mardi 14 septembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XII)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.


[DE LA MARCHE DU POLYTHÉISME INDÉPENDANT DES PRÊTRES JUSQU'À SON PLUS HAUT POINT DE PERFECTIONNEMENT]

«Nous avons établi, comme la vérité principale à démontrer dans notre ouvrage, que chaque révolution qui s'opère dans la situation de l'espèce humaine en produit une dans les idées religieuses, et nous avons déjà vu le polythéisme substitué au fétichisme, par le passage de l'état sauvage à l'état barbare. Le polythéisme subit d'autres modifications importantes, par le passage de l'état barbare à un état plus civilisé; et les notions d'une justice distributive, d'une rémunération équitable et infaillible, deviennent des dogmes précis et positifs, au lieu de n'être que l'expression de vœux impuissants, d'espérances confuses. § Cette révolution s'opère d'une manière évidente chez les peuples que ne retardent ou n'enchaînent aucune circonstance accidentelle, aucune calamité physique, aucune tyrannie religieuse ou politique.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 465.

«Dans le passage de la vie purement belliqueuse à la vie civile, de l'état uniquement guerrier à l'état agriculteur, les peuples éprouvent des besoins d'une espèce tout à fait nouvelle; celui du travail, qui a remplacé l'emploi de la force, en substituant l'échange à la conquête; celui de la propriété, sans laquelle le travail ne serait qu'une suite d'efforts illusoires; celui de la sécurité, sans laquelle la propriété serait précaire.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 465-466.

«La confiance succède à la crainte. Même à l'aspect du crime triomphant, les mortels s'attendent à voir bientôt le malheur fondre sur sa tête. Si quelquefois une évidence trop irrésistible force l'homme à reconnaître que, malgré la providence des dieux, la vertu peut souffrir, l'iniquité régner, il se persuade que tôt ou tard viendront les jours de la réparation et de la vengeance. Ainsi pénètre dans son cœur l'idée d'un appel du présent à l'avenir, de la terre au ciel, recours solennel de tous les opprimés dans toutes les situations, dernière espérance de la faiblesse qu'on foule aux pieds, de la vertu qu'on immole, pensée consolante et fière, à laquelle la philosophie n'a jamais essayé de renoncer, sans en être aussitôt punie par sa propre dégradation.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 467.

«C'est donc ici l'époque de l'introduction formelle de la morale dans la religion. Nous avons prouvé que, même auparavant, la religion favorisait la morale. Les dieux, en thèse générale, doivent toujours préférer le bien au mal, la vertu au crime. L'amour de l'ordre est inhérent à l'homme aussi longtemps qu'il raisonne abstraitement. Le même penchant est donc inhérent aux dieux, dès qu'au lieu d'être, comme les fétiches, payés, si l'on me permet cette expression, chacun à part, par les individus, ils le sont collectivement, par la société toute entière. L'intérêt de toute communauté se trouve dans la morale. Les dieux protecteurs de la communauté ne peuvent remplir leur emploi qu'en empêchant les individus d'offenser la morale, c'est-à-dire de mettre en péril la communauté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 467-468.

«Le passage de l'état barbare à l'état civilisé, est un moment de grande fermentation. La justice lutte contre la violence, l'esprit de propriété contre l'esprit de rapine, les principes de la morale contre l'habitude de la force. Les hommes cherchent longtemps en vain une assiette fixe. Ils se voient assaillis tout à la fois par les inconvénients de la situation dont ils sortent, et par ceux, qui ne sont pas moins grands et qui sont plus inattendus, de la situation dans laquelle ils entrent. § la religion se ressent de cette fermentation. Les maximes qui s'introduisent viennent se heurter contre celles que les souvenir consacrent. Les opinions qui commencent à se perdre, celles qui commencent à s'établir, se rencontrent et se contredisent.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 468.

«Mais, à mesure que la civilisation fait des progrès, la morale s'identifie davantage avec la religion, la contradiction cesse et les contradictions disparaissent: la vénalité des dieux est encore reconnue; l'égoïsme ne peut renoncer à ce dogme, dont il fait un si grand usage, et cette opinion traverse, avec plus ou moins de déguisements, toutes les époques. Mais elle a subi déjà une modification importante. Les dieux ne sont pas encore devenus des êtres désintéressés, mais ils sont devenus d'honnêtes gens, dans le sens ordinaire de ce mot. Ils se font payer pour faire le bien, mais ils ne permettent plus qu'on les paie pour faire le mal.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 468.

«L'incrédulité, au reste, est toujours voisine du triomphe complet de la morale dans la religion. Dès que les hommes se sont bien pénétrés de la nécessité de la morale, leur logique les force à comparer les faits que la religion rapporte et les dogmes qu'elle enseigne, avec les principes nouveaux qu'elle est appelée à sanctionner. Il s'ensuit que, lorsque ces faits ou ces dogmes leur semblent contraires à ces principes, ils révoquent les premiers en doute; ils y sont d'autant plus obligés, que l'habitude de la réflexion faisant des progrès dans tous les esprits, des fables, que précédemment l'on adoptait sans conséquence, servent tout à coup d'apologie aux coupables. L'homme, frappé de ce danger, n'accepte plus la croyance que sous la condition expresse qu'elle protégera la morale. Il exige des dieux, pour prix de ce qu'il veut bien ne pas contester leur existence, qu'ils se rendent utiles; et, loin de leur reconnaître, comme autrefois, des droits absolus, il leur impose des devoirs. La morale devient donc une espèce de pierre de touche, une épreuve à laquelle on soumet les notions religieuses, et qui ne peut manque d'en faire contester une partie, et d'affaiblir la confiance qu'on accordait à l'ensemble.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 469.

«Produit inévitable de cette agitation et de ce malaise [la tyrannie des grands et des rois au ~VIIIe siècle], la réflexion reparaît toujours, infatigable et décourageante. L'homme a fait le pas irréparable, ce retour sur lui-même, sur le malheur de sa condition. Il a découvert les pièges dont il est environné, les dangers de la confiance et la duperie de l'enthousiasme. Après cette découverte, aucune illusion n'est longtemps complète. La pureté d'âme, l'élan du sentiment religieux soulèvent parfois le fardeau qui pèse sur l'imagination et le cœur. Quelques génies privilégiés s'en dégagent ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 471.

«... la profondeur n’est pas dans l’érudition qui compile, mais dans la perspicacité qui apprécie ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 478.

«Quand les poètes sentent le besoin d'épurer la religion, ils modifient les faits, les historiens modifient les causes.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 479.

«L'introduction de la morale dans la religion place tous les faits sous un nouveau jour: car les faits sont entre les mains des historiens, et reçoivent leur empreinte.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 484.

«L'invention des représentations dramatiques a dû précéder le plaisir qu'elles font éprouver aux spectateurs, et néanmoins l'espoir de ce plaisir est la seule cause indépendante de la religion, qu'on puisse assigner à ces représentations. C'est un cercle vicieux dont le sacerdoce nous aide à sortir; ses fêtes, ses cérémonies ouvrirent au génie une carrière où il s'élança, et dont il finit par exclure ceux qui les premiers avaient donné l'exemple. Ceux-ci, pour s'en venger, proscrivirent plus tard ce qu'eux-mêmes avaient inventé.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 485.

«Les grandes bases de la morale religieuse, la soumission aux dieux, la nécessité d'une vie sans tache, la doctrine du dévouement et du sacrifice, y étaient corrompues [dans les mystères] par l'alliage de l'esprit sacerdotal. Les tragiques, qui n'étaient point dominés par cet affranchirent de cet alliage et la morale et la tragédie.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 485-486.

«... nous nous occupons principalement de l'influence populaire des croyances et de la manière dont cette influence se modifie par la progression.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 486.

«Il doit y avoir plus de contradictions sur le caractère des dieux dans la tragédie que dans l'épopée. Ici ce caractère se fait connaître par des actions, au lieu que chez les tragiques, il se manifeste par des axiomes qui, dans la bouche d'interlocuteurs intéressés ou passionnée, varient suivant les passions ou les intérêts des personnages; tantôt ils veulent tromper ceux qui les écoutent, tantôt ils se trompent eux-mêmes; d'autres fois il disent autre chose que ce qu'ils croient, ou cherchent à ne croire que ce qu'ils désirent. Le caractère des dieux est pratique dans l'épopée et de théorie dans les tragiques.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 486.

«C'est une loi antique et sacrée, que le sang qui rougit la terre exige et obtient du sang. Nul n'échange avec impunité l'innocence contre le crime.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 489.

«Toute littérature qui a un but hors d'elle-même, peut être plus utile, plus efficace, comme moyen, mais elle toujours moins parfaite qu'une littérature qui est elle-même son propre but.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 496.

«L'on croirait que, plus les auteurs se proposent de plaire au public, plus ils doivent perfectionner l'ensemble de leurs ouvrages; cela n'est pas. Lorsque leur but unique est de faire effet, ils ne travaillent, pour ainsi dire, qu'à bâtons rompus, et ne soignent que les parties les plus propres à captiver immédiatement la foule. Mauvais calcul ! Pour dominer la multitude d'une manière durable, en littérature, comme en politique, le secret le plus sûr est fréquemment de la dédaigner.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 497.

«Comme il arrive souvent dans le monde, c'est un vice de plus qui lui vaut notre indulgence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 498.

«Nous ne voulons point dire, comme quelques écrivains du jour le prétendent, que l'espèce humaine se détériore; mais les circonstances des modernes ne créent point en eux ce sentiment exquis de la beauté idéale, dont le climat, les institutions, la religion de la Grèce remplissaient tous ses habitants. Nos langues sont plus imparfaites, notre ordre social plus positif, nos calculs plus resserrés, notre existence à la fois plus monotone dans sa marche et plus agitée dans son égoïsme: toute notre nature, en un mot, est moins poétique. Assurément, ce n'est pas un mal; les Grecs devaient en partie leur poésie à leur loisir, leur loisir à l'esclavage, qui refoulait sur une race proscrite et dégradée les travaux mécaniques. Nous aimons mieux avoir moins de poètes, et n'avoir plus d'esclaves.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 498.

«... la bouffonerie et la licence étaient un trait caractéristique des religions soumises aux prêtres; elle privent leurs esclaves de toutes les jouissances élevées, et les abrutissent pour les dédommager. § Il y a eu quelque chose de pareil, dans les pièces appelées mystères par les chrétiens du Moyen Age. Rien de plus audacieux, de plus satirique, contre les objets les plus révérés; la dévotion pourtant régnait sans rivale, et ne voyait point dans ces drames burlesques une profanation des choses sacrées.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 501.

«Il faut se l'avouer, il y a dans la gaieté, quant elle n'est pas le simple développement des joies enfantines, il y a dans l'ironie surtout, quelque chose qui approche du vice; tout ce qui est bon, est grave. La vertu, l'affection, le courage, le bonheur qui naît de la paix de l'âme sont choses sérieuses. La gaieté, dans les religions sacerdotales, a souvent représenté le mauvais principe. Ne le représente-t-elle pas aujourd'hui plus que jamais, dans nos sociétés civilisées ?» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 501.

«Un peuple démocrate aime à voir bafouer ceux qui le dominent, mais aucun peuple ne se complaît à ce qu'on dégrade les être qu'il adore, à moins qu'il ne cesse de les adorer ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 502.

«Une disproportion pareille [entre l'immobilité du dogme et le perfectionnement de l'idée], lorsque la forme reste la même, est un principe de mort pour une croyance; car chaque perfectionnement en prépare un nouveau, et, par conséquent, rapproche le moment où la forme doit être brisée .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 503.

«Amant passionné de la licence et des nouveautés, enthousiaste des arts qui faisaient ses délices et qui ont fait sa gloire, le peuple d'Athènes avait soustrait les poètes à l'Aréopage et aux juges ordinaires. Un tribunal particulier exerçait sur eux sa juridiction. Les lois positives contre l'impiété étaient faciles à éluder, comme elles le seront toujours pour tout ce qui tient à la pensée et à l'expression dont elle est revêtue. L'arbitrage seul peut atteindre les délits de ce genre; et certes, si c'est un avantage, il est amplement contrebalancé; car l'arbitraire, en atteignant tout, étouffe tout, le bien comme le mal,l'usage comme l'abus. Le tribunal, juge des poètes, les traitait avec indulgence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 503.

«En se déclarant contre l'ancien polythéisme, ils [les philosophes] n'avaient ni l'appui de la foule dont ils ne captivaient pas les suffrages, renfermés qu'ils étaient dans le sanctuaire de leurs écoles ou dans les bosquets de l'Académie, ni la ressource d'un hommage aux fables qu'ils avaient attaquées; ils les niaient ou les interprétaient, ce qui n'apaisait point les dévots. Après les représentations d'une comédie d'Aristophane, que restait-il ? Le souvenir d'un spectacle qui avait provoqué la gaieté des assistants, mais auquel on ne pouvait attribuer ni résultats positifs, ni conclusions formelles. Les doctrines d'Anaxagore, ou les leçons de Socrate, conduisaient au contraire à des conséquences directes, indifférentes à la multitude, offensantes pour les prêtres .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 504.

«L'esprit sacerdotal trait avec assez d'indulgence les ennemis de ses ennemis; il pardonne volontiers à la licence, pourvu qu'elle se tourne avec lui contre la raison.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 504.

«Ces philosophes [grecs], loin de travailler à détruire la religion populaire [du polythéisme], s'efforcèrent longtemps de la concilier avec la morale, et de l'épurer. Mais comme malgré leurs intentions, si pacifiques dans l'origine, leurs efforts n'aboutirent qu'à la chute de la croyance publique, c'est lorsque nous décrirons cette révolution mémorable et les causes qui l'amenèrent, que nous pourrons placer plus convenablement quelques recherches sur la marche de la philosophie et sur ses rapports avec la religion.» — Benjamin CONSTANT. Livre X, chapitre X. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 505.

«La morale s'introduit par degrés dans le polythéisme indépendant de la direction du sacerdoce. Elle y pénètre et se perfectionne, à mesure que la civilisation fait des progrès et que les lumières s'étendent. Il en résulte que les dieux ne paraissent point les auteurs, mais les garants de la loi morale; ils la protègent, mais ne la modifient pas. Ils ne créent point ses règles, ils les sanctionnent. Ils récompensent le bien, punissent le mal; mais leur volonté ne détermine pas ce qui est mal et ce qui est bien; les actions humaines tirent d'elles-mêmes leur propre mérite.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 505.

«Toutefois, même alors, [lorsque les dieux ordonnent d'y passer outre et que les mortels leur obéissent], la morale ne change pas de nature; elle est sacrifiée dans l'occasion particulière, mais elle reste indépendante en principe général.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 506.

«On ne saurait concevoir un grand nombre d'êtres tous également revêtus d'un pouvoir sans bornes; leur pluralité met un obstacle invincible à leur toute-puissance; cette pluralité suggère d'ailleurs l'idée d'intérêts divers, et, pour décider entre ces intérêts, l'homme ne peut recourir qu'à sa raison. Comment reconnaîtrait-il pour juges compétents, des dieux qui ne sont pas d'accord ? Il n'est donc jamais asservi par ces dieux, entre lesquels il prononce. La protection de l'un le défend de la haine de l'autre; et si tous les êtres surnaturels le trahissent, il conserve le droit d'en appeler à leurs décisions à sa propre conscience.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 506.

«... les dieux forment une espèce de public, non pas infaillible, non pas incorruptible, mais plus impartial et plus respecté que le vulgaire des mortels. l'opinion présumée et la force reconnue de public céleste ne sont pas sans avantages. L'homme souffre en présence de ces témoins augustes; il les désarme par sa vertu; il les frappe de respect par son courage; et l'idée d'offrir à des êtres d'une nature et d'une raison supérieure, le magnifique spectacle de l'homme irréprochable, luttant contre le malheur, a quelque chose qui exalte l'imagination et qui élève l'âme.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507.

«... quand la morale s'allie d'une manière prématurée, et comme de force, avec la religion, elle est inévitablement plus imparfaite que lorsqu'elle s'y introduit naturellement. Dans ce dernier cas, elle y pénètre à une époque avancée de la société; elle y entre épurée, améliorée, enrichie de tous les progrès qu'ont faits les peuples en se poliçant. Les prêtres, en rendant la religion stationnaire, maintiennent la morale, telle qu'elle était au sein de la barbarie: et dès lors, la religion, l'ayant sanctionnée, s'oppose à ce que les lumières qui se développent la corrigent; de la sorte, des religions qui pouvaient faire à une époque déterminée un bien relatif, ne font plus que du mal aux époques postérieures; leur force conservatrice s'exerce en faveur de ce qu'il faudrait ne pas conserver.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507.

«... les dieux, au nom desquels le code de la morale sacerdotale est promulgué, ne sont pas seulement des juges, ils sont aussi des législateurs; ils créent la loi morale, ils peuvent la changer. Ils déclarent ce qui est mal et ce qui est bien. La règle du juste et de l'injuste est bouleversée; une révolution incalculable est produite dans la conscience de l'homme. Les actions tirent toute leur valeur du mérite que les dieux y attachent; elles ne leur plaisent plus parce qu'elles sont bonnes; elles sont bonnes parce qu'elles leur plaisent; de là, deux espèces de crimes et deux espèces de devoirs: ceux qui sont tels par leur nature, et ceux que la religion déclare tels. Mille choses sans utilité réelle deviennent des vertus; mille choses sans influence nuisible sont transformées en crimes. Ce qui ne sert de rien aux hommes peut être exigé par les dieux, ce qui ne blesse personne peut les offenser. Les délits factices sont punis avec plus de rigueur que les véritables. Les premiers sont des péchés, tandis que les seconds ne sont que des fautes.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507-508.

«Ce qui préserve du crime la majorité; des hommes, c'est le sentiment de n'avoir jamais franchi la ligne de l'innocence; plus on resserre cette ligne, plus on expose l'homme à la dépasser; et quelque légère que soit l'infraction, par cela seul qu'on a vaincu le premier scrupule. Il a perdu sa sauvegarde la plus assurée.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 508-509.

«Il est utile que l'homme se prescrive quelquefois des devoirs inutiles, ne fût-ce que pour apprendre que tout ce qu'il y a de bon sur la terre, ne réside pas dans ce qu'il nomme utilité.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 509.

«La puissance de créer d'un mot les vertus et les crimes, quand elle est remise entre les mains d'une classe d'hommes, n'est plus qu'un moyen redoutable de despotisme et de corruption. § Cette classe ne se borne pas à placer au premier rang des forfaits toute résistance à son pouvoir; elle ne se borne pas à commander des actions indifférentes, ou inutiles; elle en prescrit de nuisibles et de criminelles. La pitié pour les ennemis du ciel est une faiblesse désapprouvée ou proscrite: au mépris des liens les plus forts ou des affections les plus tendres, il est défendu de porter du secours à celui qui s'est rendu l'objet de l'indignation divine. La cruauté contre les impies et les infidèles est un devoir sacré; la perfidie à leur égard est une vertu; et, de même que la théorie du dévouement, poussé à l'excès, fait du sacrifice le plus douloureux le sacrifice le plus méritoire, les vertus religieuses, quand les actions n'ont de mérite parce qu'elles sont conformes à l'ordre des dieux, en ont d'autant plus qu'elles sont l'opposé des vertus humaines.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 509.

«Presque toujours, dans le polythéisme sacerdotal, l'interdiction des crimes est accompagnée d'une réserve expresse, pour le cas où ces crimes seraient commandés par les dieux. [...] § La morale religieuse ainsi conçue peut avoir encore un autre inconvénient. L'homme s'imagine être élevé par elle au-dessus de tous les devoirs.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 510.

«Les relations des sociétés humaines étant les mêmes partout, la loi morale, qui est la théorie de ces relations, est ainsi partout la même.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 510.

«L'homme qui a sur la Divinité des idées très pures, ne sait jamais si ses efforts suffisent pour le rendre digne de lui plaire. Il travaille sans relâche sur son propre cœur, pour en arracher tout ce qui le sépare de l'être parfait qu'il adore; son inquiétude est d'ailleurs adoucie par la notion de la bonté, unie à celle de la sagesse et de la puissance. Mais dans un culte dont les dieux sont imparfaits et méchants, une telle inquiétude, loin d'être un encouragement pour la vertu, est une cause toujours renaissante d'abattement et de désespoir.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 511.

«Car il ne faut pas se le déguiser, la religion, dans ses rapports, avec la morale, est toujours placée entre deux périls. Si elle déclare qu'il y a des crimes inexpiables, elle jette les hommes dans le désespoir. Si elle offre l'expiation pour tous les crimes, elle encourage les coupables par l'espoir de l'immunité.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«... avec la liberté, la morale améliore la religion; avec l'esclavage, la religion fausse la morale.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«Les législateurs anciens ne distinguaient point entre la morale vulgaire, qui se borne à maintenir l'ordre en prohibant les délits, et la morale plus délicate et plus relevée qui prévient le crime, en inspirant à l'homme une disposition d'âme qui ne lui permet plus de le commettre.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«Pour prévenir les attentats grossiers en les punissant, les lois et les châtiments suffisent. C'est pour changer l'intérieur de l'homme, au lieu d'arrêter seulement son bras, que le sentiment religieux est indispensable. En restreignant la religion à un genre d'utilité matériel et borné, on la dégrade de son rang véritable, On a de la sorte toujours méconnu sa dignité, sa sainteté, sa plus noble influence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512-513.

«Un culte dont les divinités seraient cruelles et corrompues, mais qui laisserait à la vertu le tribunal de son propre cœur, serait moins pernicieux qu'une religion dont le dieu, revêtu des qualités les plus admirables, pourrait changer la morale par un acte de sa volonté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513.

«La religion n'est point un code pénal, elle n'est point un code arbitraire, elle est le rapport de la Divinité avec l'homme, avec ce qui le constitue un être morale et intelligent, c'est-à-dire avec son âme, sa pensée, sa volonté. Les actions ne sont de sa sphère, que comme symptômes de ces dispositions intérieures. La religion ne peut rien changer à leur mérite. Œuvre de Dieu, comme le sentiment religieux lui-même, émanée de la même source, la morale est comme lui, incréée, indépendante. Sa règle est placée dans tous les cœurs. Elle se dévoile à tous les esprits, à mesure qu'ils s'éclairent. L'être que le sentiment nous fait connaître, ne peut être servi ni satisfait par aucune exception à cette règle, Ce serait vouloir le servir, comme nous servons les puissances de la terre, en flattant leur intérêt du moment, pour un temps donné, dans une circonstance critique.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513.

«La même action, commise par deux individus, dans deux circonstances, n'a jamais une valeur uniforme. La loi sociale ne peut démêler ces nuances. Semblable au lit de Procruste, elle réduit à une mesure pareille des grandeurs inégales. La religion casse ses arrêtes pour un autre monde. Mais ce n'est pas que les bases diffèrent, ce n'est pas que la religion puisse y rien innover; c'est seulement qu'elle est mieux instruite; et, sous ce rapport, elle n'est pas moins souvent un recours contre l'imperfection de la justice humaine, qu'une sanction des lois générales que cette justice a pour but de maintenir. § Considéré sous ce point de vue, le sentiment religieux ne peut jamais nuire à la morale. Les ministres de la religion ne peuvent jamais au nom de la divinité qu'ils enseignent, décider de la valeur des actions. La religion laisse aux lois leur juridiction sur les effets: elle se borne à améliorer la cause.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513-514.

«... l'axiome souvent répété, qu'il vaut mieux prévenir les crimes que les punir, est une source intarissable de vexations et d'arbitraire, quand l'autorité temporelle veut régler son intervention d'après cet axiome. Mais le sentiment religieux qui pénètre jusqu'au fond des âmes, peut atteindre ce but, sans arbitraire et sans vexations. Les lois, dans leurs tentatives hasardées et qu'elles font en aveugles, sont forcées de prononcer sur des apparences, de se gouverner d'après des détails qu'elles isolent, d'écouter des soupçons que rien ne prouve, et, pour empêcher ce qui pourrait être criminel, elles punissent ce qui est encore innocent. Le sentiment embrasse l'ensemble, épure au lieu de contraindre, ennoblit au lieu de punir.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 514.

«Le stoïcisme était un élan sublime de l'âme, fatiguée de voir la morale dans la dépendance d'hommes corrompus et de dieux égoïstes, et s'efforçant, en rompant tous ses liens avec les dieux et avec les hommes, de se placer dans une sphère au-dessus de toutes les injustices de la terre et du ciel même. Mais il y avait dans le stoïcisme une sorte d'effort qui rendait son influence moins salutaire et moins durable. Pour arriver à cette liberté intérieure qui bravait tous les coups du sort, il fallait étouffer en soi le germe de beaucoup d'émotions douces et profondes. Le sentiment religieux, [...], assure à l'homme le même asile, en lui conservant ces émotions inséparables de sa nature, et qui font le charme et la consolation de sa vie. La morale n'est à la merci, ni des législateurs qui parlent au nom du ciel, ni de ceux qui commandent à la terre. L'homme est indépendant de tout ce qui pourrait froisser et pervertir la plus noble, ou, pour mieux dire, la seuls noble partie de lui-même; mais il jouit de cette indépendance, sous l'égide d'un dieu qui le comprend, l'approuve et l'estime. Il est for, comme le stoïcien, de la force de son âme; mais de plus il est fort de la force d'un appel constant et intime au centre de tout ce qu'il y a de bon. .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 515.

dimanche 12 septembre 2010

Oswald Spengler — Le déclin de l'Occident I (Chapitre III)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[LE MACROCOSME]


«Chacune de nos émotions a une expression, chaque impression étrangère fait impression sur nous; ainsi tout ce dont nous avons conscience, sous quelque forme que ce soit, âme et univers, vie et réalité, histoire et nature, loi, sentiment, destin, Dieu, avenir et passé, présent éternité, a encore pour nous un sens très profond et le moyen unique et extrême de saisir cet incoercible consiste en une espèce de métaphysique, pour laquelle tout ce qui existe a la signification d'un symbole.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 161.

«Un symbole est un trait de la réalité qui, pour des hommes dont les sens sont éveillés, désigne avec une certitude intérieure immédiate quelque chose d'impossible à communiquer rationnellement.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 162.


«La réalité — l'univers par rapport à une âme — est pour chaque individu la projection du dirigé sur l'étendue, elle est la propriété reflétée sur l'altérité, elle me signifie moi-même.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 162.

«Telle est l'idée du Macrocosme, réalité comme ensemble de tous les symboles par rapport à une ame. Rien n'est excepté de cette qualité du significatif. Tout ce qui est est aussi symbole.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 163.


«En tant que chose réalisée, les symboles appartiennent à l'étendue. Ils sont devenus, ils ne deviennent pas — même lorsqu'ils désignent un devenir —, ils sont donc figés, limités, soumis aux lois de l'espace. Il n'y a que des symboles sensibles, spatiaux.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 164.

«L'homme entièrement éveillé, l'homme proprement dit, dont l'intelligence est dégagée de la vision par l'habitude du langage, est le premier à posséder, outre la sensation, également le concept du trépas, c'est-à-dire une mémoire du passé et une expérience de l'irrévocable.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 164.


«... la nature de toute symbolique pure — inconsciente et intérieurement nécessaire — résulte de la connaissance de la mort où se révèle le mystère de l'espace. Toute symbolique signifie une défense. Elle est l'expression d'une profonde crainte qu double sens archaïque de ce mot: son langage parle à la fois d'hostilité et de respect.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 166.

«Tout devenu est périssable. [...]. ... le phénomène primaire de la grande cuture en général disparaîtra un jour lui aussi, de même que le spectacle de l'histoire universelle et enfin l'homme lui-même et, par-delà l'homme, l'apparition de la vie végétale et animale à la surface de la terre, cette terre même, le soleil et l'univers entier des systèmes solaires. Tout art est mortel, non seulement les œuvres individuelles, mais les arts eux-mêmes. [...]. Périssables chaque pensée, chaque croyance, chaque science, dès que sont éteints dans les univers desquels leurs 'vérités éternelles' étaient senties comme vraies avec nécessité. » — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 166.


«... l'idée du macrocosme purement humain se rattache à son tour à cette parole [...]: que tout périssable n'est qu'une parabole.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 166.

«La profondeur est proprement la seule dimension, au sens littéral d'étendant. En elle, l'être éveillé est actif, dans les deux autres [longueur et largeur], il est strictement passif. Elle est la matière symbolique d'un ordre, au sens d'une culture individuelle, qui s'exprime très profondément dans cet élément originel et qui est impossible à analyser davantage.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 167.


««Nature» est une propriété qui est saturée de part en part de substance personnelle. La nature est chaque fois une fonction de la culture.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 167.

«Toute la poésie lyrique, toute la musique, toute la peinture égyptienne, chinoise, occidentale contredisent hautement l'hypothèse d'une structure mathématique rigoureuse de l'espace vécu et vu, et d'est seulement parce qu'ils n'entendent rien à la peinture qu'aucun des philosophes modernes n'a pu connaître cet argument. Aucune espèce de mathématique ne peut saisir l'horizon, où se transforme et qui transforme peu à peu en plan limité toute image visuelle. chaque coup de pinceau du paysagiste est une réfutation des postulats de la théorie de la connaissance.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 169.


«La mathématique, dont les instruments peuvent indifféremment des images et des représentations intuitives ou non, a pour objet des systèmes entièrement libérés de la vie, du temps et du destin, purement intellectuels, univers formels de nombres purs dont la justesse — non la réalité — est intemporelle et de logique causale, comme tout ce qui n'est qu'objet de connaissance et non de vie.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 170.

«Comme le devenir fonde le devenu, l'histoire sans cesse vivante la nature achevée et morte, l'organique, le mécanique, le destin, la loi causale et le postulat subjectif, ainsi la direction est à la base de l'étendue. Le mystère de la vie qui s'achève et que nous effleurons dans le mot de temps est le fondement de ce qui est achevé et que nous montrons moins bien à l'intelligence qu'à un sentiment intérieur dans le mot d'espace.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 170.


«Le temps engendre l'espace, mais l'espace tue le temps.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 171.

«... l'espace figé lui-même, également périssable et disparaissant, à chaque relâche de notre tension spirituelle, de l'étendue colorée de notre univers ambiant, est par là-même signe et expression de la vie, le plus originel et le plus puissant de ses symboles.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 171.


«Une profonde identité relie entre elles ces deux choses: l'éveil de l'âme qui naît à l'existence claire au nom d'une culture et sa conception subite du lointain et du temps qui est la naissance de l'univers extérieur, liaison opérée par le symbole de l'extension et qui reste dès lors le symbole élémentaire de cette vie et lui donne son style et la forme de son histoire, en tant que réalisation progressive de ses possibilités intérieures.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 172.

«Le première intuition de la profondeur est un acte de naissance psychique à côté de la naissance corporelle. Par elle, une culture naît du paysage maternel et le même acte est répété par chaque âme individuelle dans le cours entier de cette culture.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 172.


«L'espèce d'étendue doit dès lors s'appeler symbole primaire d'une culture. Delà doivent dériver le langage formel tout entier de la réalité culturale, sa physionomie différente de celle de toute autre culture, surtout de l'univers ambiant quasi aphysionomique du primitif; car l'interprétation de la profondeur s'élève désormais à l'acte, à l'expression plastique des œuvres, à la transformation du réel, et elle ne sert plus comme chez l'animal à une nécessité de la vie, mais doit créer un symbole vivant ayant pour instruments tous les éléments de l'étendue: matière, lignes, couleurs, sons, mouvements; l'apparition de symbole et le charme exercé par lui dans l'image cosmique de la postérité témoignent souvent encore après des siècles de la manière dont ses auteurs avaient compris l'univers.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 172-173.

«L'espace infini est l'idéal que l'âme occidentale n'a cessé de chercher dans son univers ambiant. Elle voulait le voir se réaliser immédiatement en elle, et cette nostalgie seule donne, par delà leurs prétendus résultats, aux innombrables théories de l'espace de ces derniers siècles leur signification profonde comme symptômes d'un sentiment cosmique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 173.


«L'État est un corps composé de la somme totale des corps des citoyens; le droit ne connaît que des personnes corporelles et des choses corporelles. Et ce sentiment trouve enfin sa plus haute expression dans le corps de pierre du temple antique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 175.

«Seule cette psyché [hindoue] pouvait produire cette conception grandiose du néant, considéré comme nombre authentique, comme zéro, le zéro indou [sic] où être et non-être sont tous deux également expressions extérieures.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 176.


«Ce que nous traduisons du grec avec nos propres moyens sous les noms d'origine, matière, forme, est une pâle imitation, une misérable tentative pour pénétrer dans un univers du sentiment, qui restera quand même muet dans ses éléments les plus délicats et les plus profonds ....» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 177.

«... la symbolique commune du langage surtout nourrit l'illusion d'une vie intérieur de même structure et d'une forme cosmique identique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 177.


«Synthèse de l'expression de l'âme rendue sensible dans les faits et les œuvres, corps mortel et périssable de cette âme soumis à la loi du nombre, à la causalité scène historique et image dans le tableau d'ensemble de l'histoire universelle, synthèse des grands symboles de la vie, du sentiment, de l'intelligence: la Culture est la langue par laquelle une âme peut dire ce qu'elle ressentLe Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 178.

«Apollinien est l'être grec, qui appelle son moi un soma et ignore l'idée d'évolution intérieur et donc de l'histoire réelle, intérieur ou extérieure; faustien l'être occidental, qui a une conscience très profonde de son destin, dont le regard est tourné en dedans et la culture résolument personnelle orientée vers les mémoires, la réflexion, la méditation sur le passé et l'avenir, la conscience morale. À l'autre bout de ces deux cultures et tout en leur servant d'intermédiaire, interprète leurs formes ou en hérite, l'âme magique de la culture arabe, [...], apparaît avec son algèbre, son astrologie et son alchimie , ses mosaïques et ses arabesques, ses khalifats et ses mosquées, les sacrements et les livres saints des religions persane, juive, chrétienne, 'bas-antique' et manichéenne.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 179.


«Tout art primitif est religieux, et ce non symbolique [que représente l'apparition vers ~ 650 des temples dorique et étrusque] ne l'est pas moins que le oui gothique ou égyptien. L'idée d'incinération, qui se concilie avec un lieu du culte, est inconciliable avec un édifice du culte» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 180.

«L'espace cosmique unique, soit 'caverne' ou distance, nécessite le dieu unique du christianisme magique et faustien.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 183.


«... la solitude de l'âme faustienne ne peut pas s'accommoder de l'existence d'une seconde puissance cosmique. Dieu lui-même est l'univers entier.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 183.

«La mort n'a plus de nostalgie. Il n'est plus temps, mais seulement espace, quelque chose qui subsiste ou a même disparu, mais qui a cessé de mûrir et d'aller au-devant de l'avenir. Aussi ce résidu au sens littéral du mot, la pierre, exprime-t-il le fait que les morts se reflètent dans l'être éveillé des vivants.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 184.


«Tout art est langue d'expression. Dans les états les plus primitifs, dont le monde animal même est partie intégrante, il est le langage d'un être mobile parlant pour lui seul. Cet être ne pense pas du tout au témoin, bien qu'en l'absence de ce dernier l'instinct d'expression se tairait de lui-même. Les états très tardifs eux-même ne connaissent souvent, au lieu d'artistes et de spectateurs, qu'une foule de producteurs d'art. Tous dansent, miment, chantent, sans que disparaisse jamais complètement de l'histoire de l'art le 'chœur' en tant qu'ensemble d'individus présents. L'art supérieur est décidément le seul qui soit un 'art par-devant témoins', surtout par-devant Dieu, le témoin suprême...» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 187.

«L'imitation est née du rythme mystérieux de tous les éléments cosmiques. Pour un être éveillé, l'unité apparaît divisible et étendue: ici et là-bas, propriété et altérité, microcosme relatif au macrocosme: tels sont les deux pôles de la vie sensible, entre lesquels il élève un pont grâce au rythme de l'imitation. chaque religion est un bond volontaire accompli par l'âme éveillée pour passer aux puissances de l'univers ambiant, et il en est tout de même de l'imitation, entièrement religieuse à ses moments les plus solennels. Car c'est dans une seule et même émotion intérieure que, d'une part le corps et l'âme, d'autre part l'univers ambiant s'élancent ensemble et s'unissent. Comme un oiseau se balance au vent ou un nageur s'abandonne à la vague qui le frôle, ainsi un tact irrésistible traverse les membres quand on entend une marche musicale, et c'est la même contagion qui est en œuvre quand on imite les traits du visage ou les gestes de personnes étrangères, art où les enfants avant tout sont précisément passés maîtres.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 187.


«L'imitation est une rhétorique dont les mots naissent des circonstances et ne se répètent plus, l'ornement se sert d'une langue sans rhétorique, d'un vocabulaire formel ayant une durée et indépendant de l'arbitraire individuel.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 188.

«Tandis qu'une imitation exprime une réalité en s'accomplissant elle-même, un ornement ne le peut qu'en demeurant stationnaire et fini devant les sens. Il est l'être pur, entièrement abstrait de sa genèse. Chaque imitation a un commencement et une fin, un ornement n'a qu'une durée.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 189.


«Dans l'élément ornemental d'une œuvre d'art, la sainte causalité du macrocosme se reflète telle qu'elle apparaît à la sensation et à l'intelligence de l'espèce humaine qui en est l'auteur. Tous deux ont un système et tous deux sont imprégnés des sentiments fondamentaux du côté religieux de la vie: la crainte et l'amour. Un symbole peut inspirer la peu et en libérer. Ce qui est 'juste' libère, ce qui est 'faux' accable et oppresse. Au contraire, le côté proprement imitatif des arts se rapproche des sentiments proprement raciaux: la haine et l'amour. De là l'antithèse de la laideur et de la beauté.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 189.

«Une imitation est belle, un ornement est significatif.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 190.


«Le beau est recherché avec nostalgie, le significatif inspire la peur.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 190.

«... la cathédrale est non seulement l'art, mais le seul art qui n'imite rien.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 191.


«... l'édifice primitif du culte est-il dans toutes les cultures le siège propre de l'histoire du style.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 191.

«Dans les édifices pour vivants, la pierre a une fin laïque; dans l'édifice du culte, elle est un symbole.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 191.


«Chaque période primitive a donc deux arts qui sont proprement ornementaux, non imitatifs, celui de la construction et celui de la décoration. Dans la période antérieure, préhistorique, période de pressentiment et de gestation, l'univers de l'expression élémentaire fait seul partie de l'ornementique... [...]. Mais à la naissance de la grande culture, l'édifice ornemaniste prend subitement un élan si vigoureux que pendant près d'un siècle, la simple décoration cède timidement sa place. Les espaces, les plans et les arètes en pierre parlent seuls encore.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 191-192.

«... quand la civilisation commence à peindre, l'ornement authentique s'éteint et, avec lui, le grand style en général. D'une manière ou d'une autre, la transition se fait dans chaque culture par le 'classicisme' et le 'romantisme'. Le premier signifie enthousiasme pour un ornement — règles, lois, types — depuis longtemps devenant archaïque et sans âme; le second, imitation enthousiaste, non de la vie, mais d'une imitation antérieure. Un goût architectural se substitue au style architectural.. » — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 193.


«Le Russe ignore le moindre rapport avec le Dieu-Père. Son ethos n'est pas l'amour filial, mais l'amour fraternel pur, qui irradie partout des rayons dans la plaine humaine.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 197, note 1.

«Le style égyptien est purement architectonique, jusqu'à l'extinction de l'âme égyptienne. Il est le seul où, à côté de l,architecture, tout ornement décoratif fait absolument défaut. Il ne permet aucune digression vers des arts récréatifs, aucune peinture murale, aucun buste, aucune musique de chambre.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 198.


«Le style égyptien est l'expression d'une âme vaillante. Sa sérénité et sa vigueur n'ont jamais été senties ni célébrées par l'Égyptien même. Il osait tout, mais en silence. Au contraire, la victoire du gothique et du baroque sur la matière, qui oppresse l'âme, ne cesse d'être le conscient motif de leur langage formel.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 199.

«... il n'existe ni art bas-antique, ni art vieux-chrétien, ni art musulman, si l'on entend par là qu'un style propre ait été créé par chacune de ces communautés de fidèles.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 205.


«La coupole centrale, où le sentiment cosmique magique parvient à s'exprimer avec le plus de pureté, prit naissance au-delà de la frontière romaine.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre III». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 207.

samedi 11 septembre 2010

Oswald Spengler — Le déclin de l'Occident I (Chapitre II)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


[LE PROBLÈME DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE]

«C'est le propre des historiens modernes d'être fiers de leur objectivité, mais ils trahissent ainsi le peu de conscience qu'ils ont de leurs propres préjugés.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 101.

«Une réalité est nature, si elle subordonne le devenir au devenu, histoire si elle subordonne le devenu au devenir.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 102.

«La loi, la formule, est antihistorique. Elle exclut le hasard. Les lois naturelles sont les formes d'une nécessité absolue, donc anorganique. On voit la raison pourquoi la mathématique se rapporte toujours, en tant qu'organisation du devenu par le moyen du nombre, à des lois, à la causalité, et exclusivement à elles.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 103.

«Le devenir pur, la vie, est en ce sens illimité. Il dépasse le ressort de la cause et de l'effet, de la loi et de la mesure. Aucune science historique profonde et vraie n'aspire à la légitimité causale sans méconnaître sa nature intime.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 103.

«C'est ici la cause la plus importante de la querelle sur la forme intérieure de l'histoire. Le même objet, le même fait réel, donne en effet à chacun de ses interprètes, selon son tempérament, une impression d'ensemble différente, incoercible et incommunicable, qui est à la base de ses jugements et qui leur prête leur couleur personnelle.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 103.

«La nature doit être traitée en savant, l'histoire en poète.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 104.

«Plus catégoriques les traits naturels revêtus par une image cosmique, plus despotique dans cette image le pouvoir de la loi et du nombre. Plus pure la perception d'un univers comme en devenir éternel, plus étrangère au nombre l'abondance incoercible de ses transformations.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 105.

«Métamorphose est doctrine du changement.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 105.

«... le devenir étant toujours à la base du devenu et l'histoire une organisation de l'image cosmique au sens du devenir, celle-ci est une forme cosmique originelle et la nature, au sens d'un mécanisme raffiné de l'univers, une forme tardive qui n'est réellement accomplie que par l'homme des cultures mûres.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 106.

«Toutes les méthodes pour entendre l'univers peuvent, en dernière analyse, être nommées morphologie. Celle du mécanique et de l'étendue est une science qui découvre et organise les lois de la nature et les rapports de causalité, elle s'appelle systématique. Celle de l'organique, de l'histoire et de la vie, de tout ce qui porte en soi direction et destin, s'appelle physionomique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 108.

«Dans chaque science, par le but comme la matière, l'homme se raconte lui-même. Expérience scientifique équivaut à connaissance spirituelle de soi.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 108.

«Tout devenu en général, toute forme phénoménale est symbole et expression d'une âme. Il demande à être vu avec les yeux du connaisseur d'hommes, il ne se laisse pas réduire en lois, il veut être senti dans sa signification. Et l'examen atteint alors cette dernière et suprême certitude: tout caduc n'est que parabole.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 109.

«Forme et loi, parabole et concept, symbole et formule ont un organe très différent. C'est le rapport entre la vie et la mort, la génération et la destruction, qui apparaît dans cette antithèse.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 109.

«L'histoire suppose pour organe une espèce de sensibilité intérieure difficile à décrire, dont les impressions sont comprises dans un changement infini et ne peuvent donc être condensées dans un moment du temps.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 110-111.

«L'image historique — qu'il s'agisse de l'histoire de l'humanité, des espèces organiques, de la terre ou des systèmes de l'étoile fixe — est une image de la mémoire. Mémoire signifie ici un état supérieur, qui n'est point la propriété de chaque être éveillé, qui n'est départi à beaucoup que dans une mesure restreinte, une espèce très précise d'imagination qui fait vivre sub specie æternitatis le moment particulier en le rapportant constamment au passé et à l'avenir; elle est la base de toute espèce de contemplation rétrospective, de toute connaissance et de toute confession de soi-même.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 111.

«Les cultures sont des organismes. L'histoire universelle est leur biographie générale.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 112.

«L'histoire d'une culture est la réalisation progressive de ses possibilités. Leur achèvement est synonyme de sa fin.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 112.

«La culture est le phénomène primaire de toute l'histoire universelle passée et future.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 112.

«Un phénomène primaire est celui où l'idée du devenir est présente à nos yeux dans sa pureté.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 113.

«Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l'état psychique primaire d'éternelle enfance humaine, forme issue de l'informe, limite et caducité sorties de l'infini et de la durée. Elle croît sur le sol d'un paysage exactement délimitable, auquel elle reste liée comme la plante.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 114.

«Une culture naît au moment quand l'âme a réalisé la somme entière de ses possibilités sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d'arts, d'États, des sciences, et qu'elle retourne ainsi à l'état psychique primaire. Mais son être vivant, cette succession de grandes époques qui marquent à grands traits précis son accomplissement progressif, est une lutte très intime et passionnée pour la conquête de l'idée sur les puissances extérieures du chaos et sur l'instinct intérieur où ces puissance se sont réfugiées avec leur rancune.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 114.

«Quand le but est atteint et l'idée achevée, que la quantité totale des possibilités intérieures s'est réalisée au dehors, la culture se fige, brusquement, elle meurt, son sang coule, ses forces se brisent — elle devient civilisation.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 114.

«Quiconque comprend en général la mesure où l'âme peut être désignée comme l'idée d'un être, celui-là sentira aussi que la certitude d'un destin en est la proche parente et qu'il faut que la vie elle-même, appelée par moi la forme où s'accomplit la réalisation du possible, soit considérée comme un être dirigé, irrévocable en chacun de ses traits et chargé de destin — vaguement et en tremblant par le primitif, clairement et sous la forme d'une intuition de l'univers (qu'on ne peut sans doute communiquer qu'au moyen de la religion et de l'art, non des concepts et des démonstrations, par l'homme de hautes cultures.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 121.

«La causalité, c'est le rationnel, la loi l'exprimable, la marque de notre être éveillé intellectuel tout entier. Le destin est le nom d'une certitude intérieure qu'on ne doit pas décrire. [...]. Le premier demande une discrimination, donc une destruction, L'autre est de part en part création. D'où la relation du destin avec la vie, de la causalité avec la mort.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 121.

«L'idée du destin est révélée par la peur cosmique d'une âme, son désir de lumière et de croissance, d'accomplir et de réaliser sa vocation. Elle n'est étrangère à personne, et seul l'homme tardif et déraciné des grandes villes, avec son des affaires et la puissance mécanisante de sa pensée sur l'intuition originelle, la perde de vue jusqu'au jour où, à une heure profonde, elle se présente à lui avec une clarté éblouissante qui foudroie toute causalité de la surface de l'univers. Car l'univers comme système d'enchaînements causaux est tardif, rare, et seule l'intelligence énergique des hautes cultures en prend possession d'une manière sûre et presque artistique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 121.

«Destin est à causalité ce que le temps est à espace.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 122.

«... le devenir est à la racine du devenu, donc le sentiment intérieur et sûr d'un destin est aussi à la racine de la connaissance des causes et des effets. La causalité est — si l'on peut dire — un destin devenu, désorganisé, cristallisé en formes intellectuelles.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 122.

«Le nexus causal, dès qu'on va au fond des choses, se borne rigoureusement à montrer qu'une chose a lieu, non quand elle a lieu. Il faut que l''effet' soit posé nécessairement avec sa 'cause'. Quand à sa distance, elle ressortit à un autre ordre. Elle est dans l'entendement même considéré comme un caractère de la vie, non de la chose entendue.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 123.

«...l'idée du destin régit l'image cosmique entière de l'histoire, tandis que toute causalité, manière d'être des objets qui transforme l'univers de la sensation en choses, propriétés et rapports nettement distincts et délimités, régit et pénètre comme forme de l'entendement l'univers-nature, son alter ego.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 124.

«L'espace est un concept. Le temps est un nom pour désigner un Incoercible, un symbole sonore qu'on entend très mal quand on veut le traiter aussi comme concept scientifique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 125.

«Il y a toujours une haine cachée dans l'acte spirituel par lequel on force une chose à rentrer dans le ressort de la loi, dans l'univers formel de la mesure. On tue le vivant en le resserrant dans l'espace privé de vie et qui prive de la vie. La mort est donnée avec la naissance, la fin avec l'accomplissement. Il meurt quelque chose dans la femme dès qu'elle conçoit; de là l'éternelle haine des sexes, fille de la peur cosmique. En un sens très profond, l'homme anéantit en engendrant, par l'acte procréateur dans l'univers sensible, par la 'connaissance' dans l'univers spirituel.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 126.

«Devant la question Où et comment, le Quand demeure un univers pour soi: c'est la différence entre la physique et la métaphysique. Espace, objet, nombre, concept, causalité sont si étroitement apparentés qu'il est impossible, comme le prouvent d'innombrables systèmes manqués, d'en examiner un indépendamment de l'autre. La mécanique est chaque fois un portrait de la logique, et inversement. L'image de la pensée dont la psychologie décrit la structure fait pendant à l'univers spatial dont traite la physique contemporaine. Concept et choses, principes et causes, déductions et processus couvrent si complètement quant à la représentation, que le penseur abstrait a précisément succombé toujours à la tentation de représenter le 'processus' intellectuel immédiatement par un graphique et un schéma, c'est-à-dire spatialement [...].» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 128.

«Compter et dessiner sont un devenir, les nombres et les figures un devenu.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 129.

«Le temps est une antinomie de l'espace, tout comme on oppose à la pensée non le fait, mais d'abord le concept de la vie; à la mort non le fait, mais d'abord de concept de la naissance, de la génération. Cette antinomie a sa racine profonde dans la nature de l'être éveillé.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 130.

«... ce n'est ni la mathématique ni la pensée abstraite, mais les grands arts, frères des religions contemporaines, qui donnent la clé du problème du temps, lequel ne peut guère être résolu sur le terrain de l'histoire seule.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 131.

«L'aptitude à vivre l'histoire présente et la manière de la vivre, de vivre aussi et surtout son propre devenir, diffèrent beaucoup d'homme à homme.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 133.

«... l'homme antique a extrait d'un sentiment très profond et inconscient de la vie la forme de l'incinération, acte destructeur par lequel il exprimait vigoureusement son être euclidien lié au présent et au tangent. Il ne voulait point d'histoire, point de durée, ni passé, ni futur, ni souci, ni solution, et il détruisait donc ce qui n'avait plus de présent [...]..» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 136-137.

«L'État est la forme intérieure, l'être en forme, d'une nation, et l'histoire, au sens sublime, est la pensée que cet être n'est pas mobilité, mais mouvement. La femme mère est l'histoire, l'homme guerrier et politique fait l'histoire.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 139.

«Destin et hasard forment toujours une antithèse, où l'âme essaie d'inclure ce qui ne peut être que sentiment, expérience et vision intérieures, ce que les créations les plus profondes de la religion et de l'art peuvent seules éclairer pour ceux qui y sont prédestinés.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 141.

«... ce qui résulte réellement et qui est la conséquence de toutes nos décisions, rapides, surprenantes, imprévisibles pour chacun, dépend d'une nécessité plus profonde et est, pour le regard clairvoyant qui plane par-dessus l'image du passé le plus lointain, soumis à un ordre supérieur. L'insondable peut être ici senti comme une grâce, se le destin a été l'accomplissement d'une volonté.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 142.

«L'univers du hasard, c'est l'univers des faits qui sont réels une seule fois, au-devant desquels comme d'un avenir nous marchons avec nostalgie ou crainte, qui comme présent vivant nous élèvent ou nous oppressent et que nous pouvons revivre comme passé en les contemplant avec joie ou avec douleur. L'univers des causes et des effets, c'est l'univers qui reste constamment possible, celui des vérités atemporelles connues par analyse et par discrimination.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 143.

«Seul le regard pénétrant au sein du métaphysique découvre dans les dates des symboles de faits vécus et élève le hasard au rang de destin.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 144.

«L'histoire ordinaire, pour autant qu'elle n'est pas égarée dans ses collections de dates, ne dépassera jamais le hasard banal. Il est le destin de ses auteurs, qui restent psychiquement plus ou moins au niveau de la foule. Les courants de la nature et de l'histoire se congèlent à leurs yeux en unité populaire, et le vulgaire ne connaît rien de plus incompréhensible que le 'hasard', que 'Sa Majesté le Hasard'. Il est le causal derrière le rideau, le non encore démontré substitué à la logique secrète de l'histoire qu'on ne sent point. L'image anecdotique extérieure de l'histoire, arène de tous les champions ès-causalité scientifique et de tous les romancier ou auteurs dramatiques de vulgaire trempe: voilà son correspondant absolu.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 145.

«Le parfait non-sens de la fatalité aveugle qu'incarne par exemple la malédiction des Atrides, révélait à la psyché ahistorique de l'antiquité le sens de son univers.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 148.

«Un événement fait époque lorsqu'il marque un tournant nécessaire, un tournant du destin, dans le cours d'une culture. L'événement fortuit en soi, qui est l'image cristallisée de la superficie historique, pouvait [sic] se représenter par d'autres hasards correspondants, l'époque est nécessaire et prédéterminée. La question de savoir si un événement prend le nom d'époque ou d'épisode par rapport à une culture et au cours de celle-ci, est en connexion, comme on le voit, avec l'idée de destin et de hasard et, par conséquent aussi, avec la différence entre la tragédie 'époquale' d'Occident et la tragédie épisodique de l'antiquité.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 149.

«Le tragique dans la vie de Napoléon — il est encore à découvrir par un poète assez grand pour le comprendre et le figurer —, c'est que lui, dont l'être s'est éveillé en combattant la politique anglaise, la plus digne représentante de l'esprit anglais, ait précisément par ce combat achevé la victoire de l'esprit anglais sur le continent, qui était alors assez puissant, dans sa forme de 'peuples libérés' pour le vaincre et l'envoyer mourir à Sainte-Hélène. Ce n'était pas lui le fondateur du principe expansionniste. Celui-ci était un rejeton du puritanisme dans l'entourage de Cromwell, qui avait appelé à la vie l'empire colonial anglais, et c'était aussi depuis cette journée de Valmy comprise au seul Goethe, comme le montre sa parole célèbre au soir de la bataille, grâce à l'intermédiaire de cerveaux éduqués à l'anglaise, comme Rousseau et Mirabeau, la tendance des armées révolutionnaires qui étaient poussées en avant par des idées de philosophes absolument anglais. Ce n'était pas Napoléon qui avait ces idées, mais elles l'ont formé et, quant il monta sur le trône, il lui fallut les poursuivre contre la seule puissance, l'Angleterre notamment, qui les voulait de même. Son Empire est une œuvre de sang français, mais de style anglais.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 150.

«Connaissance des hommes et connaissance scientifique sont par essence tout à fait incomparables.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 152.

«Tout ce que nous saisissons par l'esprit a une cause, tout ce que nous appréhendons avec une certitude intérieure comme organisme a un passé. La cause marque le 'cas' qui est possible partout et dont la forme intérieure est constante, quels que soient le moment, le nombre et en général la possibilité de ses manifestations; le passé marque l'événement qui s'est produit une fois et qui ne se répétera jamais.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 152-153.

«... la jeunesse seule a un avenir, est un avenir. Mais cette énigmatique musique verbale signifie la direction du temps, le destin. Le destin est toujours jeune. Celui qui le remplace par une chaîne de causes et d'effets voit pour ainsi dire quelque chose de vieux et de passé même dans le non-encore-réalisé. La direction y manque.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 153.

«La vie est à l'histoire ce que le savoir est à la nature — à l'univers sensible qui est conçu comme élément, considéré dans l'espace et figuré d'après la loi de cause à effet.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 154.

«Il n'y a donc pas une science de l'histoire, mais une pré-science pour l'histoire, qui constate ce qui a existé. Pour le regard historique lui-même, les dates sont toujours des symboles. La recherche scientifique, au contraire, n'est que science. Elle ne veut, parce que technique d'origine et de but, découvrir que des dates, des lois d'espèce causale, et dès qu'elle jette un coup d'œil sur autre chose, elle est déjà devenue une métaphysique, une sorte de surnature. C'est bien pour cette raison que les dates de l'histoire et les dates de la nature sont de deux sortes. Les secondes reviennent sans cesse, les première jamais. Les secondes sont des vérités, les premières des faits. Les 'hasards' et les 'destins' ont donc beau paraître, apparentés dans l'image de tous les jours, au fond tous deux appartiennent à des univers différents.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 154.

«Connaître l'image de la nature — création et reproduction de l'esprit et son alter ego dans le domaine de l'étendue — c'est se connaître soi-même.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 157.

«L'histoire est caractérisée par le fait une fois réel, la nature par l'être toujours possible.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 158.

«Histoire et nature s'opposent en nous comme la vie à la mort et le destin éternel devenir à l'espace éternel devenu. Dans l'être éveillé, devenir et devenu se disputent la primauté de l'image cosmique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 159.

«Chaque époque, chaque grande figure, chaque divinité, les villes, les langues, les nations, les arts, tout ce qui a jamais existé et existera est un trait physionomique d'une symbolique suprême, que le connaisseur d'hommes doit interpréter dans un sens tout à fait nouveau.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre II». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 160.

mercredi 8 septembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XI)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[DU PRINCIPE FONDAMENTAL DES RELIGIONS SACERDOTALES]

«La notion du sacrifice, [...], est inséparable de la religion. Exempte d'abord de tout raffinement, cette notion conduit l'homme à partager avec ses idoles tout ce qui lui est ici-bas nécessaire ou agréable. Si, à mesure que la civilisation fait des progrès, l'homme possesseur de choses plus précieuses, offre à ses dieux une portion de ces choses plus précieuses, c'est toujours dans l'hypothèse qu'ils en éprouvent un véritable besoin, et qu'ils font réellement usage de ce qu'il leur consacre, comme lui-même fait usage de la part qu'il se réserve. Mais avec la civilisation que nous pouvons nommer matérielle, s'introduit une civilisation morale. Les notions sur la nature divine se modifient et s'épurent: l'homme s'élève à des idées moins grossières; il ne suppose plus que les être qu'il adore aient des besoins physiques semblables aux siens; il les conçoit tout-puissants, il ne peut donc rien leur offrir dans ce monde qui de droit et de fait ne leur appartienne. Ils trouvent hors de lui, sans lui, leur félicité, leurs plaisirs, leurs jouissances. Alors le sacrifice se présente à l'esprit sous un nouveau point de vue: il n'est plus méritoire par la valeur intrinsèque des offrandes; il ne saurait l'être comme témoignage de soumission, de dévouement, de respect.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 435.

«Certes, jamais exemple plus frappant ne nous fut présenté des conséquences toutes contraires qu'entraîne le même principe, quand c'est l'intelligence qui le découvre et le développe en liberté, et quand c'est une caste qui s'en empare et s'en fait un instrument de pouvoir. Le sacerdoce de l'Antiquité a tourné contre l'homme jusqu'à ses progrès. Ce qui rend la religion plus pure, plus désintéressée, plus sublime, lorsqu'elle reste libre, a servi ceux qui se disaient ses ministres, pour la souiller de ce que la férocité a de plus barbare, la débauche de plus révoltant. Tout grossier qu'il est, le polythéisme homérique vaut mille fois mieux que les cultes vantés des nations orientales et méridionales. Des dieux égoïstes, orgueilleux, passionnés, exigeant des hommages qui flattent leur vanité, des victimes qui réjouissent leurs sens, laissent la partie morale de l'homme dans son indépendance. Les religions sacerdotales violent ce sanctuaire, font du sentiment religieux leur esclave et leur complice; et ce qu'il y a de plus pur dans ce sentiment, le besoin de se sacrifier à ce qu'il adore, se transforme dans les mains des prêtres en une cause de délire, d'abrutissement et de cruauté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 436.

«... dans tous les pays, les sacrifices humains [...] tendent à s'adoucir: aucune puissance ne résiste avec un succès complet à la marche nécessaire de l'esprit humain. L'intérêt et la pitié se réunissent contre une coutume barbare, et même dans les religions sacerdotales, elle tombe graduellement en désuétude.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 443.

«Dès que les peuples, assez malheureux pour être soumis à l'empire des prêtres, éprouvent quelques revers, ou qu'un phénomène extraordinaire les effraie, la négligence paraît une criminelle tentative pour frauder les dieux de ce qui leur est dû, et l'homme abjure, au milieu des remords, un respect impie pour la vie de l'homme, le père une pitié sacrilège pour les jours de ses enfants.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 443.

«Nous avons déjà fait remarquer à nos lecteurs ce qu'il y a de mystérieux dans le sentiment de pudeur ou de honte inhérent à l'union des sexes; nous avons indiqué par quelle transition fort naturelle ce sentiment inexplicable a pu suggérer à l'homme l'idée de quelque chose de criminel dans les jouissances dont il rougissait. Même aujourd'hui que la religion et la société ont sanctifié la reproduction des êtres par des formes solennelles, une notion de souillure y demeure attachée. L'épouse qui sort des bras d'un époux, nous semble, quant notre imagination veut la suivre dans les embrassements qu'elle a dû subir, avoir perdu de sa pureté, et la maternité est nécessaire pour lui rendre cette pureté sous un rapport nouveau. Il n'est donc pas étonnant que le polythéisme sacerdotal, empreint de l'idée du sacrifice, se soit appuyé sur la pudeur, pour commander à l'homme le renoncement au plaisir des sens.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 445.

«La tendance aux macérations est donc dans le cœur de l'homme. On pourrait même dire qu'elle prend sa source dans une idée vraie. c'est par la douleur que l'homme s'améliore. C'est comme principe d'activité, ou moyen de perfectionnement que la Providence nous la prodigue, avec une abondance dont tout autre système ferait une gratuite et inexcusable cruauté. La douleur réveille en nous, tantôt ce qu'il y a de noble dans notre nature, le courage; tantôt ce qu'il y a de tendre, la sympathie et la pitié. Elle nous apprend à lutter pour nous, à sentir pour les autres. Averti par l'instinct qui lui révèle tant de vérités que ne devinerait pas la logique, le sentiment religieux cherche quelquefois la douleur pour y retremper sa pureté ou sa force. Mais le sacerdoce s'empare de ce mouvement, et lui imprime une direction fausse et déplorable.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 449.

«La notion de la division en deux substances a pu également fortifier le penchant de l'homme aux macérations. Dans ce système, la matière est l'ennemie et, pour ainsi dire, le tyran de l'esprit, emprisonné dans son épaisse enveloppe. Il faut vaincre cette ennemie, détrôner le tyran. Tout ce qui le fait souffrir ou ce qui l'affaiblit, les jeûnes, les abstinences, la résistance aux besoins ou aux attraits des sens, les tortures volontaires, sont des triomphes qui affranchissent de ses liens grossier la substance spirituelle; et l'esprit pur, rendu à sa liberté, s'élève jusqu'à Dieu pour se confondre et se perdre en lui.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 451.

«... d'une disposition que nous avons souvent remarquée dans l'homme civilisé ou sauvage; nous voulons parler de son penchant à prêter à ses dieux ses inclinations, ses sentiments et même ses aventures.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 453.

«L'union des sexes a été réprouvée dans les cieux comme sur la terre; et la divinité, même en s'incarnant, n'a pas voulu devoir sa naissance à un acte impur.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 453.

«Ce n'est pas seulement dans ce qui regarde la virginité et les naissances divines, sans l'intervention de l'union des sexes, que les prêtres ont voulu que leurs dieux se conformassent aux notions des hommes. Il en a été de même relativement aux sacrifices humains, et à la valeur mystérieuse attachée à la souffrance. L'adorateur, considérant l'offrande comme d'autant plus efficace, que l'objet offert était plus précieux, a d'abord préféré les animaux aux plantes, puis ses semblables aux animaux, puis enfin les dieux à ses semblables. Il en est résulté que plusieurs nations ont cru que leurs dieux s'étaient immolés sur leurs propres autels.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 454.

«Dans les cosmologies indiennes, fondées sur le panthéisme, la création est un sacrifice. Le dieu qui existe seul se sacrifie, en se divisant violemment, et en tirant le monde de son essence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455.

« «La foi nous apprend, disent des auteurs très modernes, qu'il a fallu pour effacer le péché inhérent à la nature de l'homme, une victime théandrique, c'est-à-dire divine et humaine tout ensemble. Peut-être les inventeurs des sacrifices humains chez les nations idolâtres avaient-ils appris cette vérité par quelque tradition vague, et les rites qui nous révoltent n'étaient de leur part qu'une tentative pour trouver la victime destinée à délivrer le genre humain par sa mort.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455-456.

« «La foi nous apprend, disent des auteurs très modernes, qu'il a fallu pour effacer le péché inhérent à la nature de l'homme, une victime théandrique, c'est-à-dire divine et humaine tout ensemble. Peut-être les inventeurs des sacrifices humains chez les nations idolâtres avaient-ils appris cette vérité par quelque tradition vague, et les rites qui nous révoltent n'étaient de leur part qu'une tentative pour trouver la victime destinée à délivrer le genre humain par sa mort.» » — Ferrand. Esprit de l'histoire, I, 374. Cité in Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455-456.

«Cette foule [de dieux dans la religion polythéiste romaine] s'accroît par la démonologie; les divinités malfaisantes y figurent; elles enlèvent à l'homme son innocence, elles le flétrissent d'indélébiles souillures, elles le plongent dans des abîmes affreux et sans nombre, d'où ses vains efforts ne sauraient le sortir, et qui ne s'ouvrent pour sa délivrance que grâce à l'intervention d'un dieu médiateur à la fois triple et unique, car l'Étrurie sacerdotale a aussi sa trinité. Ces mêmes puissance acharnées menacent notre globe, et les prophètes toscans annoncent sans cesse la destruction du monde. à ces dogmes empreints des couleurs funestes et des calculs raffinés du sacerdoce, se joignent les rites cruels ou obscènes que nous avons rencontrés chez tous les peuples qui ont subi son joug.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 457.

«Les gouvernements populaires, ou même les aristocraties qui appellent beaucoup d'individus à la participation des affaires, balancent, par les intérêts de ce monde, l'autorité spirituelle. Le despotisme, versant à grands flots sur ses esclaves tous les malheurs et tous les opprobres, les met à la merci de quiconque leur promet un asile ailleurs, à moins que le despotisme, habile à tout avilir, n'avilisse aussi la religion; mais ceci n'arrive que chez les nations très corrompues, et par un concours de circonstances heureusement assez rares.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 461.

lundi 6 septembre 2010

Oswald Spengler — Le déclin de l'Occident I (Chapitre I)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


[DU SENS DES NOMBRES]

«Si on appelle l'âme — bien entendu celle qu'on sent et non l'image idéale qu'on s'en forge — le virtuel et qu'on lui oppose l'univers comme étant le réel, deux mots sur le sens desquels un sentiment intérieur na laisse subsister aucun doute, la vie apparaîtra comme la forme où s'accomplit la réalisation du possible. Par rapport au caractère de direction, le possible s'appelle futur, la réalité passé. L' 'âme' est ce qu'il faut réaliser, l' 'univers' ce qui est réalisé, la vie cette réalisation.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 64.

«... je distingue la culture possible et la culture réelle, la culture comme idée de l'être, général ou particulier, et la culture comme corps de cette idée, comme somme de son expression rendue sensible, devenue spatialement et concrètement: actions, sentiments, religions, États, arts, sciences, peuples, villes, formes économiques et sociales, langues, droits, mœurs, caractères, traits du visage, costumes. Par sa parenté étroite avec la vie, le devenir, l'histoire supérieure est la réalisation de la culture possible .» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 65.

«Comprendre l'histoire, c'est être un connaisseur d'hommes, au sens suprême du mot. Plus un tableau historique est pur, plus exclusivement accessible il est à ce regard qui pénètre jusqu'au fond des âmes étrangères ...» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 65-66.

«Le nombre est le symbole de la nécessité causale. Comme le concept de Dieu, il renferme le sens dernier de l'univers considéré comme nature. Aussi peut-on nommer mystère l'existence des nombres et la pensée religieuse de toutes les cultures n'a pas échappé à cette impression.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 66.

«L'origine des nombres ressemble à celle du mythe. L'homme primitif élève au range de divinités, numina, les impressions naturelles impossibles à définir ('l'altérité'), en les limitant, en les captant par un nom. De même, les nombres sont des éléments pour délimiter, et donc capter les impressions de la nature. Par le nom et le nombre, l'intelligence humaine prend pouvoir sur l'univers.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 67.

«Une épreuve intérieur intime, qui est proprement le réveil du moi, qui rend l'enfant homme supérieur et membre de la culture à laquelle il appartient, marque le début de l'intelligence des nombres comme du langage. C'est seulement alors qu'il existe pour l'être éveillé des objets comme choses numériquement différenciées; alors seulement, il y a pour lui des qualités, des concepts, une nécessité causale, un système de l'ambiance, une forme de l'univers, des lois universelles posées avec précision — le 'posé' est toujours par nature le limité, le figé, le soumis au nombre — et un sentiment subit, presque métaphysique de respect et d'angoisse envers le sens profond des mots mesurer, compter, dessiner, figurer.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 69.

«On n'a pas encore eu le courage jusqu'à ce jour d'admettre que la constance de la structure de l'esprit, tenue jusqu'ici pour évidente, est une illusion et que l'histoire visible offre plus d'un style du connaître. Mais n'oublions pas que, dans les choses non encore devenues des problèmes, l'unanimité n'est pas seulement une vérité générale, mais aussi une illusion collective.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 70.

«La morphologie comparée des formes de la connaissance est un problème encore réservé à la pensée d'Occident.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 70.

«Le monde antique n'est pas une pensée des rapports spatiaux, mais des unités tangentes délimitées pour l'œil charnel.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 74.

«Une pensée mathématique et, en général, scientifique est juste, convaincante, 'logiquement nécessaire', quand elle répond entièrement au sentiment de la vie de ses auteurs. Sinon, elle est impossible, avortée, insensée ou, selon le mot favori de notre orgueil d'esprit historique, 'primitive'.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 76.

«Les hypothèses, jamais vérifiées et sans cesse réimposées à l'esprit, sur l'éther cosmique conçu comme matière médiatement sensible, montrent que l'univers de notre physique est la négation très stricte de toute existence de limite matérielle.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 78.

«La forme pétrifiée et le système scientifique nient la vie.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 79.

«Les nombres sont les symboles du caduc. Les formes figées nient la vie. Les formes et les lois répandent la cristallisation sur l'image de la nature. Les nombres tuent.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 79.

«L'algèbre est à l'arithmétique antique et à l'analyse occidentale ce que l'église à coupole est au temple dorique et à la cathédrale gothique.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 82.

«Il a fallu longtemps pour trouver le courage de penser notre propre pensée. À la base était le désir constant d'égaler l'antiquité. Malgré cela, chaque pas fait en ce sens nous éloignait en réalité de l'idéal souhaité. Aussi l'histoire de la science occidentale est-elle celle de notre émancipation progressive de la pensée antique, émancipation qui n'est même pas voulue, qui fut arrachée par force des profondeurs de l'inconscient. C'est ainsi que l'évolution de la mathématique moderne se transforma en lutte clandestine, longue, finalement victorieuse, contre le concept de grandeur.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 85.

«Dès qu'aux yeux étonnés du primitif luit cet univers de l'étendue ordonné, du devenu chargé de sens, qui se détache à grands traits d'un chaos d'impressions; dès qu'il sent l'antithèse profonde, irrévocable, de cet univers extérieur, qui donne à la vie éveillée une direction et une forme, il s'éveille en même temps dans cette âme qui prend subitement conscience de sa solitude le sentiment originel de la nostalgie cosmique. Elle est le désir ardent de connaître le but du devenir, d'accomplir et de réaliser toutes les possibilités intérieures, de développer l'idée de son propre être. Elle est le désir de l'enfant, qui en prend conscience avec une netteté croissante comme du sentiment d'une direction irrésistible et, plus tard, comme de l'énigme du temps, effrayante, séductrice, insoluble, dressée devant son esprit mûr. Les mots passé et futur ont pris subitement une signification chargée de destin.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 88.

«Comme tout devenir se règle sur un être devenu avec lequel il prend fin, le sentiment originel du devenir, la nostalgie cosmique, touche aussi à l'autre sentiment de l'être devenu, à la peur. Dans le présent, on sent l'écoulement; dans le passé gît la caducité. Telle est la source de cette éternelle peur qu'on éprouve devant l'irrévocable, le terme atteint, le sommet franchi, la caducité, devant l'univers même comme résidu où la limite de la mort est donnée en même temps que celle de la naissance, peur de l'instant où le possible est réalisé, la vie intérieur accomplie et achevée, la conscience acculée au but.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 88.

«La peur cosmique est certainement le plus créateur de tous les sentiments primordiaux. L'homme lui doit les formes et les figures les plus mûres et les plus profondes non seulement de sa vie intérieure consciente, mais aussi des reflets de cette vie à travers les œuvres innombrables de la culture.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 88-89.

«La patrie de l'homme antique est ce qu'il peut apercevoir depuis la maison paternelle, rien de plus. Ce qui dépassait cet horizon optique d'un atome politique lui était étranger.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 92.

«Ce n'est qu'en passant de la 'grandeur infiniment petite' à la 'valeur-limite inférieure de toute grandeur finie possible' qu'on est arrivé à concevoir un nombre variant au-dessous de toute grandeur finie autre que zéro, donc ne portant pas lui-même le moindre caractère de grandeur. Dès lors, la valeur-limite n'est plus du tout celle dont on approche. Elle est ce rapprochement même — considéré comme processus, comme opération; elle n'est plus un état, mais un rapport. C'est dans ce problème décisif de la mathématique orientale que re révèle tout à coup la structure historique de notre psyché.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 96.

«Libérer la géométrie de l'intuition sensible, l'algèbre du concept de grandeur, et les unir toutes deux dans le puissant édifice de la théorie des fonctions, par delà les bornes élémentaires de la construction et du calcul: telle fut la grande voie de la mathématique occidentale. Ainsi le nombre antique constant fut dissous dans le nombre variable.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 96.

«Il s'agit justement de comprendre que la réalité n'est pas la seule réalité sensible, mais que le psychique est, au contraire, capable de réaliser son idée dans des formes tout autres que les formes intuitives.» — Oswald SPENGLER. «Chapitre I». In Le Déclin de l'Occident (Vol. I). Gallimard. Paris, 2007. p. 99.