vendredi 8 avril 2011

Frédéric Rauh — L'Expérience morale (Chapitres VII-X)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.

Frédéric RAUH. L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909.

CHAPITRE VII
LA FORMULE DE VIE

«L'essence se différencie de la notion générale en ce que celle-ci est formée par des additions successives, indéfinies; l'essence est tout au contraire saisie tout entière en une fois, par un acte indivisible de l'esprit, uno intuitu. Elle n'a pas besoin d'être complétée, achevée par autre chose. Elle est simple. La certitude parfaite est celle qui n'a pas besoin de sortir de soi pour être achevée.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 172.

«La véritable pensée n'est pas telle que les scolastiques la représentaient, faite de généralisations et d'abstractions, opérations indéfinies, jamais achevées. Elle n'est pas davantage une collection d'états de conscience, d'atomes psychiques, comme pensent les empiriques. Elle est une action de penser intensive, qui concentrée en elle-même saisit, en une fois, dans un acte unique, toute la suite, toute la loi de ses développements.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 173.

«... la généralisation nous apprend seulement combien de fois une essence est répétée. Elle ne nous la révèle pas. L'essence en elle-même se connaît seulement par une intuition, une expérience.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 176.

«Comprendre, c'est repenser la pensée d'autrui ou plutôt la découvrir soi-même sous la suggestion d'autrui. La seule différence qui sépare l'inventeur proprement di de l'homme intelligent, c'est que le premier pense la nature directement et que l'autre a besoin d'un intermédiaire, d'un intercesseur. L'enseignement, c'est l'éveil, la révélation d'une pensée à elle-même. C'est pourquoi il faut solliciter tout homme à se mettre dans l'attitude de l'inventeur.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 177.

«L'honnête homme extrait de ses aspirations, de celles de son temps la formule collective ou individuelle qui s'exprime en une action type. Il cherche non le général, mais le définitif, non la croyance immédiate, mais celle qu'à la réflexion, dans une concentration solitaire de sa conscience, il éprouve toujours ou dans un moment donné invincible, une croyance, par suite, déterminée, définie, actuelle. Il n'observe pas seulement, il expérimente. Il ne se borne pas à connaître les grands courants moraux de son temps.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 179.

«C'est la croyance d'un temps qui est dans l'air, qui se respire. Et il ne faut pas méconnaître l'importance des devoirs de probité, de loyauté, des œuvres d'assistance, de solidarité, de philanthropie, des liens d'estime, d'affection ou de respect qui peuvent unir les hommes en tant qu'hommes. Il est même essentiel de rappeler à ceux qui adhèrent avec raison à une formule que, quelle que soit cette formule, elle se détache d'un fond moral commun, traditionnel, qu'un regard en eux-mêmes, autour d'eux ou vers le passé suffirait à retrouver, et que dans l,ardeur de la lutte, ils risquent trop souvent d'oublier.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 180.

«La croyance sincère est un approfondissement, un centre un, indivisible, particulier. La perception morale commune n'est que le possible, la matière que la conscience vivante actualise.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 181.

«La vérité morale n'est en général ni si bas que le croit le sens commun, ni si haut que le croient les métaphysiciens. Elle est un système, mais un système d'habitudes, d'actions déterminées, contemporaines. Je ne vis pas dans l'éternité. Je suis un homme parmi des hommes. La pensée morale organise ma vie, la vie des hommes. Elle est intermédiaire entre la réflexion métaphysique et la réflexion empirique. Les principes moraux sont des axiomata media.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 183.

«Pour conquérir la nature il ne faut ni simplement observer les données immédiates ni s'élever au-dessus d'elles au point de ne plus apercevoir que les sommet du réel. A cette condition seule de rester dans l'entre-deux, l'homme a pu conquérir la nature, à cette condition seule il peut conquérir la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184.

«Il est sans doute tentant de chercher la paix sur les hauteurs. Les hommes s'entendent aisément sur les vérités éternelles, la dignité de l'esprit, les destinées sublimes de l'humanité, depuis que les religions, les philosophies tendent à rentrer ce qu'il y a de trop aigu dans leurs angles, à dissimuler ce que leurs dogmes ont de trop particulier. Il faut l'avouer: c'est une joie exquise pour les âmes pures et sereines de fraterniser dans ces pensées, de communier avec un adversaire dans l'humanité profonde qui nous lie tous, d'exercer à son égard le pardon métaphysique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 184-185.

«... l'humanité ne peut se dégager absolument de l'état de guerre, qui est son état normal. Elle peut seulement l'organiser, en doucir les formes, substituer la contrainte de la loi à celle de la force physique, l'arbirtage [sic] à la lutte armée. Or le moyen nécessaire pour spiritualiser las guerre, c'est que chacun prenant sincèrement conscience de sa foi, se batte au nom d'un idéal. Il y a chance qu'ainsi impersonnalisées les luttes prennent un caractère moins violent, moins âpre. Rien n'unit, ne rapproche les hommes comme une égale sincérité dans des fois opposées. On se serre la main, parce qu'on se sent également des hommes, après la bataille. La véritable paix n'est pas celle qui s'obtient par l'effacement des différences, des oppositions, par un syncrétisme douceâtre. C'est par l'approfondissement de sa propre foi que chacun trouvera inévitablement en soi le fond commun qui l'unit à autrui.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 185-186.

«Qu'est-ce, en effet, qu'une formule, sinon l'expression d'une loi ? mais quel est le point de départ de la loi ? L'expérience type. Ce qu'on appelle une induction, c'est la loi dans une expérience. L'essentiel n'est pas la loi formulée, c'est l'expérience. en elle se révèle le type d'existence, saisi par une action présente, immédiate, indivisible de l'esprit. L'induction, c'est l'extension dans l'espace, dans la durée, de cet acte, de ce type — caractère extrinsèque, [...], de ce type, de cet acte. Dès lors, l'essentiel n'est pas la formule, mais les actes d'où on l'extrait. La formule ne vaut que par les efforts infinitésimaux qui la réalisent au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 188-189.

«... il faut cependant comprendre la valeur d'une formule. Elle résume le passé, elle annonce l'avenir. C'est un gage, c'est une promesse. Surtout elle exprime la prise de conscience d'une vie par elle-même.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 190.

«Entre la connaissance empirique et la connaissance métaphysique il y a place pour l'idée expérimentale. C'est à cette idée que correspond la formule de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 191.

CHAPITRE VIII
SCIENCE ET CONSCIENCE.
INTRANSIGEANCE OU OPPORTUNISME

«La morale n'a sans doute pour objet de connaître les moyens d'action que dans leurs relations avec les fins idéales de l'homme. Mais pour connaître ces fins il faut qu'elle en connaisse les moyens. Souvent l'étude des moyens d'action nous révèle l'idéal. Il y a des hommes incapables d'isoler, d'abstraire l'idéal de ses conditions de réalisation et qui nient le premier, simplement parce qu'ils ne le voient pas possible.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 193-194.

«Si une croyance ne peut être isolée de ses effets, de ses moyens d'action, elle évolue avec eux; elle se transforme au fur et à mesure qu'elle agit, par son action même. Cela est vrai de l'idéal individuel comme de l'idéal social. On ne peut dire d'avance ce qui est juridique, ce qui ne l'est pas, déterminer ce qui par essence est de la conscience, par essence de la loi, pas plus que le moment où une idée veut aboutir, prendre corps dans la législation. On peut dire seulement que la conscience d'un temps ne veut pas que la loi touche à ceci, à cela. A cette certitude en devenir correspond une nouvelle forme de courage, le courage continu, quotidien, moléculaire. Tout au contraire, le révolutionnaire qui en est demeuré à l'ancien type de certitude, à la certitude statique, donnée en une fois, globale, ne conçoit l'acte de courage que sous la forme d'une crise. Mais notre temps est celui de l'audace expérimentale, méthodique. Les croyances morales ont dépassé le stade de l'intransigeance, de l'héroïsme utopique.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 196-197.

«Nous avons placé très haut la science des moyens d'action. Il faut cependant se méfier des hommes dits compétents. Ils ne le sont pas toujours en matière d'idéal ou simplement d'idée. Ils n'imaginent l,action comme possible que dans les limites d'une tradition, celle dont ils ont été les instruments dociles et intelligents.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199.

«La réalité plastique se prête aux croyances, aux volontés fortes. Une foi nouvelle crée ses organes. Or, l'habitude rend les hommes compétents incapables d'une foi nouvelle. Ils sont comme ces gens qui, par peur d'être malades, ne mangent pas. S'ils avaient vraiment faim, ils mangeraient. A certaines gens pratiques aussi manque l'appétit, l'appétit de l'idéal. Ils ont la maladie du doute, du scrupule, c'est-à-dire du désir, de la volonté. Ils limitent étroitement le champ du possible parce qu'ils n'ont pas la foi.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 199-200.

«Quand même une idée n'aurait jamais chance de réussir parmi les hommes, n'est-ce pas un service à rendre à l'univers que de lui montrer, au-dessus des platitudes et des médiocrités, une idée dans son absolue pureté ?» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 200.

«Le principe moderne de la justice n'est pas celui de l'égalité, mais de l'égalisation. On traite les hommes comme capables de devenir égaux. Les droits établis par la législation moderne ne sont pas proportionnels à la capacité réelle, mais possible des hommes.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 201.

«Une idée naît d'abord en une minorité consciente qui la réalise parce qu'elle y croit. Si la vie évolue, c'est que l'évolution a pour condition l'idée-force, son moteur intérieur. La conscience, la foi crée la science. Et le représentant de la foi dans toute l'intensité, dans toute l'originalité de sa vie nouvelle, c'est le révolutionnaire. § Ainsi s'opposent l'Évolution et la Révolution.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 202.

«Le précurseur révolutionnaire d'aujourd'hui diffère ou devrait différer de l'utopste [sic] d'autrefois en ceci que s'il ne réussit pas, s'il ne peut réussir, il ne se fait pas d'illusion sur ce qu'il peut. Il sait qu'il ne peut guère, mais que ce peu il le doit. Il mesure exactement la portée de son sacrifice. Il satisfait sa conscience, il suit sa vocation. Mais il s'attend à l'insuccès, il l'escompte.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 204.

«La possibilité du succès n'est pas la condition nécessaire d'une foi légitime. Mais il est ridicule de croire le succès possible dans des conditions impossibles. Le révolté quand même est un agité. Un réflexe de la colère ou de la haine n'est pas une pensée. Le martyr, de nos jours, ne compte que s'il est intelligent. Il sera par suite indulgent à ceux qui ne sont pas au même étage que lui. Il les comprend sans être avec eux.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 205.

«Le conservateur intelligent veut empêcher les heurts, les violences stériles, éviter dans les transformations nécessaires les déchirements irréparables; il se refuse à compromettre par des impatiences hâtives et pour un avenir encore incertain les conquêtes de la civilisation, de la pensée. Ainsi, défini, le conservatur se confond avec l'évolutionniste ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 206.

«Pour satisfaire de vagues inquiétudes philosophiques, rarement absentes des âmes les plus élémentaires, des intellectuels fournissent à ces politiques sans pensée des apologétiques sophistiques. quelques-uns de ces pseudo-penseurs, journalistes, gens de lettres, romanciers, ont sur les foules, sur un certain public, par leur éloquence, leur art ou leur brutalité, une puissance de suggestion particulière. Ils ne comptent pas comme penseurs, mais comme forces sociales.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.

«L'évolutionniste doit l'être sans fausse honte, sans peur. Car il faut du courage pour résister à des entraînements passagers que l'on ne pourrait soutenir ou dont les conséquences seraient funestes. Ceux qui craindraient, en adoptant cette attitude, de trop pencher dans le sens de leurs intérêts, de leur repos, peuvent se rassurer. Ceux qui bouleversèrent dans ses profondeurs la société et la vie furent et voulurent être des modérés. Socrate ne continuait-il pas à sacrifier aux dieux ? Et le Christ prétendait compléter, non détruire. Cela ne les sauva pas» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 207.

«L'idéal serait que les types divers ou opposés, le conservateur, l'évolutionniste, le révolutionnaire, se connussent, se comprissent, les uns maintenant l'ordre et la continuité, les autres entretenant l'esprit de vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 208.

«On ne saurait cependant espérer supprimer les luttes des croyances, des partis, la guerre. Il faudrait seulement que tout en se battant les adversaires ne cessassent pas de se comprendre. Ils lutteront alors loyaux et sans haine, avec cette pensée qu'ils représentent chacun un point de vue sur la vie ...» — Frédéric RAUH. Chapitre VIII. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 209.

CHAPITRE IX
LE RELATIVISME MORAL

«Notre attitude morale n'est est pas moins relativiste. L'honnête homme comprend d'autres types moraux que le sien. L'histoire moderne a agrandi son horizon. Elle a transformé les croyances morales comme les conceptions astronomiques modernes ont transformé les croyances religieuses. Notre morale a cessé dès lors d'apparaître comme absolue, éternelle, de même que l'humanité a cessé d'apparaître comme la fin de l'univers du jour où la terre n'en a plus été le centre.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 213.

«C'est une erreur psychologique de penser que d'en savoir les limites affaiblisse nécessairement une croyance. L'état normal de l'homme est d'aimer, comme s'ils étaient éternels, des êtres périssables. Il se console naturellement de ne pouvoir tout parce qu'il peut quelque chose. Il concentre toute son âme sur un objet limité, et il est heureux ainsi. [...] De même, dans une certitude limitée, provisoire, le savant met toute sa puissance de penser. Il possède en une vérité comme un échantillon de la vérité. C'est sans doute qu'au travers de ce désir limité il sent le désir infini que celui-ci localise. Bien plus, il ne peut sentir l'infini que sous cette forme particulière et concentrée. La vérité n'est pas faite du contour de toutes les vérités. L'amour vrai n'est pas celui qui se promène d'objet en objet. Seule une certitude localisée satisfait la conscience, donne le sentiment de la plénitude.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 215-216.

«À moins d'être universel un idéal peut-il être légitime ? Or quel est l'idéal universel ?.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 216.

«Nous ne connaissons pas de centre unique qui soit la lumière. Elle est toute dans chaque rayon. Il faut persuader cela à l'homme, lui apprendre à détailler, à monnayer Dieu.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.

«... bien des croyances se dissoudraient, selon nous, moins aisément, si l'on n'était persuadé qu'un idéal n'est en droit justifié qu'à la condition d'être absolu, ou d'être suspendu à une vérité absolue. Il suffit à bien des hommes pour être ébranlés dans leur foi d'en découvrir l'histoire. Leur scepticisme a pour origine une superstition matérialiste de l'éternité.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 217.

«Le préjugé des vérités absolues conduit à cette autre illusion que seule l'intelligence contemplative, théorique, qui connaît la nature dans son ensemble, est digne du nom d'intelligence. Car seule elle connaît des lois objectives, immuables, éternelles. On lui subordonne la pensée morale qui s'applique à l'action, au désir humain. La certitude morale n'est justifiée que si elle s'appuie sur une philosophie de la nature ou de l'existence. Or cette philosophie n'étant pas possible, nous doutons de la certitude morale. § La racine de ce sophisme est ce préjugé naturaliste chosiste, que l'être est supérieur à l'agir, que la certitude pratique est faite d'une autre étoffe que la certitude théorique, qu'elle est sentiment et que l'autre seule est raison.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 218-219.

«Si une croyance tend à se défendre, à se propager, il est aussi obligatoire de la défendre, de la propager. Cette tendance à être, ce caractère rationnel, obligatoire d'une croyance sont indépendants de sa nature, de son extension. Une croyance tout individuelle et se sachant telle peut être aussi invincible qu'une croyance partagée par tout l'univers.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 220-221.

«Il est absurde de vouloir d'emblée s'élever à une vie éternelle, impersonnelle, surtout de prétendre en la vivant résoudre des problèmes spéciaux, mais il est légitime d'extraire de sa vie ce qu'elle contient d'humain, de se reposer de la pensée militant dans la contemplation des formes éternelles.» — Frédéric RAUH. Chapitre IX. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 221.

CHAPITRE X
CONCLUSION. —
L'ATTITUDE MORALE SCIENTIFIQUE

«Il ne suffit pas de penser. Il faut trouver le centre systématique où tend toute pensée.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 222.

«Toutes choses égales, la conscience la plus morale est celle qui se sait le mieux elle-même, dont la formule est la plus nette, la plus directe. La seule pensée, doctrine ou formule valable, est celle née au contact du milieu auquel elle se rapporte, qui s'est mise à l'épreuve de l'action.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 223.

«... quiconque est moral a pris le parti de l'idéal. Il cherche la vérité, non la vie. Mais il est essentiel, en ce sens que le héros moderne ne doit se sacrifier que le sachant et le voulant. Il est intelligent.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 224-225.

«L'honnête homme se préoccupe moins de rattacher sa croyance à un principe supérieur que de l'approfondir elle-même, et, plus encore, de la manifester, de la développer. Sa conscience est ouverte à toutes les idées morales, à toutes les méthodes d'action d'un temps, sans prétention à la certitude universelle. Il fixe sa croyance où l'épreuve de la vie, le contact avec les autres croyances, l'expérience tout entière l'a fixé. Sa pensée est critique. § C'est là son caractère essentiel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 225.

«On ne peut guère dépasser dans l'enseignement de la morale la perception commune les leçons des choses. Mais que ces leçons du moins soient empruntées à la vie moderne. Je consens que l'on parle de Socrate, de Kant, mais que l'on parle aussi de coopératives, de syndicats, de mutualités. On n'inspirera pas la défiance préalable de la politique, de la polémique, de l'action; mais l'on suggérera au contraire cette impression que la matière de la réflexion morale, c'est le journal, la rue, la vie, la bataille au jour le jour.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 227-228.

«Car les sciences sociales objectives, si on prétend en déduire la morale, constituent un nouveau système de sophismes philosophiques, puisqu'elles identifient sans raison l'idéal et le réel. Les autres isolent l'action de la science et font de la conduite un art. § Or entre l'art de vivre et la philosophie de la morale il y a place pour une science de la vie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 228.

«La pensée morale, comme la pensée scientifique, aboutissent au fait brut, mais comme à un champ d'action. La nature fournit à la seconde, la perception morale commune, à la première une matière extérieure qui attend sa forme.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 230.

«La morale, c'est la science de l'ordre idéal, de nos tendances, de nos actions. Elle ne connaît que les croyances humaines. L'expérience qui vérifie une croyance est elle-même une croyance, mais pratique, éprouvée. Le fait brut, matière de cette expérience, est une croyance encore, seulement immédiate, spontanée, non réfléchie.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 231.

«Il y a donc relativement à l'idéal une attitude scientifique possible, et il faut opposer non la science et l'idéal, mais la science de l'idéal ou plutôt de l'action idéale et la science du réel.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 233.

«L'opposition n'est pas entre la psychologie des sentiments moraux et le rationalisme moral. Elle est entre les doctrines qui admettent une vérité morale unique, universelle et celles qui, au contraire, admettent des vérités morales spéciales, positives, l'élargissement ou le rétrécissement possible de la certitude morale comme d'une certitude expérimentale.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 234.

«Car je ne nie pas que la philosophie ne puisse entre des hommes, d'ailleurs divisés sur d'autres points, créer un lien pour ainsi dire mystique. Mais pas plus que la religion, la philosophie n'est désormais le temple où le fidèle vient chercher la vérité totale; elle est le sanctuaire où à certains jours, à certaines heures, son travail quotidien achevé, il vient méditer et faire sa retraite.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.

«Le rôle du philosophe est aujourd'hui le même à l'égard du savant et à l'égard du moraliste. Il ne découvre, il ne construit pas la morale. Il la réfléchit.» — Frédéric RAUH. Chapitre X. In L'Expérience morale. F. Alcan. Paris, 1909. p. 236.

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