mardi 14 septembre 2010

Benjamin Constant — De la religion (Livre XII)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement,conviction et passion.


[DE LA MARCHE DU POLYTHÉISME INDÉPENDANT DES PRÊTRES JUSQU'À SON PLUS HAUT POINT DE PERFECTIONNEMENT]

«Nous avons établi, comme la vérité principale à démontrer dans notre ouvrage, que chaque révolution qui s'opère dans la situation de l'espèce humaine en produit une dans les idées religieuses, et nous avons déjà vu le polythéisme substitué au fétichisme, par le passage de l'état sauvage à l'état barbare. Le polythéisme subit d'autres modifications importantes, par le passage de l'état barbare à un état plus civilisé; et les notions d'une justice distributive, d'une rémunération équitable et infaillible, deviennent des dogmes précis et positifs, au lieu de n'être que l'expression de vœux impuissants, d'espérances confuses. § Cette révolution s'opère d'une manière évidente chez les peuples que ne retardent ou n'enchaînent aucune circonstance accidentelle, aucune calamité physique, aucune tyrannie religieuse ou politique.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 465.

«Dans le passage de la vie purement belliqueuse à la vie civile, de l'état uniquement guerrier à l'état agriculteur, les peuples éprouvent des besoins d'une espèce tout à fait nouvelle; celui du travail, qui a remplacé l'emploi de la force, en substituant l'échange à la conquête; celui de la propriété, sans laquelle le travail ne serait qu'une suite d'efforts illusoires; celui de la sécurité, sans laquelle la propriété serait précaire.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 465-466.

«La confiance succède à la crainte. Même à l'aspect du crime triomphant, les mortels s'attendent à voir bientôt le malheur fondre sur sa tête. Si quelquefois une évidence trop irrésistible force l'homme à reconnaître que, malgré la providence des dieux, la vertu peut souffrir, l'iniquité régner, il se persuade que tôt ou tard viendront les jours de la réparation et de la vengeance. Ainsi pénètre dans son cœur l'idée d'un appel du présent à l'avenir, de la terre au ciel, recours solennel de tous les opprimés dans toutes les situations, dernière espérance de la faiblesse qu'on foule aux pieds, de la vertu qu'on immole, pensée consolante et fière, à laquelle la philosophie n'a jamais essayé de renoncer, sans en être aussitôt punie par sa propre dégradation.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 467.

«C'est donc ici l'époque de l'introduction formelle de la morale dans la religion. Nous avons prouvé que, même auparavant, la religion favorisait la morale. Les dieux, en thèse générale, doivent toujours préférer le bien au mal, la vertu au crime. L'amour de l'ordre est inhérent à l'homme aussi longtemps qu'il raisonne abstraitement. Le même penchant est donc inhérent aux dieux, dès qu'au lieu d'être, comme les fétiches, payés, si l'on me permet cette expression, chacun à part, par les individus, ils le sont collectivement, par la société toute entière. L'intérêt de toute communauté se trouve dans la morale. Les dieux protecteurs de la communauté ne peuvent remplir leur emploi qu'en empêchant les individus d'offenser la morale, c'est-à-dire de mettre en péril la communauté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre I. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 467-468.

«Le passage de l'état barbare à l'état civilisé, est un moment de grande fermentation. La justice lutte contre la violence, l'esprit de propriété contre l'esprit de rapine, les principes de la morale contre l'habitude de la force. Les hommes cherchent longtemps en vain une assiette fixe. Ils se voient assaillis tout à la fois par les inconvénients de la situation dont ils sortent, et par ceux, qui ne sont pas moins grands et qui sont plus inattendus, de la situation dans laquelle ils entrent. § la religion se ressent de cette fermentation. Les maximes qui s'introduisent viennent se heurter contre celles que les souvenir consacrent. Les opinions qui commencent à se perdre, celles qui commencent à s'établir, se rencontrent et se contredisent.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 468.

«Mais, à mesure que la civilisation fait des progrès, la morale s'identifie davantage avec la religion, la contradiction cesse et les contradictions disparaissent: la vénalité des dieux est encore reconnue; l'égoïsme ne peut renoncer à ce dogme, dont il fait un si grand usage, et cette opinion traverse, avec plus ou moins de déguisements, toutes les époques. Mais elle a subi déjà une modification importante. Les dieux ne sont pas encore devenus des êtres désintéressés, mais ils sont devenus d'honnêtes gens, dans le sens ordinaire de ce mot. Ils se font payer pour faire le bien, mais ils ne permettent plus qu'on les paie pour faire le mal.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 468.

«L'incrédulité, au reste, est toujours voisine du triomphe complet de la morale dans la religion. Dès que les hommes se sont bien pénétrés de la nécessité de la morale, leur logique les force à comparer les faits que la religion rapporte et les dogmes qu'elle enseigne, avec les principes nouveaux qu'elle est appelée à sanctionner. Il s'ensuit que, lorsque ces faits ou ces dogmes leur semblent contraires à ces principes, ils révoquent les premiers en doute; ils y sont d'autant plus obligés, que l'habitude de la réflexion faisant des progrès dans tous les esprits, des fables, que précédemment l'on adoptait sans conséquence, servent tout à coup d'apologie aux coupables. L'homme, frappé de ce danger, n'accepte plus la croyance que sous la condition expresse qu'elle protégera la morale. Il exige des dieux, pour prix de ce qu'il veut bien ne pas contester leur existence, qu'ils se rendent utiles; et, loin de leur reconnaître, comme autrefois, des droits absolus, il leur impose des devoirs. La morale devient donc une espèce de pierre de touche, une épreuve à laquelle on soumet les notions religieuses, et qui ne peut manque d'en faire contester une partie, et d'affaiblir la confiance qu'on accordait à l'ensemble.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre II. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 469.

«Produit inévitable de cette agitation et de ce malaise [la tyrannie des grands et des rois au ~VIIIe siècle], la réflexion reparaît toujours, infatigable et décourageante. L'homme a fait le pas irréparable, ce retour sur lui-même, sur le malheur de sa condition. Il a découvert les pièges dont il est environné, les dangers de la confiance et la duperie de l'enthousiasme. Après cette découverte, aucune illusion n'est longtemps complète. La pureté d'âme, l'élan du sentiment religieux soulèvent parfois le fardeau qui pèse sur l'imagination et le cœur. Quelques génies privilégiés s'en dégagent ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre III. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 471.

«... la profondeur n’est pas dans l’érudition qui compile, mais dans la perspicacité qui apprécie ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre V. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 478.

«Quand les poètes sentent le besoin d'épurer la religion, ils modifient les faits, les historiens modifient les causes.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 479.

«L'introduction de la morale dans la religion place tous les faits sous un nouveau jour: car les faits sont entre les mains des historiens, et reçoivent leur empreinte.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 484.

«L'invention des représentations dramatiques a dû précéder le plaisir qu'elles font éprouver aux spectateurs, et néanmoins l'espoir de ce plaisir est la seule cause indépendante de la religion, qu'on puisse assigner à ces représentations. C'est un cercle vicieux dont le sacerdoce nous aide à sortir; ses fêtes, ses cérémonies ouvrirent au génie une carrière où il s'élança, et dont il finit par exclure ceux qui les premiers avaient donné l'exemple. Ceux-ci, pour s'en venger, proscrivirent plus tard ce qu'eux-mêmes avaient inventé.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 485.

«Les grandes bases de la morale religieuse, la soumission aux dieux, la nécessité d'une vie sans tache, la doctrine du dévouement et du sacrifice, y étaient corrompues [dans les mystères] par l'alliage de l'esprit sacerdotal. Les tragiques, qui n'étaient point dominés par cet affranchirent de cet alliage et la morale et la tragédie.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 485-486.

«... nous nous occupons principalement de l'influence populaire des croyances et de la manière dont cette influence se modifie par la progression.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 486.

«Il doit y avoir plus de contradictions sur le caractère des dieux dans la tragédie que dans l'épopée. Ici ce caractère se fait connaître par des actions, au lieu que chez les tragiques, il se manifeste par des axiomes qui, dans la bouche d'interlocuteurs intéressés ou passionnée, varient suivant les passions ou les intérêts des personnages; tantôt ils veulent tromper ceux qui les écoutent, tantôt ils se trompent eux-mêmes; d'autres fois il disent autre chose que ce qu'ils croient, ou cherchent à ne croire que ce qu'ils désirent. Le caractère des dieux est pratique dans l'épopée et de théorie dans les tragiques.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 486.

«C'est une loi antique et sacrée, que le sang qui rougit la terre exige et obtient du sang. Nul n'échange avec impunité l'innocence contre le crime.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 489.

«Toute littérature qui a un but hors d'elle-même, peut être plus utile, plus efficace, comme moyen, mais elle toujours moins parfaite qu'une littérature qui est elle-même son propre but.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 496.

«L'on croirait que, plus les auteurs se proposent de plaire au public, plus ils doivent perfectionner l'ensemble de leurs ouvrages; cela n'est pas. Lorsque leur but unique est de faire effet, ils ne travaillent, pour ainsi dire, qu'à bâtons rompus, et ne soignent que les parties les plus propres à captiver immédiatement la foule. Mauvais calcul ! Pour dominer la multitude d'une manière durable, en littérature, comme en politique, le secret le plus sûr est fréquemment de la dédaigner.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 497.

«Comme il arrive souvent dans le monde, c'est un vice de plus qui lui vaut notre indulgence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 498.

«Nous ne voulons point dire, comme quelques écrivains du jour le prétendent, que l'espèce humaine se détériore; mais les circonstances des modernes ne créent point en eux ce sentiment exquis de la beauté idéale, dont le climat, les institutions, la religion de la Grèce remplissaient tous ses habitants. Nos langues sont plus imparfaites, notre ordre social plus positif, nos calculs plus resserrés, notre existence à la fois plus monotone dans sa marche et plus agitée dans son égoïsme: toute notre nature, en un mot, est moins poétique. Assurément, ce n'est pas un mal; les Grecs devaient en partie leur poésie à leur loisir, leur loisir à l'esclavage, qui refoulait sur une race proscrite et dégradée les travaux mécaniques. Nous aimons mieux avoir moins de poètes, et n'avoir plus d'esclaves.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre VIII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 498.

«... la bouffonerie et la licence étaient un trait caractéristique des religions soumises aux prêtres; elle privent leurs esclaves de toutes les jouissances élevées, et les abrutissent pour les dédommager. § Il y a eu quelque chose de pareil, dans les pièces appelées mystères par les chrétiens du Moyen Age. Rien de plus audacieux, de plus satirique, contre les objets les plus révérés; la dévotion pourtant régnait sans rivale, et ne voyait point dans ces drames burlesques une profanation des choses sacrées.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 501.

«Il faut se l'avouer, il y a dans la gaieté, quant elle n'est pas le simple développement des joies enfantines, il y a dans l'ironie surtout, quelque chose qui approche du vice; tout ce qui est bon, est grave. La vertu, l'affection, le courage, le bonheur qui naît de la paix de l'âme sont choses sérieuses. La gaieté, dans les religions sacerdotales, a souvent représenté le mauvais principe. Ne le représente-t-elle pas aujourd'hui plus que jamais, dans nos sociétés civilisées ?» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 501.

«Un peuple démocrate aime à voir bafouer ceux qui le dominent, mais aucun peuple ne se complaît à ce qu'on dégrade les être qu'il adore, à moins qu'il ne cesse de les adorer ...» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 502.

«Une disproportion pareille [entre l'immobilité du dogme et le perfectionnement de l'idée], lorsque la forme reste la même, est un principe de mort pour une croyance; car chaque perfectionnement en prépare un nouveau, et, par conséquent, rapproche le moment où la forme doit être brisée .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 503.

«Amant passionné de la licence et des nouveautés, enthousiaste des arts qui faisaient ses délices et qui ont fait sa gloire, le peuple d'Athènes avait soustrait les poètes à l'Aréopage et aux juges ordinaires. Un tribunal particulier exerçait sur eux sa juridiction. Les lois positives contre l'impiété étaient faciles à éluder, comme elles le seront toujours pour tout ce qui tient à la pensée et à l'expression dont elle est revêtue. L'arbitrage seul peut atteindre les délits de ce genre; et certes, si c'est un avantage, il est amplement contrebalancé; car l'arbitraire, en atteignant tout, étouffe tout, le bien comme le mal,l'usage comme l'abus. Le tribunal, juge des poètes, les traitait avec indulgence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 503.

«En se déclarant contre l'ancien polythéisme, ils [les philosophes] n'avaient ni l'appui de la foule dont ils ne captivaient pas les suffrages, renfermés qu'ils étaient dans le sanctuaire de leurs écoles ou dans les bosquets de l'Académie, ni la ressource d'un hommage aux fables qu'ils avaient attaquées; ils les niaient ou les interprétaient, ce qui n'apaisait point les dévots. Après les représentations d'une comédie d'Aristophane, que restait-il ? Le souvenir d'un spectacle qui avait provoqué la gaieté des assistants, mais auquel on ne pouvait attribuer ni résultats positifs, ni conclusions formelles. Les doctrines d'Anaxagore, ou les leçons de Socrate, conduisaient au contraire à des conséquences directes, indifférentes à la multitude, offensantes pour les prêtres .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 504.

«L'esprit sacerdotal trait avec assez d'indulgence les ennemis de ses ennemis; il pardonne volontiers à la licence, pourvu qu'elle se tourne avec lui contre la raison.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre IX. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 504.

«Ces philosophes [grecs], loin de travailler à détruire la religion populaire [du polythéisme], s'efforcèrent longtemps de la concilier avec la morale, et de l'épurer. Mais comme malgré leurs intentions, si pacifiques dans l'origine, leurs efforts n'aboutirent qu'à la chute de la croyance publique, c'est lorsque nous décrirons cette révolution mémorable et les causes qui l'amenèrent, que nous pourrons placer plus convenablement quelques recherches sur la marche de la philosophie et sur ses rapports avec la religion.» — Benjamin CONSTANT. Livre X, chapitre X. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 505.

«La morale s'introduit par degrés dans le polythéisme indépendant de la direction du sacerdoce. Elle y pénètre et se perfectionne, à mesure que la civilisation fait des progrès et que les lumières s'étendent. Il en résulte que les dieux ne paraissent point les auteurs, mais les garants de la loi morale; ils la protègent, mais ne la modifient pas. Ils ne créent point ses règles, ils les sanctionnent. Ils récompensent le bien, punissent le mal; mais leur volonté ne détermine pas ce qui est mal et ce qui est bien; les actions humaines tirent d'elles-mêmes leur propre mérite.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 505.

«Toutefois, même alors, [lorsque les dieux ordonnent d'y passer outre et que les mortels leur obéissent], la morale ne change pas de nature; elle est sacrifiée dans l'occasion particulière, mais elle reste indépendante en principe général.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 506.

«On ne saurait concevoir un grand nombre d'êtres tous également revêtus d'un pouvoir sans bornes; leur pluralité met un obstacle invincible à leur toute-puissance; cette pluralité suggère d'ailleurs l'idée d'intérêts divers, et, pour décider entre ces intérêts, l'homme ne peut recourir qu'à sa raison. Comment reconnaîtrait-il pour juges compétents, des dieux qui ne sont pas d'accord ? Il n'est donc jamais asservi par ces dieux, entre lesquels il prononce. La protection de l'un le défend de la haine de l'autre; et si tous les êtres surnaturels le trahissent, il conserve le droit d'en appeler à leurs décisions à sa propre conscience.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 506.

«... les dieux forment une espèce de public, non pas infaillible, non pas incorruptible, mais plus impartial et plus respecté que le vulgaire des mortels. l'opinion présumée et la force reconnue de public céleste ne sont pas sans avantages. L'homme souffre en présence de ces témoins augustes; il les désarme par sa vertu; il les frappe de respect par son courage; et l'idée d'offrir à des êtres d'une nature et d'une raison supérieure, le magnifique spectacle de l'homme irréprochable, luttant contre le malheur, a quelque chose qui exalte l'imagination et qui élève l'âme.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507.

«... quand la morale s'allie d'une manière prématurée, et comme de force, avec la religion, elle est inévitablement plus imparfaite que lorsqu'elle s'y introduit naturellement. Dans ce dernier cas, elle y pénètre à une époque avancée de la société; elle y entre épurée, améliorée, enrichie de tous les progrès qu'ont faits les peuples en se poliçant. Les prêtres, en rendant la religion stationnaire, maintiennent la morale, telle qu'elle était au sein de la barbarie: et dès lors, la religion, l'ayant sanctionnée, s'oppose à ce que les lumières qui se développent la corrigent; de la sorte, des religions qui pouvaient faire à une époque déterminée un bien relatif, ne font plus que du mal aux époques postérieures; leur force conservatrice s'exerce en faveur de ce qu'il faudrait ne pas conserver.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507.

«... les dieux, au nom desquels le code de la morale sacerdotale est promulgué, ne sont pas seulement des juges, ils sont aussi des législateurs; ils créent la loi morale, ils peuvent la changer. Ils déclarent ce qui est mal et ce qui est bien. La règle du juste et de l'injuste est bouleversée; une révolution incalculable est produite dans la conscience de l'homme. Les actions tirent toute leur valeur du mérite que les dieux y attachent; elles ne leur plaisent plus parce qu'elles sont bonnes; elles sont bonnes parce qu'elles leur plaisent; de là, deux espèces de crimes et deux espèces de devoirs: ceux qui sont tels par leur nature, et ceux que la religion déclare tels. Mille choses sans utilité réelle deviennent des vertus; mille choses sans influence nuisible sont transformées en crimes. Ce qui ne sert de rien aux hommes peut être exigé par les dieux, ce qui ne blesse personne peut les offenser. Les délits factices sont punis avec plus de rigueur que les véritables. Les premiers sont des péchés, tandis que les seconds ne sont que des fautes.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 507-508.

«Ce qui préserve du crime la majorité; des hommes, c'est le sentiment de n'avoir jamais franchi la ligne de l'innocence; plus on resserre cette ligne, plus on expose l'homme à la dépasser; et quelque légère que soit l'infraction, par cela seul qu'on a vaincu le premier scrupule. Il a perdu sa sauvegarde la plus assurée.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 508-509.

«Il est utile que l'homme se prescrive quelquefois des devoirs inutiles, ne fût-ce que pour apprendre que tout ce qu'il y a de bon sur la terre, ne réside pas dans ce qu'il nomme utilité.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 509.

«La puissance de créer d'un mot les vertus et les crimes, quand elle est remise entre les mains d'une classe d'hommes, n'est plus qu'un moyen redoutable de despotisme et de corruption. § Cette classe ne se borne pas à placer au premier rang des forfaits toute résistance à son pouvoir; elle ne se borne pas à commander des actions indifférentes, ou inutiles; elle en prescrit de nuisibles et de criminelles. La pitié pour les ennemis du ciel est une faiblesse désapprouvée ou proscrite: au mépris des liens les plus forts ou des affections les plus tendres, il est défendu de porter du secours à celui qui s'est rendu l'objet de l'indignation divine. La cruauté contre les impies et les infidèles est un devoir sacré; la perfidie à leur égard est une vertu; et, de même que la théorie du dévouement, poussé à l'excès, fait du sacrifice le plus douloureux le sacrifice le plus méritoire, les vertus religieuses, quand les actions n'ont de mérite parce qu'elles sont conformes à l'ordre des dieux, en ont d'autant plus qu'elles sont l'opposé des vertus humaines.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 509.

«Presque toujours, dans le polythéisme sacerdotal, l'interdiction des crimes est accompagnée d'une réserve expresse, pour le cas où ces crimes seraient commandés par les dieux. [...] § La morale religieuse ainsi conçue peut avoir encore un autre inconvénient. L'homme s'imagine être élevé par elle au-dessus de tous les devoirs.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 510.

«Les relations des sociétés humaines étant les mêmes partout, la loi morale, qui est la théorie de ces relations, est ainsi partout la même.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 510.

«L'homme qui a sur la Divinité des idées très pures, ne sait jamais si ses efforts suffisent pour le rendre digne de lui plaire. Il travaille sans relâche sur son propre cœur, pour en arracher tout ce qui le sépare de l'être parfait qu'il adore; son inquiétude est d'ailleurs adoucie par la notion de la bonté, unie à celle de la sagesse et de la puissance. Mais dans un culte dont les dieux sont imparfaits et méchants, une telle inquiétude, loin d'être un encouragement pour la vertu, est une cause toujours renaissante d'abattement et de désespoir.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 511.

«Car il ne faut pas se le déguiser, la religion, dans ses rapports, avec la morale, est toujours placée entre deux périls. Si elle déclare qu'il y a des crimes inexpiables, elle jette les hommes dans le désespoir. Si elle offre l'expiation pour tous les crimes, elle encourage les coupables par l'espoir de l'immunité.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«... avec la liberté, la morale améliore la religion; avec l'esclavage, la religion fausse la morale.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XI. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«Les législateurs anciens ne distinguaient point entre la morale vulgaire, qui se borne à maintenir l'ordre en prohibant les délits, et la morale plus délicate et plus relevée qui prévient le crime, en inspirant à l'homme une disposition d'âme qui ne lui permet plus de le commettre.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512.

«Pour prévenir les attentats grossiers en les punissant, les lois et les châtiments suffisent. C'est pour changer l'intérieur de l'homme, au lieu d'arrêter seulement son bras, que le sentiment religieux est indispensable. En restreignant la religion à un genre d'utilité matériel et borné, on la dégrade de son rang véritable, On a de la sorte toujours méconnu sa dignité, sa sainteté, sa plus noble influence.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 512-513.

«Un culte dont les divinités seraient cruelles et corrompues, mais qui laisserait à la vertu le tribunal de son propre cœur, serait moins pernicieux qu'une religion dont le dieu, revêtu des qualités les plus admirables, pourrait changer la morale par un acte de sa volonté.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513.

«La religion n'est point un code pénal, elle n'est point un code arbitraire, elle est le rapport de la Divinité avec l'homme, avec ce qui le constitue un être morale et intelligent, c'est-à-dire avec son âme, sa pensée, sa volonté. Les actions ne sont de sa sphère, que comme symptômes de ces dispositions intérieures. La religion ne peut rien changer à leur mérite. Œuvre de Dieu, comme le sentiment religieux lui-même, émanée de la même source, la morale est comme lui, incréée, indépendante. Sa règle est placée dans tous les cœurs. Elle se dévoile à tous les esprits, à mesure qu'ils s'éclairent. L'être que le sentiment nous fait connaître, ne peut être servi ni satisfait par aucune exception à cette règle, Ce serait vouloir le servir, comme nous servons les puissances de la terre, en flattant leur intérêt du moment, pour un temps donné, dans une circonstance critique.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513.

«La même action, commise par deux individus, dans deux circonstances, n'a jamais une valeur uniforme. La loi sociale ne peut démêler ces nuances. Semblable au lit de Procruste, elle réduit à une mesure pareille des grandeurs inégales. La religion casse ses arrêtes pour un autre monde. Mais ce n'est pas que les bases diffèrent, ce n'est pas que la religion puisse y rien innover; c'est seulement qu'elle est mieux instruite; et, sous ce rapport, elle n'est pas moins souvent un recours contre l'imperfection de la justice humaine, qu'une sanction des lois générales que cette justice a pour but de maintenir. § Considéré sous ce point de vue, le sentiment religieux ne peut jamais nuire à la morale. Les ministres de la religion ne peuvent jamais au nom de la divinité qu'ils enseignent, décider de la valeur des actions. La religion laisse aux lois leur juridiction sur les effets: elle se borne à améliorer la cause.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 513-514.

«... l'axiome souvent répété, qu'il vaut mieux prévenir les crimes que les punir, est une source intarissable de vexations et d'arbitraire, quand l'autorité temporelle veut régler son intervention d'après cet axiome. Mais le sentiment religieux qui pénètre jusqu'au fond des âmes, peut atteindre ce but, sans arbitraire et sans vexations. Les lois, dans leurs tentatives hasardées et qu'elles font en aveugles, sont forcées de prononcer sur des apparences, de se gouverner d'après des détails qu'elles isolent, d'écouter des soupçons que rien ne prouve, et, pour empêcher ce qui pourrait être criminel, elles punissent ce qui est encore innocent. Le sentiment embrasse l'ensemble, épure au lieu de contraindre, ennoblit au lieu de punir.» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 514.

«Le stoïcisme était un élan sublime de l'âme, fatiguée de voir la morale dans la dépendance d'hommes corrompus et de dieux égoïstes, et s'efforçant, en rompant tous ses liens avec les dieux et avec les hommes, de se placer dans une sphère au-dessus de toutes les injustices de la terre et du ciel même. Mais il y avait dans le stoïcisme une sorte d'effort qui rendait son influence moins salutaire et moins durable. Pour arriver à cette liberté intérieure qui bravait tous les coups du sort, il fallait étouffer en soi le germe de beaucoup d'émotions douces et profondes. Le sentiment religieux, [...], assure à l'homme le même asile, en lui conservant ces émotions inséparables de sa nature, et qui font le charme et la consolation de sa vie. La morale n'est à la merci, ni des législateurs qui parlent au nom du ciel, ni de ceux qui commandent à la terre. L'homme est indépendant de tout ce qui pourrait froisser et pervertir la plus noble, ou, pour mieux dire, la seuls noble partie de lui-même; mais il jouit de cette indépendance, sous l'égide d'un dieu qui le comprend, l'approuve et l'estime. Il est for, comme le stoïcien, de la force de son âme; mais de plus il est fort de la force d'un appel constant et intime au centre de tout ce qu'il y a de bon. .» — Benjamin CONSTANT. Livre XII, chapitre XII. In De la religion, considérée dans sa source, ses formes et ses développements. Actes Sud. Arles, 1999. p. 515.

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