mardi 12 octobre 2010

Oswald Spengler — Le déclin de l'Occident II (Chapitre V)

[Avec mises à jour périodiques. — With periodical updates.]

VEUILLEZ NOTER: En faisant la publicité de ces pensées, le rédacteur de ce site n'endosse en aucune façon la signification de leur contenu. Si elles sont présentées ici, c'est qu'elles nous semblent offrir une matière importante à réflexion, par la pertinence de leur thématique ainsi que par la clarté de leur énonciation et des implications qui peuvent en découler. Par ailleurs, nous encourageons ceux qui y seront exposés à l'esprit de critique et de discernement le plus développé, afin d'en retirer non seulement la «substantifique moëlle», selon l'expression de Rabelais, mais encore la vérité la plus haute qu'elles pourraient celer, en relevant le défi de retrouver la vérité suprême, là où elle veut bien se révéler, y compris dans son expérience de vie immédiate, à l'esprit qui la recherche avec engagement, conviction et passion.


[LE MONDE FORMEL DE LA VIE ÉCONOMIQUE]

«... l'économie n'a pas de système, mais une physionomie. Pour sonder le système de sa forme intérieure, de son âme, il faut avoir le tact physionomique. Pour y réussir, il faut être connaisseur, comme on est connaisseur d'hommes et connaisseur de chevaux, et on n'a plus besoin d'un «savoir» qu'un cavalier n'a besoin de «savoir» la géologie. Mais cette qualité de connaisseur par un coup d'œil sympathique sur l'histoire; ce coup d'œil fait pressentir les instincts raciques cachés, qui agissent aussi dans le sujet économique actif pour transformer symboliquement la situation extérieure (la «matière» économique, la nécessité) d'après l'âme intérieure du sujet. Chaque vie économique est l'expression d'une vie psychique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 432.

«L'économie et la politique sont les côtés d'une existence dynamique vivante, non de l'existence éveillée, de l'esprit. Dans tous les deux se révèle le tact du flux cosmique emprisonné dans les successions des générations d'individus. Ils n'ont pas, ils sont l'histoire. Ils appartiennent tous deux à la race, et non à la langue avec ses tensions spatialo-causales comme celles de la religion et de la science; ils visent tous deux aux réalités et non aux vérités. Il y a des destins politiques et économiques, comme il y a dans toutes les doctrines religieuse et scientifiques un enchaînement atemporel de causes et d'effets.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 433.

«La politique sacrifie les hommes pour une fin; ils tombent pour une idée; l'économie les fait seulement périr. La guerre crée, la faim anéantit toutes les grandes choses. Là, la vie est supprimée par la mort, souvent jusqu'à cette irrésistible force dont la seule existence signifie déjà la victoire; ici, la faim éveille cette sorte d'angoisse haïssable, vulgaire, entièrement amétaphysique, sous lequel se lève soudain le monde formel supérieur d'une culture et commence la pure lutte pour l'existence de la bête humaine. .» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 432.

«Ce qui importe proprement, pour les individus comme pour les peuples, ce n'est pas d'être en constitution bien nourri et fécond, mais pour quoi on l'est; et plus l'homme s'élève dans l'histoire, plus son vouloir politique et religieux dépasse en symbolique intérieure et en puissance d'expression tout ce que la vie économique renferme de forme et de profondeur. Ce n'est que lorsque le reflux du monde formel total commence, à l'avènement d'une civilisation, que les contours du pur train de vie apparaissent avec urgence dans leur nudité: c'est alors le moment où se dépouille de sa pudeur le creux aphorisme de «la faim et l'amour» comme les deux ressorts de l'existence; où ce n'est plus la volonté de puissance pour un devoir, mais le bonheur du plus grand nombre, le plaisir et la commodité, le panem et circenses, qui deviennent le sens de la vie, et où la grande politique, la politique économique se substitue comme fin en soi.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 432.

«Parce que l'économie appartient au côté racique de la vie, elle a comme la politique une coutume et un point de morale, car c'est ce qui distingue la noblesse du clergé, les réalités des vérités. Comme chaque ordre politique, chaque classe professionnelle a un sentiment évident, non du Bien et du Mal, mais du bon et du mauvais. Celui qui ne l'est pas n'est pas honorable, il est vulgaire. Car l'homme occupe ici aussi le point central et sépare, du flair des convenances et du tact des hommes agissant économiquement, la méditation religieuse et son concept fondamental du péché.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 434.

«Toute vie économique supérieure naît en contact avec une paysannerie et au-dessus d'elle. La paysannerie seule ne suppose rien d'autre. Elle est pour ainsi dire la race en soi, végétale et ahistorique, produisant et consommant tout pour elle, jetant sur le reste du monde un regard où tous les autres sujets économiques semblent secondaires et méprisables. Or voici qu'à cette économie productive s'oppose une espèce conquérante d'économie, qui se sert de la première comme objet, se fait nourrir par elle, la rend tributaire ou la pille.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 436.

«La politique et le commerce sous forme développée (art de réaliser sur l'adversaire des succès matériels au moyen d'une supériorité spirituelle) sont toutes deux un succédané de la guerre par d'autres moyens. Toute diplomatie est une diplomatie d'affaires et toutes les affaires sont de nature diplomatique; les deux reposent sur une connaissance approfondie des hommes et sur le tact physionomique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 437.

«Une vie veut exister et signifier quelque chose au delà de cette existence; et la confusion de nos concepts a été encore accrue finalement par le fait que des partis politiques, aujourd'hui comme aux temps hellénistiques, ont anobli en quelque sorte certains groupes économiques, dont ils voulaient modifier plus heureusement le train de vie, en les élevant au rang d'un ordre politique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 440.

«... le premier ordre authentique est la noblesse. D'elle dérivent l'officier et le juge et tout ce qui appartient aux hautes charges gouvernementales et administratives. Ce sont des formes de l'ordre ayant une certaine signification. De même au clergé appartiennent les savants avec une espèce de distance nobiliaire très marquée.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 440.

«Un bien est ce qui est lié par les fils délicats de la nature, par son âme, à la vie qui l'a produit ou qui le consomme.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 442.

«... le citadin pur n'est pas productif au sens terrien originel, Il lui manque le lien intérieur avec le sol, comme avec le bien qui passe entre ses mains. Il ne vit pas avec lui, mais le regarde du dehors et seulement par rapport à son train de vie.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 443.

«Une erreur de toutes les théories financières modernes est qu'elles partent des signes de valeur ou même de la matière des moyens de paiement, au lieu de partir de la forme de la pensée économique. Mais l'argent est une catégorie de la pensée, comme le nombre et le droit. Il y a une pensée financière comme il y a une pensée juridique, mathématique, technique sur le monde ambiant.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 444.

«Penser en hommes d'affaires, c'est compter.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 444.

«L'argent est devenu finalement la forme d'énergie spirituelle, où sont résumées et concentrées la volonté de domination, la force et la plasticité politiques, sociales, techniques, scientifiques, la nostalgie d'une vie de grand format. [...]. Civilisation signifie donc le stade d'une culture dans lequel la tradition et la personnalité ont perdu leur valeur immédiate, où il faut que chaque idée soit d'abord repensée en argent avant de pouvoir se réaliser. Au début, on était riche parce qu'on était puissant. Maintenant on est puissant parce qu'on a de l'argent. C'est l'argent d'abord qui élève l'esprit sur le trône. La démocratie est l'identification parfaite de l'argent et de la puissance politique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 447.

«... la confusion de l'argent et de la monnaie correspond exactement au fait de mesurer la valeur d'une chose à la grandeur d'une quantité de travail. Ici le «travail» n'est plus une action au sein d'un monde d'actions, il n'est pas l'activité infiniment diverse selon le rang intérieur, l'intensité et la portée, et qui agit dans des milieux sans cesse différents, mesurée comme un champ de force électrique, sans pouvoir être délimitée; mais le résultat représenté de manière toute matérielle, le résiduel du travail, quelque chose de concret où rien de remarquable n'apparaît, si ce n'est précisément son volume.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 454.

«La pensée financière produit l'argent: tel est le secret de l'économie mondiale. Quand un organisateur de grand style écrit un million sur un papier, ce million existe, car sa personnalité comme centre économique garantit un accroissement correspondant de l'énergie économique de son domaine. C'est cela et rien d'autre que signifie pour nous le mot crédit.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 454.

«La relation primaire entre un microcosme éveillé et son macrocosme (la «nature») consiste dans un tâtement par les sens qui, de simple impression des sens, s'élève à un jugement des sens et agit ainsi de manière critique («isolante») ou, ce qui revient au même, comme analyse causale. Le constat se complète en un système, le plus achevé possible d'expériences («marques») les plus originelles, et cette méthode involontaire, par laquelle on se sent chez soi dans son monde, a abouti chez maints animaux à une richesse étonnante d'expériences, qu'aucune connaissance humaine de la nature ne peut dépasser. Mais l'être éveillé originel est toujours un être éveillé agissant, loin de tout ce qui est simple «théorie»; telle est la petite technique journalière, par laquelle on acquiert des expériences sans intention, au contact des choses, en tant qu'elles sont des choses mortes. C'est la distinction du culte et du mythe, car à ce stade il n'y a aucune frontière entre la religion et le profane. Tout être éveillé est religion.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 458.

«Le commerce originaire est un commerce de métaux: c'est ainsi que l'économie qui produit et l'économie qui façonne sont envahies par une troisième, étrangère et aventurière, qui circule en liberté à travers le pays.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 460.

«Notre culture [faustienne] toute entière a l'âme des découvertes. Découvrir ce qu'on ne voit pas, l'attirer dans le monde lumineux de l'œil intérieur pour s'en emparer, c'était depuis le premier jour sa passion la plus tenace. Toutes ses grandes inventions ont lentement mûri dans la profondeur, ont été annoncées par des esprits prophétiques et essayées par eux avant de surgir enfin, avec une nécessité de destin. Toutes étaient déjà très proches des spéculations bienheureuses des premier moines gothiques. C'est là ou jamais que se révèle l'origine religieuse de toute pensée technique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 461.

«Tout ce qui est important dans la machine se dissimule à l'intérieur. On a senti le diable dans la machine et on n'a pas tort. Elle signifie, aux yeux du croyant, le Dieu détrôné. Elle livre à l'homme la sainte causalité et est mise en mouvement par lui silencieusement, irrésistiblement, avec une sorte d'omniscience prophétique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 463.

«L'industire aussi est encore liée à la terre comme la paysannerie. Elle a son lieu d'origine et ses sources de matières jaillissant du sol. Seule le haute finance est tout à fait libre, tout à fait insaisissable.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 465.

«Une puissance ne peut être détruite que par une autre, non par un principe, et il n'y en a point d'autre contre l'argent. L'argent ne sera dominé que par le sang et supprimé par lui. La vie est le premier et le dernier courant, le flux cosmique en forme microcosmique. Elle est la réalité`du monde historique.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 466.

«L'histoire universelle est le tribunal universel: elle a toujours donné à la vie plus forte, plus complète, plus sûre d'elle-même, le droit à l'existence, dût-elle ne pas être un droit pour l'être éveillé; et elle a toujours sacrifié la vérité et la justice à la puissance, à la race, et condamné à mort les hommes et les peuples qui prisaient les vérités plus que les actes, la justice plus que la puissance.» — O. SPENGLER. Chapitre V. Le déclin de l'Occident (Vol. II). Gallimard. Paris, 2007. p. 466.

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