[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Ferdinand ALQUIÉ. Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008.
DEUXIÈME PARTIE
L'exigence rationnelle et
la vérité de l'éternité
CHAPITRE VI
La pensée et l'éternel
«... si nous nous efforçons de penser l'origine du monde, nous sommes conduits ou à le croire éternel, ou à le considérer comme créé, c'est-à-dire à le faire procéder d'une réalité antérieur le contenant virtuellement. Dans l'une et l'autre cas, nous nous montrons incapables de concevoir un véritable commencement.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 68-69.
«Plus encore que celle des causes efficientes, la pensée des causes finales appelle l'éternité. La fin est conçue comme cause du moyen, et apparaît pourtant, dans le temps, comme postérieure à lui. Si donc on veut rendre la finalité intelligible, il faut la considérer dans son plan et non dans son devenir...» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 74.
«Comme l'être individuel que nous sommes, l'esprit ne s'affirme d'abord que par la négation et le refus du donné temporel qui s'impose à lui. Le refus du temps est non seulement la source de nos erreurs affectives, mais la condition même de notre pensée. Tantôt il émane des exigences et des désirs de notre personne, tantôt il exprime les nécessités de l'esprit. Sans doute faut-il donc, à côté de l'illusoire éternité dont rêve notre mémoire, reconnaître l'éternité réelle qu'aperçoit notre raison.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VI. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 75.
CHAPITRE VII
Réalité du temps
«La causalité niait le temps du dedans, refusait le devenir, s'efforçait de faire rentrer l'effet dans sa cause. Dans l'explication légale, il s'agit seulement de trouver un rapport constant en quelque sorte extérieur au devenir. L'esprit n'a plus l'ambition de nier totalement ce qui change: aussi l'explication déterministe, succédant à l'explication causale, apparaît-elle comme une capitulation de l'esprit. Elle comporte en effet un abandon et un choix, l'abandon du temporel, le choix de l'éternel. Il semble ici que l'éternité reconnaisse ses frontières, et que l'esprit fasse de la réalité deux parts, l'une réductible à l'identité, l'autre laissée au changement.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 78-79.
CHAPITRE VIII
Nécessité de l'éternel
«À vrai dire, la pensée ne découvre ici que confusion et ne peut rien concevoir clairement entre les deux idées limites d'un mouvement subordonné à une fin qui le transcende et d'un dynamisme pur, d'une évolution où le temps ne crée rien d'essentiel, et d'une évolution où nulle valeur ne se réalise. § Il nous semble donc qu'à ne pas vouloir séparer l'éternité et le temporel comme termes unis dans le donné, mais distincts pour la pensée claire, on se retrouve dans la confusion première d'une expérience, d'une nature.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 88.
«L'histoire cependant ne saurait être construite a priori: ce n'est qu'une fois réalisée qu'elle peut être comprise comme totalement spirituelle.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 89.
«Or la mémoire est la faculté par laquelle nous connaissons le temps. Nulle remarque ne peut donc mettre mieux en lumière l'impossibilité de reconstruire le temps a priori.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 90.
«Toute vérité, même contingente, nous apparaît en effet comme éternellement vraie: ainsi, quelque insignifiant que soit l'événement qui se produise, quelque rapide que soit l'action que j'accomplisse, il sera éternellement vrai qu'à tel instant du temps cet événement s'est produit, qu'à tel autre j'ai accompli cette action: ce n'est qu'à cette condition qu'il y a une réalité du concret, une vérité de la mémoire, une vérité de l'histoire, ces vérités étant précisément celles de ce qui n'est plus et ne peut plus être, mais a été réellement été.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 92.
«Il nous paraît donc impossible de penser le temps autrement qu'à partir d'une éternité qui le transcende. La moindre réflexion philosophique sur le temps permet du reste de s'en rendre compte. Le temps ne semble se suffire que pour la perception courante ou la connaissance scientifique, opérations où l'esprit, orienté vers l'objet, s'oublie et se confond avec son contenu. Mais dès qu'on veut saisir l'acte de connaissance en sa totalité, c'est-à-dire considérer non seulement l'objet de la pensée, mais la pensée même, on s'aperçoit que la conscience du temps n'est concevable que par l'opposition de l'éternel et du devenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 93.
«L'histoire ne peut être comprise que dans la mesure où l'on pose la permanence d'une même fin durant les périodes plus ou moins longues, permanence entraînant l'orientation vers un but unique d'une multiplicité de faits successifs. À la limite, l'éternité de l'esprit concevant la totalité est la condition de l'idée d'une histoire universelle. La position de l'éternité est donc sans cesse exigée par l'esprit. S'il y a une réalité du temps, il est une nécessité de l'éternel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre VIII. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 94.
CHAPITRE IX
Subjectivité et objectivité de l'éternel
«Notre propre fragilité nous amène le plus souvent à croire la Nature éternelle. Mais on chercherait en vain dans le donné un objet véritablement éternel: l'éternité objective est tout au plus celle d'un rapport abstrait, d'une forme, d'une loi. Notre expérience la plus quotidienne nous enseigne que tous les phénomènes se déroulent dans le temps, et l'éternité de l'objet ne peut être posée que comme extérieure au donné, comme transcendant l'apparence. Elle est insaisissable comme chose. Aussi a-t-on parfois douté de la réalité, même mentale, des idées éternelles, et l'on s'est demandé s'il n'y fallait pas voir une sorte de rêve de la raison.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IX. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 96.
«... rien n'est plus difficile à isoler que cette expérience du pur présent...» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IX. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 97.
«Dès qu'un contenu quelconque sera pensé comme lui appartenant, il nous faudra reconnaître que ce contenu n'est pas éternel. Car rien de ce que je pense n'est présent, ou ne demeure présent. tout ce que je pense est objet, et tout objet est affecté d'un caractère d'absence au moins possible. Affirmer que le moi est éternel, c'est s'avouer incapable de s'en faire une idée positive, de dire en quoi consiste sa nature, c'est le poser comme radicalement différent de l'expérience, un alors qu'elle est multiple, identique alors qu'elle change toujours. § Ce n'est donc pas sur la foi de l'expérience, mais en vertu d'une nécessité rationnelle, qu'est posé le sujet intemporel qui soutient le temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IX. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 98.
«... si l'expérience où se trouve le moi individuel est tout entière soumise au temps, comprise dans le temps, en sorte que les déterminations que je puis découvrir à l'individu que je suis, les circonstances où il se trouve, les particularités de son caractère ou de son histoire, sont et demeureront toujours temporelles, je puis cependant penser le temps et mon moi lui-même: je puis donc découvrir en moi l'esprit universel pour lequel le temps et le moi sont objets. Cet esprit dépasse le temps en ce qu'il découvre les lois éternelles du donné, et aussi en ce qu'il pense et reconstruit le donné tout entier dans le temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IX. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 104-105.
«On ne saurait donc confondre l'éternité spirituelle et l'éternité passionnelle, on ne saurait voir dans l'éternité spirituelle un simple rêve du moi: c'est au contraire à partir de cette éternité que l'on peut penser le moi et le devenir du moi. Loin de se confondre avec le moi, l'esprit universel connaît le moi, le pose comme chose, le pense avec vérité entre les étroites limites qui lui sont objectivement accordées dans le temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IX. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 105.
CHAPITRE X
Action spirituelle et volonté
«Le but de l'esprit est la découverte de l'éternel. Son opération ne consiste pas, comme l'ont voulu certains, à engendre le temps, à créer le devenir. Le temps est donné.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 106.
«L'esprit ne peut engendrer le temps. Mais il peut le dominer, atteindre l'éternité à partir de laquelle le temps devient pensable. Cette éternité, il la découvre d'abord en trouvant les lois du devenir, dont il semble ainsi apercevoir la structure.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 106.
«Mais pourquoi, dira-t-on, le refus spirituel du temps est-il ici tenu pour action, alors que le refus affectif du temps nous parût passion essentielle ? Il faut, pour le comprendre, se souvenir que l'éternité spirituelle est transcendante au devenir. Dès lors, le refus du temps par l'esprit est possible et légitime: supérieur au temps, l'esprit peut le penser: il peut dépasser le donné puisque le donné lui est donné, et qu'il n'est de donné que par rapport à lui. Le refus de la multiplicité temporelle est donc, de la part de l'esprit, acte effectif et véritable.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 107-108.
«... la raison, faculté de l'éternel, semble avoir pour fin pratique de nous adapter au futur, ce en quoi elle s'oppose encore à ce souci du passé qu'est en nous la passion.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 110.
«... la recherche et la découverte des lois sont le fait d'une conscience active tournée ver le futur, et [...] toute conscience tournée vers le futur doit, pour l'atteindre, parvenir d'abord à la connaissance de quelque éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 110.
«... l'esprit conçu, non comme conscience, mais comme ordre de l'Univers, est la seule origine possible de l'action.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 111.
«Chez l'homme, il est vrai, l'action se mêle toujours de passion, car le moi s'oppose à l'œuvre de l'esprit. Le moi a ici une conscience propre. Il peut dès lors s'insurger contre l'action qui construit l'Univers. Il le peut, et, presque nécessairement, il est conduit à le faire. Si, en effet, à mesure que se déroule l'histoire, l'Esprit, et la Vie qui l'exprime, vont vers l'avenir, l'individu va vers sa mort. Le conflit du moi et de l'Esprit est donc inévitable, leurs intérêts sont opposés. aussi, toute conscience tendant par essence à nier le temps, la négation qu'opère la conscience intellectuelle s'oriente-t-elle vers le futur, celle qu'opère la conscience affective vers le passé. L'Esprit et le moi cherchent tous deux à être, mais à aller vers le futur, il y a sécurité pour l'Esprit et danger pour le moi.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 111-112.
«Toujours donc l'individu oppose à la valeur de l'acte le souci de la mort. Et, pressentant l'obscure vérité de la parole selon laquelle perdre sa vie est la gagner, et la gagner la perdre, nous ne parvenons pas à nous décider tout à fait en ce choix: devant le double visage que prend en nous l'éternité, nous restons dans l'incertitude.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre X. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 112-113.
mercredi 27 avril 2011
jeudi 14 avril 2011
Ferdinand Alquié — Le désir d'éternité (Première partie)
[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Ferdinand ALQUIÉ. Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008.
PREMIÈRE PARTIE
Le refus affectif du temps et
l'illusion d'éternité
AVANT-PROPOS
«L'étude que nous présentons en ces pages a pour but de définir le désir d'éternité, de découvrir ses sources, affectives et rationnelles, de déterminer enfin sa valeur, et la place qu'il convient de lui accorder en la vie.» — Ferdinand ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 5.
«... l'amour est la nostalgie d'une forme disparue.» — F. ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 5.
«L'éternité du cœur n'est pas celle de l'esprit. La recherche de la première est passion pure, la connaissance de la seconde est la condition de l'action. Encore l'action elle-même s'exerce-t-elle en renonçant à l'éternel, car notre vie est temporelle, et notre moi n'est pas l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 6.
CHAPITRE I
Situation de l'éternité
«Éliminer par le doute, la présence de tout objet revient à découvrir que la conscience est présente à soi-même. Cependant, la conscience humaine apparaît à bien des égards comme une conscience de l'absence: la pensée de ce qu'elle saisit est liée pour elle à la pensée de ce qui lui échappe.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 7.
«L'attente, le regret, la rêverie sont, à des degrés divers, des consciences d'absence. Bien plus, le présent n'est pensé que par son opposition au passé et au futur: dire qu'une chose est présente, c'est signifier qu'elle pourrait ne pas être, c'est l'opposer à son absence possible.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 7-8.
«La pensée de l'absence est le signe que notre esprit est supérieur à tout donné, ce pourquoi chaque objet lui paraît seulement possible, et non nécessaire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 8.
«Nous n'avons pas de connaissance positive de l'infini ou de la valeur: valeur et infini nous sont pourtant présents, puisque c'est à partir d'eux que nous jugeons trop courts les instants de notre vie, trop bas les instincts de notre nature, trop petits les objets limités et temporels qui sont par nous rencontrés. Ainsi se révèle le caractère métaphysique de l'esprit lui-même: dépassant tout de qu'il connaît, il semble atteindre un autre ordre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 9.
«Quelle est l'essence de nos désirs ? Jusqu'à quel point ont-ils le droit de s'étendre, sans devenir pures passions, recherches stériles de l'impossible, et tendances vers ce qui n'est pas ? Tel est le problème que nous voudrions poser à propos du désir d'éternité. Nulle idée, en effet, ne montre mieux le double caractère de présence et d'absence, propre aux objets métaphysiques, que l'idée de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 10.
«La présence de l'éternité n'est pas donnée à titre de nature, la conscience de l'éternel n'est conscience que d'une absence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 11.
«L'idée de l'éternité émane de l'attitude psychique niant le devenir, elle naît du refus du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 11.
«Le temps ainsi considéré apparaît essentiellement comme changement. Que ce changement s'opère au sein de la continuité, et sans extériorité réelle de ses éléments, ou que la continuité soit déjà une fiction forgée par l'esprit pour nier le changement premier, la succession discontinue, il est incontestable que, pour l'expérience courante, il y a du changement, c'est-à-dire que ce qui est cesse d'être, et ce qui n'est pas commence à être.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 12.
«... tout changement possède un caractère irréductible et définitif: dans cette mesure, il est temporel. Le temps se manifeste à moi dans l'irréversibilité des changements: il est le caractère qu'ont les changements d'être irréversibles.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 13.
«... le refus du réel peut s'engager en deux voies essentielles: l'une d'action, l'autre de passion pure. Refuser le réel, c'est parfois commencer à lui opposer ce que nous allons faire, et donc ce que le réel sera demain. Parfois, c'est rêver que les choses ne sont pas ce qu'elles sont, c'est leur substituer par la seule imagination un monde plus conforme à nos vœux. Nous sommes ici dans la passion, puisque dans l'erreur et l'inefficacité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 14.
«Comment refuser le temps autrement que par le rêve ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 15.
CHAPITRE II
Les passions
«Action et passion ne diffèrent que par les sujets auxquels on les peut rapporter, et tout passion subie par nous doit être l'action de quelque autre chose. Si le choix passionnel ne nous apparaît pas comme étant notre choix, il doit émaner d'une réalité agissant en nous et sur nous, réalité intérieur à nous, et pourtant susceptible de nous contraindre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 18.
«Au reste, ne pouvons-nous avoir l'impression d'être nous-mêmes en agissant contre la règle, ne pouvons-nous, contre le social, nous insurger par volonté ? Il est donc difficile de définir la passion si l'on demeure sur le plan de la science, c'est-à-dire si l'on refuse de l'opposer à une volonté pure, puissance métaphysique de liberté qui, extérieure aux tendances, constituerait un moi par rapport auquel tout désir serait étranger. Aussi la psychologie ne parvient-elle jamais à distinguer clairement passion et volonté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 19.
«... dans la passion, nous agissons contre notre raison: même si l'on refuse de reconnaître à la raison le pouvoir de poser des valeurs, si on la considère comme une pure faculté de connaissance, si l'on estime que toute valeur est relative à des tendances, la passion s'oppose à la raison: elle nous aveugle sur notre nature réelle, elle est ignorance de nous-mêmes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 20.
«Le passionné, en effet, semble être celui qui préfère le présent au futur, le passé au présent. Le temps, coulant du passé au présent, du présent au futur, semble au contraire nier sans cesse ce qui fut, construire ce qui sera. La passion s'oppose donc bien au temps, elle veut le contraire de ce que fait le temps. Si donc quelque inconscient révèle ici sa présence, il n'apparaît pas comme une somme de désirs cachés, mais comme le fruit de ce qui, en nous, refuse de devenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 21.
«La psychanalyse nous apprend que les émotions de notre enfance gouvernent notre vie, que le but de nos passions est de les retrouver. Ainsi, bien des hommes, prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire, sont contraints par ce souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire, perpétuellement reprise.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 23.
«... la passion méconnaît le temps comme tel. Par elle, nous refusons de prendre conscience de ce que sera la futur, des conséquences de nos actions, de la réaction de nos tendances dans l,avenir. La passion se distingue ainsi de la volonté. Le volontaire parvient à se penser avec vérité dans le futur, il connaît assez ses tendances, leur profondeur et leur durée, pour savoir ce qui, plus tard, lui donnera le bonheur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 25.
«Nul texte [le Sylvie de G. de Nerval] ne semble mieux définir l'essence de l'erreur passionnelle. L'être intemporel qui s'y manifeste est la passion même, objectivée. Ici l'amour refuse le temps, affirme que le passé n'est pas mort, que l'absent est présent; il se trompe d'objet, se montre incapable de saisir les êtres dans leur actuelle particularité, dans leur essence individuelle. Il se souvient en croyant percevoir, il confond, il se berce de rêve, il forge la chimère de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 26.
CHAPITRE III
La mémoire, l'habitude, le remords
«... les images préexistent à la passion, l'expliquent et lui donnent naissance: les images passionnelles ne sont pas des images quelconques, modifiables, arbitraires: le passionné les retrouve à diverses périodes de sa vie avec leur contour et leur poids. Ces images sont des souvenirs. Bien plus qu'elle n'engendre des images, la passion s'alimente donc à des souvenirs; son essence est mémoire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 27.
«La mémoire suppose, à titre de matière, un retour involontaire du souvenir que nous ne pouvons expérimenter que comme passion. Mais la reconnaissance et la localisation, loin de prolonger le rappel, s'y opposent. Ici la mémoire rejette l'image présente dans le passé, la juge souvenir. Cette mémoire est action, elle est le signe de l'esprit, elle est l'œuvre du jugement qui nous libère.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 28.
«Au reste, le rappel du souvenir obéit si mal à notre volonté que le meilleur moyen de retrouver un souvenir qui résiste est souvent de le laisser surgir de lui-même, de se rendre passif vis-à-vis de lui. Le retour du souvenir est donc d'essence involontaire: la mémoire apparaît en ceci une passion.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 28-29.
«... le souvenir n'a pas de date: il se donne, non comme passé, mais comme présent, non comme temporel, mais comme éternel. [...] Et c'est parce qu'il n'a pas de date que le souvenir peut engendrer en nous les passions proprement dites, pénétrer les images du présent, se confondre avec elles, nous donner l'illusion que le détour d'un sentier, ou des traits émouvants, sont le lieu de notre enfance ou le visage d'un ami mort.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 29.
«Mais il est clair que le caractère du passé qui s'attache aux choses vient de l'attitude de conscience que nous prenons devant elles: tout objet perçu existe dans un temps présent, dans le temps que nous-mêmes sommes en train de vivre. Et toute image du passé dont nous avons conscience est, par là même, présente. C'est donc à la lettre qu'il faut affirmer que notre mémoire nous présente le passé: le passé est bien par elle rendu présent. Dire que le passé se conserve , c'est le déclarer éternel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 30.
«L'habitude suppose la non-reconnaissance, la non-localisation, et l'ignorance de l'acquisition. Aussi prend-elle le visage de l'éternité. au reste, si l'habitude est refus du temps, ce n'est pas seulement parce qu'en elle le passé se donne comme présent: c'est en sa formation même qu'elle nie le changement. L'habitude se constitue contre le devenir, pour le nier, pour ne plus le subir. Elle oppose un mode défini et uniforme de réaction à la variété d'expérience infiniment diverses: l'habitude se présente donc comme le refus du nouveau en tant que tel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 30-31.
«Sans doute ne saurait-on nier l'utilité de l'habitude. Mais cette utilité ne se manifeste que dans la mesure où l'objet même auquel s'applique l'action comporte quelque éternité. Ce dont l'habitude se charge à bon droit, ce son des éléments anciens que contient la situation présente. Ces éléments représentent en effet une éternité objective, faite de lois, qui sont les lois des choses. c'est pas ce côté que l'habitude imite la raison et, selon certains, l'engendre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 31.
«Ici nous adhérons à notre passé, et non seulement à ce qu'il contenait d'universel, mais à ce qui était individuel en lui. Ce que nous avons été s'impose à ce que nous sommes, nous interdit de devenir ce que nous devrions être. en ce sens, l'habitude est bien passion. Elle nous empêche de voir, ramène le jugement à la pensée par prévention, l'acte moral à la routine. Et l'on arrive ainsi au misonéisme des névropathes, à la haine de toute création, à l'incapacité de faire un acte qui n'a pas de précédent, ainsi qu'aux tics, aux manies, à la répétition pure et simple et hors de propos de gestes et de comportements.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 32.
«Il n'est pour moi de liberté que dans la mesure où je me délivre de ma nature, de tout ce qui, en moi, est déterminé. La mémoire est donc l'un des instruments essentiels de ma libération: par elle je découvre l'indépendance de mon moi par rapport à ses états, par elle ce que je croyais être devient autre choses que moi. Localiser un souvenir, c'est le distinguer de mon présent, c'est me séparer de lui.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 33.
«Juger qu'un acte ou un événement sont passés, c'est en effet juger qu'ils ne sont plus, c'est affirmer leur néant. Et nous répugnons à cet anéantissement chaque fois qu'il s'agit d'un souvenir, tout souvenir étant nôtre, et représentant un état que nous avons éprouvé, un être que nous avons connu. un épisode de notre vie. Rappeler le souvenir, c'est se retrouver; localiser le souvenir, c'est se nier soi-même.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 34.
«Il n'est en effet de conscience morale qu'orientée vers l'avenir: la conscience tournée vers ce qui est déjà ne peut-être que scientifique, ou esthétique. Car si les valeurs de vérité ou de beauté peuvent être découvertes et contemplées, la valeur morale est à faire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 36.
«Effort pour nier le temps, pour revenir en arrière, pour recommencer le passé, il rêve d'impossibles entreprises, me désespère et m'interdit de devenir meilleur. Le remord n'a de sens que par l'illusion de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 37.
«... la véritable action n'est possible que si l'homme accepte le temps, s'il croit que sa réelle liberté est sa liberté temporelle et présente, celle grâce à laquelle il peut modifier l'avenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 38.
«Seule en effet la pensée du temps peut nous apprendre que le moi ne peut être tenu pour un état, ou un ensemble d'états, mais qu'il est une pure action.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 38.
CHAPITRE IV
Sources du refus affectif du temps
«L'expérience du temps est celle d'une privation incessante et d'une perpétuelle compensation. Le temps ne m'enlève un moment de ma vie, un aspect de mon être qu'en les remplaçant par d'autres, et, s'il est source de deuil, il l'est aussi de renouveau.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 39.
«Le refus du temps que nous considérons n'est pas celui par lequel l'évolution vitale s'épanouit et se solidifie, ni celui qui arrête l'évolution sociale. Il n'est pas davantage celui par qui l'esprit affirme l'éternité des lois ou la permanence de l'universel: c'est celui qui amène notre moi à préférer la particularité de son passé à celle de son présent et de son avenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 40.
«Le futur suscite la crainte, car il peut contenir le danger. Les espoirs même qu'il nous donne nous apparaissent comme menacés, car les causes qui détermineront l'événement `venir sont si nombreuses et si complexes que le futur ne peut être prévu. Ici nul repos n'est possible; l'acceptation du futur est toujours acceptation du risque, la pensée du futur est toujours angoisse, en tant qu'elle est liée à l'idée du possible, et donc de l'incertain.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 42.
«... le futur met en jeu la totalité du monde, et nulle technique ne peut embrasser cette totalité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 43.
«Il est en effet impossible de se penser dans la futur avec vérité, ou du moins avec certitude, puisque le futur ne dépend jamais tout à fait de nous: il ne peut devenir ce que nous avons pensé qu'il sera sans le concours de hasards heureux.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 43-44.
«Comment aimer l'avenir, s'il n'est pour nous qu'absence, si nous ne savons pas ce qu'il sera ? Mais on peut aimer le passé puisqu'il est déterminé, puisqu'il s'offre comme chose. On peut le concevoir, puisque nos souvenir nous le décrivent, On peut, en lui, éclairer sans cesse des détails nouveaux. Il n'y a ici plus de danger pour notre action, plus d'incertitude pour notre esprit. Le passé ne contient pas de risque, et sa pensée est repos.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 45.
«... la condition de l'homme est telle, que rien ne lui est plus difficile que d'aimer l'avenir sans y rechercher le passé.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 46.
«L'instinct est éternel, et il est inconscient: il ne peut tirer parti d'une situation inaccoutumée, il ne saisit jamais le concret comme tel, il ne s'adapte au temps que parce qu'il néglige la qualité particulière de ses moments.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 47.
«Séparé de la représentation de ce vers quoi il tend, l'instinct se réduit à une tendance pure, virtualité informe, semblable en tous points à une force purement physique et non orientée.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 48.
«... tout désir est comme suspendu entre la représentation qui l'attire et la tendance dont il émane.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 48-49.
«... les grands modes de comportement qui constituent notre caractère sont pour la plupart des généralités affectives extraites de l'expérience: sans doute, leur fixité et leur stabilité dominant notre vie, peuvent-ils paraître constituer une nature intemporelle: mais ils sont nés du temps, ils résultent de notre histoire. Ainsi tout affectivité ramène-t-elle vers l'enfance.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 49.
«La première expérience que l'homme fait du changement est celle de l'arrachement au sein maternel: elle a lieu dans le sens plaisir-douleur, meilleur-pire. Il n'y a à cela nulle nécessité logique ou essentielle, on pourrait concevoir une histoire des hommes commençant autrement; mais il est de fait qu'elle commence ainsi. Aussi la conscience humaine traduit-elle d'abord la naissance en langage de théologie: la séparation d'avec le paradis lui apparaît comme contingente, historique, et donc comme le fruit d'un décret arbitraire, d'une malédiction accidentelle ayant uni la souffrance à l'enfantement. Mais notre désir de bonheur essaie toujours confusément d'échapper à une décision si cruelle. aussi l'homme veut-il renverser le temps, passer à nouveau du pire au meilleur, revenir du risque et des dangers aux douceurs de la certitude.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 54.
«L'individu veut s'éterniser; il redoute un futur qui contient sa mort, il veut retenir des lambeaux de son passé, il refuse de les croire perdus, il les appelle à travers le présent. En cela il exprime sa volonté d'être, son refus de mourir. Mais en cela aussi il laisse échapper le seul être qu'il puisse atteindre, et se condamne à n'aimer que ce qui est mort.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 55-56.
CHAPITRE V
L'état de passion
«Sans doute l'action n'est-elle concevable que dirigée vers l'avenir. Mais attendre l'avenir, se préparer à le recevoir n'est pas agir: agir c'est le construire, c'est le faire ce qu'on veut qu'il soit. Tendre vers le futur est donc la condition nécessaire, mais non suffisante de l'action. Par contre, tendre vers le passé suffit à entraîner la passion, la question de savoir si nous le modifierons ou l'accepterons tel quel ne pouvant ici se poser, vu la nature immodifiable du passé.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 57.
«La passion nous éloigne de la recherche de la valeur et semble, à la valeur, préférer l'être. La valeur nous apparaît comme ce qui doit être, c'est-à-dire à la fois comme ce qui n'est pas encore et comme ce à quoi nous devons conférer l'existence. Nous sentons que la valeur n'est pas réelle et que nous devons la faire descendre dans le réel Cette réalisation se présente comme une tâche: elle ne peut donc être conçue que dans le futur: par là, elle implique risque et difficultés, elle exclut le repos, elle nous demande de croire en la valeur et en notre propre puissance; mais cette foi n'est pas savoir, et ne saurait exclure l'inquiétude.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 60-61.
«... l'amour véritable est action, et, comme toute action, il refuse de se soumettre, veut changer ce qui est, lui préfère ce qui n'est pas encore et, participant à cette constante création qu'est le cours du monde, il entreprend de transformer l'être selon la valeur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 61-62.
«... en aimant le passé, nous n'aimons que notre propre passé, seul objet de nos souvenirs. On ne saurait aimer le passé d'autrui; par contre, l'amour peut se porter vers son avenir, et il le doit, car, aimer vraiment, c'est vouloir le bien de l'être qu'on aime, et l'on ne peut vouloir ce bien que dans le futur. Tout amour passion, tout amour du passé, est donc illusion d'amour et, en fait, amour de soi-même. Il est désir de se retrouver et non de se perdre; d'assimiler autrui et non de se donner à lui; il est infantile, possessif, cruel, analogue à l'amour éprouvé pour la nourriture que l'on dévore et que l'on détruit en l'incorporant à soi-même. L'amour action suppose au contraire l'oubli de soi, et de ce que l'on fut; il implique l'effort d'améliorer l'avenir de celui que l'on aime.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 62.
«Le véritable amour ne s'aime pas lui-même, mais se porte vers ce qui n'est pas lui. Il désire le bien futur de ce qu'il aime, il aime en avant, aime ce qui sera, tend vers cette valeur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 64.
«La délibération volontaire, étant appel à la vérité de la conscience future, apparaît ainsi comme un appel à la conscience qui fait l'unité du présent et du futur, et donc comme un appel à la raison. La raison est la condition même de l'action. Par là encore, elle s'oppose à la passion, et à sa logique d'erreur, dite logique passionnelle. Elle distingue l'éternel de ce qui se passe. Elle sait ce qui, du passé, pourra se retrouver dans le futur. Elle connaît les valeurs. Elle atteint la vérité de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 65.
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Ferdinand ALQUIÉ. Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008.
PREMIÈRE PARTIE
Le refus affectif du temps et
l'illusion d'éternité
AVANT-PROPOS
«L'étude que nous présentons en ces pages a pour but de définir le désir d'éternité, de découvrir ses sources, affectives et rationnelles, de déterminer enfin sa valeur, et la place qu'il convient de lui accorder en la vie.» — Ferdinand ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 5.
«... l'amour est la nostalgie d'une forme disparue.» — F. ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 5.
«L'éternité du cœur n'est pas celle de l'esprit. La recherche de la première est passion pure, la connaissance de la seconde est la condition de l'action. Encore l'action elle-même s'exerce-t-elle en renonçant à l'éternel, car notre vie est temporelle, et notre moi n'est pas l'Esprit.» — Ferdinand ALQUIÉ. Avant-propos. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 6.
CHAPITRE I
Situation de l'éternité
«Éliminer par le doute, la présence de tout objet revient à découvrir que la conscience est présente à soi-même. Cependant, la conscience humaine apparaît à bien des égards comme une conscience de l'absence: la pensée de ce qu'elle saisit est liée pour elle à la pensée de ce qui lui échappe.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 7.
«L'attente, le regret, la rêverie sont, à des degrés divers, des consciences d'absence. Bien plus, le présent n'est pensé que par son opposition au passé et au futur: dire qu'une chose est présente, c'est signifier qu'elle pourrait ne pas être, c'est l'opposer à son absence possible.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 7-8.
«La pensée de l'absence est le signe que notre esprit est supérieur à tout donné, ce pourquoi chaque objet lui paraît seulement possible, et non nécessaire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 8.
«Nous n'avons pas de connaissance positive de l'infini ou de la valeur: valeur et infini nous sont pourtant présents, puisque c'est à partir d'eux que nous jugeons trop courts les instants de notre vie, trop bas les instincts de notre nature, trop petits les objets limités et temporels qui sont par nous rencontrés. Ainsi se révèle le caractère métaphysique de l'esprit lui-même: dépassant tout de qu'il connaît, il semble atteindre un autre ordre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 9.
«Quelle est l'essence de nos désirs ? Jusqu'à quel point ont-ils le droit de s'étendre, sans devenir pures passions, recherches stériles de l'impossible, et tendances vers ce qui n'est pas ? Tel est le problème que nous voudrions poser à propos du désir d'éternité. Nulle idée, en effet, ne montre mieux le double caractère de présence et d'absence, propre aux objets métaphysiques, que l'idée de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 10.
«La présence de l'éternité n'est pas donnée à titre de nature, la conscience de l'éternel n'est conscience que d'une absence.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 11.
«L'idée de l'éternité émane de l'attitude psychique niant le devenir, elle naît du refus du temps.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 11.
«Le temps ainsi considéré apparaît essentiellement comme changement. Que ce changement s'opère au sein de la continuité, et sans extériorité réelle de ses éléments, ou que la continuité soit déjà une fiction forgée par l'esprit pour nier le changement premier, la succession discontinue, il est incontestable que, pour l'expérience courante, il y a du changement, c'est-à-dire que ce qui est cesse d'être, et ce qui n'est pas commence à être.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 12.
«... tout changement possède un caractère irréductible et définitif: dans cette mesure, il est temporel. Le temps se manifeste à moi dans l'irréversibilité des changements: il est le caractère qu'ont les changements d'être irréversibles.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 13.
«... le refus du réel peut s'engager en deux voies essentielles: l'une d'action, l'autre de passion pure. Refuser le réel, c'est parfois commencer à lui opposer ce que nous allons faire, et donc ce que le réel sera demain. Parfois, c'est rêver que les choses ne sont pas ce qu'elles sont, c'est leur substituer par la seule imagination un monde plus conforme à nos vœux. Nous sommes ici dans la passion, puisque dans l'erreur et l'inefficacité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 14.
«Comment refuser le temps autrement que par le rêve ?» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre I. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 15.
CHAPITRE II
Les passions
«Action et passion ne diffèrent que par les sujets auxquels on les peut rapporter, et tout passion subie par nous doit être l'action de quelque autre chose. Si le choix passionnel ne nous apparaît pas comme étant notre choix, il doit émaner d'une réalité agissant en nous et sur nous, réalité intérieur à nous, et pourtant susceptible de nous contraindre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 18.
«Au reste, ne pouvons-nous avoir l'impression d'être nous-mêmes en agissant contre la règle, ne pouvons-nous, contre le social, nous insurger par volonté ? Il est donc difficile de définir la passion si l'on demeure sur le plan de la science, c'est-à-dire si l'on refuse de l'opposer à une volonté pure, puissance métaphysique de liberté qui, extérieure aux tendances, constituerait un moi par rapport auquel tout désir serait étranger. Aussi la psychologie ne parvient-elle jamais à distinguer clairement passion et volonté.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 19.
«... dans la passion, nous agissons contre notre raison: même si l'on refuse de reconnaître à la raison le pouvoir de poser des valeurs, si on la considère comme une pure faculté de connaissance, si l'on estime que toute valeur est relative à des tendances, la passion s'oppose à la raison: elle nous aveugle sur notre nature réelle, elle est ignorance de nous-mêmes.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 20.
«Le passionné, en effet, semble être celui qui préfère le présent au futur, le passé au présent. Le temps, coulant du passé au présent, du présent au futur, semble au contraire nier sans cesse ce qui fut, construire ce qui sera. La passion s'oppose donc bien au temps, elle veut le contraire de ce que fait le temps. Si donc quelque inconscient révèle ici sa présence, il n'apparaît pas comme une somme de désirs cachés, mais comme le fruit de ce qui, en nous, refuse de devenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 21.
«La psychanalyse nous apprend que les émotions de notre enfance gouvernent notre vie, que le but de nos passions est de les retrouver. Ainsi, bien des hommes, prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire, sont contraints par ce souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire, perpétuellement reprise.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 23.
«... la passion méconnaît le temps comme tel. Par elle, nous refusons de prendre conscience de ce que sera la futur, des conséquences de nos actions, de la réaction de nos tendances dans l,avenir. La passion se distingue ainsi de la volonté. Le volontaire parvient à se penser avec vérité dans le futur, il connaît assez ses tendances, leur profondeur et leur durée, pour savoir ce qui, plus tard, lui donnera le bonheur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 25.
«Nul texte [le Sylvie de G. de Nerval] ne semble mieux définir l'essence de l'erreur passionnelle. L'être intemporel qui s'y manifeste est la passion même, objectivée. Ici l'amour refuse le temps, affirme que le passé n'est pas mort, que l'absent est présent; il se trompe d'objet, se montre incapable de saisir les êtres dans leur actuelle particularité, dans leur essence individuelle. Il se souvient en croyant percevoir, il confond, il se berce de rêve, il forge la chimère de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre II. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 26.
CHAPITRE III
La mémoire, l'habitude, le remords
«... les images préexistent à la passion, l'expliquent et lui donnent naissance: les images passionnelles ne sont pas des images quelconques, modifiables, arbitraires: le passionné les retrouve à diverses périodes de sa vie avec leur contour et leur poids. Ces images sont des souvenirs. Bien plus qu'elle n'engendre des images, la passion s'alimente donc à des souvenirs; son essence est mémoire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 27.
«La mémoire suppose, à titre de matière, un retour involontaire du souvenir que nous ne pouvons expérimenter que comme passion. Mais la reconnaissance et la localisation, loin de prolonger le rappel, s'y opposent. Ici la mémoire rejette l'image présente dans le passé, la juge souvenir. Cette mémoire est action, elle est le signe de l'esprit, elle est l'œuvre du jugement qui nous libère.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 28.
«Au reste, le rappel du souvenir obéit si mal à notre volonté que le meilleur moyen de retrouver un souvenir qui résiste est souvent de le laisser surgir de lui-même, de se rendre passif vis-à-vis de lui. Le retour du souvenir est donc d'essence involontaire: la mémoire apparaît en ceci une passion.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 28-29.
«... le souvenir n'a pas de date: il se donne, non comme passé, mais comme présent, non comme temporel, mais comme éternel. [...] Et c'est parce qu'il n'a pas de date que le souvenir peut engendrer en nous les passions proprement dites, pénétrer les images du présent, se confondre avec elles, nous donner l'illusion que le détour d'un sentier, ou des traits émouvants, sont le lieu de notre enfance ou le visage d'un ami mort.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 29.
«Mais il est clair que le caractère du passé qui s'attache aux choses vient de l'attitude de conscience que nous prenons devant elles: tout objet perçu existe dans un temps présent, dans le temps que nous-mêmes sommes en train de vivre. Et toute image du passé dont nous avons conscience est, par là même, présente. C'est donc à la lettre qu'il faut affirmer que notre mémoire nous présente le passé: le passé est bien par elle rendu présent. Dire que le passé se conserve , c'est le déclarer éternel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 30.
«L'habitude suppose la non-reconnaissance, la non-localisation, et l'ignorance de l'acquisition. Aussi prend-elle le visage de l'éternité. au reste, si l'habitude est refus du temps, ce n'est pas seulement parce qu'en elle le passé se donne comme présent: c'est en sa formation même qu'elle nie le changement. L'habitude se constitue contre le devenir, pour le nier, pour ne plus le subir. Elle oppose un mode défini et uniforme de réaction à la variété d'expérience infiniment diverses: l'habitude se présente donc comme le refus du nouveau en tant que tel.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 30-31.
«Sans doute ne saurait-on nier l'utilité de l'habitude. Mais cette utilité ne se manifeste que dans la mesure où l'objet même auquel s'applique l'action comporte quelque éternité. Ce dont l'habitude se charge à bon droit, ce son des éléments anciens que contient la situation présente. Ces éléments représentent en effet une éternité objective, faite de lois, qui sont les lois des choses. c'est pas ce côté que l'habitude imite la raison et, selon certains, l'engendre.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 31.
«Ici nous adhérons à notre passé, et non seulement à ce qu'il contenait d'universel, mais à ce qui était individuel en lui. Ce que nous avons été s'impose à ce que nous sommes, nous interdit de devenir ce que nous devrions être. en ce sens, l'habitude est bien passion. Elle nous empêche de voir, ramène le jugement à la pensée par prévention, l'acte moral à la routine. Et l'on arrive ainsi au misonéisme des névropathes, à la haine de toute création, à l'incapacité de faire un acte qui n'a pas de précédent, ainsi qu'aux tics, aux manies, à la répétition pure et simple et hors de propos de gestes et de comportements.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 32.
«Il n'est pour moi de liberté que dans la mesure où je me délivre de ma nature, de tout ce qui, en moi, est déterminé. La mémoire est donc l'un des instruments essentiels de ma libération: par elle je découvre l'indépendance de mon moi par rapport à ses états, par elle ce que je croyais être devient autre choses que moi. Localiser un souvenir, c'est le distinguer de mon présent, c'est me séparer de lui.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 33.
«Juger qu'un acte ou un événement sont passés, c'est en effet juger qu'ils ne sont plus, c'est affirmer leur néant. Et nous répugnons à cet anéantissement chaque fois qu'il s'agit d'un souvenir, tout souvenir étant nôtre, et représentant un état que nous avons éprouvé, un être que nous avons connu. un épisode de notre vie. Rappeler le souvenir, c'est se retrouver; localiser le souvenir, c'est se nier soi-même.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 34.
«Il n'est en effet de conscience morale qu'orientée vers l'avenir: la conscience tournée vers ce qui est déjà ne peut-être que scientifique, ou esthétique. Car si les valeurs de vérité ou de beauté peuvent être découvertes et contemplées, la valeur morale est à faire.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 36.
«Effort pour nier le temps, pour revenir en arrière, pour recommencer le passé, il rêve d'impossibles entreprises, me désespère et m'interdit de devenir meilleur. Le remord n'a de sens que par l'illusion de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 37.
«... la véritable action n'est possible que si l'homme accepte le temps, s'il croit que sa réelle liberté est sa liberté temporelle et présente, celle grâce à laquelle il peut modifier l'avenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 38.
«Seule en effet la pensée du temps peut nous apprendre que le moi ne peut être tenu pour un état, ou un ensemble d'états, mais qu'il est une pure action.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre III. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 38.
CHAPITRE IV
Sources du refus affectif du temps
«L'expérience du temps est celle d'une privation incessante et d'une perpétuelle compensation. Le temps ne m'enlève un moment de ma vie, un aspect de mon être qu'en les remplaçant par d'autres, et, s'il est source de deuil, il l'est aussi de renouveau.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 39.
«Le refus du temps que nous considérons n'est pas celui par lequel l'évolution vitale s'épanouit et se solidifie, ni celui qui arrête l'évolution sociale. Il n'est pas davantage celui par qui l'esprit affirme l'éternité des lois ou la permanence de l'universel: c'est celui qui amène notre moi à préférer la particularité de son passé à celle de son présent et de son avenir.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 40.
«Le futur suscite la crainte, car il peut contenir le danger. Les espoirs même qu'il nous donne nous apparaissent comme menacés, car les causes qui détermineront l'événement `venir sont si nombreuses et si complexes que le futur ne peut être prévu. Ici nul repos n'est possible; l'acceptation du futur est toujours acceptation du risque, la pensée du futur est toujours angoisse, en tant qu'elle est liée à l'idée du possible, et donc de l'incertain.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 42.
«... le futur met en jeu la totalité du monde, et nulle technique ne peut embrasser cette totalité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 43.
«Il est en effet impossible de se penser dans la futur avec vérité, ou du moins avec certitude, puisque le futur ne dépend jamais tout à fait de nous: il ne peut devenir ce que nous avons pensé qu'il sera sans le concours de hasards heureux.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 43-44.
«Comment aimer l'avenir, s'il n'est pour nous qu'absence, si nous ne savons pas ce qu'il sera ? Mais on peut aimer le passé puisqu'il est déterminé, puisqu'il s'offre comme chose. On peut le concevoir, puisque nos souvenir nous le décrivent, On peut, en lui, éclairer sans cesse des détails nouveaux. Il n'y a ici plus de danger pour notre action, plus d'incertitude pour notre esprit. Le passé ne contient pas de risque, et sa pensée est repos.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 45.
«... la condition de l'homme est telle, que rien ne lui est plus difficile que d'aimer l'avenir sans y rechercher le passé.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 46.
«L'instinct est éternel, et il est inconscient: il ne peut tirer parti d'une situation inaccoutumée, il ne saisit jamais le concret comme tel, il ne s'adapte au temps que parce qu'il néglige la qualité particulière de ses moments.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 47.
«Séparé de la représentation de ce vers quoi il tend, l'instinct se réduit à une tendance pure, virtualité informe, semblable en tous points à une force purement physique et non orientée.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 48.
«... tout désir est comme suspendu entre la représentation qui l'attire et la tendance dont il émane.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 48-49.
«... les grands modes de comportement qui constituent notre caractère sont pour la plupart des généralités affectives extraites de l'expérience: sans doute, leur fixité et leur stabilité dominant notre vie, peuvent-ils paraître constituer une nature intemporelle: mais ils sont nés du temps, ils résultent de notre histoire. Ainsi tout affectivité ramène-t-elle vers l'enfance.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 49.
«La première expérience que l'homme fait du changement est celle de l'arrachement au sein maternel: elle a lieu dans le sens plaisir-douleur, meilleur-pire. Il n'y a à cela nulle nécessité logique ou essentielle, on pourrait concevoir une histoire des hommes commençant autrement; mais il est de fait qu'elle commence ainsi. Aussi la conscience humaine traduit-elle d'abord la naissance en langage de théologie: la séparation d'avec le paradis lui apparaît comme contingente, historique, et donc comme le fruit d'un décret arbitraire, d'une malédiction accidentelle ayant uni la souffrance à l'enfantement. Mais notre désir de bonheur essaie toujours confusément d'échapper à une décision si cruelle. aussi l'homme veut-il renverser le temps, passer à nouveau du pire au meilleur, revenir du risque et des dangers aux douceurs de la certitude.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 54.
«L'individu veut s'éterniser; il redoute un futur qui contient sa mort, il veut retenir des lambeaux de son passé, il refuse de les croire perdus, il les appelle à travers le présent. En cela il exprime sa volonté d'être, son refus de mourir. Mais en cela aussi il laisse échapper le seul être qu'il puisse atteindre, et se condamne à n'aimer que ce qui est mort.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre IV. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 55-56.
CHAPITRE V
L'état de passion
«Sans doute l'action n'est-elle concevable que dirigée vers l'avenir. Mais attendre l'avenir, se préparer à le recevoir n'est pas agir: agir c'est le construire, c'est le faire ce qu'on veut qu'il soit. Tendre vers le futur est donc la condition nécessaire, mais non suffisante de l'action. Par contre, tendre vers le passé suffit à entraîner la passion, la question de savoir si nous le modifierons ou l'accepterons tel quel ne pouvant ici se poser, vu la nature immodifiable du passé.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 57.
«La passion nous éloigne de la recherche de la valeur et semble, à la valeur, préférer l'être. La valeur nous apparaît comme ce qui doit être, c'est-à-dire à la fois comme ce qui n'est pas encore et comme ce à quoi nous devons conférer l'existence. Nous sentons que la valeur n'est pas réelle et que nous devons la faire descendre dans le réel Cette réalisation se présente comme une tâche: elle ne peut donc être conçue que dans le futur: par là, elle implique risque et difficultés, elle exclut le repos, elle nous demande de croire en la valeur et en notre propre puissance; mais cette foi n'est pas savoir, et ne saurait exclure l'inquiétude.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 60-61.
«... l'amour véritable est action, et, comme toute action, il refuse de se soumettre, veut changer ce qui est, lui préfère ce qui n'est pas encore et, participant à cette constante création qu'est le cours du monde, il entreprend de transformer l'être selon la valeur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 61-62.
«... en aimant le passé, nous n'aimons que notre propre passé, seul objet de nos souvenirs. On ne saurait aimer le passé d'autrui; par contre, l'amour peut se porter vers son avenir, et il le doit, car, aimer vraiment, c'est vouloir le bien de l'être qu'on aime, et l'on ne peut vouloir ce bien que dans le futur. Tout amour passion, tout amour du passé, est donc illusion d'amour et, en fait, amour de soi-même. Il est désir de se retrouver et non de se perdre; d'assimiler autrui et non de se donner à lui; il est infantile, possessif, cruel, analogue à l'amour éprouvé pour la nourriture que l'on dévore et que l'on détruit en l'incorporant à soi-même. L'amour action suppose au contraire l'oubli de soi, et de ce que l'on fut; il implique l'effort d'améliorer l'avenir de celui que l'on aime.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 62.
«Le véritable amour ne s'aime pas lui-même, mais se porte vers ce qui n'est pas lui. Il désire le bien futur de ce qu'il aime, il aime en avant, aime ce qui sera, tend vers cette valeur.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 64.
«La délibération volontaire, étant appel à la vérité de la conscience future, apparaît ainsi comme un appel à la conscience qui fait l'unité du présent et du futur, et donc comme un appel à la raison. La raison est la condition même de l'action. Par là encore, elle s'oppose à la passion, et à sa logique d'erreur, dite logique passionnelle. Elle distingue l'éternel de ce qui se passe. Elle sait ce qui, du passé, pourra se retrouver dans le futur. Elle connaît les valeurs. Elle atteint la vérité de l'éternité.» — Ferdinand ALQUIÉ. Chapitre V. In Le désir d'éternité. Presses universitaires de France. Paris, 2008. p. 65.
vendredi 8 avril 2011
Frédéric Rauh — L'Expérience morale (Chapitres VII-X)
[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.
CHAPITRE VII
LA FORMULE DE VIE
«L'essence se différencie de la notion générale en ce que celle-ci est formée par des additions successives, indéfinies; l'essence est tout au contraire saisie tout entière en une fois, par un acte indivisible de l'esprit, uno intuitu. Elle n'a pas besoin d'être complétée, achevée par autre chose. Elle est simple. La certitude parfaite est celle qui n'a pas besoin de sortir de soi pour être achevée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 172.
«La véritable pensée n'est pas telle que les scolastiques la représentaient, faite de généralisations et d'abstractions, opérations indéfinies, jamais achevées. Elle n'est pas davantage une collection d'états de conscience, d'atomes psychiques, comme pensent les empiriques. Elle est une action de penser intensive, qui concentrée en elle-même saisit, en une fois, dans un acte unique, toute la suite, toute la loi de ses développements.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 173.
«... la généralisation nous apprend seulement combien de fois une essence est répétée. Elle ne nous la révèle pas. L'essence en elle-même se connaît seulement par une intuition, une expérience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 176.
«Comprendre, c'est repenser la pensée d'autrui ou plutôt la découvrir soi-même sous la suggestion d'autrui. La seule différence qui sépare l'inventeur proprement di de l'homme intelligent, c'est que le premier pense la nature directement et que l'autre a besoin d'un intermédiaire, d'un intercesseur. L'enseignement, c'est l'éveil, la révélation d'une pensée à elle-même. C'est pourquoi il faut solliciter tout homme à se mettre dans l'attitude de l'inventeur.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 177.
«L'honnête homme extrait de ses aspirations, de celles de son temps la formule collective ou individuelle qui s'exprime en une action type. Il cherche non le général, mais le définitif, non la croyance immédiate, mais celle qu'à la réflexion, dans une concentration solitaire de sa conscience, il éprouve toujours ou dans un moment donné invincible, une croyance, par suite, déterminée, définie, actuelle. Il n'observe pas seulement, il expérimente. Il ne se borne pas à connaître les grands courants moraux de son temps.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 179.
«C'est la croyance d'un temps qui est dans l'air, qui se respire. Et il ne faut pas méconnaître l'importance des devoirs de probité, de loyauté, des œuvres d'assistance, de solidarité, de philanthropie, des liens d'estime, d'affection ou de respect qui peuvent unir les hommes en tant qu'hommes. Il est même essentiel de rappeler à ceux qui adhèrent avec raison à une formule que, quelle que soit cette formule, elle se détache d'un fond moral commun, traditionnel, qu'un regard en eux-mêmes, autour d'eux ou vers le passé suffirait à retrouver, et que dans l,ardeur de la lutte, ils risquent trop souvent d'oublier.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 180.
«La croyance sincère est un approfondissement, un centre un, indivisible, particulier. La perception morale commune n'est que le possible, la matière que la conscience vivante actualise.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 181.
«La vérité morale n'est en général ni si bas que le croit le sens commun, ni si haut que le croient les métaphysiciens. Elle est un système, mais un système d'habitudes, d'actions déterminées, contemporaines. Je ne vis pas dans l'éternité. Je suis un homme parmi des hommes. La pensée morale organise ma vie, la vie des hommes. Elle est intermédiaire entre la réflexion métaphysique et la réflexion empirique. Les principes moraux sont des axiomata media.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 183.
«Pour conquérir la nature il ne faut ni simplement observer les données immédiates ni s'élever au-dessus d'elles au point de ne plus apercevoir que les sommet du réel. A cette condition seule de rester dans l'entre-deux, l'homme a pu conquérir la nature, à cette condition seule il peut conquérir la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184.
«Il est sans doute tentant de chercher la paix sur les hauteurs. Les hommes s'entendent aisément sur les vérités éternelles, la dignité de l'esprit, les destinées sublimes de l'humanité, depuis que les religions, les philosophies tendent à rentrer ce qu'il y a de trop aigu dans leurs angles, à dissimuler ce que leurs dogmes ont de trop particulier. Il faut l'avouer: c'est une joie exquise pour les âmes pures et sereines de fraterniser dans ces pensées, de communier avec un adversaire dans l'humanité profonde qui nous lie tous, d'exercer à son égard le pardon métaphysique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184-185.
«... l'humanité ne peut se dégager absolument de l'état de guerre, qui est son état normal. Elle peut seulement l'organiser, en doucir les formes, substituer la contrainte de la loi à celle de la force physique, l'arbirtage [sic] à la lutte armée. Or le moyen nécessaire pour spiritualiser las guerre, c'est que chacun prenant sincèrement conscience de sa foi, se batte au nom d'un idéal. Il y a chance qu'ainsi impersonnalisées les luttes prennent un caractère moins violent, moins âpre. Rien n'unit, ne rapproche les hommes comme une égale sincérité dans des fois opposées. On se serre la main, parce qu'on se sent également des hommes, après la bataille. La véritable paix n'est pas celle qui s'obtient par l'effacement des différences, des oppositions, par un syncrétisme douceâtre. C'est par l'approfondissement de sa propre foi que chacun trouvera inévitablement en soi le fond commun qui l'unit à autrui.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 185-186.
«Qu'est-ce, en effet, qu'une formule, sinon l'expression d'une loi ? mais quel est le point de départ de la loi ? L'expérience type. Ce qu'on appelle une induction, c'est la loi dans une expérience. L'essentiel n'est pas la loi formulée, c'est l'expérience. en elle se révèle le type d'existence, saisi par une action présente, immédiate, indivisible de l'esprit. L'induction, c'est l'extension dans l'espace, dans la durée, de cet acte, de ce type — caractère extrinsèque, [...], de ce type, de cet acte. Dès lors, l'essentiel n'est pas la formule, mais les actes d'où on l'extrait. La formule ne vaut que par les efforts infinitésimaux qui la réalisent au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 188-189.
«... il faut cependant comprendre la valeur d'une formule. Elle résume le passé, elle annonce l'avenir. C'est un gage, c'est une promesse. Surtout elle exprime la prise de conscience d'une vie par elle-même.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 190.
«Entre la connaissance empirique et la connaissance métaphysique il y a place pour l'idée expérimentale. C'est à cette idée que correspond la formule de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 191.
CHAPITRE VIII
SCIENCE ET CONSCIENCE.
INTRANSIGEANCE OU OPPORTUNISME
«La morale n'a sans doute pour objet de connaître les moyens d'action que dans leurs relations avec les fins idéales de l'homme. Mais pour connaître ces fins il faut qu'elle en connaisse les moyens. Souvent l'étude des moyens d'action nous révèle l'idéal. Il y a des hommes incapables d'isoler, d'abstraire l'idéal de ses conditions de réalisation et qui nient le premier, simplement parce qu'ils ne le voient pas possible.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 193-194.
«Si une croyance ne peut être isolée de ses effets, de ses moyens d'action, elle évolue avec eux; elle se transforme au fur et à mesure qu'elle agit, par son action même. Cela est vrai de l'idéal individuel comme de l'idéal social. On ne peut dire d'avance ce qui est juridique, ce qui ne l'est pas, déterminer ce qui par essence est de la conscience, par essence de la loi, pas plus que le moment où une idée veut aboutir, prendre corps dans la législation. On peut dire seulement que la conscience d'un temps ne veut pas que la loi touche à ceci, à cela. A cette certitude en devenir correspond une nouvelle forme de courage, le courage continu, quotidien, moléculaire. Tout au contraire, le révolutionnaire qui en est demeuré à l'ancien type de certitude, à la certitude statique, donnée en une fois, globale, ne conçoit l'acte de courage que sous la forme d'une crise. Mais notre temps est celui de l'audace expérimentale, méthodique. Les croyances morales ont dépassé le stade de l'intransigeance, de l'héroïsme utopique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 196-197.
«Nous avons placé très haut la science des moyens d'action. Il faut cependant se méfier des hommes dits compétents. Ils ne le sont pas toujours en matière d'idéal ou simplement d'idée. Ils n'imaginent l,action comme possible que dans les limites d'une tradition, celle dont ils ont été les instruments dociles et intelligents.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199.
«La réalité plastique se prête aux croyances, aux volontés fortes. Une foi nouvelle crée ses organes. Or, l'habitude rend les hommes compétents incapables d'une foi nouvelle. Ils sont comme ces gens qui, par peur d'être malades, ne mangent pas. S'ils avaient vraiment faim, ils mangeraient. A certaines gens pratiques aussi manque l'appétit, l'appétit de l'idéal. Ils ont la maladie du doute, du scrupule, c'est-à-dire du désir, de la volonté. Ils limitent étroitement le champ du possible parce qu'ils n'ont pas la foi.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199-200.
«Quand même une idée n'aurait jamais chance de réussir parmi les hommes, n'est-ce pas un service à rendre à l'univers que de lui montrer, au-dessus des platitudes et des médiocrités, une idée dans son absolue pureté ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 200.
«Le principe moderne de la justice n'est pas celui de l'égalité, mais de l'égalisation. On traite les hommes comme capables de devenir égaux. Les droits établis par la législation moderne ne sont pas proportionnels à la capacité réelle, mais possible des hommes.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 201.
«Une idée naît d'abord en une minorité consciente qui la réalise parce qu'elle y croit. Si la vie évolue, c'est que l'évolution a pour condition l'idée-force, son moteur intérieur. La conscience, la foi crée la science. Et le représentant de la foi dans toute l'intensité, dans toute l'originalité de sa vie nouvelle, c'est le révolutionnaire. § Ainsi s'opposent l'Évolution et la Révolution.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 202.
«Le précurseur révolutionnaire d'aujourd'hui diffère ou devrait différer de l'utopste [sic] d'autrefois en ceci que s'il ne réussit pas, s'il ne peut réussir, il ne se fait pas d'illusion sur ce qu'il peut. Il sait qu'il ne peut guère, mais que ce peu il le doit. Il mesure exactement la portée de son sacrifice. Il satisfait sa conscience, il suit sa vocation. Mais il s'attend à l'insuccès, il l'escompte.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 204.
«La possibilité du succès n'est pas la condition nécessaire d'une foi légitime. Mais il est ridicule de croire le succès possible dans des conditions impossibles. Le révolté quand même est un agité. Un réflexe de la colère ou de la haine n'est pas une pensée. Le martyr, de nos jours, ne compte que s'il est intelligent. Il sera par suite indulgent à ceux qui ne sont pas au même étage que lui. Il les comprend sans être avec eux.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 205.
«Le conservateur intelligent veut empêcher les heurts, les violences stériles, éviter dans les transformations nécessaires les déchirements irréparables; il se refuse à compromettre par des impatiences hâtives et pour un avenir encore incertain les conquêtes de la civilisation, de la pensée. Ainsi, défini, le conservatur se confond avec l'évolutionniste ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 206.
«Pour satisfaire de vagues inquiétudes philosophiques, rarement absentes des âmes les plus élémentaires, des intellectuels fournissent à ces politiques sans pensée des apologétiques sophistiques. quelques-uns de ces pseudo-penseurs, journalistes, gens de lettres, romanciers, ont sur les foules, sur un certain public, par leur éloquence, leur art ou leur brutalité, une puissance de suggestion particulière. Ils ne comptent pas comme penseurs, mais comme forces sociales.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.
«L'évolutionniste doit l'être sans fausse honte, sans peur. Car il faut du courage pour résister à des entraînements passagers que l'on ne pourrait soutenir ou dont les conséquences seraient funestes. Ceux qui craindraient, en adoptant cette attitude, de trop pencher dans le sens de leurs intérêts, de leur repos, peuvent se rassurer. Ceux qui bouleversèrent dans ses profondeurs la société et la vie furent et voulurent être des modérés. Socrate ne continuait-il pas à sacrifier aux dieux ? Et le Christ prétendait compléter, non détruire. Cela ne les sauva pas» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.
«L'idéal serait que les types divers ou opposés, le conservateur, l'évolutionniste, le révolutionnaire, se connussent, se comprissent, les uns maintenant l'ordre et la continuité, les autres entretenant l'esprit de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 208.
«On ne saurait cependant espérer supprimer les luttes des croyances, des partis, la guerre. Il faudrait seulement que tout en se battant les adversaires ne cessassent pas de se comprendre. Ils lutteront alors loyaux et sans haine, avec cette pensée qu'ils représentent chacun un point de vue sur la vie ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 209.
CHAPITRE IX
LE RELATIVISME MORAL
«Notre attitude morale n'est est pas moins relativiste. L'honnête homme comprend d'autres types moraux que le sien. L'histoire moderne a agrandi son horizon. Elle a transformé les croyances morales comme les conceptions astronomiques modernes ont transformé les croyances religieuses. Notre morale a cessé dès lors d'apparaître comme absolue, éternelle, de même que l'humanité a cessé d'apparaître comme la fin de l'univers du jour où la terre n'en a plus été le centre.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 213.
«C'est une erreur psychologique de penser que d'en savoir les limites affaiblisse nécessairement une croyance. L'état normal de l'homme est d'aimer, comme s'ils étaient éternels, des êtres périssables. Il se console naturellement de ne pouvoir tout parce qu'il peut quelque chose. Il concentre toute son âme sur un objet limité, et il est heureux ainsi. [...] De même, dans une certitude limitée, provisoire, le savant met toute sa puissance de penser. Il possède en une vérité comme un échantillon de la vérité. C'est sans doute qu'au travers de ce désir limité il sent le désir infini que celui-ci localise. Bien plus, il ne peut sentir l'infini que sous cette forme particulière et concentrée. La vérité n'est pas faite du contour de toutes les vérités. L'amour vrai n'est pas celui qui se promène d'objet en objet. Seule une certitude localisée satisfait la conscience, donne le sentiment de la plénitude.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 215-216.
«À moins d'être universel un idéal peut-il être légitime ? Or quel est l'idéal universel ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 216.
«Nous ne connaissons pas de centre unique qui soit la lumière. Elle est toute dans chaque rayon. Il faut persuader cela à l'homme, lui apprendre à détailler, à monnayer Dieu.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.
«... bien des croyances se dissoudraient, selon nous, moins aisément, si l'on n'était persuadé qu'un idéal n'est en droit justifié qu'à la condition d'être absolu, ou d'être suspendu à une vérité absolue. Il suffit à bien des hommes pour être ébranlés dans leur foi d'en découvrir l'histoire. Leur scepticisme a pour origine une superstition matérialiste de l'éternité.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.
«Le préjugé des vérités absolues conduit à cette autre illusion que seule l'intelligence contemplative, théorique, qui connaît la nature dans son ensemble, est digne du nom d'intelligence. Car seule elle connaît des lois objectives, immuables, éternelles. On lui subordonne la pensée morale qui s'applique à l'action, au désir humain. La certitude morale n'est justifiée que si elle s'appuie sur une philosophie de la nature ou de l'existence. Or cette philosophie n'étant pas possible, nous doutons de la certitude morale. § La racine de ce sophisme est ce préjugé naturaliste chosiste, que l'être est supérieur à l'agir, que la certitude pratique est faite d'une autre étoffe que la certitude théorique, qu'elle est sentiment et que l'autre seule est raison.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 218-219.
«Si une croyance tend à se défendre, à se propager, il est aussi obligatoire de la défendre, de la propager. Cette tendance à être, ce caractère rationnel, obligatoire d'une croyance sont indépendants de sa nature, de son extension. Une croyance tout individuelle et se sachant telle peut être aussi invincible qu'une croyance partagée par tout l'univers.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 220-221.
«Il est absurde de vouloir d'emblée s'élever à une vie éternelle, impersonnelle, surtout de prétendre en la vivant résoudre des problèmes spéciaux, mais il est légitime d'extraire de sa vie ce qu'elle contient d'humain, de se reposer de la pensée militant dans la contemplation des formes éternelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 221.
CHAPITRE X
CONCLUSION. —
L'ATTITUDE MORALE SCIENTIFIQUE
«Il ne suffit pas de penser. Il faut trouver le centre systématique où tend toute pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 222.
«Toutes choses égales, la conscience la plus morale est celle qui se sait le mieux elle-même, dont la formule est la plus nette, la plus directe. La seule pensée, doctrine ou formule valable, est celle née au contact du milieu auquel elle se rapporte, qui s'est mise à l'épreuve de l'action.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 223.
«... quiconque est moral a pris le parti de l'idéal. Il cherche la vérité, non la vie. Mais il est essentiel, en ce sens que le héros moderne ne doit se sacrifier que le sachant et le voulant. Il est intelligent.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 224-225.
«L'honnête homme se préoccupe moins de rattacher sa croyance à un principe supérieur que de l'approfondir elle-même, et, plus encore, de la manifester, de la développer. Sa conscience est ouverte à toutes les idées morales, à toutes les méthodes d'action d'un temps, sans prétention à la certitude universelle. Il fixe sa croyance où l'épreuve de la vie, le contact avec les autres croyances, l'expérience tout entière l'a fixé. Sa pensée est critique. § C'est là son caractère essentiel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 225.
«On ne peut guère dépasser dans l'enseignement de la morale la perception commune les leçons des choses. Mais que ces leçons du moins soient empruntées à la vie moderne. Je consens que l'on parle de Socrate, de Kant, mais que l'on parle aussi de coopératives, de syndicats, de mutualités. On n'inspirera pas la défiance préalable de la politique, de la polémique, de l'action; mais l'on suggérera au contraire cette impression que la matière de la réflexion morale, c'est le journal, la rue, la vie, la bataille au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 227-228.
«Car les sciences sociales objectives, si on prétend en déduire la morale, constituent un nouveau système de sophismes philosophiques, puisqu'elles identifient sans raison l'idéal et le réel. Les autres isolent l'action de la science et font de la conduite un art. § Or entre l'art de vivre et la philosophie de la morale il y a place pour une science de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 228.
«La pensée morale, comme la pensée scientifique, aboutissent au fait brut, mais comme à un champ d'action. La nature fournit à la seconde, la perception morale commune, à la première une matière extérieure qui attend sa forme.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 230.
«La morale, c'est la science de l'ordre idéal, de nos tendances, de nos actions. Elle ne connaît que les croyances humaines. L'expérience qui vérifie une croyance est elle-même une croyance, mais pratique, éprouvée. Le fait brut, matière de cette expérience, est une croyance encore, seulement immédiate, spontanée, non réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 231.
«Il y a donc relativement à l'idéal une attitude scientifique possible, et il faut opposer non la science et l'idéal, mais la science de l'idéal ou plutôt de l'action idéale et la science du réel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 233.
«L'opposition n'est pas entre la psychologie des sentiments moraux et le rationalisme moral. Elle est entre les doctrines qui admettent une vérité morale unique, universelle et celles qui, au contraire, admettent des vérités morales spéciales, positives, l'élargissement ou le rétrécissement possible de la certitude morale comme d'une certitude expérimentale.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 234.
«Car je ne nie pas que la philosophie ne puisse entre des hommes, d'ailleurs divisés sur d'autres points, créer un lien pour ainsi dire mystique. Mais pas plus que la religion, la philosophie n'est désormais le temple où le fidèle vient chercher la vérité totale; elle est le sanctuaire où à certains jours, à certaines heures, son travail quotidien achevé, il vient méditer et faire sa retraite.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.
«Le rôle du philosophe est aujourd'hui le même à l'égard du savant et à l'égard du moraliste. Il ne découvre, il ne construit pas la morale. Il la réfléchit.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.
CHAPITRE VII
LA FORMULE DE VIE
«L'essence se différencie de la notion générale en ce que celle-ci est formée par des additions successives, indéfinies; l'essence est tout au contraire saisie tout entière en une fois, par un acte indivisible de l'esprit, uno intuitu. Elle n'a pas besoin d'être complétée, achevée par autre chose. Elle est simple. La certitude parfaite est celle qui n'a pas besoin de sortir de soi pour être achevée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 172.
«La véritable pensée n'est pas telle que les scolastiques la représentaient, faite de généralisations et d'abstractions, opérations indéfinies, jamais achevées. Elle n'est pas davantage une collection d'états de conscience, d'atomes psychiques, comme pensent les empiriques. Elle est une action de penser intensive, qui concentrée en elle-même saisit, en une fois, dans un acte unique, toute la suite, toute la loi de ses développements.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 173.
«... la généralisation nous apprend seulement combien de fois une essence est répétée. Elle ne nous la révèle pas. L'essence en elle-même se connaît seulement par une intuition, une expérience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 176.
«Comprendre, c'est repenser la pensée d'autrui ou plutôt la découvrir soi-même sous la suggestion d'autrui. La seule différence qui sépare l'inventeur proprement di de l'homme intelligent, c'est que le premier pense la nature directement et que l'autre a besoin d'un intermédiaire, d'un intercesseur. L'enseignement, c'est l'éveil, la révélation d'une pensée à elle-même. C'est pourquoi il faut solliciter tout homme à se mettre dans l'attitude de l'inventeur.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 177.
«L'honnête homme extrait de ses aspirations, de celles de son temps la formule collective ou individuelle qui s'exprime en une action type. Il cherche non le général, mais le définitif, non la croyance immédiate, mais celle qu'à la réflexion, dans une concentration solitaire de sa conscience, il éprouve toujours ou dans un moment donné invincible, une croyance, par suite, déterminée, définie, actuelle. Il n'observe pas seulement, il expérimente. Il ne se borne pas à connaître les grands courants moraux de son temps.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 179.
«C'est la croyance d'un temps qui est dans l'air, qui se respire. Et il ne faut pas méconnaître l'importance des devoirs de probité, de loyauté, des œuvres d'assistance, de solidarité, de philanthropie, des liens d'estime, d'affection ou de respect qui peuvent unir les hommes en tant qu'hommes. Il est même essentiel de rappeler à ceux qui adhèrent avec raison à une formule que, quelle que soit cette formule, elle se détache d'un fond moral commun, traditionnel, qu'un regard en eux-mêmes, autour d'eux ou vers le passé suffirait à retrouver, et que dans l,ardeur de la lutte, ils risquent trop souvent d'oublier.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 180.
«La croyance sincère est un approfondissement, un centre un, indivisible, particulier. La perception morale commune n'est que le possible, la matière que la conscience vivante actualise.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 181.
«La vérité morale n'est en général ni si bas que le croit le sens commun, ni si haut que le croient les métaphysiciens. Elle est un système, mais un système d'habitudes, d'actions déterminées, contemporaines. Je ne vis pas dans l'éternité. Je suis un homme parmi des hommes. La pensée morale organise ma vie, la vie des hommes. Elle est intermédiaire entre la réflexion métaphysique et la réflexion empirique. Les principes moraux sont des axiomata media.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 183.
«Pour conquérir la nature il ne faut ni simplement observer les données immédiates ni s'élever au-dessus d'elles au point de ne plus apercevoir que les sommet du réel. A cette condition seule de rester dans l'entre-deux, l'homme a pu conquérir la nature, à cette condition seule il peut conquérir la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184.
«Il est sans doute tentant de chercher la paix sur les hauteurs. Les hommes s'entendent aisément sur les vérités éternelles, la dignité de l'esprit, les destinées sublimes de l'humanité, depuis que les religions, les philosophies tendent à rentrer ce qu'il y a de trop aigu dans leurs angles, à dissimuler ce que leurs dogmes ont de trop particulier. Il faut l'avouer: c'est une joie exquise pour les âmes pures et sereines de fraterniser dans ces pensées, de communier avec un adversaire dans l'humanité profonde qui nous lie tous, d'exercer à son égard le pardon métaphysique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184-185.
«... l'humanité ne peut se dégager absolument de l'état de guerre, qui est son état normal. Elle peut seulement l'organiser, en doucir les formes, substituer la contrainte de la loi à celle de la force physique, l'arbirtage [sic] à la lutte armée. Or le moyen nécessaire pour spiritualiser las guerre, c'est que chacun prenant sincèrement conscience de sa foi, se batte au nom d'un idéal. Il y a chance qu'ainsi impersonnalisées les luttes prennent un caractère moins violent, moins âpre. Rien n'unit, ne rapproche les hommes comme une égale sincérité dans des fois opposées. On se serre la main, parce qu'on se sent également des hommes, après la bataille. La véritable paix n'est pas celle qui s'obtient par l'effacement des différences, des oppositions, par un syncrétisme douceâtre. C'est par l'approfondissement de sa propre foi que chacun trouvera inévitablement en soi le fond commun qui l'unit à autrui.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 185-186.
«Qu'est-ce, en effet, qu'une formule, sinon l'expression d'une loi ? mais quel est le point de départ de la loi ? L'expérience type. Ce qu'on appelle une induction, c'est la loi dans une expérience. L'essentiel n'est pas la loi formulée, c'est l'expérience. en elle se révèle le type d'existence, saisi par une action présente, immédiate, indivisible de l'esprit. L'induction, c'est l'extension dans l'espace, dans la durée, de cet acte, de ce type — caractère extrinsèque, [...], de ce type, de cet acte. Dès lors, l'essentiel n'est pas la formule, mais les actes d'où on l'extrait. La formule ne vaut que par les efforts infinitésimaux qui la réalisent au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 188-189.
«... il faut cependant comprendre la valeur d'une formule. Elle résume le passé, elle annonce l'avenir. C'est un gage, c'est une promesse. Surtout elle exprime la prise de conscience d'une vie par elle-même.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 190.
«Entre la connaissance empirique et la connaissance métaphysique il y a place pour l'idée expérimentale. C'est à cette idée que correspond la formule de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 191.
CHAPITRE VIII
SCIENCE ET CONSCIENCE.
INTRANSIGEANCE OU OPPORTUNISME
«La morale n'a sans doute pour objet de connaître les moyens d'action que dans leurs relations avec les fins idéales de l'homme. Mais pour connaître ces fins il faut qu'elle en connaisse les moyens. Souvent l'étude des moyens d'action nous révèle l'idéal. Il y a des hommes incapables d'isoler, d'abstraire l'idéal de ses conditions de réalisation et qui nient le premier, simplement parce qu'ils ne le voient pas possible.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 193-194.
«Si une croyance ne peut être isolée de ses effets, de ses moyens d'action, elle évolue avec eux; elle se transforme au fur et à mesure qu'elle agit, par son action même. Cela est vrai de l'idéal individuel comme de l'idéal social. On ne peut dire d'avance ce qui est juridique, ce qui ne l'est pas, déterminer ce qui par essence est de la conscience, par essence de la loi, pas plus que le moment où une idée veut aboutir, prendre corps dans la législation. On peut dire seulement que la conscience d'un temps ne veut pas que la loi touche à ceci, à cela. A cette certitude en devenir correspond une nouvelle forme de courage, le courage continu, quotidien, moléculaire. Tout au contraire, le révolutionnaire qui en est demeuré à l'ancien type de certitude, à la certitude statique, donnée en une fois, globale, ne conçoit l'acte de courage que sous la forme d'une crise. Mais notre temps est celui de l'audace expérimentale, méthodique. Les croyances morales ont dépassé le stade de l'intransigeance, de l'héroïsme utopique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 196-197.
«Nous avons placé très haut la science des moyens d'action. Il faut cependant se méfier des hommes dits compétents. Ils ne le sont pas toujours en matière d'idéal ou simplement d'idée. Ils n'imaginent l,action comme possible que dans les limites d'une tradition, celle dont ils ont été les instruments dociles et intelligents.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199.
«La réalité plastique se prête aux croyances, aux volontés fortes. Une foi nouvelle crée ses organes. Or, l'habitude rend les hommes compétents incapables d'une foi nouvelle. Ils sont comme ces gens qui, par peur d'être malades, ne mangent pas. S'ils avaient vraiment faim, ils mangeraient. A certaines gens pratiques aussi manque l'appétit, l'appétit de l'idéal. Ils ont la maladie du doute, du scrupule, c'est-à-dire du désir, de la volonté. Ils limitent étroitement le champ du possible parce qu'ils n'ont pas la foi.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199-200.
«Quand même une idée n'aurait jamais chance de réussir parmi les hommes, n'est-ce pas un service à rendre à l'univers que de lui montrer, au-dessus des platitudes et des médiocrités, une idée dans son absolue pureté ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 200.
«Le principe moderne de la justice n'est pas celui de l'égalité, mais de l'égalisation. On traite les hommes comme capables de devenir égaux. Les droits établis par la législation moderne ne sont pas proportionnels à la capacité réelle, mais possible des hommes.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 201.
«Une idée naît d'abord en une minorité consciente qui la réalise parce qu'elle y croit. Si la vie évolue, c'est que l'évolution a pour condition l'idée-force, son moteur intérieur. La conscience, la foi crée la science. Et le représentant de la foi dans toute l'intensité, dans toute l'originalité de sa vie nouvelle, c'est le révolutionnaire. § Ainsi s'opposent l'Évolution et la Révolution.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 202.
«Le précurseur révolutionnaire d'aujourd'hui diffère ou devrait différer de l'utopste [sic] d'autrefois en ceci que s'il ne réussit pas, s'il ne peut réussir, il ne se fait pas d'illusion sur ce qu'il peut. Il sait qu'il ne peut guère, mais que ce peu il le doit. Il mesure exactement la portée de son sacrifice. Il satisfait sa conscience, il suit sa vocation. Mais il s'attend à l'insuccès, il l'escompte.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 204.
«La possibilité du succès n'est pas la condition nécessaire d'une foi légitime. Mais il est ridicule de croire le succès possible dans des conditions impossibles. Le révolté quand même est un agité. Un réflexe de la colère ou de la haine n'est pas une pensée. Le martyr, de nos jours, ne compte que s'il est intelligent. Il sera par suite indulgent à ceux qui ne sont pas au même étage que lui. Il les comprend sans être avec eux.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 205.
«Le conservateur intelligent veut empêcher les heurts, les violences stériles, éviter dans les transformations nécessaires les déchirements irréparables; il se refuse à compromettre par des impatiences hâtives et pour un avenir encore incertain les conquêtes de la civilisation, de la pensée. Ainsi, défini, le conservatur se confond avec l'évolutionniste ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 206.
«Pour satisfaire de vagues inquiétudes philosophiques, rarement absentes des âmes les plus élémentaires, des intellectuels fournissent à ces politiques sans pensée des apologétiques sophistiques. quelques-uns de ces pseudo-penseurs, journalistes, gens de lettres, romanciers, ont sur les foules, sur un certain public, par leur éloquence, leur art ou leur brutalité, une puissance de suggestion particulière. Ils ne comptent pas comme penseurs, mais comme forces sociales.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.
«L'évolutionniste doit l'être sans fausse honte, sans peur. Car il faut du courage pour résister à des entraînements passagers que l'on ne pourrait soutenir ou dont les conséquences seraient funestes. Ceux qui craindraient, en adoptant cette attitude, de trop pencher dans le sens de leurs intérêts, de leur repos, peuvent se rassurer. Ceux qui bouleversèrent dans ses profondeurs la société et la vie furent et voulurent être des modérés. Socrate ne continuait-il pas à sacrifier aux dieux ? Et le Christ prétendait compléter, non détruire. Cela ne les sauva pas» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.
«L'idéal serait que les types divers ou opposés, le conservateur, l'évolutionniste, le révolutionnaire, se connussent, se comprissent, les uns maintenant l'ordre et la continuité, les autres entretenant l'esprit de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 208.
«On ne saurait cependant espérer supprimer les luttes des croyances, des partis, la guerre. Il faudrait seulement que tout en se battant les adversaires ne cessassent pas de se comprendre. Ils lutteront alors loyaux et sans haine, avec cette pensée qu'ils représentent chacun un point de vue sur la vie ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 209.
CHAPITRE IX
LE RELATIVISME MORAL
«Notre attitude morale n'est est pas moins relativiste. L'honnête homme comprend d'autres types moraux que le sien. L'histoire moderne a agrandi son horizon. Elle a transformé les croyances morales comme les conceptions astronomiques modernes ont transformé les croyances religieuses. Notre morale a cessé dès lors d'apparaître comme absolue, éternelle, de même que l'humanité a cessé d'apparaître comme la fin de l'univers du jour où la terre n'en a plus été le centre.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 213.
«C'est une erreur psychologique de penser que d'en savoir les limites affaiblisse nécessairement une croyance. L'état normal de l'homme est d'aimer, comme s'ils étaient éternels, des êtres périssables. Il se console naturellement de ne pouvoir tout parce qu'il peut quelque chose. Il concentre toute son âme sur un objet limité, et il est heureux ainsi. [...] De même, dans une certitude limitée, provisoire, le savant met toute sa puissance de penser. Il possède en une vérité comme un échantillon de la vérité. C'est sans doute qu'au travers de ce désir limité il sent le désir infini que celui-ci localise. Bien plus, il ne peut sentir l'infini que sous cette forme particulière et concentrée. La vérité n'est pas faite du contour de toutes les vérités. L'amour vrai n'est pas celui qui se promène d'objet en objet. Seule une certitude localisée satisfait la conscience, donne le sentiment de la plénitude.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 215-216.
«À moins d'être universel un idéal peut-il être légitime ? Or quel est l'idéal universel ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 216.
«Nous ne connaissons pas de centre unique qui soit la lumière. Elle est toute dans chaque rayon. Il faut persuader cela à l'homme, lui apprendre à détailler, à monnayer Dieu.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.
«... bien des croyances se dissoudraient, selon nous, moins aisément, si l'on n'était persuadé qu'un idéal n'est en droit justifié qu'à la condition d'être absolu, ou d'être suspendu à une vérité absolue. Il suffit à bien des hommes pour être ébranlés dans leur foi d'en découvrir l'histoire. Leur scepticisme a pour origine une superstition matérialiste de l'éternité.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.
«Le préjugé des vérités absolues conduit à cette autre illusion que seule l'intelligence contemplative, théorique, qui connaît la nature dans son ensemble, est digne du nom d'intelligence. Car seule elle connaît des lois objectives, immuables, éternelles. On lui subordonne la pensée morale qui s'applique à l'action, au désir humain. La certitude morale n'est justifiée que si elle s'appuie sur une philosophie de la nature ou de l'existence. Or cette philosophie n'étant pas possible, nous doutons de la certitude morale. § La racine de ce sophisme est ce préjugé naturaliste chosiste, que l'être est supérieur à l'agir, que la certitude pratique est faite d'une autre étoffe que la certitude théorique, qu'elle est sentiment et que l'autre seule est raison.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 218-219.
«Si une croyance tend à se défendre, à se propager, il est aussi obligatoire de la défendre, de la propager. Cette tendance à être, ce caractère rationnel, obligatoire d'une croyance sont indépendants de sa nature, de son extension. Une croyance tout individuelle et se sachant telle peut être aussi invincible qu'une croyance partagée par tout l'univers.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 220-221.
«Il est absurde de vouloir d'emblée s'élever à une vie éternelle, impersonnelle, surtout de prétendre en la vivant résoudre des problèmes spéciaux, mais il est légitime d'extraire de sa vie ce qu'elle contient d'humain, de se reposer de la pensée militant dans la contemplation des formes éternelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 221.
CHAPITRE X
CONCLUSION. —
L'ATTITUDE MORALE SCIENTIFIQUE
«Il ne suffit pas de penser. Il faut trouver le centre systématique où tend toute pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 222.
«Toutes choses égales, la conscience la plus morale est celle qui se sait le mieux elle-même, dont la formule est la plus nette, la plus directe. La seule pensée, doctrine ou formule valable, est celle née au contact du milieu auquel elle se rapporte, qui s'est mise à l'épreuve de l'action.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 223.
«... quiconque est moral a pris le parti de l'idéal. Il cherche la vérité, non la vie. Mais il est essentiel, en ce sens que le héros moderne ne doit se sacrifier que le sachant et le voulant. Il est intelligent.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 224-225.
«L'honnête homme se préoccupe moins de rattacher sa croyance à un principe supérieur que de l'approfondir elle-même, et, plus encore, de la manifester, de la développer. Sa conscience est ouverte à toutes les idées morales, à toutes les méthodes d'action d'un temps, sans prétention à la certitude universelle. Il fixe sa croyance où l'épreuve de la vie, le contact avec les autres croyances, l'expérience tout entière l'a fixé. Sa pensée est critique. § C'est là son caractère essentiel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 225.
«On ne peut guère dépasser dans l'enseignement de la morale la perception commune les leçons des choses. Mais que ces leçons du moins soient empruntées à la vie moderne. Je consens que l'on parle de Socrate, de Kant, mais que l'on parle aussi de coopératives, de syndicats, de mutualités. On n'inspirera pas la défiance préalable de la politique, de la polémique, de l'action; mais l'on suggérera au contraire cette impression que la matière de la réflexion morale, c'est le journal, la rue, la vie, la bataille au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 227-228.
«Car les sciences sociales objectives, si on prétend en déduire la morale, constituent un nouveau système de sophismes philosophiques, puisqu'elles identifient sans raison l'idéal et le réel. Les autres isolent l'action de la science et font de la conduite un art. § Or entre l'art de vivre et la philosophie de la morale il y a place pour une science de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 228.
«La pensée morale, comme la pensée scientifique, aboutissent au fait brut, mais comme à un champ d'action. La nature fournit à la seconde, la perception morale commune, à la première une matière extérieure qui attend sa forme.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 230.
«La morale, c'est la science de l'ordre idéal, de nos tendances, de nos actions. Elle ne connaît que les croyances humaines. L'expérience qui vérifie une croyance est elle-même une croyance, mais pratique, éprouvée. Le fait brut, matière de cette expérience, est une croyance encore, seulement immédiate, spontanée, non réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 231.
«Il y a donc relativement à l'idéal une attitude scientifique possible, et il faut opposer non la science et l'idéal, mais la science de l'idéal ou plutôt de l'action idéale et la science du réel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 233.
«L'opposition n'est pas entre la psychologie des sentiments moraux et le rationalisme moral. Elle est entre les doctrines qui admettent une vérité morale unique, universelle et celles qui, au contraire, admettent des vérités morales spéciales, positives, l'élargissement ou le rétrécissement possible de la certitude morale comme d'une certitude expérimentale.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 234.
«Car je ne nie pas que la philosophie ne puisse entre des hommes, d'ailleurs divisés sur d'autres points, créer un lien pour ainsi dire mystique. Mais pas plus que la religion, la philosophie n'est désormais le temple où le fidèle vient chercher la vérité totale; elle est le sanctuaire où à certains jours, à certaines heures, son travail quotidien achevé, il vient méditer et faire sa retraite.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.
«Le rôle du philosophe est aujourd'hui le même à l'égard du savant et à l'égard du moraliste. Il ne découvre, il ne construit pas la morale. Il la réfléchit.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.
vendredi 1 avril 2011
Frédéric Rauh — L'Expérience morale (Chapitres IV-VI)
[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]
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Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.
CHAPITRE IV
LA PENSÉE MORALE
«La pensée morale est-elle nécessairement universelle ? § Est-elle nécessairement éternelle ? § Quelle différence y a-t-il entre un sentiment moral et une pensée morale ? § Trois façons diverses de poser la même question et qui aboutissent à la même conclusion: le contenu et la forme de la pensée morale ne sont pas déterminables a priori, mais seulement par l'expérience morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 79.
«Être raisonnable, ce n'est pas toujours penser universellement, c'est, dans chaque ordre de connaissances, situer sa pensée. Qu'il agisse suivant des principes plus ou moins généraux ou qu'il cède à des inspirations spéciales, l'honnête homme pense ou veut penser. Il ne faut pas dire que ses maximes sont universelles ou individuelles; elles sont, lors même qu'il pense des devoirs particuliers, impersonnelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81.
«En fait, l'homme a toujours reconnu, toutes les fois qu'il a pensé, l'existence de lois abstraites et générales. Et ainsi la pensée peut se définir par la faculté de découvrir des lois. Mais nous ne pouvons savoir d'avance le degré d'extension.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81-82.
«L'honnête homme est raisonnable ne signifie donc pas qu'il ne pense que des principes éternels ou des faits permanents. Il suffit que sa pensée ait pris la forme de l'éternité et, pour cela, que la vérité ou le fait pensé soient habituels ou dominants dans la conscience. Le sentiment acquis de rationalité est justifié, la pensée en question est rationnelle, si après enquête elle résiste invinciblement, de quelque façon qu'elle ait été acquise à l'origine. Admettre le préjugé contraire, d'après lequel la seule certitude valable serait celle qui correspond à un ordre éternel, c'est nier la fécondité, la puissance de renouvellement de la vie. Doit être tenue pour un principe toute croyance qui en fait fonction.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 82-83.
«Penser, d'une façon générale, c'est sortir de soi, avoir une conscience plus ou moins vague de l'objectivité, du tout. Penser quelque chose, c'est le situer dans le tout. Le sentiment subjectif au contraire, c'est l'état de conscience dans ses relations avec l'individu lui-même, ses actes, ses muscles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 83.
«Tout sentiment tend à prendre dans la conscience humaine la forme d'une pensée. L'homme ne vas pas de l'individuel à l'universel. Tout au contraire il élève immédiatement à l'absolu tous ses états de conscience, tous ses actes. Il divinise et lui-même et les choses. Il se croit le confident de l'univers; ses colères, ses haines sont des colères inspirées. Il vit d'abord hors de soi, et toute réalité est pour lui vérité. C'est peu à peu qu'il se distingue des choses ou, en d'autres termes, qu'il distingue le sentiment de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 84.
«Le passage du sentiment à l'état de pensée est légitime, du moment que la conscience informée l'accepte. Cela signifie que si un sentiment apparaît après enquête comme devant être, c'est-à-dire comme préférable en toute ou en telle circonstance à tout autre, il est une pensée. Ce qu'on appelle les vérités du cœur ne se distingue pas des vérités rationnelles, du moment qu'elles sont situées.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 85-86.
«L'honnête homme ne préjuge rien de la nature de la certitude que lui fera la vie. Il cherche impartialement, sans lui imposer d'avance aucune forme, quelle préférence idéale s'impose à sa conscience. La raison n'est pas essentiellement abstraite, universelle, ni non plus concrète, particulière, permanente ou mobile: elle est impersonnelle et — pour un temps indéterminable a priori — invincible.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 86-87.
CHAPITRE V
PENSÉE SPONTANÉE ET PENSÉE RÉFLÉCHIE OU
DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE DANS SA RELATION AVEC SON CONTENU
«Les sentiments, c'est-à-dire toutes les pensées morales individuelle ou non contrôlées, doivent être situées par la pensée d'ensemble que l'on peut appeler synoptique ou synthétique, systématique ou organisatrice, ou encore, selon l'usage courant, réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 88.
«... un penseur moral doit être d'abord un honnête homme. Car le sentiment ne s'oppose pas à la pensée synthétique. Tantôt il est cette pensée même sous sa forme confuse. Tantôt il est l'élément de pensée, la pensée infinitésimale, que la pensée synthétique intègre: Tout honnête homme unifie, achève en sa conscience les pensées embryonnaires qui souvent s'exprimèrent en gestes de révoltes. C'est pourquoi il doit aller retremper, réchauffer sa foi au contact de ces fois élémentaires, source d'action immédiate, ressentir comme la contagion suggestive des passions pures, sous la peine de sentir se tarir en lui en même temps la source de la vie et celle de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 90.
«Le christianisme a inauguré le culte de l'humilité comme telle. Sa doctrine primitive fut une doctrine de démagogie mystique. S'appropriant le Vox populi, vox Dei, certains ont recueilli comme des enseignements les plus grossières manifestations du sentimentalisme des masses. Ils ont incliné leur intelligence lasse d'analyse devant l'instinct populaire. Et ainsi s'est faite cette alliance si étrange d'intellectuels anémiés, dégoûtés des jeux d'esprit, avec ce que le peuple contient de plus élémentairement brut.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 91.
«On peut [...] dire que la matière de toute réflexion morale, la perception morale commune a chance de se montrer dans les classes populaires libres des conventions mondaines, vivant d'une vie moins artificielle que les classes élevées, plus dégagée de tout alliage. Aussi bien que les pensées d'avenir y germent plus vivaces, le passé, la tradition, l'instinct de la race sont profondément inscrits dans la conscience des masses. Mais tous ces sentiments ne sont que la matière de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 92.
«Le sentiment de souillure persiste dans les consciences modernes, et peut-être que la connaissance même de ses origines religieuses ne l'effacerait pas. Nous serions Œdipe que nous aurions l'horreur de nous-même comme lui. Peut-être avons-nous alors le sentiment que des limites indécises séparent l'être et l,agir. Sait-on ce qu'il y a de naturel dans nos vertus, de vertueux dans notre nature ? Sait-on même si une nature, un caractère qui est en somme un commencement absolu, une formule en un sens irréductible, n'est pas comme une liberté ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 94-95.
«Comme il y a une vérité scientifique objective, il y a une vérité morale objective. Cette vérité est celle que, dans des conditions déterminées d'expérience, tout homme raisonnable reconnaîtrait comme accessible si non à tous, au moins à celui qui vit dans ces conditions. En e sens, il importe aussi peu à la vérité morale qu'à la vérité géométrique de savoir comment l'homme y a été amené.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 96.
«Peut-être bien des libertins le furent-ils pour s'affranchir de tout scrupule en matière de mœurs. Ce motif les conduisit cependant à des pensées vraies. Nous ne contestons pas d'ailleurs qu'il n'eût été mieux d'y venir par d'autres voies, que le meilleur moyen de trouver le vrai ne soit d'en faire son but constant, que cela ne soit plus moral, et seul moral. Mais cela n'empêche qu'une croyance ne puisse être vraie, quels qu'aient été ses motifs primitifs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 97.
«Le sentiment est par rapport à la conscience morale comme la nature par rapport à la pensée scientifique. La pensée utilise la nature, elle l'interprète, elle ne s'y soumet pas. C'est une contradiction de diviniser l'instinct, car c,est la raison qui l'élève à ce rang et par là-même se met au-dessus de lui, puisqu'elle le juge.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 98.
«Quel usage la pensée réfléchie ou synoptique fait-elle de la pensée confuse ? Quel est dans une même conscience le rapport de ces deux pensées ? La pensée synoptique peut être critique, elle peut être créatrice, imaginer des systèmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 100.
«Une affirmation pose comme réel en dehors d'elle-même, non seulement son être, mais l'être de ce qu'elle affirme, dans la mesure où elle affirme quelque chose comme vrai en dehors d'elle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 101.
«Dire que cela est conscient pour une autre conscience, c'est ne rien dire, car quelque conscience que nous imaginions, nous l'imaginons ainsi comme prolongée au delà d'elle-même dans cet inconnaissable.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 102.
«L réflexion ne crée donc rien, elle connaît la réalité morale. Elle n'est qu'un instrument de connaissance. La réflexion apparaît comme un moment rare, comme un point lumineux qui se détache d'un cône d'ombre, l'inconscient, l'être moral. Ce n'est pas moi, comme on le dit ordinairement, qui par l'affirmation d'un idéal m'oppose à la nature; je dirai plutôt: une nature qui veut être s'oppose par l'intermédiaire de ma conscience à la nature qui est.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 103.
«Comme toute réalité, un idéal moral a des signes objectifs par lesquels on juge de son existence, de sa force. On juge un homme sur ses actes, non sur ce qu'il en dit. On juge un penseur sur ses pensée réelles, non sur des phrases médiocres qu'il fait à propos ou autour d'elles.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 104.
«... la véritable fin de l'homme est de prendre conscience de son moi impersonnel et profond, la réflexion sur soi. La véritable maxime de la vie humaine n'est pas: «Dis ou fais», mais : «Sois». Or, cette conclusion résulte d'une confusion. De ce que la connaissance a en effet pour instrument le moi dans une attitude impersonnelle il ne suit pas que son seul objet soit le moi dans cette attitude. Je puis prendre conscience du moi impersonnel en réfléchissant sur mes semblables ou sur la nature.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105.
«Il y a ceci de vrai dans cette vue de l'ancienne métaphysique que les devoirs envers les autres ne s'adressent pas aux autres en tant que tels. Ce n'est pas aux autres que je me sacrifie, mais à la vérité, à l'idée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105-106.
«Il n'est pas vrai que le souci de la pureté, de la perfection intérieure soit le premier qu'il faille donner à l'homme. Tout au contraire, de même qu'il vit d'abord hors de lui, comme une chose parmi les choses, avant d'être capable de réfléchir sa vie, c'est par le sacrifice à autrui que l'homme apprendra à se détacher de ses passions.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 107.
«On ne forme pas la raison en l'appliquant d'abord à l'étude d'elle-même. L'idée que la morale monte de l'individu à la société résulte de cette conception que la conscience est une source de lumière qui rayonne, tandis qu'elle est plutôt un foyer qui concentre. C'est par un effet de la même erreur que l'on conçoit la métaphysique comme une science spéciale, la science de la réflexion pure, comme si les idées et le soi pensant qui en fait l'unité se suffisaient à eux-mêmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.
«L'individualisme subjectif, l'égotisme n'est pas sans parenté avec l'individualisme métaphysique. Le moi réfléchit, donc il crée: tel est le sophisme métaphysique. Le moi est l'instrument de la joie, de l'action, donc il en est l'objet: tel est le sophisme égotiste.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.
«Mais pas plus que la conscience rationnelle, la conscience empirique ne constitue toute l'individualité. Elle est le signe d'une réalité bien plus profonde, d'un caractère, d'une certaine formule de développement, et à ce titre nos semblables nous connaissent aussi bien, quelque fois mieux que nous-mêmes. Je dois tenir compte de leur témoignage, comme du mien, et juger de moi comme d'autrui impersonnellement.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 109.
«La raison réfléchie n'est qu'un point lumineux sans doute, amis sans ce point tout reste obscur. Bien loi de se perdre elle-même dans l'ombre de l'inconscient, elle ne se laisse envahir par lui que pour l'éclairer. Il est bien vrai que l'inconscience déborde la conscience, mais ce que nous projetons dans l'inconscience, ce n'est pas la pensée spontanée, c'est la pensée repensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 110.
«La réflexion morale applique au contraire à toute la vie morale, à toute la vie même inconsciente les idées qu'elle se fait du bien et du mal. Nous interprétons toute notre conduite individuelle d'un point de vue moral. Une conscience pure redoute par dessus tout les suggestions de l,inconscient: les dépister, tel est l'objet de l'examen de conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 111.
«... dans l'incertitude où nous sommes en général sur le véritable déterminisme de nos actions, nos jugements dépendent plutôt du parti pris que nous avons sur la vie. Un caractère moral craindra d'attribuer à la nature, par trop de complaisance pour soi-même, ce qui est la faute de sa volonté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 113.
«L'idée du contrat privé est à la base de nos législations modernes, et cette idée suppose des individus débattant en connaissance de cause leurs intérêts et leurs droits. L'idée du quasi-contrat n'est autre que celle même du contrat en tant qu'elle sert à interpréter des engagement implicites. Nous nous reconnaissons comme engagés dans contrat explicite, de sorte que tout se passe comme si nous avions contracté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 114.
«Les relations en apparence les plus instinctives tendent à prendre une forme rationnelle et réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 115.
«Le procédé ordinaire pour défendre une idée nouvelle est de montrer qu'on l'appliquait déjà sans s'en douter, d'extraire la formule impliquée dans nos actes antérieurs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 116.
«C'est une erreur des sociologues de tendance trop exclusivement juridique que de réduire les relations morales à n'être que des relations grossièrement contractuelles, où tout se balance en doit et avoir. Il y a des relations d,affection, et celles-ci aussi créent des devoirs et des droits. Il y a des devoirs d'amitié, et l'amitié a ses droits. [...] Nous avons des devoirs envers la famille, la patrie, non pas seulement parce qu'elles sont nos créancières, mais parce que nous les aimons invinciblement et qu'un amour invincible est comme un principe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 117-118.
«On a traité les capitalistes d'exploiteurs. Faire des profits, c'est en effet tirer de l'argent des salariés sans leur consentement, et c'est là proprement la définition du vol. Mais un homme n'est pas coupable s'il habite sans le savoir une maison volée. Il est vrai que tout honnête homme devrait, quand on la lui découvre, reconnaître qu'il participe à une injustice sociale organisée; tel sera certainement le sentiment de l'homme sans préjugé. Mais l'habitude nous a rendus si insensibles à cette injustice et la réparation en demande un effort si compliqué et si continu qu'il faut être, tout en luttant pour la vérité, indulgent à ceux qui ferment les yeux. D'autre part il faut tenir compte non seulement de l'innocence des intentions des détenteurs d'une propriété injuste, mais du travail incorporé dans la fortune actuelle, qui méritait en effet salaire, et aussi des compensations dues au droits acquis.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 119.
«La matière de la pensée est donnée à tous et chaque jour: c'est la vie pratique tout entière; le besoin brut lui-même a le droit de se faire entendre; il est la matière de l'idéal, de la justice. Ici, plus qu'en aucun ordre de réalité, l'inventeur trouve la formule de pensées éparses dans la masse des hommes, plus qu'il n'apporte une idée absolument nouvelle. Il doit pas suite se mettre en contact avec toute la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 122-123.
«... toutes choses égales ailleurs, il y a lieu de tenir compte,pour faire choix d'une croyance, de la quantité de ses adhérents, de sa puissance d'expansion, de sa fécondité, des dévoûments, des intelligences qu'elle suscite. C'est aussi un préjugé en faveur d'une croyance qu'elle se rattache à d'autres croyances de même direction.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 123-124.
«Les porteurs d'une idée morale étroite et puissante auront de plus en plus à tenir compte de la critique, de la morale collective [à l'intérieur de la démocratie]. Nous ne sommes plus dans la période héroïque de la science et de l'action; la diffusion de la culture, la démocratisation de la pensée oblige les créateurs eux-même à tenir compte de l'opinion, non seulement parce qu'elle est une force, mais parce qu'elle est une lumière. Il faut que le génie, les grands partis pris moraux reçoivent leur limite de la conscience commune. Parce que l'homme admire le torrent, doit-il se laisser emporter par lui ? Il l'utilise. Qu'il utilise aussi s'il peut les génies sans critique, les héros, expression brute de leur race, les hommes d'une seule vertu.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 125.
«Toutes les découvertes se sont faites contre la conscience commune. Les idées morales nouvelles naissent en général dans des milieux limités, fermés, réprouvés par la société. Il en est de la morale comme du langage: l'autorité n'y appartient pas à l'usage, mais à l'inventeur, à celui qui crée les formes dont se sert ensuite le commun des hommes, à l'écrivain, au philosophe, au poète.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 126.
«J'ai le droit, le devoir d'être moi. Sans doute. Mais je n'ai le droit d'être moi qu'après enquête, comme je n'affirme l'existence d'un fait singulier que parce que j'ai constaté par une comparaison parfois longue et pénible, qu'il est seul de son espèce. Et ceux contre lesquels j'affirme mon individualité, ont le devoir de l'éprouver avant de l'accepter telle quelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 127.
«Le véritable honnête homme est celui qui après enquête situe sa croyance. Il a présents à l'esprit non seulement tout le contenu de sa propre conscience, mais toute la conscience contemporaine, tous les types moraux actuellement vivants. C'est là la première sorte de connaissance nécessaire à l'honnête homme. Il est doué d'imagination morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 128.
«Il est vrai de dire que le premier devoir est d'être sincère. Un manuel de méthodologie morale est un manuel de sincérité. Mais il faut distinguer la sincérité d'une raison et celle d'un tempérament, ou encore celle d'un penseur proprement dit et celle d'un artiste qui n'exprime que son tempérament. Il y a des hommes qui modèlent leur vie comme une œuvre d'art, œuvre individuelle, parfaite en soi, indépendante de l'univers. Ceux-là sont des artistes, non des savants. Le savant ne vise pas à la perfection de son œuvre considérée en elle-même, mais dans ses rapports avec les connaissances déjà acquises par l'humanité, avec l'univers. On distingue le savant de l,artiste en morale, à ce trait que le savant, tout en étant lui-même, ne tient pas à parfaire son attitude dans tel détail de langage ou de costume, par exemple, qui n'a qu'une importance esthétique. § La sincérité dont il est question ici est celle d'une conscience impartiale qui se situe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 129-130.
CHAPITRE VI
DES DIVERSES FORMES DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE
«Nous ne nions pas que l'humanité n'ait acquis des connaissance définitives, même en morale. Mais elle les adapte à sa vie actuelle, et pour cela il faut d'abord qu'elle vive, prenne conscience de sa vie propre. Il n'y a de morale sérieuse que celle qui prétend à être contemporaine. Ce qui nous différencie des anciens, c'est qu'ils étaient de leur temps sans le savoir. Nous devons en être consciemment.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 132-133.
«Quand nou spensons rationnellement, notre pensée est immobile, intemporelle, et en ce sens, sub specie æternitatis. Mais il n'est pas nécessaire que cette pensée soit toujours la même. On conçoit une successions [sic] d'idées fixes. Telle est la pensée humaine. C'est pourquoi sont essence est à la fois d'évoluer et d'être actuelle. Elle pense autre chose aux différents moments de l'histoire, mais ce qu'elle pense à chacun de ces moments, elle le saisit dans un acte indivisible, intemporel.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 134.
«L'abstraction fondamentale qui est à la base de notre organisation comme de notre morale sociale est l'abstraction économique. L'homme est essentiellement aujourd'hui un être qui échange. Plus encore que le propriétaire des moyens de production, le propriétaire des moyens d'échange est le véritable souverain. L'argent donne véritablement ce que Marx appelait le pouvoir sur le travail d'autrui. Mais cette souveraineté est invisible parce qu'elle ne s'exerce pas in concreto d'homme à homme. Elle circule avec la monnaie, le billet de banque qui sont des possibilités de marchandises, de jouissance, de domination, c'est-à-dire des abstractions. Nous sommes les esclaves d'une abstraction anonyme et mobile.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 137.
«La raison logique n'est autre que le principe général de la tendance à être appliqué aux pensées. Une pensée tend à se maintenir, à durer. Or à cette tendance correspond un devoir qui est précisément le devoir de non-contradiction. Car il y a sentiment du devoir toutes les fois que, la spontanéité de la raison étant amenée par un obstacle à se réfléchir, la volonté supplée à la spontanéité défaillante.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 142.
«L'humanité n'a pas toujours donné aux contrats, aux lois le même contenu; elle a toujours tenu pour juste — au moins dans la période de civilisation ou même la période historique — de respecter les lois, les contrats. Mais on a longtemps admis que cette vertu n'était, comme toutes les autres, obligatoire pour un groupe qu'à l'intérieur de ce groupe.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.
«Les braves gens de tous les partis sont d'abord ceux qui gardent la foi jurée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.
«Le premier signe de l'immoralité, c'est la contradiction volontaire ou intéressée. Un parti est immoral si sa formation s'explique uniquement par une coalition incohérente d'intérêts opposés. Mais cette règle n'est exacte qu'à une condition: c'est que la croyance morale où l'on persévère paraisse toujours vraie, qu'aucune autre croyance ne s'y oppose ou ne la limite. Dans ce cas il y a conflit de devoirs, conflit qui se résout par l'épreuve de la conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 145.
«Nos pères ont fait de grandes choses; faisons comme eux, mais pour des raisons meilleures. La tendance logique ainsi entendue n'est que la forme intellectuelle de la brutalité. Le peuple pousse ses idées jusqu'au bout comme il fonce sur l'ennemi quand il est en colère. Certains métaphysiciens contribuent à le maintenir dans cette brutalité en perpétuant cette illusion de l'absolue autonomie des idées, en cherchant dans la raison en soi le fondement de la République ou dans le principe de causalité celui de la justice.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 150.
«Le seul fait d'avoir vécu dans une société nous engage implicitement à en accepter les charges.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151.
«Le pardon corrige la rigueur de la justice et s'y oppose en certains cas. Mais la charité n'est-elle pas la justice ? Car si le coupable est coupable, n'est-ce pas souvent par la faute de la société qui l'a mis par une organisation défectueuse dans l'impossibilité d'être bon ? Le pardon devient dès lors juste réparation. En morale comme en science, l'identification du distinct est un des procédés de l'invention.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151-152.
«Mais qui dira jusqu'où doit aller cette extension d'une croyance, ce devoir ? Car il faut qu'ils aient une limite. Or, il n'y a aucune raison pour que l'élan de la pensée s'arrête ici ou là, sinon, dans l'ordre théorique, l'expérience objective, dans l'ordre pratique, l'expérience morale. Une croyance morale tend à être, à s'étendre, comme tout sentiment, tout état de conscience. Cette extension est légitime dans la mesure où les consciences qui comptent, après s'être éprouvées, la veulent.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152.
«Une croyance vraie est avant tout celle qui s'est éprouvée au contact du milieu qu'elle concerne. Il suit de là que nous devons faire subir à toute croyance morale que nous sommes tentés de généraliser des épreuves successives au contact des milieux où nous voulons la réaliser.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152-153.
«Le mouvement général d'un siècle n'est pas fait d'un seul mouvement qui se communique à tous les autres. Il est la résultante de mouvements particuliers tous dirigés dans le même sens. C'est pourquoi l'éducation d'un peuple doit se faire par toutes les voies, et il est naïf d'imaginer que le changement des conditions économiques suffirait à transformer toute la superstructure sociale. Certains intellectuels commettent l'erreur inverse, quand ils prétendent convertir les foules par un enseignement philosophique, en leur apportant la nourriture spirituelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 155.
«Des devoirs, de forme d'ailleurs diverse, peuvent être subordonnés à des devoirs dominateurs comme des moyens à une fin. Le respect de la vie humaine est-il un principe en soi, ou cesse-t-il avec la déchéance morale de la personne ? Le patriotisme est-il un devoir autonome ou n'a-t-il de valeur que s'il est subordonné au devoir envers l'humanité ? On s'apercevra qu'un principe cesse d'être une fin en soi lorsqu'on commence à le justifier. Un principe sert à justifier toutes les autres vérités, loin d'avoir besoin de justification.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 156.
«Si je limite le droit que mon semblable a de me regarder, c'est que je lui oppose le droit à la propriété de ma personne dont je ne veux rien laisser distraire à mon insu.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.
«... en droit, c'est un postulat de la pensée — sans lequel elle s'évanouirait aussitôt que formée — qu'il faut persévérer dans une certitude, tant qu'aucune autre ne s'y oppose. C'est par suite un devoir de maintenir ce qu'on pense, si aucune raison ne le contredit.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.
«Les généralisations morales légitimes peuvent être retardées par les hommes ou par les circonstances qui ne s'y prêtent pas. Nous ne pouvons cependant y renoncer, si, sincèrement, après nous être placés dans le milieu qui convient, les épreuves nécessaires accomplies, nous déclarons invincible la tendance à étendre notre foi. mais faut-il alors consentir à mutiler notre idéal pour en réaliser quelque chose ou au contraire le maintenir dans son intégrité ? Dans quelle mesure faut-il être évolutionniste ou révolutionnaire ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 160.
«Modérés ou intransigeants doivent cesser de se fonder désormais les uns sur la nécessité universelle de l'évolution, les autres sur le devoir d'être logique. Il peut être beau de pousser jusqu'au bout ses idées; mais si l'on est révolutionnaire, qu'on le soit parce qu'en conscience on croit devoir l'être, pour être sincère, non pour être logique. Il y a des moments où c'est un devoir d'affirmer un principe dans sa pureté, de s'y attacher quand même en désespéré. Il en est où il convient de l'adapter aux circonstances, d'en faire passer tout ce qui se peut dans la réalité présente. La logique n'a rien à voir ici.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 161.
«Nous ne savons pas ce que pense la nature, nous ne pouvons que le conjecturer et dès lors nos hypothèses sont libres. Nous pouvons savoir ce que pense l'homme. Nous nous adressons ici non à une pensée énigmatique qui ne dit pas son secret, mais à une conscience. Or à substituer aux contradictions, aux synthèse profondes, vivantes de la croyance, des synthèses artificielles, on risque de fausser les consciences, de mettre le pharisaïsme, le verbalisme à la place de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 165.
VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.
Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.
CHAPITRE IV
LA PENSÉE MORALE
«La pensée morale est-elle nécessairement universelle ? § Est-elle nécessairement éternelle ? § Quelle différence y a-t-il entre un sentiment moral et une pensée morale ? § Trois façons diverses de poser la même question et qui aboutissent à la même conclusion: le contenu et la forme de la pensée morale ne sont pas déterminables a priori, mais seulement par l'expérience morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 79.
«Être raisonnable, ce n'est pas toujours penser universellement, c'est, dans chaque ordre de connaissances, situer sa pensée. Qu'il agisse suivant des principes plus ou moins généraux ou qu'il cède à des inspirations spéciales, l'honnête homme pense ou veut penser. Il ne faut pas dire que ses maximes sont universelles ou individuelles; elles sont, lors même qu'il pense des devoirs particuliers, impersonnelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81.
«En fait, l'homme a toujours reconnu, toutes les fois qu'il a pensé, l'existence de lois abstraites et générales. Et ainsi la pensée peut se définir par la faculté de découvrir des lois. Mais nous ne pouvons savoir d'avance le degré d'extension.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 81-82.
«L'honnête homme est raisonnable ne signifie donc pas qu'il ne pense que des principes éternels ou des faits permanents. Il suffit que sa pensée ait pris la forme de l'éternité et, pour cela, que la vérité ou le fait pensé soient habituels ou dominants dans la conscience. Le sentiment acquis de rationalité est justifié, la pensée en question est rationnelle, si après enquête elle résiste invinciblement, de quelque façon qu'elle ait été acquise à l'origine. Admettre le préjugé contraire, d'après lequel la seule certitude valable serait celle qui correspond à un ordre éternel, c'est nier la fécondité, la puissance de renouvellement de la vie. Doit être tenue pour un principe toute croyance qui en fait fonction.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 82-83.
«Penser, d'une façon générale, c'est sortir de soi, avoir une conscience plus ou moins vague de l'objectivité, du tout. Penser quelque chose, c'est le situer dans le tout. Le sentiment subjectif au contraire, c'est l'état de conscience dans ses relations avec l'individu lui-même, ses actes, ses muscles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 83.
«Tout sentiment tend à prendre dans la conscience humaine la forme d'une pensée. L'homme ne vas pas de l'individuel à l'universel. Tout au contraire il élève immédiatement à l'absolu tous ses états de conscience, tous ses actes. Il divinise et lui-même et les choses. Il se croit le confident de l'univers; ses colères, ses haines sont des colères inspirées. Il vit d'abord hors de soi, et toute réalité est pour lui vérité. C'est peu à peu qu'il se distingue des choses ou, en d'autres termes, qu'il distingue le sentiment de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 84.
«Le passage du sentiment à l'état de pensée est légitime, du moment que la conscience informée l'accepte. Cela signifie que si un sentiment apparaît après enquête comme devant être, c'est-à-dire comme préférable en toute ou en telle circonstance à tout autre, il est une pensée. Ce qu'on appelle les vérités du cœur ne se distingue pas des vérités rationnelles, du moment qu'elles sont situées.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 85-86.
«L'honnête homme ne préjuge rien de la nature de la certitude que lui fera la vie. Il cherche impartialement, sans lui imposer d'avance aucune forme, quelle préférence idéale s'impose à sa conscience. La raison n'est pas essentiellement abstraite, universelle, ni non plus concrète, particulière, permanente ou mobile: elle est impersonnelle et — pour un temps indéterminable a priori — invincible.» — Frédéric RAUH. Chapitre IV. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 86-87.
CHAPITRE V
PENSÉE SPONTANÉE ET PENSÉE RÉFLÉCHIE OU
DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE DANS SA RELATION AVEC SON CONTENU
«Les sentiments, c'est-à-dire toutes les pensées morales individuelle ou non contrôlées, doivent être situées par la pensée d'ensemble que l'on peut appeler synoptique ou synthétique, systématique ou organisatrice, ou encore, selon l'usage courant, réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 88.
«... un penseur moral doit être d'abord un honnête homme. Car le sentiment ne s'oppose pas à la pensée synthétique. Tantôt il est cette pensée même sous sa forme confuse. Tantôt il est l'élément de pensée, la pensée infinitésimale, que la pensée synthétique intègre: Tout honnête homme unifie, achève en sa conscience les pensées embryonnaires qui souvent s'exprimèrent en gestes de révoltes. C'est pourquoi il doit aller retremper, réchauffer sa foi au contact de ces fois élémentaires, source d'action immédiate, ressentir comme la contagion suggestive des passions pures, sous la peine de sentir se tarir en lui en même temps la source de la vie et celle de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 90.
«Le christianisme a inauguré le culte de l'humilité comme telle. Sa doctrine primitive fut une doctrine de démagogie mystique. S'appropriant le Vox populi, vox Dei, certains ont recueilli comme des enseignements les plus grossières manifestations du sentimentalisme des masses. Ils ont incliné leur intelligence lasse d'analyse devant l'instinct populaire. Et ainsi s'est faite cette alliance si étrange d'intellectuels anémiés, dégoûtés des jeux d'esprit, avec ce que le peuple contient de plus élémentairement brut.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 91.
«On peut [...] dire que la matière de toute réflexion morale, la perception morale commune a chance de se montrer dans les classes populaires libres des conventions mondaines, vivant d'une vie moins artificielle que les classes élevées, plus dégagée de tout alliage. Aussi bien que les pensées d'avenir y germent plus vivaces, le passé, la tradition, l'instinct de la race sont profondément inscrits dans la conscience des masses. Mais tous ces sentiments ne sont que la matière de la pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 92.
«Le sentiment de souillure persiste dans les consciences modernes, et peut-être que la connaissance même de ses origines religieuses ne l'effacerait pas. Nous serions Œdipe que nous aurions l'horreur de nous-même comme lui. Peut-être avons-nous alors le sentiment que des limites indécises séparent l'être et l,agir. Sait-on ce qu'il y a de naturel dans nos vertus, de vertueux dans notre nature ? Sait-on même si une nature, un caractère qui est en somme un commencement absolu, une formule en un sens irréductible, n'est pas comme une liberté ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 94-95.
«Comme il y a une vérité scientifique objective, il y a une vérité morale objective. Cette vérité est celle que, dans des conditions déterminées d'expérience, tout homme raisonnable reconnaîtrait comme accessible si non à tous, au moins à celui qui vit dans ces conditions. En e sens, il importe aussi peu à la vérité morale qu'à la vérité géométrique de savoir comment l'homme y a été amené.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 96.
«Peut-être bien des libertins le furent-ils pour s'affranchir de tout scrupule en matière de mœurs. Ce motif les conduisit cependant à des pensées vraies. Nous ne contestons pas d'ailleurs qu'il n'eût été mieux d'y venir par d'autres voies, que le meilleur moyen de trouver le vrai ne soit d'en faire son but constant, que cela ne soit plus moral, et seul moral. Mais cela n'empêche qu'une croyance ne puisse être vraie, quels qu'aient été ses motifs primitifs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 97.
«Le sentiment est par rapport à la conscience morale comme la nature par rapport à la pensée scientifique. La pensée utilise la nature, elle l'interprète, elle ne s'y soumet pas. C'est une contradiction de diviniser l'instinct, car c,est la raison qui l'élève à ce rang et par là-même se met au-dessus de lui, puisqu'elle le juge.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 98.
«Quel usage la pensée réfléchie ou synoptique fait-elle de la pensée confuse ? Quel est dans une même conscience le rapport de ces deux pensées ? La pensée synoptique peut être critique, elle peut être créatrice, imaginer des systèmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 100.
«Une affirmation pose comme réel en dehors d'elle-même, non seulement son être, mais l'être de ce qu'elle affirme, dans la mesure où elle affirme quelque chose comme vrai en dehors d'elle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 101.
«Dire que cela est conscient pour une autre conscience, c'est ne rien dire, car quelque conscience que nous imaginions, nous l'imaginons ainsi comme prolongée au delà d'elle-même dans cet inconnaissable.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 102.
«L réflexion ne crée donc rien, elle connaît la réalité morale. Elle n'est qu'un instrument de connaissance. La réflexion apparaît comme un moment rare, comme un point lumineux qui se détache d'un cône d'ombre, l'inconscient, l'être moral. Ce n'est pas moi, comme on le dit ordinairement, qui par l'affirmation d'un idéal m'oppose à la nature; je dirai plutôt: une nature qui veut être s'oppose par l'intermédiaire de ma conscience à la nature qui est.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 103.
«Comme toute réalité, un idéal moral a des signes objectifs par lesquels on juge de son existence, de sa force. On juge un homme sur ses actes, non sur ce qu'il en dit. On juge un penseur sur ses pensée réelles, non sur des phrases médiocres qu'il fait à propos ou autour d'elles.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 104.
«... la véritable fin de l'homme est de prendre conscience de son moi impersonnel et profond, la réflexion sur soi. La véritable maxime de la vie humaine n'est pas: «Dis ou fais», mais : «Sois». Or, cette conclusion résulte d'une confusion. De ce que la connaissance a en effet pour instrument le moi dans une attitude impersonnelle il ne suit pas que son seul objet soit le moi dans cette attitude. Je puis prendre conscience du moi impersonnel en réfléchissant sur mes semblables ou sur la nature.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105.
«Il y a ceci de vrai dans cette vue de l'ancienne métaphysique que les devoirs envers les autres ne s'adressent pas aux autres en tant que tels. Ce n'est pas aux autres que je me sacrifie, mais à la vérité, à l'idée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 105-106.
«Il n'est pas vrai que le souci de la pureté, de la perfection intérieure soit le premier qu'il faille donner à l'homme. Tout au contraire, de même qu'il vit d'abord hors de lui, comme une chose parmi les choses, avant d'être capable de réfléchir sa vie, c'est par le sacrifice à autrui que l'homme apprendra à se détacher de ses passions.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 107.
«On ne forme pas la raison en l'appliquant d'abord à l'étude d'elle-même. L'idée que la morale monte de l'individu à la société résulte de cette conception que la conscience est une source de lumière qui rayonne, tandis qu'elle est plutôt un foyer qui concentre. C'est par un effet de la même erreur que l'on conçoit la métaphysique comme une science spéciale, la science de la réflexion pure, comme si les idées et le soi pensant qui en fait l'unité se suffisaient à eux-mêmes.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.
«L'individualisme subjectif, l'égotisme n'est pas sans parenté avec l'individualisme métaphysique. Le moi réfléchit, donc il crée: tel est le sophisme métaphysique. Le moi est l'instrument de la joie, de l'action, donc il en est l'objet: tel est le sophisme égotiste.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 108.
«Mais pas plus que la conscience rationnelle, la conscience empirique ne constitue toute l'individualité. Elle est le signe d'une réalité bien plus profonde, d'un caractère, d'une certaine formule de développement, et à ce titre nos semblables nous connaissent aussi bien, quelque fois mieux que nous-mêmes. Je dois tenir compte de leur témoignage, comme du mien, et juger de moi comme d'autrui impersonnellement.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 109.
«La raison réfléchie n'est qu'un point lumineux sans doute, amis sans ce point tout reste obscur. Bien loi de se perdre elle-même dans l'ombre de l'inconscient, elle ne se laisse envahir par lui que pour l'éclairer. Il est bien vrai que l'inconscience déborde la conscience, mais ce que nous projetons dans l'inconscience, ce n'est pas la pensée spontanée, c'est la pensée repensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 110.
«La réflexion morale applique au contraire à toute la vie morale, à toute la vie même inconsciente les idées qu'elle se fait du bien et du mal. Nous interprétons toute notre conduite individuelle d'un point de vue moral. Une conscience pure redoute par dessus tout les suggestions de l,inconscient: les dépister, tel est l'objet de l'examen de conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 111.
«... dans l'incertitude où nous sommes en général sur le véritable déterminisme de nos actions, nos jugements dépendent plutôt du parti pris que nous avons sur la vie. Un caractère moral craindra d'attribuer à la nature, par trop de complaisance pour soi-même, ce qui est la faute de sa volonté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 113.
«L'idée du contrat privé est à la base de nos législations modernes, et cette idée suppose des individus débattant en connaissance de cause leurs intérêts et leurs droits. L'idée du quasi-contrat n'est autre que celle même du contrat en tant qu'elle sert à interpréter des engagement implicites. Nous nous reconnaissons comme engagés dans contrat explicite, de sorte que tout se passe comme si nous avions contracté.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 114.
«Les relations en apparence les plus instinctives tendent à prendre une forme rationnelle et réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 115.
«Le procédé ordinaire pour défendre une idée nouvelle est de montrer qu'on l'appliquait déjà sans s'en douter, d'extraire la formule impliquée dans nos actes antérieurs.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 116.
«C'est une erreur des sociologues de tendance trop exclusivement juridique que de réduire les relations morales à n'être que des relations grossièrement contractuelles, où tout se balance en doit et avoir. Il y a des relations d,affection, et celles-ci aussi créent des devoirs et des droits. Il y a des devoirs d'amitié, et l'amitié a ses droits. [...] Nous avons des devoirs envers la famille, la patrie, non pas seulement parce qu'elles sont nos créancières, mais parce que nous les aimons invinciblement et qu'un amour invincible est comme un principe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 117-118.
«On a traité les capitalistes d'exploiteurs. Faire des profits, c'est en effet tirer de l'argent des salariés sans leur consentement, et c'est là proprement la définition du vol. Mais un homme n'est pas coupable s'il habite sans le savoir une maison volée. Il est vrai que tout honnête homme devrait, quand on la lui découvre, reconnaître qu'il participe à une injustice sociale organisée; tel sera certainement le sentiment de l'homme sans préjugé. Mais l'habitude nous a rendus si insensibles à cette injustice et la réparation en demande un effort si compliqué et si continu qu'il faut être, tout en luttant pour la vérité, indulgent à ceux qui ferment les yeux. D'autre part il faut tenir compte non seulement de l'innocence des intentions des détenteurs d'une propriété injuste, mais du travail incorporé dans la fortune actuelle, qui méritait en effet salaire, et aussi des compensations dues au droits acquis.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 119.
«La matière de la pensée est donnée à tous et chaque jour: c'est la vie pratique tout entière; le besoin brut lui-même a le droit de se faire entendre; il est la matière de l'idéal, de la justice. Ici, plus qu'en aucun ordre de réalité, l'inventeur trouve la formule de pensées éparses dans la masse des hommes, plus qu'il n'apporte une idée absolument nouvelle. Il doit pas suite se mettre en contact avec toute la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 122-123.
«... toutes choses égales ailleurs, il y a lieu de tenir compte,pour faire choix d'une croyance, de la quantité de ses adhérents, de sa puissance d'expansion, de sa fécondité, des dévoûments, des intelligences qu'elle suscite. C'est aussi un préjugé en faveur d'une croyance qu'elle se rattache à d'autres croyances de même direction.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 123-124.
«Les porteurs d'une idée morale étroite et puissante auront de plus en plus à tenir compte de la critique, de la morale collective [à l'intérieur de la démocratie]. Nous ne sommes plus dans la période héroïque de la science et de l'action; la diffusion de la culture, la démocratisation de la pensée oblige les créateurs eux-même à tenir compte de l'opinion, non seulement parce qu'elle est une force, mais parce qu'elle est une lumière. Il faut que le génie, les grands partis pris moraux reçoivent leur limite de la conscience commune. Parce que l'homme admire le torrent, doit-il se laisser emporter par lui ? Il l'utilise. Qu'il utilise aussi s'il peut les génies sans critique, les héros, expression brute de leur race, les hommes d'une seule vertu.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 125.
«Toutes les découvertes se sont faites contre la conscience commune. Les idées morales nouvelles naissent en général dans des milieux limités, fermés, réprouvés par la société. Il en est de la morale comme du langage: l'autorité n'y appartient pas à l'usage, mais à l'inventeur, à celui qui crée les formes dont se sert ensuite le commun des hommes, à l'écrivain, au philosophe, au poète.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 126.
«J'ai le droit, le devoir d'être moi. Sans doute. Mais je n'ai le droit d'être moi qu'après enquête, comme je n'affirme l'existence d'un fait singulier que parce que j'ai constaté par une comparaison parfois longue et pénible, qu'il est seul de son espèce. Et ceux contre lesquels j'affirme mon individualité, ont le devoir de l'éprouver avant de l'accepter telle quelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 127.
«Le véritable honnête homme est celui qui après enquête situe sa croyance. Il a présents à l'esprit non seulement tout le contenu de sa propre conscience, mais toute la conscience contemporaine, tous les types moraux actuellement vivants. C'est là la première sorte de connaissance nécessaire à l'honnête homme. Il est doué d'imagination morale.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 128.
«Il est vrai de dire que le premier devoir est d'être sincère. Un manuel de méthodologie morale est un manuel de sincérité. Mais il faut distinguer la sincérité d'une raison et celle d'un tempérament, ou encore celle d'un penseur proprement dit et celle d'un artiste qui n'exprime que son tempérament. Il y a des hommes qui modèlent leur vie comme une œuvre d'art, œuvre individuelle, parfaite en soi, indépendante de l'univers. Ceux-là sont des artistes, non des savants. Le savant ne vise pas à la perfection de son œuvre considérée en elle-même, mais dans ses rapports avec les connaissances déjà acquises par l'humanité, avec l'univers. On distingue le savant de l,artiste en morale, à ce trait que le savant, tout en étant lui-même, ne tient pas à parfaire son attitude dans tel détail de langage ou de costume, par exemple, qui n'a qu'une importance esthétique. § La sincérité dont il est question ici est celle d'une conscience impartiale qui se situe.» — Frédéric RAUH. Chapitre V. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 129-130.
CHAPITRE VI
DES DIVERSES FORMES DE LA PENSÉE RÉFLÉCHIE
«Nous ne nions pas que l'humanité n'ait acquis des connaissance définitives, même en morale. Mais elle les adapte à sa vie actuelle, et pour cela il faut d'abord qu'elle vive, prenne conscience de sa vie propre. Il n'y a de morale sérieuse que celle qui prétend à être contemporaine. Ce qui nous différencie des anciens, c'est qu'ils étaient de leur temps sans le savoir. Nous devons en être consciemment.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 132-133.
«Quand nou spensons rationnellement, notre pensée est immobile, intemporelle, et en ce sens, sub specie æternitatis. Mais il n'est pas nécessaire que cette pensée soit toujours la même. On conçoit une successions [sic] d'idées fixes. Telle est la pensée humaine. C'est pourquoi sont essence est à la fois d'évoluer et d'être actuelle. Elle pense autre chose aux différents moments de l'histoire, mais ce qu'elle pense à chacun de ces moments, elle le saisit dans un acte indivisible, intemporel.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 134.
«L'abstraction fondamentale qui est à la base de notre organisation comme de notre morale sociale est l'abstraction économique. L'homme est essentiellement aujourd'hui un être qui échange. Plus encore que le propriétaire des moyens de production, le propriétaire des moyens d'échange est le véritable souverain. L'argent donne véritablement ce que Marx appelait le pouvoir sur le travail d'autrui. Mais cette souveraineté est invisible parce qu'elle ne s'exerce pas in concreto d'homme à homme. Elle circule avec la monnaie, le billet de banque qui sont des possibilités de marchandises, de jouissance, de domination, c'est-à-dire des abstractions. Nous sommes les esclaves d'une abstraction anonyme et mobile.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 137.
«La raison logique n'est autre que le principe général de la tendance à être appliqué aux pensées. Une pensée tend à se maintenir, à durer. Or à cette tendance correspond un devoir qui est précisément le devoir de non-contradiction. Car il y a sentiment du devoir toutes les fois que, la spontanéité de la raison étant amenée par un obstacle à se réfléchir, la volonté supplée à la spontanéité défaillante.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 142.
«L'humanité n'a pas toujours donné aux contrats, aux lois le même contenu; elle a toujours tenu pour juste — au moins dans la période de civilisation ou même la période historique — de respecter les lois, les contrats. Mais on a longtemps admis que cette vertu n'était, comme toutes les autres, obligatoire pour un groupe qu'à l'intérieur de ce groupe.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.
«Les braves gens de tous les partis sont d'abord ceux qui gardent la foi jurée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 143.
«Le premier signe de l'immoralité, c'est la contradiction volontaire ou intéressée. Un parti est immoral si sa formation s'explique uniquement par une coalition incohérente d'intérêts opposés. Mais cette règle n'est exacte qu'à une condition: c'est que la croyance morale où l'on persévère paraisse toujours vraie, qu'aucune autre croyance ne s'y oppose ou ne la limite. Dans ce cas il y a conflit de devoirs, conflit qui se résout par l'épreuve de la conscience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 145.
«Nos pères ont fait de grandes choses; faisons comme eux, mais pour des raisons meilleures. La tendance logique ainsi entendue n'est que la forme intellectuelle de la brutalité. Le peuple pousse ses idées jusqu'au bout comme il fonce sur l'ennemi quand il est en colère. Certains métaphysiciens contribuent à le maintenir dans cette brutalité en perpétuant cette illusion de l'absolue autonomie des idées, en cherchant dans la raison en soi le fondement de la République ou dans le principe de causalité celui de la justice.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 150.
«Le seul fait d'avoir vécu dans une société nous engage implicitement à en accepter les charges.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151.
«Le pardon corrige la rigueur de la justice et s'y oppose en certains cas. Mais la charité n'est-elle pas la justice ? Car si le coupable est coupable, n'est-ce pas souvent par la faute de la société qui l'a mis par une organisation défectueuse dans l'impossibilité d'être bon ? Le pardon devient dès lors juste réparation. En morale comme en science, l'identification du distinct est un des procédés de l'invention.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 151-152.
«Mais qui dira jusqu'où doit aller cette extension d'une croyance, ce devoir ? Car il faut qu'ils aient une limite. Or, il n'y a aucune raison pour que l'élan de la pensée s'arrête ici ou là, sinon, dans l'ordre théorique, l'expérience objective, dans l'ordre pratique, l'expérience morale. Une croyance morale tend à être, à s'étendre, comme tout sentiment, tout état de conscience. Cette extension est légitime dans la mesure où les consciences qui comptent, après s'être éprouvées, la veulent.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152.
«Une croyance vraie est avant tout celle qui s'est éprouvée au contact du milieu qu'elle concerne. Il suit de là que nous devons faire subir à toute croyance morale que nous sommes tentés de généraliser des épreuves successives au contact des milieux où nous voulons la réaliser.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 152-153.
«Le mouvement général d'un siècle n'est pas fait d'un seul mouvement qui se communique à tous les autres. Il est la résultante de mouvements particuliers tous dirigés dans le même sens. C'est pourquoi l'éducation d'un peuple doit se faire par toutes les voies, et il est naïf d'imaginer que le changement des conditions économiques suffirait à transformer toute la superstructure sociale. Certains intellectuels commettent l'erreur inverse, quand ils prétendent convertir les foules par un enseignement philosophique, en leur apportant la nourriture spirituelle.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 155.
«Des devoirs, de forme d'ailleurs diverse, peuvent être subordonnés à des devoirs dominateurs comme des moyens à une fin. Le respect de la vie humaine est-il un principe en soi, ou cesse-t-il avec la déchéance morale de la personne ? Le patriotisme est-il un devoir autonome ou n'a-t-il de valeur que s'il est subordonné au devoir envers l'humanité ? On s'apercevra qu'un principe cesse d'être une fin en soi lorsqu'on commence à le justifier. Un principe sert à justifier toutes les autres vérités, loin d'avoir besoin de justification.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 156.
«Si je limite le droit que mon semblable a de me regarder, c'est que je lui oppose le droit à la propriété de ma personne dont je ne veux rien laisser distraire à mon insu.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.
«... en droit, c'est un postulat de la pensée — sans lequel elle s'évanouirait aussitôt que formée — qu'il faut persévérer dans une certitude, tant qu'aucune autre ne s'y oppose. C'est par suite un devoir de maintenir ce qu'on pense, si aucune raison ne le contredit.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 159.
«Les généralisations morales légitimes peuvent être retardées par les hommes ou par les circonstances qui ne s'y prêtent pas. Nous ne pouvons cependant y renoncer, si, sincèrement, après nous être placés dans le milieu qui convient, les épreuves nécessaires accomplies, nous déclarons invincible la tendance à étendre notre foi. mais faut-il alors consentir à mutiler notre idéal pour en réaliser quelque chose ou au contraire le maintenir dans son intégrité ? Dans quelle mesure faut-il être évolutionniste ou révolutionnaire ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 160.
«Modérés ou intransigeants doivent cesser de se fonder désormais les uns sur la nécessité universelle de l'évolution, les autres sur le devoir d'être logique. Il peut être beau de pousser jusqu'au bout ses idées; mais si l'on est révolutionnaire, qu'on le soit parce qu'en conscience on croit devoir l'être, pour être sincère, non pour être logique. Il y a des moments où c'est un devoir d'affirmer un principe dans sa pureté, de s'y attacher quand même en désespéré. Il en est où il convient de l'adapter aux circonstances, d'en faire passer tout ce qui se peut dans la réalité présente. La logique n'a rien à voir ici.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 161.
«Nous ne savons pas ce que pense la nature, nous ne pouvons que le conjecturer et dès lors nos hypothèses sont libres. Nous pouvons savoir ce que pense l'homme. Nous nous adressons ici non à une pensée énigmatique qui ne dit pas son secret, mais à une conscience. Or à substituer aux contradictions, aux synthèse profondes, vivantes de la croyance, des synthèses artificielles, on risque de fausser les consciences, de mettre le pharisaïsme, le verbalisme à la place de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VI. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 165.
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