samedi 28 août 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre IX)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[DES RELIGIONS SACERDOTALES COMPARÉES AU POLYTHÉISME INDÉPENDANT]


«Ces dieux qui ne subissaient aucun changement [dans la représentation que l'on en fait], tandis que tout changeait autour d'eux, semblaient défier le temps par leurs dehors antiques. Monuments immobiles des âges écoulés, ils remplissaient l'âme de respect, en paraissant sortir des ténèbres d'une nuit profonde.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 384.

«Ce qu'il y a de plus parfait aux yeux de l'homme, c'est la forme humaine: les prêtres finissent par en revêtir leurs divinités; mais ils se plaisent à rappeler dans leurs cérémonies les vestiges des temps antérieurs. Les dieux conservent toujours quelques restes de leurs anciennes difformités; et des allégories ou des fables expliquent ces monstruosités opiniâtres.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 384.


«Le sacerdoce proteste donc toujours contre l'attribution de la forme humaine aux dieux dont il dirige le culte. Dans les religions qu'il domine, cette forme n'est qu'un accessoire; la signification mystérieuse est l'idée essentielle. C'est le contraire dans les religions indépendantes.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 384-385.

«Quelquefois le sentiment religieux, par un essor tout à fait disproportionné avec l'époque, a le désir et le besoin de rejeter tout simulacre. Les prêtres alors s'emparent de ce mouvement pour le diriger à leur gré. Il peut leur être utile en ce qu'ils sont plus sûrement les seuls intermédiaires entre les hommes et les divinités invisibles. Mais comme cette notion est hors de toute proportion avec l'état des lumières, elle ne saurait se soutenir; l'usage des simulacres a toujours triomphé. On ne citerait pas un exemple d'un peuple qui n'ait jamais eu de simulacres, bien qu'on en puisse citer plusieurs chez lesquels la haine des simulacres était un principe religieux.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 386.


«... il n'y avait aucun avantage à ce que le sacerdoce réduisît en maxime la haine des simulacres, puisque, d'une part, cette maxime était constamment démentie par la pratique, et que, de l'autre, les dieux invisibles et immatériels valaient moralement beaucoup moins entre les mains des prêtres, [...], que les dieux visibles et matériels des religions libres.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 386.

«... il y a deux sortes de religion: l'une est le résultat des conjectures, des craintes, des espérances d'une multitude ignorante, livrée à toutes les erreurs où peut la précipiter son ignorance; l'autre est l'œuvre longtemps méditée de l'élite de l'espèce humaine formée en corporations, qui ont recueilli toutes les connaissances qu'elles ont pu conquérir par des travaux opiniâtres, des réflexions profondes, les découvertes de la science, les subtilités de la métaphysique, les raffinements de la contemplation. Dans laquelle de ces religions le caractère des dieux doit-il être le plus pur, le plus sublime, le plus dégagé de toutes les imperfections et de tous les vices ? certes, la préférence serait accordée à la seconde; et néanmoins, en interrogeant l'histoire, on verrait les faits s'élever à l'envi contre cette préférence.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 386-387. 

«Leur intérêt [des prêtres polythéistes] les a contraint à faire de leurs dieux des êtres passionnés et, par conséquent, vicieux et injustes; le raisonnement les oblige ensuite à les concevoir malheureux, parce qu'ils sont injustes et passionnés. Le sentiment religieux se débat en vain contre les imperfections dont les religions sacerdotales entachent ses idoles; la raison qui s'éclaire essaie inutilement de rendre leurs attributs moins incohérents ou leur conduite moins scandaleuse. Les prêtres s'y opposent. Ils aiment mieux briser le sentiment religieux que modifier une tradition, quelque révoltante qu'elle soit devenue; ils aiment mieux étouffer la raison que lui sacrifier un seul dogme.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 392-393. 

«Si l'homme a prodigué ses adorations à des dieux imparfaits, corrompus et malfaisants, n'est-ce pas une preuve que l'adoration de divinités quelconques est un besoin de son âme ?» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 393. 

«Il semble bizarre que la même autorité qui travaille avec une ardeur et une activité soutenues à mettre entre les dieux et les hommes un intervalle toujours plus vaste, maintienne, dans les religions dont elle s'empare, des pratiques blessantes pour la majesté divine. Cette singularité tient à deux causes: d'une part à la persistance dans tous les anciens usages; de l'autre à ce que, se constituant seul intermédiaire entre le ciel et la terre, le sacerdoce se rend en quelque sorte responsable de la conduite des dieux. Il a besoin alors de s'arroger sur eux une certaine juridiction, sous peine d'être considéré comme un inutile et impuissant auxiliaire; et si l'on suppose les dieux obstinés, cette juridiction, de quelques formes respectueuses qu'elle soit revêtue, avec quelque adresse qu'elle soit déguisée, doit aboutir, et aboutit en effet, à une violence faite aux puissance surnaturelles, et même à des châtiments qu'on leur inflige.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 395. 

«L'esprit humain se montre plus inconséquent, plus déraisonnable, moins religieux même, lorsqu'une classe d'hommes s'arroge le privilège de le guider, que lorsqu'il suit en liberté sa marche naturelle.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre IV. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 397.  


«Recommencer pour l'éternité les occupations terrestres, est l'espoir le plus vif des peuples qui luttent ici-bas contre une destinée rigoureuses et qui conquièrent avec effort, à travers les difficultés et les périls, une subsistance toujours disputée. Ne plus revenir dans ce monde est l'unique désir de ces nations en apparence favorisées, que la fertilité de leur sol et la douceur de leur climat préservent de toute peine et dispensent de tout travail. C'est que le travail, le besoin, les dangers, nous attachent à la vie, en nous offrant à chaque instant des luttes qu'il faut soutenir, un but qu'il faut atteindre; tandis que le repos nous livrant à nous-mêmes, nous fait sentir douloureusement le vide d'un bonheur facile et l'insuffisance de ce que nous possédons. L'homme a besoin, pour ne pas succomber sous le fardeau qui l'accable, d'être forcé par les obstacles à oublier la tristesse de sa destinée, et à développer constamment ses facultés et ses forces.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 403. 

«Or, quand les prêtres sont investis de tous les pouvoirs, et disposent directement de l'autorité divine, ils n'ont pas besoin d'ajourner son intervention, et peut-être même craindraient-ils, en l'ajournant, d'affaiblir l'effet qu'elle doit produire. Mais s'ils rencontrent dans les puissances temporelles des rivaux jaloux de leur influence, ils cherchent à regagner, par les craintes de l'avenir, la domination que le présent leur dispute. Quand ils règnent dans ce monde, ils soignent moins l'autre; quant la possession de ce monde leur est contestée, ils appellent l'autre à leur secours. Les terreurs de la vie future son pour eux des opinions auxiliaires.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 404-405. 

«Cette multiplicité d'enfers, creusés pour ainsi dire les uns sous les autres, trahissent le désir de rendre plus profonde l'impression produite par l'épouvante de l'avenir. Les prêtres ne trouvent jamais cette impression suffisamment forte; ils diversifient leur conceptions, ils les étendent. Ils traitent les cieux et les enfers comme des propriétés qui leur appartiennent. Ils inventent de nouveaux cadres pour les remplir plus en liberté. [...]. En un mot, ils retravaillent sans cesse la religion, tout en maintenant ses dogmes anciens, comme un ouvrier améliore ses instruments, ou comme un soldat polit ses armes.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 407-408.  

«La morale sacerdotale est toute factice, fondé, non sur la valeur des actions humaines, mais sur la volonté des dieux. La soumission aux prêtres, les dons sans mesure, les prodigalités aux dépens de la justice ou des affections, sont la première vertu; et comme rien n'assure mieux l'obéissance que la pratique servile de cérémonies, souvent révoltantes, toujours minutieuses, le code des prêtres est surchargé de lois étranges, destructives des lois naturelles.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 408-409.   

«... il est incontestable que la métempsycose faisait partie de la croyance publique des peuples régis par le sacerdoce.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 409.   

«Tout ce qui, dans le polythéisme indépendant, ne frappe l'imagination que d'une manière vague et passagère, est enregistré dans le polythéisme sacerdotal. Les conjectures les plus fugitives, celles qui paraissent ne pouvoir être admises que par des esprits encore plongés dans l'ignorance de l'état sauvage, s'amalgament avec les doctrines moins grossières que les progrès de l'intelligence amènent; et s'il ne faut point attribuer la différence qui existe entre les deux espèces de polythéisme aux inventions spontanées du sacerdoce, il faut reconnaître néanmoins qu'elle provient en grande partie du soin qu'il prend de tout recueillir et d'empêcher que rien ne s'oublie.» — Benjamin CONSTANT. Livre IX, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 410.   

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