuse l'avenir, elle proteste et se déchaîne. Cette angoisse, cette protestation, nous donnent aujourd'hui une littérature stoïcienne de belle allure. Mais au lieu de cherche les formes de qualité rejoignez-les sous leurs formes primaires, dans un large éventail sociologique, là où l'angoisse se dégrade en peur, l'instinct désappointé en fureur: vous aurez, soudés l'un à l'autre, les deux éléments essentiels du nihilisme contemporain: la grande peut diffuse des hommes de ce temps, et leur singulière passion terroriste. § Nihilisme, terrorisme, nous voici au cœur de l'inquiétante réalité qui, depuis trente ans, a fait irruption parmi les dernières langueurs romantiques; nous voici en ce point secret et scandaleux où la décomposition des sociétés qui ont combattu récemment pour la liberté de l'homme rejoint invisiblement les délires qui lui ont fait face.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 351.
«Ainsi l'homme moderne, par l'élan religieux, par l'intuition intellectuelle, a dès les débuts de l'histoire, en Chine ou en Grèce, En Égypte ou en Judée, approché ou atteint, dans les régions de son destin les plus mobiles, les sommets d'une aventure qui s'annonce dès cette antiquité comme surhumaine. Ces brillantes percées, il faut maintenant que l'infanterie du travail, de l'ingéniosité, de la force collective en consolide les bases. Mais le but est le même dans l'œuvre progressive et dans les incursions fulgurantes: un dépassement de l'homme, un éclatement en fusée de sa nature primitive. Si l'homme est fait pour devenir un dieu, naturellement ou surnaturellement, on ne peut accepter que la sagesse soit po9ur lui conformité prudente et monotone à une nature définie une fois pour toutes. Pensez à la formule de Nietzsche, que des inspirations fort diverses peuvent nourrir: «L'homme est fait pour être dépassé.» L'homme ainsi mis en place est essentiellement artifex, créateur de formes, faiseur d'artifice.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 353.
«Si la nature, c'est l'immobilité d'une image donnée une fois pour toutes par des imaginations pauvres qui ne se trouvent à l'aise que dans la répétition, la nature est en effet une idée conservatrice. Il n'est pas naturel au paysan de sortir de son champ; mais le paysan romain, en forçant sa nature, a dressé le socle de l'Europe et de la chrétienté. Il n'est pas naturel à l'homme de voler dans les airs; il a volé: en serait-il moins homme ? Le chevaliers servants de la nature ont raison de rappeler que la condition humaine ne s'étire pas en tous sens, et que du temps est nécessaire à l'humanité pour s'assimiler ses propres déformations. Mais le discrédit systématique qu'ils jettent sur l'artificiel part d'une vision radicalement faussée du propre même de l'homme. On pourrait dire en forçant à peine les mots que la nature de l'homme, c'est l'artifice.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 353-354.
«Paix aux hommes de bonne volonté se lit aussi, à l'envers: Guerre aux hommes de mauvaise volonté. Guerre: nous savons aujourd'hui ce que veut dire ce mot.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 360.
«Nous vivons dans une société où les notions chrétiennes ont imprégné même ceux qui n'en acceptent pas les attaches religieuses, et où en retour, elles se sont largement imbibées des ambiances étrangères. Ce christianisme diffus et perverti, par paradoxe, inspire souvent le mépris du travail et de la matière, alors que le christianisme authentique est venu réhabiliter l'un et l'autre.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 368.
«Tout paraissait donné pour l'homme médiéval: un ordre surnaturel, un ordre des mondes, un ordre des états sociaux, un ordre de l'événement individuel. Il n'y avait rien à faire pour changer aucun d'entre eux, mais seulement pour se changer au milieu d'eux. Cette aventure spirituelle de l'individu était grandiose, et la tradition si fortement cosmique de l'enseignement chrétien la liait bien à une aventure des mondes. Mais l'homme médiéval ne pensait celle-ci que globalement et eschatologiquement, il n'avait pas découvert encore la démarche historique et pratique de cette collaboration du monde à l'aventure de l'homme. Peut-être est-il dans la nature de l'homme de mettre ainsi tout destin en idées avant de le mettre en œuvre.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 380.
«Quel plus grand désarroi que celui d'un homme qui s'aperçoit que subitement les mots qu'il prononce ne sont plus d'usage, et qui ne sait pas encore la langue qui lui permettra à nouveau de se manifester ?» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 383.
«Le christianisme n'est pas dépassable. En d'autres termes, il n'est pas seulement progressif, il est eschatologique. Progressif et eschatologique: toute la complexité de l'exégèse historique chrétienne réside dans cette liaison.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 404.
«Au surplus, le cours de l'histoire sacrée est semblable au fil de ces eaux lentes dont nos savons qu'elle coulent, et vers quelles mers, mais dont nous n'arrivons pas à percevoir, en les fixant sur un point, dans quel sens elles coulent à ce point. Les paysages se confondent, les valeurs se masquent, les ombres ironisent à travers les lumières, les significations immédiates se dérobent. Celui qui a la foi ne connaît jamais la déréliction absolue de la conscience absurde. Mais il se donne assez d'obscurité par l'audace même de son enquête pour que chez lui ne soient pas éliminés l'angoisse créatrice et les combats dans la nuit. Ils le rendent fraternel à tout homme qui cherche passionnément le secret de l'homme.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 406.
«... cette philosophie grecque qui fera dire à Clément d'Alexandrie qu'il y a deux anciens Testaments: la sagesse grecque et la Bible.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 407.
«Il est habituel ici de répondre, quand on essaye de parler sans préjugé: ni pour, ni contre. Le progrès matériel (comme on dit, bien qu'il soit l'effet des plus extrêmes subtilités de l'esprit) serait un instrument neutre, qui serait utilisable pour le meilleur ou pour le pire. Cette neutralité me semble une abstraction confortable que le danger constant, et la chance constante du progrès technique, c'est qu'il n'est jamais neutre; et s'il peut aller au pire, c'est précisément parce qu'il est voué au meilleur, qu'il fréquente les grands chemins où la vie ne passe qu'avec le risque et le drame.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 413.
«Il semble que Dieu n'aime pas les fidèles trop conscients de leur fidélité, et du peuple juif à la chrétienté médiévale et aux modernes bien-pensants, qu'Il se plaise, quant les fidèles sont trop sûrs de leur vertu, à les humilier avec les vertus des infidèles; quand ils sont trop bien installés dans leurs civilisations, à leur expédier les Sarazins.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 422.
«Du chrétien d'aujourd'hui qui prétend à faire l'ange en fuyant l'homme et en le maudissant, il n'y a riend de plus à demander: qu'il se fasse homme, pleinement homme; qu'il ait la passion que de chaque homme sans exception on puisse dire qu'il a pu se faire homme, pleinement homme. C'est très peu, apparemment. C'est beaucoup plus difficile que de pousser de grands cris en ameutant les âmes sensibles autour de quelques engrenages sans autre malice que la nôtre.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 423.
«Le contraire du pessimisme n'est pas l'optimisme. C'est un indescriptible mélange de simplicité, de pitié, d'obstination et de grâce.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 424.
«Nous voici, hommes et non surhommes, hommes et non sous-hommes, faits pour un destin glorieusement plus humble que tout leur fracas, amours quotidiennes, longues familiarités avec l'effort ou la détresse, joies brèves, miraculeuses, sans mots, œuvres communes, tâtonnantes, lent dégagement de l'animalité toute proche encore. Derrière cette toile sans éclat scintille une grande aventure, un drame au-delà de toute mesure, mais qui précisément, pour n'être pas mesurable à nos effets, est plus transparent au silence qu'au tapage, aux mots quotidiens, père, pain, joie, mort, amour, péché, qu'aux mobilisations dramatiques des nerfs.» — E. MOUNIER. «La petite peur du XXe siècle». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 424-425.
«Mille photographies échafaudées ne font pas un homme qui marche, qui pense et qui veut.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 430.
«La personne n'est pas le plus merveilleux objet du monde, un objet que nous connaîtrions du dehors, comme les autres. Elle est la seule réalité que nous connaissions et que nous fassions en même temps du dedans. Présente partout, elle n'est donnée nulle part.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 431.
«On voit dès maintenant le paradoxe central de l'existence personnelle. Elle est le mode proprement humain de l'existence. Et cependant elle doit être incessamment conquise; la conscience même ne s'en dégage que lentement du minéral, de la plante et de l'animal qui pèsent en nous. L'histoire de la personne sera donc parallèle à l'histoire du personnalisme. Elle ne se déroulera pas seulement sur le plan de la conscience, mais, dans toute sa largeur, sur celui de l'effort humain pour humaniser l'humanité.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 432.
«Chacun n'a sa vérité que relié à tous les autres.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 438.
«Un homme abstrait, sans attaches ni communautés naturelles, dieu souverain au cœur d'une liberté sans direction ni mesure, tournant d'abord vers autrui la méfiance, le calcul et la revendication; des institutions réduites à assurer le non-empiètement de ces égoïsmes, ou leur meilleur rendement par l'association réduite au profit tel est le régime de civilisation qui agonise sous nos yeux, un des plus pauvres que l'histoire ait connus.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 452.
«De même que le philosophe qui s'enferme d'abord dans la pensée ne trouvera jamais une porte vers l'être, de même celui qui s'enferme d'abord dans le moi ne trouve jamais le chemin vers autrui. Lorsque la communication se relâche ou se corrompt, je me perds profondément moi-même: toutes les folies sont un échec du rapport avec autrui, — alter devient alienus, je deviens, à mon tour, étranger à moi-même, aliéné. On pourrait presque dire que je n'existe que dans la mesure où j'existe pour autrui, et, à la limite: être, c'est aimer.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 453.
«Être tout à tous sans cesser d'être, et d'être moi: car il est une manière de tout comprendre qui équivaut à ne rien aimer et à n'être plus rien; dissolution en autrui, non pas compréhension d'autrui.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 454.
«La fidélité personnelle est une fidélité créatrice.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 455.
«... le rapport interpersonnel positif est une provocation réciproque, une fécondation mutuelle.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 455.
«Telle est la profonde solitude de l'amour; plus il est parfait, plus il la ressent.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 456.
«La communication est plus rare que le bonheur, plus fragile que la beauté.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 456.
«L'expérience devait montrer que le savoir ne bouleverse pas les cœurs, que le droit formel peut recouvrir des désordres rebelles, que l'organisation et l'idéologie, si elles font fi de l'absolu personnel, tournent, comme la passion, à la police, à la cruauté et à la guerre. En bref, qu'on ne peut établir l'universalité sur l'oubli de la personne.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 458.
«La pudeur, c'est le sentiment qu'a la personne de n'être pas épuisée dans ses expressions et d'être menacée dans son être par celui qui prendrait son existence manifeste pour son existence totale. La pudeur physique ne signifie pas que le corps est impur, mais que je suis infiniment plus que ce corps regardé ou saisi. La pudeur des sentiments, que chacun d'eux me limite et me trahit. L'une et l'autre que je ne suis le jouet ni de la nature, ni d'autrui. Je ne suis pas confus d'être cette nudité, ou ce personnage, mais de paraître n'être que cela. Le contraire de la pudeur est la vulgarité, le consentement à n'être que ce qu'offre l'apparence immédiate, à s'étaler sous le regard public.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 464.
«Une subjectivité pure, [...], est impensable pour l'homme. Disposer pour soi d'un certain champ d'objets avec qui elle puisse entrer en intimité, un peu comme elle le fait avec des personnes, à longueur de temps et de fréquentation, est pour la personne un besoin élémentaire. S'affirmer, c'est d'abord se donner du champ. Il ne faut donc pas opposer trop brutalement l'avoir et l'être, comme deux attitudes existentielles entre lesquelles il y aurait à choisir. Pensons plutôt à deux pôles entre lesquels est tendue l'existence incorporée. Il ne lui est pas possible d'être sans avoir, bien que son être soit puissance indéfinie d'avoir, ne soit jamais épuisé par ses avoirs et les déborde tous par sa signification. Sans avoir, elle est sans prise, s'évanouit dans l'objet. Posséder, de plus, c'est entrer en contact, renoncer à être seul, à être passif: il y a de fausses pauvretés qui sont des dérobades. L'idéalisme moral est souvent la recherche d'une existence que plus rien ne lesterait: rechercher contre nature qui aboutit à la culbute, ou à l'inhumanité.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 466.
«La personne ne se trouve qu'en se perdant. Sa richesse, c'est ce qui lui reste quant elle est dépouillée de tout avoir — ce qui lui reste à l'heure de la mort.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 467.
«... toute personne a une signification telle qu'elle ne peut être remplacée à la place qu'elle occupe dans l'univers des personnes. Telle est la magistrale grandeur de la personne, qui lui donne la dignité d'un univers; et cependant son humilité, car toute personne lui est équivalente dans cette dignité, et les personnes sont plus nombreuses que les étoiles.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 468.
«... il faut rappeler au sujet qu'il ne se trouve pas et ne se fortifie que par la médiation de l'objet: il faut sortir de l'intériorité pour entretenir l'intériorité. La fleur du premier amour, disait Kierkegaard, s'étiole s'il n'accepte l'épreuve de la fidélité (de la répétition) dans l'institution du mariage, qui, après l'avoir déconcerté, lui restitue la richesse.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 469.
«Il ne faut pas tant mépriser la vie extérieure: sans elle la vie intérieure devient folle, aussi bien que sans vie intérieure, elle délire de son côté.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 469.
«Si la personne s'accomplit en poursuivant des valeurs situées à l'infini, elle est bien appelée à l'extraordinaire au cœur même de la vie quotidienne. Mais cet extraordinaire ne la sépare pas, toute personne étant appelée à l'extraordinaire.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 471.
«Exister, c'est dire oui, c'est accepter, c'est adhérer. Mais si j'accepte toujours, si ne ne refuse et ne me refuse jamais, je m'enlise. Exister personnellement, c'est aussi et souvent savoir dire non, protester, s'arracher.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 471.
«Il y a dans la personne une passion indomptable qui brûle en elle comme un feu divin. Elle se dresse et claque au vent chaque fois qu'elle flaire la menace de la servitude et préfère défendre, plutôt que sa vie, la dignité de sa vie. Elle définit l'homme libre, l'intraitable; [...]. § L'espèce en est rare. La masse des hommes préfèrent la servitude dans la sécurité au risque dans l'indépendance, la vie matérielle et végétative à l'aventure humaine. Cependant, la révolte sous le dressage, la résistance à l'oppression, le refus de l'avilissement sont le privilège inaliénable de la personne, sa dernière ressource quand le monde se dresse contre son règne.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 475.
«Une société dont les gouvernements, la presse, les élites ne répandent que le scepticisme, la ruse et la soumission est une société qui se meurt et ne moralise que pour cacher sa pourriture.» — E. MOUNIER. Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 476.
«... chaque fois qu'on l'isole de la structure totale de la personne, on déporte la liberté vers quelque aberration.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 477.
«... celui qui ne voit pas ses servitudes est seul esclave, fût-il heureux sous leur pouvoir.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 481.
«Il faut s'adapter; mais à trop bien s'adapter, on s'installe, et on ne démarre plus. Il faut reconnaître le sens de l'histoire, pour s'y insérer; mais à trop bien adhérer à l'histoire qui est, on ne fait plus l'histoire qui doit être. Il faut chercher le dessein de la nature humaine; mais à trop bien en décalquer les formes connues, on cesse d'en inventer les possibilités inexploitées.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 482.
«L'homme libre est un homme que le monde interroge, et qui répond: c'est l'homme responsable. La liberté, en cette fin, n'isole pas, elle unit, elle ne fonde pas l'anarchie, elle est, au sens originel de ces mots, religion, dévotion. Elle n'est pas l'être de la personne, mais la manière dont la personne est tout ce qu'elle est, et l'est plus pleinement que par nécessité.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 484.
«Une réalité transcendante à une autre n'est pas une réalité séparée et plafonnant au-dessus d'elle, mais une réalité supérieure en qualité d'être, et que l'autre ne peut atteindre d'un mouvement continu, sans un saut de la dialectique et de l'expression.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 485.
«... la paix qui monte des profondeurs. Jamais cette paix ne peut être totale, car la valeur ne peut être embrassée ni communiquée dans sa plénitude. Le poète, le peintre ou le philosophe doivent faire usage pour la dire de moyens partiellement obscurs ou déconcertants; le sens de l'histoire reste ambigu; les vérités les plus profondes ne s'approchent que par la ruse du mythe, du paradoxe, de l'humour ou la transposition de l'art; parfois même le défi ou l'imprécation est une tentative désespérée de se jeter vers elles. Dieu est silencieux, et tout ce qui vaut dans le monde est gonflé de silence.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 489.
«Liberté et valeur: l'univers personnel définit l'univers moral et coïncide avec lui. Ce n'est pas l'immoralité qui s'en exclut: faute ou péché sont effet et condition de la liberté. C'est l'état de prémoralité: abandon à l'automatisme impersonnel de l'instinct ou de l'habitude, à la dispersion, à l'égocentrisme, à l'indifférence et à la cécité morales. Entre les deux, la moralité mystifiée cherche dans l'observance extérieure un compromis entre les exigences de valeurs et les forces prémorales, ou des masques à l'immoralité.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 493.
«L'histoire ne peut être qu'une co-création des hommes libres, et ses structures ou ses conditionnements, la liberté doit les reprendre en main. Elle ne le fait pas instantanément, et cette marge entre l'histoire déposée et l'histoire assumée est celle du déterminisme historique. Mais cette reprise est l'œuvre humaine par excellence. Elle se fait dans une épreuve suffisamment conjecturale pour que personne, au nom de l'Histoire, n'installe la dictature d'une hypothèse anticipatrice. Sous ces conditions, le destin commun de l'humanité est effectivement, pour un collège de personnes, une de ses plus hautes valeurs.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 495.
«... le mal commence avec la personne: en dessous d'elle, il ne peut y avoir de désordre. Il ne prend consistance que dans une conscience, ou une conspiration de consciences. [...] Il signe la liberté: il n'y a de choix véritable devant la valeur que si la liberté peut choisir la non-valeur. Cependant, dès que le mal apparaît, il disloque l'univers personnel, corrode et déjoue la personne. Il nous rappelle que si elle aspire à la plénitude, elle n'est pas, dans la condition de l'homme, la plénitude de l'être. Surgie du néant, notre liberté est jaillissement de néant en même temps que jaillissement d'existence. Des circonstances extrêmes (que l'on pense aux révélations de l'univers concentrationnaire) et des expériences-limites comme celles des mystiques, qui pâtissent jusqu'au désespoir de la saveur du néant sur les chemins de l'Absolu, nous rappellent à cette condition intime.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 497.
«L'économie ne peut définitivement résoudre ses problèmes que dans les perspectives du politique, qui l'articule à l'éthique. Si l'économiste hésite à accepter cette liaison, c'est que, sous le nom de politique, on introduit trop souvent dans la rigueur de ses problèmes le sentiment, l'opinion, l'intrigue ou l'a priori idéologique, alors que le politique doit nouer la rigueur de l'éthique sur la rigueur de la technique. C'est à son niveau que doit se personnaliser l'économique et s'institutionnaliser le personnel. C'est pourquoi l'apolitisme qui fuit cette zone vitale de l'action, par en bas, vers la pure technique, par en haut, vers la pure méditation ou la seule formation intérieure, est dans la majorité des cas une désertion spirituelle.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 500.
«Technique et éthique sont les deux pôles de l'inséparable coopération de la présence et de l'opération chez un être qui ne fait qu'en proportion de ce qu'il est, et qui n'est qu'en faisant.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 501.
«L'action prophétique assure la liaison entre le contemplatif et la pratique (éthique + économique) comme l'action politique entre l'éthique et l'économique. Elle affirmera par exemple l'absolu dans sa rigueur tranchante, par la parole, l'écrit ou le geste, quant le sens s'en est émoussé sous les compromissions [...]. Le geste prophétique peut être «désespéré» (au plan technique), sûr de l'échec immédiat, n'obéissant qu'à l'impulsion irrésistible de porter un témoignage absolu et absolument désintéressé. Mais croire qu'il est toujours désespéré et ne vise qu'une sorte de vaine affirmation, c'est confondre l'espèce avec le genre. Faire de l'insuccès et de l'inefficacité vertu, substituer à la modestie rigoureuse des responsabilités je ne sais quelle trouble aspiration au martyre signe plus souvent la dévitalisation que la spiritualité. Le geste prophétique peut être accompagné de la volonté consciente de faire pression sur une situation, bien que par des moyens qui relèvent de la foi dans l'efficacité transcendante de l'absolu plus que la mise en œuvre de l'efficacité technique [...]. Cependant, si le prophète n'a pas de mépris pour l'efficacité (différant en cela de l'émigré spirituel) il ne calcule par l'efficacité comme le politique, il lance en avant de lui la force invincible de sa foi, assuré que s'il n'atteint pas quelque but immédiat, il réussira du moins à maintenir la force vive de l'homme au seul niveau où se font jamais les percées de l'histoire.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 502.
«... nous savons aussi que l'action est moyen de connaissance, et que la vérité se donne à qui l'a reconnue et jouée, fût-ce sur l'épaisseur d'un cheveu. § L'action située ainsi n'est pas facile. Les fanatiques lui reprochent d'être hésitante parce qu'elle se refuse à diviser le relatif et honore la vigilance. Les politiques lui reprochent d'être intraitable parce qu'elle n'oublie pas ses références absolues. Le courage est d'accepter cette condition incommode et de ne pas la renoncer pour les molles prairies de l'éclectisme, de l'idéalisme et de l'opportunisme. Une action non mutilée est toujours dialectique. Souvent, il lui faut tenir, dans l'obscurité et le doute, les deux bouts d'une chaîne qu'elle ne peut souder, ou, d'une image plus active, les deux leviers d'un mécanisme qu'elle ne peut encore unifier. Elle poussera l'un, puis l'autre, l'essai tactique, puis le témoignage prophétique, l'engagement, puis le dégagement, la médiation, puis la rupture, non pas dans une alternance arbitraire où chaque mouvement annule le précédent, mais comme l'ouvrier essaye une machine enrayée, profitant de chaque prise, et avançant chaque fois vers l'embrayage.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 505.
«... les personnes plongeant dans la nature, on ne peut contraindre les choses sans contraindre les hommes. Cependant, si cette contrainte est inévitable, elle ne le fonde pas. Il ne peut être fondé que sur le destin final de la personne, il doit la respecter et la promouvoir. Il en sort plusieurs conséquences. § D'abord, que la personne doit être protégée contre l'abus de pouvoir, et tout pouvoir non contrôlé tend à l'abus. Cette protection exige un statut public de la personne et une limitation constitutionnelle des pouvoirs de l'État: équilibre du pouvoir central par les pouvoirs locaux, organisation du recours des citoyens contre l'État, habeas corpus, limitation des pouvoirs de police, indépendance du pouvoir judiciaire. § Si la personne peut être subordonnée, il lui convient de ne l'être qu'en gardant sa souveraineté de sujet, réduite au maximum l'inévitable aliénation que lui impose la condition de gouverné. C'est le problème de la démocratie.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 519.
«La vie personnelle étant liberté et surpassement, et non pas accumulation et répétition, la culture ne consiste en aucun domaine dans l'entassement du savoir, mais dans une transformation profonde du sujet, qui le dispose à plus de possibilités par plus d'appels intérieurs. Comme on l'a dit, elle est ce qui reste quand on ne sait plus rien: l'homme même.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 522-523.
«... toute culture est transcendance et dépassement. Dès que la culture s'arrête, elle devient inculture: académisme, pédantisme, lieu commun. Dès qu'elle ne vise pas à l'universalité, elle se dessèche en spécialité. Dès qu'elle confond universalité et totalité arrêtée, elle se durcit en système.» — E. MOUNIER. «Le personnalisme». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 523.
«Qu'on prévienne les corps francs contre les dangers extérieurs ou intérieurs, quoi de plus légitime? Mais serait-ce vous [c'est l'auteur Bernanos qui fait l'objet de l'apostrophe] qui délieriez sur eux la mauvaise conscience secrète des satisfaits, avec toute la charge de haine dont vous la savez capable ? Oublieriez-vous que les avant-gardes sont depuis des siècles des zones, bien sûr, un peu tumultueuses, où les fous se mêlent aux hardis, mais que de les déconsidérer est le plus vieux procédé du monde pour tuer la vie spirituelle des groupes qu'elles précèdent ?» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 536.
«Le catholique, disait-il [le P. Yves Congar, un théologien dominicain], a trop communément tendance à concevoir les confessions étrangères sous une perspective négative, comme des erreurs ou des fautes en soi, si bien qu'elles devraient pour ainsi dire renoncer à soi le jour où elles rallieraient l'unité. C'est méconnaître qu'elles impliquent et développent des éléments authentiques de vérité et de vie auxquels le catholique doit un hommage positif, quoi qu'il pense de leur entourage et de leur séparation.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 539.
«Le christianisme n'est pas menacé d'hérésie: il ne passionne plus assez pour cela. Il est menacé d'une sorte d'apostasie silencieuse faite de l'indifférence environnante et de sa propre distraction. Ces signes ne trompent pas: la mort approche. Non pas la mort du christianisme, mais la mort de la chrétienté occidentale, féodale et bourgeoise. Une chrétienté nouvelle naîtra demain, ou après-demain, de nouvelles couches sociales et de nouvelles greffes extra-européennes. Encore faut-il que nous ne l'étouffions pas avec le cadavre de l'autre.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 542.
«Beaucoup de mal est fait par simple sottise ou intérêt inconscient. Mais l'ingénuité des uns ne doit pas nous dissimuler la dialectique très systématique dont on leur fournit l'instrument sous un alliage où il est difficile de savoir si l'ignorance est plus massive que la malveillance.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 557.
«... on ne détruit pas l'erreur par la force brutale ou par la mauvaise foi, mais par la virulence de la vérité. Et la vérité qui est la plus apte à disloquer une erreur est précisément cette part de vérité qui en est captive. C'est par elle que l'erreur vit, se propage, gagne les cœurs. C'est en reprenant ce souffle de vérité à l'erreur qui l'emprisonne, en lui donnant une issue, un air vivifiant que nous enlèverons à l'erreur sa force d'entraînement. § Cette méthode, la seule courageuse, la seule honnête, la seule efficace ....» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 560.
«Celui qui ne sort pas de son égoïsme ne pèche jamais par dérèglement de charité. Toute méthode a ses écarts, la mauvaise foi seule les retourne contre la méthode. Mais en règle commune, la charité qui se greffe sur l'amour de la vérité est clairvoyante et sereine.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 562.
«On connaît en montagne ceux qui ont toujours peur de glisser et de se perdre: ce sont ceux qui n'ont jamais mis le pied hors des routes nationales.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 563.
«Dans son ordre, le processus explicatif de la science présente cette analogie avec le processus tant décrié de la réflexion religieuse: qu'il multiplie l'obscurité en multipliant cependant l'intelligibilité.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 576.
«Ce qu'on appelle la «réalité historique», nous dit une thèse capitale, est non seulement inépuisable, mais équivoque; c'est en vain que l'historien poursuit le rêve de l'objectivité; infiniment peu documenté eu égard à la complexité du réel, il choisit une histoire qui dépend essentiellement de ce qu'il est lui-même, des questions qu'il se pose, des réponses qu'il espère: ce n'est pas son honnêteté ou son habileté qui est ici en jeu, c'est la nature même de la connaissance historique. Comme la science théorique, elle détermine déjà ses réponses dans la forme de ses questions, dans le découpage de son sujet, dans le choix des «causes» considérées comme effectives. L'historien, en un mot, «fait» l'histoire comme un gouvernement «fait» des élections. Et il n'y a pas d'autre moyen de la faire. Les causes les plus déterminantes sont souvent enfouies dans le secret de la vie privée, voire dans l'inconscient actif, et la renommée aux cent bouches est généralement sourde aux événements essentiels et aux naissances sans éclat.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 577.
«Une foi qui part d'une adhésion totale à l'Église et à la vie chrétienne ne dépend pas de la distraction de Tacite, de la moisissure d'un papyrus ou de la fantaisie reconstructive d'une critique qui se prive par définition du critère interne capital: l'intelligence des textes à établir. Sur ce point encore, la pensée chrétienne s'est affranchie, à la fois par le travail de ses savants et par l'autocritique de la méthode historique, d'une intimidation déprimante.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 577.
«L'objectivation est ce processus par lequel nous nous perdons dans l'absence et l'impersonnalité des choses. Les philosophies existentielles ont fait de sa critique un de leurs thèmes dominants [...]. Le spirituel, c'est-à-dire le personnel, est au contraire ce qui ne peut jamais devenir objet. Le péché contre l'esprit, c'est de traiter un être spirituel comme un objet. Le spirituel, c'est-à-dire le personnel: nous sommes avec cette équation au cœur de l'affirmation chrétienne. Elle équivaut à cette autre équation: l'homme réel, c'est-à-dire l'homme personnel.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 588-589.
«... par sa dialectique interne le monde de l'avoir, qui est aussi le monde de la convoitise et de la puissance, réalise une sorte d'inversion clandestine du rapport de domination, par laquelle les choses possédées resserrent peu à peu sur le possesseur un esclavage secret, l'assimilent à leur nature de chose.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 589.
«La nature n'est pas la propriété de l'homme, mais une sorte de sacrement naturel qui contribue à la tourner vers Dieu comme il contribue, lui, à orienter la nature à Dieu. Avant d'être regardée par l'homme, elle est déjà pleine de Dieu, et vers elle l'homme n'a pas à tourner d'abord la force organisatrice que l'on applique au néant ou au hasard, mais d'abord un geste de salut et d'accueil. Ce caractère sacramentel de l'univers chrétien — et répandus parmi lui, de nos corps les temples de Dieu — est un des thèmes dominants de la littérature médiévale.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 589.
«Depuis que le mécanisme moderne a désintéressé l'esprit, entendons l'esprit de Vie et de Vérité, d'un univers abandonné par lui à l'ingénieur, le sens cosmique s'est scandaleusement atrophié dans la pensée chrétienne qui cependant se sépare de l'idéalisme en ce qu'elle n'est pas seulement la pensée d'une pensée, mais la pensée d'un monde réel orienté à la gloire de Dieu et au destin de l'homme.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 592-593.
«Quand je sais que la personne spirituelle est le couronnement transcendant de l'évolution vitale, je remarque que cette dernière en effet ne vas pas s'éparpillant, mais se concentrant sur des centres d'unification de plus en plus autonomes. Elle m'apparaît alors comme une trajectoire progressive vers l'usage d ela liberté spirituelle: indétermination de la matière brute; constitution de l'indépendance vitale par l'accumulation de réserves explosives; formation, dans l'utilisation de cette force nouvelle, de chemins et d'organes pour le choix; enfin, émergence de l'individualité qui se perfectionne jusqu'à pouvoir offrir à l'immersion de la personne spirituelle cette «chair» coopératrice capable d'être emportée avec elle dans un même destin.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 593.
«Enfin, une pensée qui place l'amour au cœur du monde le place au cœur de la philosophie, orientée tout entière depuis deux siècles sur la fabrication des idées, en doit être profondément renouvelée. L'acte essentiel de la vie de l'esprit pour le chértien ne peut être de construire, il est de comprendre, c'est-à-dire de reconnaître un existant, de l'affronter et de l'accueillir dans un combat à double visage, d'espérer en lui pour le connaître mieux, de dialoguer avec lui, de se donner à lui dans le sacrifice et la joie.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 593-594.
«Qu'il y ait une histoire, cela ne veut pas dire seulement que des choses se passent: elles pourraient passer, être vécues intensément, et ne laisser aucune trace dans la mémoire d'un seul être au monde, que ce fût une conscience limitée ou une conscience universelle. Cela ne veut pas dire seulement qu'il y a des mémoires pour retenir ces événements, ou une partie d'entre eux: la coexistence d'un certain nombre de mémoires ne ferait encore que des histoires. Affirmer qu'il y a une histoire c'est affirmer que l'ensemble des événements qui concernent l'homme, ou peut-être même l'ensemble homme-nature, n'est pas un pur chaos, une «histoire de fous» mais révèle une continuité et, dans la double acceptation du mot, un sens: une direction et une signification.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 595-596.
«Plaçons-nous d'abord avant l'avènement de l'homme. Les mondes durent depuis des millions d'années. Peut-on parler d'une histoire des mondes, d'une histoire naturelle ? Comment le ferait-on, s'il n'y a aucune conscience pour la lire ? Nous voilà donc dès le départ rejetés au problème d'une conscience universelle antérieure à la naissance des consciences humaines, ou bien à concevoir l'idée proprement impensable d'une existence qui se déroulerait, et se déroulerait dans un ordre significatif, en l'absence de toute conscience.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 598.
«Une durée qui ne serait pas créatrice, dont l'avenir serait mathématiquement décidé à l'origine, est une durée impensable.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 599.
«... il n'y a de drame, comme d'histoire, que pour une conscience singulière, et pour chacun de nous, l'issue individuelle est radicalement incertaine, cependant que la lecture du mouvement collectif, auquel nos décisions sont étroitement liées, ne se fait que dans l'obscurité et le déchirement. Cela suffit à éliminer les tentations de l'optimisme pieux, à maintenir à découvert le risque et la responsabilité totale de chacun, ne porteraient-ils que sur la longueur de l'épreuve; qui a une seule fois entendu le cri de la souffrance ou senti sur lui l'aile froide du désespoir, comment n'estimerait-il pas que de gagner un jour du désespoir ou de la souffrance du monde vaut le risque d'une vie d'homme?» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 600.
«La connaissance des déterminismes est source et moyen de liberté : tant qu'il ignorait les lois du vol, l'homme n'a fait que rêver de voler; les ayant dégagées, il a réalisé son rêve, et s'est libéré de la pesanteur. Mais qu'on oublie la marge d'indétermination qui caractérise l'action libre comme le jeu secret de la matière, et la tentation vient de fixer l'aventure humaine dans le schéma; si l'homme se débat, de le contraindre au schéma. Au «fétichisme» idéaliste peut se substituer un «fétichisme» objectiviste, et tout fétichisme mène au sacrifices humains.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 601.
«La connaissance des déterminismes est source et moyen de liberté : tant qu'il ignorait les lois du vol, l'homme n'a fait que rêver de voler; les ayant dégagées, il a réalisé son rêve, et s'est libéré de la pesanteur. Mais qu'on oublie la marge d'indétermination qui caractérise l'action libre comme le jeu secret de la matière, et la tentation vient de fixer l'aventure humaine dans le schéma; si l'homme se débat, de le contraindre au schéma. Au «fétichisme» idéaliste peut se substituer un «fétichisme» objectiviste, et tout fétichisme mène au sacrifices humains.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 601.
«... il n'est pas de lecture de l'histoire sans anticipation, et anticipation problématique.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 604.
«Il y a des tâches d'avant-garde et de prospection. Et si l'on ne peut demander absolument à tout le monde de s'y aventurer toujours, du moins est-il souhaitable qu'un assez grand nombre aille y trouver de temps à autre son initiative.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 608.
«L'idée que l'Église cherche, que les chrétiens cherchent avec elle et pour elle, que la Vérité est Voie et Vie, échappe à beaucoup de têtes qui craignent sur ces chemins de céder au relativisme. Et pourtant, c'est ainsi. Mais le monde chrétien est d'un poids humain et divin trop considérable pour être livré dans sa masse aux moindres fluctuations de la recherche. Il faut alors que celle-ci soit conduite avec quelque liberté par des chrétiens qui tâchent d'être pleinement chrétiens, mais dans leur recherche tâtonnent, trébuchent, se trompent et font cependant avancer le Royaume de Dieu par ces accidents mêmes. Il faut qu'il y ait un peuple chrétien pesant comme un fruit plein, lourd de tradition et de vérité. Il faut qu'il y ait ces voltigeurs qui vont courir leurs risques pour la foi..» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 609.
«Les types descriptifs, abstractions utiles, comme les conventions cartographiques, pour ordonner la confusion des paysages, ne peuvent donc pas commander automatiquement l'action concrète, ni décider des engagements. À les prendre à la lettre, on fixe des formes conventionnelles, des débats académiques [...]. Rien n'est plus lassant et plus vain que les énumérations abstraites d'incompatibilités, incontestables sous la forme où on les offre, mais qui ne se présentent jamais à un homme vivant dans cet état de folle pureté.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 613.
«Le communisme est une Église. C'est sa grandeur et sa faiblesse à l'égard du christianisme: sa grandeur, car il n'est pas d'église qui ne participe à la vie secrète de l'Église; sa faiblesse, car la transcendance du but et la transcendance de la vie personnelle qui, dans l'Église, sauvent sans cesse la liberté de l'esprit contre l'endurcissement des pouvoirs, manquent à l'Église communiste pour assurer l'équilibre intérieur de la liberté collective et de la liberté individuelle.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 618.
«... les situations concrètes ne mettent pas en jeu les schémas théoriques à l'état pur.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 621.
«Une perspective chrétienne intervient en tous problèmes, jusqu'aux plus extérieurs, du moment qu'ils touchent l'homme, et les moindres structures de la vie matérielle intéressent l'homme spirituel qui ne se contente pas de rêver de mondes meilleurs dans la fumée de sa cigarette.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 622.
«Il n'y a pas de peuples démoniaques, mais il y a des hommes démoniaques, et leur instinct est effrayant.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 631.
«... j'appelle être de raison l'athéisme dont vous parlez [l'auteur s'adresse au Père G. Fessard, un théologien jésuite], car vous prenez l'athéisme professé comme un bloc d'existence échappant au discernement, sans vous demander, comme l'ont fait souvent d'autres théologiens, s'il n'y a pas dans les professions athées une part de théologie négative, et dans les professions de foi chrétienne, une part d'athéisme pratique, l'athéisme essentiel pouvant ainsi produire ses conséquences dans des camps très divers.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 639.
«... nous désirons entre autres choses assurer la double vocation du chrétien, qui est de dépister le pharisaïsme sous les bons sentiments, et de découvrir la vérité en tous lieux, même sous les haillons et dans les mauvais lieux.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 643.
«... nous affirmons que la pensée historique du christianisme d'aujourd'hui ne peut rester solidaire, comme elle l'est trop encore, de la tradition bourgeoise, qu'il est dans l'esprit du christianisme qu'elle retrouve le contact et le sang du pauvre, et plonge sa racine maîtresse dans la vitalité et les souffrances du prolétariat.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 648.
«... une attitude, des écrits se défendent d'eux-mêmes, non pas les plaidoyers.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 649.
«Un certain rationalisme nous a habitués à ne plus croire qu'à ce que nous construisons: l'objectivité, pour cette raison défigurée, consiste à méconnaître l'objet, et du même coup à se détacher de l'existence subjective qui est l'existence spirituelle même: «La raison n'a pu devenir objective qu'en devenant impersonnelle.» Ainsi entendue, la connaissance n'est pas une co-naissance, un enrichissement, mais une véritable «aliénation».» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 671.
«Il ne faudrait pas être aujourd'hui, rétrospectivement, trop impitoyable pour les modernistes. Dans ces guerres de mouvement de la pensée, les avant-gardes sont mêlés aux fuyards, et ceux qui n'avancent en terrain dangereux que pour se rendre, si vous tirez sur eux sans distinction, vous tuez aussi vos meilleurs patrouilleurs. S'ils les ont mal posés ou mal résolus, les modernistes ont posé des problèmes que nous ne saurions éluder. Ils ont payé pour nous le tribut d'erreus qui grève toute exploration commençante. Mais l'étourdissement qu'ils connurent est étranger.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 679.
«Les situations les plus difficiles, parce que les plus complexes, sont celles qui donnent le plus de facilités aux tricheurs. Mais les tricheurs ne sont pas un argument contre la complexité du jeu.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 681.
«À confondre la pérennité avec l'intemporalité, on suppose arbitrairement réglé le problème de l'expression et de la communication, alors qu'une vérité comme la vérité chrétienne, qui s'affirme éternelle à travers les langues, les mentalités et les générations, le pose avec le maximum d'acuité. On se donne le risque de fixer dans des formules d'école liées à un lieu et à un temps ce qui précisément est au-dessus de tout lieu et de tout temps, d'éterniser le provisoire en refusant d'actualiser l'éternel. Faut-il pour autant considérere toute formule dogmatique, toute définition conceptuelle comme un simple signe posé sur une réalité inconnaissable, un symbole rebelle à tout contenu élucidable ?» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 681-682.
«La vérité chrétienne n'est pas lettre (morte), minute de notaire, elle est parole de Dieu et, si l'on peut dire, incessamment parlée, source incessamment nourrie.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 682.
«Le christianisme n'est pas essentiellement une philosophie, mais un témoignage apporté à un certain nombre d'événements dont un être historique, le Christ, est le sens dernier. L'univers n'est pas pour lui une sorte de retour éternel des mêmes combinaisons sans but (pensée grecque), non plus qu'une succession discontinue de périodes étrangères les unes aux autres, séparées par des cataclysmes universels (pensée orientale et gnose). Il est sujet d'une histoire dirigée et d'un seul tenant, qui trace, sous des vicissitudes nombreuses, le progrès invisible d'un Royaume. Aucune des affirmations essentielles du christianisme ne se soutient si le christianisme n'a pas de contenu historique réel. Pourquoi l'Incarnation se serait-elle fait attendre, si ce n'est pour que l'humanité fût suffisamment préparée, par sa maturation collective, à la Révélation nouvelle ? Pourquoi l'accomplissement du Royaume serait-elle différée — précisément de toute l'épaisseur de l'histoire humaine — si cette histoire ne participait positivement à la maturation du Royaume ? Si la vérité ne dépendait en aucune façon du temps, comment pourrait-on dire que la lettre de l'Ancien Testament, tout en étant vraie d'une vérité intrinsèque, est en quelque manière devenue caduque par l'avènement de la loi nouvelle ? La vérité chrétienne est donc une vérité à la fois éternelle en son essence, vraie dans ses formules même historiquement constituées, et historique, c'est-à-dire faite de développement avec des progrès réels, des vieillissements réels, des éléments de caducités réels dans la zone où elle s'articule sur la réalité changeante de l'histoire.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 683-684.
«Il est bon que des hommes aient, en face de la grande demande «existentielle» de ce temps, et de ses tentations irrationnalistes, la passion et la rigueur et de la raison. Mais à donner de la vie de l'intelligence une image trop immobile et détachée des plus profonds appels spirituels d'une monde qui dure et avance, on risque précisément de désaffecter de l'intelligence ceux-là même qui ne la veulent pas séparer de la plus haute vie spirituelle. Aussi serait-il souhaitable que ces débats dépassent les querelles rétrospectives et les polémiques d'école: ils participent au vaste effort pour retrouver en même temps la foi perdue et la raison découronnée, pour retrouver une sagesse, où la vie intense n'offusque pas les lumières de l'esprit.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 685.
«Ce qui sépare le chrétien du Christ de nos jours, ce n'est pas l'épaisseur de temps, car il peut lui être rigoureusement contemporain, en participant à sa vie comme modèle, c'est l'épaisseur de la chrétienté, qui «a destitué le Christ». On y devient chrétien «comme on prend ses chaussettes», de la façon la plus plaisante du monde; cessant de voir une opposition infinie entre l'ordre chrétien et l'ordre mondain. Absurdité et hérésie. L'humanité a voulu anticiper l'éternité, feindre d'avoir installé une Église triomphante: elle n'institue qu'un christianisme établi et considéré, c'est-à-dir ele contraire du christianisme. Le christianisme est une alternative au fond du cœur, qui se pose à chaque homme, non pas un établissement qui se consolide avec le temps et avec le nombre.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 693.
«Le spirituel, pour le chrétien, c'est en toute rigueur la présence dans notre vie de la vie éternelle, en opposition à nos activités naturelles. Mais cette vie éternelle est elle-même charnelle et ne s'offre à nous communément qu'à travers ces activités naturelles. Au lieu de maintenir en toute occasion ce point de vue central d'une religion qui a l'Incarnation pour axe, nous avons laissé, peu à peu, notre notion du spirituel se contaminer à la notion éclectique et déracinée d'un idéalisme où «spirituel», «moral» signifie l'esprit sans corps, le souffle de vie sans vie, la bonne volonté sans volonté, la culture sans terre. Pensant que le chrétien doit vivre dans le spirituel, on l'envoie sous cette cloche pneumatique, et quant par bonheur il trouve l'air raréfié, on lui dit qu'il doit «s'engager» dans le temporel, comme si «le spirituel» était séparé du «temporel», et le temporel dénué de spiritualité. Nous n'avons pas à apporter le spirituel au temporel, il y est déjà, notre rôle est de l'y découvrir et de l'y faire vivre, proprement de l'y communier.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 694.
«Reprenonhs le mot d'Augustin: on peut en vérité parler d'une sorte d'indifférence chrétienne à la matière des civilisations. Attention cependant aux résonances du mot: il ne s'agit pas d'une indifférence d'abstention, mais d'une indifférence de relation, exactement une indifférence de surplomb. à ras de terre, dans une forêt accidentée, tel chemin semble mener au but. Survolez le pays, bien des sentiers vous apparaîtront équivalents. Cette indifférence relative est un scandale et un scandale inévitable pour celui qui, mettant tout son enjeu dans l'action directe, seule efficace à ses yeux, ne peut qualifier de dégagement partiel, qu'il croit purement négatif, que comme un abandon de poste.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 696.
«Il faut administrer, et cependant sauver l'inspiration de l'administration.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 699.
«S'il n'est jamais évident dans ses indications pratiques, le message chrétien est aussi rarement à l'heure. Souvent en avance, au point que seule une période très postérieure en dégage les implications: ainsi la négation formelle des différences de classes, d'état, de race, de nation n'a encore que très partiellement déployé ses effets. [...]. La spiritualité de la dépossession n'a pas encore vaincu le droit romain. À l'inverse le christianisme est souvent en retard en matière politique et sociale.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 702.
«Le christianisme historique, enfin, s'exprime aussi volontiers par le paradoxe en action. Il sanctifie le mariage, bénit la famille et prêche la fécondité. On s'attend donc à ce que ses ministres prêchent d'exemple. Au lieu de quoi (je parle du catholicisme) il en fait des célibataires et chante des hymnes à la virginité. Le bon sens s'esclaffe. Mais un sens plus profond que le bon sens éprouve que le mariage et la famille n'échappent à l'animalité que dans une discipline spirituelle de la chair dont il est bon que des modèles assurent la grade éminente. Et contre toute logique, c'est sans doute le célibat chrétien qui, à travers l'histoire, par une mystérieuse communication, a entretenu la flamme de la famille chrétienne.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 702.
«Il n'y a pas à proprement parler deux histoire étrangères l'une à l'autre, l'histoire sacrée et l'histoire profane. Il y a une seule histoire, celle de l'humanité en marche vers le Royaume de Dieu. «Histoire sainte» par excellence, mais tendue entre deux pôles, un pôle temporel, avec des états-limites aupour de chacun d'eux et une composition infiniment graduée dans l'entre-deux. Autant l'Église refuse la séparation de ces deux mondes, autant elle affirme leur vigoureuse distinction. Il faut sans cesse préciser l'une et l'autre, et les maintenir ensemble.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 703-704.
«... pour éliminer une erreur, il ne suffit pas de l'identifier, il faut en chercher l'origine, et identifier le courant de vérité qui, latéralement, l'entretient.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 705.«Le regard de l'économiste n'est pas inutile au destin concret de la grâce, le regard de la grâce n'est pas vain sur le destin concret de l'économie.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 706.
«Nous sentons le besoin de retrouver les essences pures et les existences nerveuses, le christianisme dans sa netteté surnaturelle, le monde dans sa splendeur articulée, et leur rapport dans sa vérité obscure sans doute, mais noire comme le diamant et non pas confuse comme le brouillard. Nous avons trop voulu comprendre, comprendre scientifiquement la Genèse et politiquement la Justice, philosophiquement l'Unité et médicalement le Miracle, nous ne savons plus adorer directement — et puis savoir, honnêtement. D'où notre nouvelle et extrême prudence en matière d'interprétations historiques, providentielles ou prophétiques.» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 706.
«Il nous faut ici serrer plus fortement la ligature du spirituel au temporel, et pour ce faire, nous prendrons par-dessous le problème que nous avons jusqu'ici décrit en surplomb. Nous le poserons ainsi: le développement de la civilisation est-il un adjuvant ou un obstacle, un superflu ou une nécessité de la vie de la foi ? § Nous pouvons même descendre un degré encore, et nous demander: une civilisation ordonnée et heureuse est-elle une civilisation chrétienne ?» — E. MOUNIER. «Feu la Chrétienté». In Œuvres (1944-1950). Seuil. Paris, 1962. p. 709-710.
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