mercredi 8 septembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XI)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.

[DU PRINCIPE FONDAMENTAL DES RELIGIONS SACERDOTALES]

«La notion du sacrifice, [...], est inséparable de la religion. Exempte d'abord de tout raffinement, cette notion conduit l'homme à partager avec ses idoles tout ce qui lui est ici-bas nécessaire ou agréable. Si, à mesure que la civilisation fait des progrès, l'homme possesseur de choses plus précieuses, offre à ses dieux une portion de ces choses plus précieuses, c'est toujours dans l'hypothèse qu'ils en éprouvent un véritable besoin, et qu'ils font réellement usage de ce qu'il leur consacre, comme lui-même fait usage de la part qu'il se réserve. Mais avec la civilisation que nous pouvons nommer matérielle, s'introduit une civilisation morale. Les notions sur la nature divine se modifient et s'épurent: l'homme s'élève à des idées moins grossières; il ne suppose plus que les être qu'il adore aient des besoins physiques semblables aux siens; il les conçoit tout-puissants, il ne peut donc rien leur offrir dans ce monde qui de droit et de fait ne leur appartienne. Ils trouvent hors de lui, sans lui, leur félicité, leurs plaisirs, leurs jouissances. Alors le sacrifice se présente à l'esprit sous un nouveau point de vue: il n'est plus méritoire par la valeur intrinsèque des offrandes; il ne saurait l'être comme témoignage de soumission, de dévouement, de respect.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 435.

«Certes, jamais exemple plus frappant ne nous fut présenté des conséquences toutes contraires qu'entraîne le même principe, quand c'est l'intelligence qui le découvre et le développe en liberté, et quand c'est une caste qui s'en empare et s'en fait un instrument de pouvoir. Le sacerdoce de l'Antiquité a tourné contre l'homme jusqu'à ses progrès. Ce qui rend la religion plus pure, plus désintéressée, plus sublime, lorsqu'elle reste libre, a servi ceux qui se disaient ses ministres, pour la souiller de ce que la férocité a de plus barbare, la débauche de plus révoltant. Tout grossier qu'il est, le polythéisme homérique vaut mille fois mieux que les cultes vantés des nations orientales et méridionales. Des dieux égoïstes, orgueilleux, passionnés, exigeant des hommages qui flattent leur vanité, des victimes qui réjouissent leurs sens, laissent la partie morale de l'homme dans son indépendance. Les religions sacerdotales violent ce sanctuaire, font du sentiment religieux leur esclave et leur complice; et ce qu'il y a de plus pur dans ce sentiment, le besoin de se sacrifier à ce qu'il adore, se transforme dans les mains des prêtres en une cause de délire, d'abrutissement et de cruauté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 436.

«... dans tous les pays, les sacrifices humains [...] tendent à s'adoucir: aucune puissance ne résiste avec un succès complet à la marche nécessaire de l'esprit humain. L'intérêt et la pitié se réunissent contre une coutume barbare, et même dans les religions sacerdotales, elle tombe graduellement en désuétude.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 443.

«Dès que les peuples, assez malheureux pour être soumis à l'empire des prêtres, éprouvent quelques revers, ou qu'un phénomène extraordinaire les effraie, la négligence paraît une criminelle tentative pour frauder les dieux de ce qui leur est dû, et l'homme abjure, au milieu des remords, un respect impie pour la vie de l'homme, le père une pitié sacrilège pour les jours de ses enfants.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 443.

«Nous avons déjà fait remarquer à nos lecteurs ce qu'il y a de mystérieux dans le sentiment de pudeur ou de honte inhérent à l'union des sexes; nous avons indiqué par quelle transition fort naturelle ce sentiment inexplicable a pu suggérer à l'homme l'idée de quelque chose de criminel dans les jouissances dont il rougissait. Même aujourd'hui que la religion et la société ont sanctifié la reproduction des êtres par des formes solennelles, une notion de souillure y demeure attachée. L'épouse qui sort des bras d'un époux, nous semble, quant notre imagination veut la suivre dans les embrassements qu'elle a dû subir, avoir perdu de sa pureté, et la maternité est nécessaire pour lui rendre cette pureté sous un rapport nouveau. Il n'est donc pas étonnant que le polythéisme sacerdotal, empreint de l'idée du sacrifice, se soit appuyé sur la pudeur, pour commander à l'homme le renoncement au plaisir des sens.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 445.

«La tendance aux macérations est donc dans le cœur de l'homme. On pourrait même dire qu'elle prend sa source dans une idée vraie. c'est par la douleur que l'homme s'améliore. C'est comme principe d'activité, ou moyen de perfectionnement que la Providence nous la prodigue, avec une abondance dont tout autre système ferait une gratuite et inexcusable cruauté. La douleur réveille en nous, tantôt ce qu'il y a de noble dans notre nature, le courage; tantôt ce qu'il y a de tendre, la sympathie et la pitié. Elle nous apprend à lutter pour nous, à sentir pour les autres. Averti par l'instinct qui lui révèle tant de vérités que ne devinerait pas la logique, le sentiment religieux cherche quelquefois la douleur pour y retremper sa pureté ou sa force. Mais le sacerdoce s'empare de ce mouvement, et lui imprime une direction fausse et déplorable.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 449.

«La notion de la division en deux substances a pu également fortifier le penchant de l'homme aux macérations. Dans ce système, la matière est l'ennemie et, pour ainsi dire, le tyran de l'esprit, emprisonné dans son épaisse enveloppe. Il faut vaincre cette ennemie, détrôner le tyran. Tout ce qui le fait souffrir ou ce qui l'affaiblit, les jeûnes, les abstinences, la résistance aux besoins ou aux attraits des sens, les tortures volontaires, sont des triomphes qui affranchissent de ses liens grossier la substance spirituelle; et l'esprit pur, rendu à sa liberté, s'élève jusqu'à Dieu pour se confondre et se perdre en lui.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 451.

«... d'une disposition que nous avons souvent remarquée dans l'homme civilisé ou sauvage; nous voulons parler de son penchant à prêter à ses dieux ses inclinations, ses sentiments et même ses aventures.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 453.

«L'union des sexes a été réprouvée dans les cieux comme sur la terre; et la divinité, même en s'incarnant, n'a pas voulu devoir sa naissance à un acte impur.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 453.

«Ce n'est pas seulement dans ce qui regarde la virginité et les naissances divines, sans l'intervention de l'union des sexes, que les prêtres ont voulu que leurs dieux se conformassent aux notions des hommes. Il en a été de même relativement aux sacrifices humains, et à la valeur mystérieuse attachée à la souffrance. L'adorateur, considérant l'offrande comme d'autant plus efficace, que l'objet offert était plus précieux, a d'abord préféré les animaux aux plantes, puis ses semblables aux animaux, puis enfin les dieux à ses semblables. Il en est résulté que plusieurs nations ont cru que leurs dieux s'étaient immolés sur leurs propres autels.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 454.

«Dans les cosmologies indiennes, fondées sur le panthéisme, la création est un sacrifice. Le dieu qui existe seul se sacrifie, en se divisant violemment, et en tirant le monde de son essence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455.

« «La foi nous apprend, disent des auteurs très modernes, qu'il a fallu pour effacer le péché inhérent à la nature de l'homme, une victime théandrique, c'est-à-dire divine et humaine tout ensemble. Peut-être les inventeurs des sacrifices humains chez les nations idolâtres avaient-ils appris cette vérité par quelque tradition vague, et les rites qui nous révoltent n'étaient de leur part qu'une tentative pour trouver la victime destinée à délivrer le genre humain par sa mort.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455-456.

« «La foi nous apprend, disent des auteurs très modernes, qu'il a fallu pour effacer le péché inhérent à la nature de l'homme, une victime théandrique, c'est-à-dire divine et humaine tout ensemble. Peut-être les inventeurs des sacrifices humains chez les nations idolâtres avaient-ils appris cette vérité par quelque tradition vague, et les rites qui nous révoltent n'étaient de leur part qu'une tentative pour trouver la victime destinée à délivrer le genre humain par sa mort.» » — Ferrand. Esprit de l'histoire, I, 374. Cité in Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 455-456.

«Cette foule [de dieux dans la religion polythéiste romaine] s'accroît par la démonologie; les divinités malfaisantes y figurent; elles enlèvent à l'homme son innocence, elles le flétrissent d'indélébiles souillures, elles le plongent dans des abîmes affreux et sans nombre, d'où ses vains efforts ne sauraient le sortir, et qui ne s'ouvrent pour sa délivrance que grâce à l'intervention d'un dieu médiateur à la fois triple et unique, car l'Étrurie sacerdotale a aussi sa trinité. Ces mêmes puissance acharnées menacent notre globe, et les prophètes toscans annoncent sans cesse la destruction du monde. à ces dogmes empreints des couleurs funestes et des calculs raffinés du sacerdoce, se joignent les rites cruels ou obscènes que nous avons rencontrés chez tous les peuples qui ont subi son joug.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 457.

«Les gouvernements populaires, ou même les aristocraties qui appellent beaucoup d'individus à la participation des affaires, balancent, par les intérêts de ce monde, l'autorité spirituelle. Le despotisme, versant à grands flots sur ses esclaves tous les malheurs et tous les opprobres, les met à la merci de quiconque leur promet un asile ailleurs, à moins que le despotisme, habile à tout avilir, n'avilisse aussi la religion; mais ceci n'arrive que chez les nations très corrompues, et par un concours de circonstances heureusement assez rares.» — Benjamin CONSTANT. Livre XI, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 461.

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